Du 19 au 21 février, des centaines de personnes - près de 3 000 selon les organisateurs - se sont réunies à Madrid pour réfléchir à un Plan B pour faire face aux diktats austéritaires de l'Union européenne. L'appel avait été lancé par plus de 160 personnalités, dont les élus de Podemos au Parlement européen, Lola Sánchez et Miguel Urbán (ce dernier étant aussi membre d'Anticapitalistas), et a recueilli plus de 14 000 signatures.
Réformer l'UE ou rompre avec elle ?
Le ton du week-end était donné dès l'assemblée d'ouverture : après la déroute grecque et la capitulation du gouvernement Tsipras, il s'agit de repenser l'Europe, de rompre avec l'Europe du capital et de mettre en route un mouvement social européen radical de rupture.
Différentes thématiques ont été abordées dans les ateliers et forums : la question de l'euro, le système bancaire, le féminisme, la crise climatique et écologique, l'Europe forteresse et les réfugiés, la nécessité d'un audit citoyen de la dette, le TTIP et les traités de libre-échange " de nouvelle génération », etc. (2)
L'événement a regroupé à la fois des organisations sociales et politiques. C'est peut-être là sa force et c'est aussi l'ambition du mouvement à construire : " L'Europe a besoin qu'un mouvement indigné comme le 15M déborde ses institutions », a indiqué Miguel Urbán en référence au mouvement des Indigné espagnol apparu le 15 mai 2011.
L'ex-ministre des Finances du gouvernement Tsipras, Yanis Varoufakis, était également présent après avoir lancé son mouvement DiEM25 à Berlin, quelques semaines plus tôt. Avec l'idée d'un " changement raisonnable » et son appel du pied aux sociaux-démocrates et libéraux " responsables », son approche apparaît cependant moins rupturiste que celle défendue par Urbán et les initiateurs du plan B madrilène. De leur côté les deux principaux dirigeants de Podemos, Pablo Iglesias et I±igo Errejón, n'ont pas participé aux rencontres. Seul le responsable des questions économiques du parti, Nacho â´lvarez, y a participé. Il a indiqué qu'il existe selon lui des marges de manœuvre au sein de la zone euro, réaffirmant en quelque sorte l'orientation de la direction de Podemos, qui diffère là aussi de celle des eurodéputé-e-s à l'initiative de ce plan B.
Mobilisation contre l'austérité le 28 mai
Un des enjeux du week-end était de voir sur quelles initiatives concrètes allait déboucher cette rencontre. La conférence s'est terminée par un appel à une journée européenne d'actions contre l'austérité le 28 mai (date correspondant à l'anniversaire de la Commune de Paris).
Mais au-delà de cet appel à l'action, que peut-on attendre de cette dynamique ? Il faut tout d'abord souligner le bol d'air frais que constitue cette initiative dans le contexte actuel. Fermetures des frontières, austérité, politiques répressives, négociations de traités prédateurs, la situation européenne est des plus moroses et aucune issue ne se dessine à l'horizon. Le seul moyen de faire vaciller " l'architecture autoritaire, oligarchique, patriarcale et néolibérale » de l'Union européenne, c'est de combiner à la fois une crise politique et sociale dans un ou plusieurs pays (l'Espagne, le Portugal, de nouveau la Grèce ?) et une mobilisation sociale européenne en soutien aux forces progressistes aux prises avec les institutions de l'UE.
" Pas seulement de l'austérité, une guerre de classes ! »
Un des constats sur lesquels s'est clôturée cette conférence est que les institutions de l'UE actuelle ne sont pas réformables. " La nature profondément antidémocratique de ces institutions reflète leur objectif originel et actuel : servir les intérêts du secteur privé, financier et des différentes élites constituées en oligarchies. (…) Ce n'est pas seulement de l'austérité : il y a une guerre de classes en Europe, impliquant le pillage des droits des citoyens et des biens communs », affirme la déclaration finale (3). Le texte appelle à un processus constituant et à " désobéir aux diktats antidémocratiques quand on est au gouvernement, comme obligation démocratique minimale ».
Au-delà de l'appel à la mobilisation le 28 mai, les organisateurs entendent maintenant étendre ce plan B au niveau local et régional. Comme le commentait une des participants : " Il s'agit d'articuler la dialectique entre résistance et alternatives. Construire un nouvel imaginaire politique, voilà l'élément clé ». ■
Sébastien Brulez, chargé de campagne au sein du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11 - une organisation non gouvernementale belge de solidarité internationale), est militant de la section belge de la IVe Internationale (LCR-SAP). Cet article a été écrit pour La Gauche n° 76 de mars-avril 2016.
2. Les vidéos des interventions (en espagnol) sont disponibles ici: https://www.youtube.com/channel/UCffvXv6gRinxIQVOt7VeRDw
3. Cf. Inprecor