Nouveau syndicat démocratique

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Propos recueillis à Tel Aviv, le 1er mai 2013

Durant des décennies, la politique sociale israélienne a été dominée par un syndicat unique, aligné sur l'État avec une forte tradition nationaliste. C'est seulement il y a six ans que le premier syndicat indépendant et démocratique a été fondé. Koach la-Ovdim (Pouvoir des travailleurs) a depuis été capable de mobiliser des dizaines de milliers de travailleurs et de présenter des listes de plus de 12 000 en 2013. À l'occasion de la journée internationale des travailleurs, Alternative Information Center (Le Centre d'information alternative) a posé quelques questions à Yaniv Bar Ilan, porte-parole officiel de Koach la-Ovdim, sur la situation des travailleurs et l'état des syndicats.

AIC : C'est la journée des travailleurs, mais en Israël un jour ouvrable. Que signifie le 1er Mai en Israël et quelle est la situation des travailleurs dans ce pays ?

Yaniv Bar Ilan : Le 1er Mai a quelques traits spécifiques en Israël, et pas nécessairement des connotations très positives pour les travailleurs. Il est en partie associé à la politique. La raison principale est historique : durant les premières 30 années, l'État d'Israël était dirigé par le Parti travailliste qui considérait que le soutien des travailleurs lui était garanti. Le 1er Mai représentait donc le monopole du pouvoir de ce parti.

Lorsque le Parti travailliste a pour la première fois perdu le gouvernement en 1977, ce fut un tournant pour le pays. Depuis, la politique du courant dominant propage une vision idéalisée du capitalisme, les yeux tournés vers l'Amérique. Una campagne massive de privatisations a transformé le pays et la traditionnelle fierté des fondements démocratiques et sociaux de la société a disparu. Ainsi la journée des travailleurs a acquis une nouvelle connotation négative.

Traditionnellement en Israël il n'y avait qu'un seul syndicat —Histadrut — très lié à l'État et au Parti travailliste. L'adhésion était quasiment obligatoire, l'accès aux services sociaux dépendait de l'adhésion à ce syndicat. Lorsque les services sociaux ont été réduits de manière draconienne avec la privatisation, l'adhésion syndicale a décliné. Aujourd'hui seulement 25 % des salariés sont syndiqués en Israël, ce qu'il faut comparer à 75 % au milieu des années 1990.

AIC : Koach la-Ovdim a rompu avec la tradition de Histadrut, le syndicat d'État. Comment s'est-il développé et qu'est-ce qui le caractérise ?

Yaniv Bar Ilan : Histadrut n'était pas officiellement le seul syndicat en Israël. Un second syndicat a été fondé il y a 75 ans, lié au Likoud, le parti de droite. C'est peut-être le seul syndicat dans le monde avec une orientation uniquement nationaliste, développée en réponse à celle de Histadrut. Ce syndicat n'était pas très efficace, car il est opposé aux grèves et empêche ainsi les travailleurs d'exercer une pression.

Koach la-Ovdim a été fondé il y a six ans seulement. C'est la seule organisation qui concurrence réellement la Histadrut, car il présente une véritable alternative aux travailleurs. Il a été fondé par des dirigeants de mouvements sociaux, certains du milieu universitaire, d'autres de l'agriculture. Certains avaient acquis leur propre expérience en travaillant dans les emplois les plus précaires où — c'est typique pour Israël — ils n'avaient aucune chance de s'organiser pour défendre leurs droits et des salaires justes. Ils voulaient créer une alternative à la complaisance de Histadrut.

En quoi Koach la-Ovdim est une alternative ? D'abord et surtout, c'est le premier syndicat en Israël qui soit démocratique. Il souligne que les travailleurs doivent avoir leur mot à dire dans chaque décision importante qui concerne leurs conditions de travail, y compris la décision de la grève, celle concernant les accords collectifs, etc. Dans Histadrut, il n'y a pas de participation des travailleurs même au niveau le plus basique. Bien sûr, nous n'avons pas inventé le modèle démocratique, mais nous nous sommes orientés vers les modèles de l'Europe du Nord, où les syndicats participatifs sont la norme.

Notre structure démocratique est très classique, mais en Israël c'est une nouveauté. Ce qui est surprenant, c'est que la Histadrut a dû reconnaître la différence. Eux aussi commencent maintenant à voir les choses différemment.

AIC : Le nouveau gouvernement vient juste de proposer de réformer le budget social. Comment les travailleurs vont-ils être affectés par ces modifications ?

Yaniv Bar Ilan : Malheureusement le nouveau budget n'est nullement social. Il emploient le terme " social » comme un slogan et verbalement ils reconnaissent les protestations sociales [de l'été 2011 (1)] mais en réalité ils n'ont aucune intention de conduire une politique plus sociale. Au contraire : il a été annoncé récemment que le Premier ministre veut modifier la législation pour réduire les possibilités de grève et limiter les tribunaux du travail. Il cherche ainsi à limiter l'action syndicale.

Il y a un énorme gouffre entre les slogans du nouveau gouvernement et la réalité de sa politique. La gauche devrait être en alerte : les partis et les syndicats doivent se préparer à défendre leurs droits.

AIC : Les travailleurs en Israël proviennent de groupes sociaux très différents et très polarisés. Comment Koach la-Ovdim fait face à ces grandes différences ?

Yaniv Bar Ilan : Il est toujours étonnant de voir à quel point les objectifs communs aident les gens à agir ensemble. Par exemple, nous avons récemment travaillé en commun avec les institutrices et instituteurs de maternelle, qui, en Israël, viennent vraiment de groupes sociaux très différents : des Juifs religieux, des Arabes, des nouveaux immigrants, des Bédouins. Lorsqu'on a commencé à les organiser pour de meilleures conditions du travail, ces gens se sont réunis, ont uni leurs forces, et leurs origines différentes ont cessé de jouer un rôle important. Le dépassement des différences commence habituellement sur le terrain : vous travaillez avec les groupes impliqués et puis vous les réunissez autour de revendications communes.

Je dois dire que Koach la-Ovdim prend particulièrement en compte ces questions et les travaille activement. Nous faisons toujours très attention à respecter les besoins spécifiques de chaque groupe. Et nous surveillons que tous les groupes soient représentés au sein de la direction. Cela se fait de manière très pratique : tous les documents doivent être traduits, par exemple en arabe…

AIC : Quels sont actuellement les rapports entre Koach la-Ovdim et Histadrut ?

Yaniv Bar Ilan : Officiellement, Histadrut n'a jamais reconnu notre existence. Dans les interviews, ses responsables ne mentionnent même pas notre nom. Mais bien sûr, officieusement, ils sentent notre présence, en tant que concurrents. Dans plusieurs cas, ils ont fait ce qu'ils pouvaient pour écarter les travailleurs de nos actions, même en coopérant avec les patrons. Pour notre part, nous faisons de notre mieux pour éviter toute confusion : l'organisation des travailleurs doit être claire et non mélangée entre Koach la-Ovdim et Histadrut.

Un succès : Histadrut est devenu un peu plus démocratique du fait de notre exemple. Des vétérans de ce syndicat savent maintenant qu'ils peuvent exiger d'avoir quelque chose à dire avant d'accepter les accords salariaux, par exemple. Il n'y a pas plus d'engagements quotidiens, mais l'atmosphère au sens le plus général a changé. ■

* Alternative Information Center (AIC, Centre d'information alternatif) a été fondé en 1984 par les militants palestiniens et israéliens en tant qu'organisation binationale pour promouvoir les droits humains et nationaux du peuple palestinien et pour une paix juste. Le journaliste et écrivain Michel Warschawski est un de ses animateurs. La centrale syndicale Koach la-Ovdim a été créée en mai 2007. Plus de la moitié des membres de son instance de direction — l'Assemblée des représentant-e-s — sont des travailleuses. Yaniv Bar Ilan exerce les fonctions de porte-parole.

notes
1. Voir Inprecor n° 575/576 de juillet-septembre 2011.
traducteur
J. M