Le mouvement social et les futures convergences par en bas

par
Affiche de Roxana Miranda. www.roxanamiranda.cl

Durant la campagne présidentielle, Roxana Miranda, du parti Igualdad (Égalité), a su incarner l'irruption d'une femme combative et décidée, issue du peuple et des quartiers pauvres avec un discours de rage et dignité, ancré dans le mouvement des pobladores (les " pauvres de la ville »).

Franck Gaudichaud : Pouvez-vous présenter en quelques mots le parti Igualdad (Égalité) et son histoire ?

Roxana Miranda et Christian Cepeda : Le parti Igualdad entame son processus de légalisation en 2010 et se transforme en parti à caractère national en mai 2013. Il est présent dans huit régions : Arica, Iquique, Antofagasta, Coquimbo, Métropolitan, Valparaiso, Concepcion, Coyhaique. Il a participé aux élections municipale de 2012 et à l'élection présidentielle de 2013.

Le parti Igualdad se définit lui-même comme un instrument des mouvements sociaux pour impulser une transformation révolutionnaire par en bas. Il est anticapitaliste et son mot d'ordre est " Que el pueblo mande » (Que le peuple décide).

Franck Gaudichaud : Quel bilan faites-vous de la candidature et des résultats de Roxana Miranda ?

Roxana Miranda et Christian Cepeda : Tout d'abord, il faut dire que depuis le début nous pensons que la présentation de notre candidature n'entrait pas dans une logique électoraliste. C'est-à-dire que le succès ou l'échec de la campagne ne pouvait pas se mesurer en nombre de voix. Mais nous ne voulions pas non plus d'un acte symbolique ou d'une candidature de témoignage.

Notre objectif politique dans ce contexte électoral était d'utiliser la conjoncture pour pouvoir projeter au niveau national une alternative politique révolutionnaire qui rompe autant avec les discours qu'avec les pratiques de la gauche traditionnelle. Proposer et soutenir la candidature de Roxana Miranda avait pour objectif de poser l'action populaire collective et indépendante comme un des éléments structurels de cette nouvelle période.

C'est pour cela qu'en terme de bilan, si nous sommes absolument conscients qu'un résultat de 1,3 % est bas ou marginal comme le voient ceux qui déchiffrent la politique avec les yeux du pouvoir, nous pensons aussi que l'accueil de notre proposition a été bien au-delà de ce que nous attendions.

Synthèse

Le discours de Roxana Miranda a touché par sa simplicité et sa sincérité en brisant les cadres " technocratiques » du club très restreint de ceux qui sont autorisés à parler et à faire de la politique au Chili. Elle a bravé les puissants et dévoilé la cruauté avec laquelle ce système économique traite des millions de Chiliens. On n'a pas cherché à théoriser ni à tempérer les discours mais à révéler qu'une partie de cette population est fatiguée du système de partis politiques et de son rôle servile face aux grandes entreprises. La simplicité mais aussi la force de la candidature a permis de faire entrer dans la tête et dans le cœur de centaines de milliers de Chiliens la " folle » idée que peut-être le peuple pourrait décider dans ce pays. Un germe de rébellion qui doit encore se développer mais dans lequel dès maintenant le parti Igualdad est considéré comme un acteur important.

En négatif, un des objectifs politiques du parti Igualdad était de faire partie de cette conjoncture électorale dans le cadre d'une convergence politique avec tous les acteurs anticapitalistes qui se situaient hors de l'axe Concertacion plus Parti communiste. Cet objectif n'a pas pu se réaliser, parce que l'ensemble des forces anticapitalistes porte le lourd poids du manque de confiance et des objectifs propres à chacun. Le parti pris de l'action populaire collective et indépendante n'a pas été accepté par beaucoup de collectifs et de mouvements de la gauche anticapitaliste qui ont préféré les vieilles conceptions de la politique et se sont engagés dans des paris électoralistes.

Un autre élément négatif a été l'incapacité de la structure du parti Igualdad à engranger l'immense impact médiatique de la candidature au niveau national. Igualdad qui n'a pas encore terminé son processus d'implantation nationale n'a pu se projeter comme une force politique réelle que dans quelques endroits et il lui reste encore à développer une vraie ossature nationale.

Franck Gaudichaud : Quel est le rôle que pourrait jouer dans les prochains mois le mouvement de Pobladores pour la réactivation des luttes sociales mais aussi en vue de la constitution d'un mouvement anticapitaliste au Chili ?

Roxana Miranda et Christian Cepeda : Le tout récent processus électoral nous a donné des clefs sur ce qu'il faut dépasser pour arriver à une convergence entre les différents collectifs anticapitalistes. Et sans aucun doute il nous faut, en premier lieu, nous mettre d'accord sur quelques éléments essentiels pour la prochaine période. Nous pensons que dans la période à venir le rôle des mouvements sociaux est central. Les promesses de Bachelet et de la Nouvelle majorité (Nueva Mayoria) ne seront pas tenues. Notre rôle sera donc d'être le moteur du mécontentement et de délégitimer non seulement un gouvernement mais aussi tout le système politique. C'est dans la pratique concrète de la mobilisation qu'on trouvera la confiance nécessaire pour la création d'alliances avec les secteurs en lutte du peuple mapuche, les lycéens, les travailleurs, les habitants. Nous avons besoin d'un projet commun qui surgisse de ces processus de lutte et que ce soit là que se construise les leaderships et les légitimités.

Les futures convergences doivent se construire en ayant pour base tous les secteurs en lutte. Le pari du parti Igualdad et des mouvements qui le composent est de se trouver là. ■

* Roxana Miranda, candidate à la présidence de la République lors des élections de 2013, est présidente du parti Igualdad (Égalité) ; Christian Cepeda, est militant du parti Igualdad.