Revue et site sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

Défaite électorale des politiques d'austérité sans victoire de la gauche

par
Logo de l'Alliance Rouge Verte, Enhedslisten
Copenhague, juin 2015

Dirigée par le Parti social-démocrate, la coalition sortante a subi une cuisante défaite lors des élections législatives du 18 juin 2015, tout comme le principal parti de l'opposition de droite. Ce sont quatre partis non gouvernementaux qui ont gagné. Ces élections peuvent être interprétées de diverses manières, car leur résultat n'est pas évident.

Synthèse et articles Inprecor

Les précédentes élections (2011) ont permis la formation d'un gouvernement de coalition de centre-gauche, conduit par le Parti social-démocrate. Il les a remportées grâce à un sentiment de colère croissante dans la classe ouvrière et les couches sociales marginalisées, ainsi que parmi les humanistes progressistes, contre la politique du gouvernement de droite qui avait régné durant les dix années précédentes. Les militants syndicaux ont mené une campagne active pour un nouveau gouvernement qui réaliserait leurs aspirations à l'égalité et au bien-être au lieu de détruire leurs acquis.

Dès que ce nouveau gouvernement a annoncé son programme, il a commencé à décevoir son électorat en admettant ouvertement qu'il collait à la politique économique de l'Union européenne

et poursuivait la politique de ses prédécesseurs. Cela a provoqué la résignation. Les sondages, depuis le premier réalisé après les élections, indiquaient que la droite redevenait majoritaire, tout en signalant une croissance de l'électorat favorable à Enhedslisten (Alliance rouge-verte), insuffisante cependant pour contrer la tendance générale.

Les deux blocs

Pour les médias cependant, la campagne électorale se limitait à l'affrontement du " bloc bleu » et du " bloc rouge ».

Le " bloc bleu » était composé de cinq partis de la droite : le Parti conservateur historique, le Parti libéral historique " Venstre », le nationaliste et xénophobe Parti populaire danois, le nouveau et fringuant parti ultralibéral nommé l'Alliance libérale et les Démocrates chrétiens (qui n'avaient plus de représentation parlementaire et n'en ont pas obtenu). Bien avant les élections, ces partis ont annoncé leur soutien au chef du Parti libéral, Lars L°kke Rasmussen, qu'ils voulaient voir en tant que Premier ministre.

Le " bloc rouge », c'étaient les partis qui soutenaient la dirigeante social-démocrate et Première ministre sortante, Helle Thorning-Schmidt pour diriger le nouveau gouvernement : le Parti social-démocrate , le parti social-libéral " Radikale »(RV) (plus social du tout, faisant partie du gouvernement sortant), le Parti populaire socialiste (SF) (qui a participé au gouvernement jusqu'en 2014), Ehedslisten et le tout nouveau parti " l'Alternative ». Dans la tradition politique danoise, soutenir une candidature au poste de Premier ministre n'implique pas un soutien politique explicite.

Défaite du gouvernement sortant

C'est le bloc bleu qui a remporté les élections avec une courte majorité. Pris dans leur ensemble, les partis qui ont participé à la coalition gouvernementale sortante ont essuyé une défaite, perdant 12 sièges dans un Parlement de 179. Ils ont été sanctionnés pour leur politique d'austérité néolibérale.

Ce sont les résultats des deux partenaires juniors de la coalition - le Parti populaire socialiste (SF) et le parti social-libéral RV- qui ont assuré la défaite de la coalition gouvernementale sortante. Les deux ont perdu plus de la moitié de leurs électeurs, alors que le Parti social-démocratea légèrement amélioré son score, gagnant 3 sièges de plus, surtout parce que Helle Thorning-Schmidt a mené une campagne plus professionnelle et bénéficiait d'une crédibilité plus grande que son adversaire, Lars L°kke Rasmussen, dont les propriétés ont été impliquées dans plusieurs scandales au cours des quatre dernières années.

Le perdant ramasse tout

À l'issue du scrutin, Rasmussen a négocié avec les autres partis de son bloc, mais sa tâche n'était pas aisée, car son parti fut le grand perdant de ces élections, passant de 26,7 % en 2011 à 19,5 % des suffrages et devenant le troisième parti parlementaire, derrière le Parti populaire et le Parti social-démocrate . De plus, ses alliés tirent dans des directions différentes. Son allié le plus proche, le Parti conservateur, en baisse continue depuis 25 ans, est maintenant en voie d'extinction ayant obtenu seulement 3,4 % de suffrages. (1)

Alors que le Parti populaire danois a adopté un " profil social », les ultralibéraux de l'Alliance libérale vont tirer le nouveau gouvernement dans la direction opposée. Ce gouvernement minoritaire, formé par le seul parti du Premier ministre, pourra utiliser des majorités parlementaires différentes. Il n'aura pas de problèmes avec le Parti social-démocrate , pouvant y compris passer avec elle un certain nombre d'accords politiques. Lors de la campagne électorale, Helle Thorning-Schmidt a tout fait pour que son parti soit le parti du centre. Si le soir même des élections elle a démissionné de son poste de présidente du parti, sa successeuse, Mette Fredriksen, poursuit la même orientation.

Entre la droite nationaliste et la social-démocratie

C'est le Parti populaire danois (PPD) qui est le grand gagnant de ces élections, passant de 12,3 % à 21,1 % de suffrages. Son résultat fut un terrible choc non seulement pour la gauche et d'autres progressistes, mais pour l'ensemble de l'establishment politique. Ce parti s'est construit autour d'une activité politique nationaliste orientée contre les immigrés et les réfugiés. Sans faire partie de la coalition gouvernementale de droite entre 2001 et 2011, il a eu une grande influence sur sa politique dans ce domaine. Il a réussi au fil des années à influencer sur cette question les autres partis de droite, mais aussi le Parti social-démocrate et le Parti populaire socialiste au point de transformer la récente campagne électorale en une compétition sur qui sera " le plus dur sur les réfugiés » entre Venstre, les conservateurs, les sociaux-démocrates et le PPD.

Mais la xénophobie ne suffit pas pour comprendre la croissance du Parti populaire danois. Au fil des années, ce dernier s'est profilé de plus en plus comme un parti défendant le bien-être et le secteur public. Cette année le PPD a fait campagne pour accroître le budget du secteur public, alors que le Parti libéral Venstre faisait campagne pour son gel, c'est-à-dire en réalité pour des coupes dans ce secteur, car il y a une augmentation automatique des coûts auxquels ce budget doit faire face, par exemple une augmentation du nombre des personnes âgées.

De même, le PPD a promis d'augmenter les prestations de chômage, qu'il a pourtant contribué à réduire en 2010. Il apparaissait sur ce sujet comme étant à gauche du Parti social-démocrate. Ceci est fondamental pour comprendre son succès : il a occupé le terrain abandonné par la social-démocratie. De nombreuses recherches indiquent que le PPD a gagné un grand nombre d'anciens électeurs sociaux-démocrates. Certains n'hésitent même pas à caractériser ce parti xénophobe comme " la nouvelle social-démocratie ».

Nouvelles avancées d'Enhedslisten

Enhedslisten a augmenté ses suffrages, passant de 6,7 % à 7,8 %. C'est un très bon résultat après celui de 2011, lorsque le parti a triplé le nombre de ses votes. La gauche non réformiste n'avait jamais été aussi forte au Parlement, mis à part le résultat exceptionnel du Parti communiste lors des élections qui ont immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, Enhedsliten n'a pas été perçue comme étant responsable de la politique du gouvernement sortant, tout en étant partiellement identifié avec lui.

Les votes pour Enhedslisten ont augmenté surtout en dehors de Copenhague et des autres grandes villes, ce qui indique que nous avons maintenant une véritable présence nationale. Il faut surtout souligner que notre score croît en particulier dans les zones de logements sociaux où habitent nombre de migrants et de Danois bénéficiant des allocations de chômage. Ces zones étaient une priorité pour notre campagne électorale et dans une partie d'entre elles nous avions mené des campagnes et organisé des mobilisations bien avant les élections. Dans plusieurs de ces zones nous passons de 20 % à 26 % des votes.

Pourtant Enhedslisten doit se poser la question de pourquoi nous n'avons pas été capables d'attirer plus d'électeurs parmi ceux qui, déçus, ont cessé de voter pour les partis gouvernementaux. En 2013, les sondages indiquaient que plus de 13 % d'électeurs soutenaient Enhedslisten. Pourquoi n'avons-nous pas été capables de mobiliser ce soutien ?

La réponse vient sans doute partiellement du fait que notre campagne était presque totalement centrée sur les revendications immédiates, supposées pouvoir être réalisées sans remettre en cause le cadre du capitalisme. " L'histoire » du parti a été de défendre ce que la social-démocratie avait défendu il y a quelques décennies - ou plutôt ce que les gens attendaient de la social-démocratie. L'objectif déclaré - " tirer le gouvernement à gauche » - n'a pas eu de succès et a laissé l'impression que dans une certaine mesure nous faisions partie du projet du gouvernement. Pour schématiser : notre parti n'était pas assez antisystème et pas assez alternatif.

L'Alternative hippie

La nécessité d'être plus antisystème a été indiquée par le succès d'un parti totalement nouveau, l'Alternative, qui a obtenu 4,8 % des votes. Il a été créé il y a à peine un an par un ancien ministre du gouvernement , qui a démissionné du parti social-libéral " Radikale ».

Sa politique n'est pas formulée en termes politiques traditionnels, mais plutôt comme une vision post-hippie d'une autre façon de vivre. C'est un étrange mélange de politique verte, humaniste et antitechnocratique, combinée avec, d'une part, la revendication de la semaine du travail de 30 heures et, d'autre part, le soutien aux petits entrepreneurs indépendants et innovants.

Ce parti a lancé un appel vibrant à ce qu'il appelle " les classes créatives », mais il a été entendu également par les salariés du public ainsi que par les jeunes électrices et électeurs qui votaient pour la première fois. Sa façon de mener une campagne électorale non agressive et de chercher à débattre a rencontré beaucoup de sympathie chez un grand nombre de gens qui ne supportent plus les luttes verbales violentes entre des politiciens qui n'ont pas de divergences sur l'essentiel mais veulent des places et le pouvoir.

L'establishment dépassé

Cela me conduit à ce qui est peut-être la caractéristique la plus importante de ces élections. Les partis politiques traditionnels, qui ont une histoire de plus de 25 ans, ont décliné, de façon spectaculaire. À l'exception du Parti social-démocrate, qui a gagné un peu de votes, mais dont le score n'est qu'un retour en nombre de voix à ce qu'il avait en 2001, et non aux normes historiques de ce parti. Tous ensemble, les vieux partis ne représentent que 58 % des suffrages exprimés.

Ce qui est encore plus important, c'est qu'il s'agit là des partis qui sont directement identifiés à la politique d'austérité néolibérale menée par les deux coalitions gouvernementales précédentes.

Synthèse et articles Inprecor

De l'autre côté, nous trouvons les partis qui n'ont jamais été dans un gouvernement. Comme je l'ai signalé, il s'agit de partis très différents entre eux, allant du néolibéralisme au nationalisme, à la naïveté social-libérale et à l'anticapitalisme. Ce qu'ils ont de commun c'est leur opposition - argumentée de diverses manières - aux politiques mises en œuvre. Ces partis sont perçus par l'électorat comme ayant une autre perspective, même si dans le cas d'Enhedslisten cela aurait pu être plus explicite.

Ces quatre partis ont tous été récompensés par une augmentation significative de leur score. Dans l'ensemble, ces partis alternatifs et protestataires ont obtenu 42 % des votes. C'est un signe que, en dépit de la marée basse des luttes et de l'apparente tendance droitière des votes, sous cette surface il y a une insatisfaction et un désir de changements réels.

Lorsque la nouvelle majorité et le nouveau gouvernement vont commencer à réaliser leur politique, les travailleurs au Danemark connaîtront des moments difficiles. Les premiers attaqués seront les migrants, les réfugiés et ceux qui vivent des aides publiques, mais des couches plus larges vont également sentir les résultats des coupes budgétaires et du démontage des biens publics. De plus nous allons voir un tournant réactionnaire touchant la justice, le climat et l'environnement.

Mais une telle politique gouvernementale va ébranler encore plus la structure des vieux partis. Et ceux qui se sont tournés vers les nouveaux partis de droite se détourneront d'eux. Ce qui est encore plus important, le mécontentement généralisé permettra de construire la résistance et fera appel à une alternative de gauche face au " bloc bleu » et face au Parti social-démocrate. ■

* Michael Voss est membre de la direction nationale d'Enhedslisten (Alliance rouge-verte) et militant de Socialistisk Arbejderpolitik (SAP, Parti socialiste des travailleurs, section danoise de la IVe Internationale).

Résultats des élections

2011 2015 sièges

Socialdemokraterne (Parti social-démocrate) 24. 8 % 26.3 % 47

Dansk Folkeparti (Parti populaire danois) 12.3 % 21.1 % 37

Venstre (Parti libéral) 26.7 % 19.5 % 34

Enhedslisten (Alliance rouge-verte) 6.7 % 7.8 % 14

Liberal Alliance (Alliance libérale) 5.0 % 7.5 % 13

Alternativet (l'Alternative) - 4.8 % 9

Radikale Venstre (Sociaux-libéraux) 9.5 % 4.6 % 8

Socialistisk Folkeparti (SF) (Parti populaire socialiste) 9.2 % 4.2 % 7

Konservative Folkeparti (Parti populaire conservateur) 4.9 % 3.4 % 6

Kristendemokraterne (Démocrates chrétiens) 0.8 % 0.8 % 0

notes
1. Le 28 juin 2015, Lars L°kke Rasmussen a formé un gouvernement dont tous les ministres sont membres de son parti, Venstre, alors que ce parti ne dispose que de 34 sièges (18,9 %) au Parlement.

Inprecor a besoin de vous !

Notre revue est en déficit. Pour boucler notre budget en 2024, nous avons besoin de 100 abonnements supplémentaires.

Abonnement de soutien
79 €

France, Europe, Afrique
55 €

Toutes destinations
71 €

- de 25 ans et chômeurs
6 mois / 20 €