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Un équilibre précaire et gros de dangers

par
Syriza

La majorité sociale grecque paie un prix analogue à celui qui était la norme dans les années trente. Charles-André Udry faite le point sur l'instauration du travail " volontaire », la répression des squatters, l'utilisation du thème de la violence par le gouvernement, la fraude fiscale, la stratégie syndicale, les " grèves générales » et les initiatives à prendre par Syriza à la sortie de son congrès.

Une prévision " économique » ne risque pas d'être démentie pour ce qui a trait à la Grèce : celle du chômage. L'ELSTAT (Institut de statistiques) vient de publier les " résultats » pour octobre 2012 : le nombre officiel de chômeurs et chômeuses s'élevait à 1 345 715 ; une hausse de 36 000 en un mois. Rappel, le nombre de chômeurs se situait, lors du même mois d'octobre, en 2007, à hauteur de 398 085 ; en 2008 à 375 528 ; à 498 211 en 2009 ; à 694 508 en 2010 ; à 977 614 en 2011. Une augmentation, en un an, de 368.701.

Ernest &Young " prédit » 28 % pour fin 2013 et le centre d'étude du syndicat du secteur privé, le GSEE, place la barre à au moins 30 %. Le taux de chômage, en octobre 2012, est de 56,6 % pour la tranche d'âge de 15 à 24 ans. En 2010, il était de 34,7 % et de 46,7 % en 2011. Pour les 25-34 ans, l'évolution est la suivante : 34,1 % en octobre 2012 ; 27 % et 18,9 % pour le mois correspondant des deux années précédentes.

Synthèse actualisée Inprecor

Des " recettes » pour l'emploi

La région d'Athènes (Attica) est frappée le plus durement : 28,3 % en octobre 2012 (20,4 % en octobre 2011). Suit la région de l'Epire-Macédoine : 28,2 % (20,9 % en octobre 2011). Le gouvernement allemand vient d'annoncer que, durant l'année 2012, 123.000 personnes provenant de Grèce ont cherché du travail en Allemagne. Ce flux participe de la nouvelle configuration — entre zones de l'Union européenne — de l'armée de réserve industrielle, avec ses diverses composantes. Il accroît la concurrence entre salariés conjointement à " la flexibilisation » des " règles du marché du travail ».

Il est vrai qu'en Grèce, comme dans d'autres pays européens, pour faire baisser les chiffres du chômage, une méthode est connue : selon le journal Democratia, seront " créés », en 2013, 60.000 emplois, sous forme de stages dits de formation. Ils s'adresseront aux moins de 35 ans. Leur durée : de six semaines, payées 480 euros. Ils devraient être financés par l'Union européenne (ESPA) pour un montant total de 35 millions d'euros. L'expérience a déjà démontré la stérilité de ce genre de mesure, si ce n'est sur le résultat statistique mensuel du chômage.

Certes, l'imagination sociale de certains caciques du pouvoir qui gardent une mémoire historique dépasse ces mesurettes. Ainsi, l'ancien ministre de Finances, Petros Doukas de la Nouvelle Démocratie — qui a exercé ses talents de 1992 à 1993 lorsque Konstantinos Mitsotakis était premier ministre (d'avril 1990 à octobre 1993) et de 2004 à 2007 sous Konstantinos Karamanlis (2004-2007) — a mis à profit son site Web pour lancer une audacieuse proposition qui synthétise toute une culture politique. Il propose la mise en place " d'un travail volontaire », sans salaire. Cela fait partie de ses " 90 propositions pour un New Deal Grec II ». Ces " travailleurs volontaires » seraient au service de l'État, des municipalités et, y compris, du secteur privé. Doukas renvoie à l'expérience du RAD (Reicharbeistsdient) qui fait que le " travail vous rend libre ». Sous des formes moins brutales, des " expériences » de ce type commencent à susciter des projets dans des fractions, certes minoritaires, des dominants. L'ignorer serait une erreur.

Il est vrai que Doukas possède une mémoire à trous : n'a-t-il pas oublié de déclarer au moins un million d'euros (près de 2 affirment certaines sources) dans sa déclaration d'impôt ? Une affaire de lenteur qui est devenue la règle, selon lui, dans les transferts bancaires !

Cette indolence n'est pas isolée. L'agence Bloomberg, le 24 décembre 2012, estimait le total du non-paiement d'impôts à 54 milliards d'euros, dont les deux tiers relevaient de la responsabilité de 1.500 Grecs. Bloomberg — usant d'informations judicieuses — jugeait que la récupération, au mieux, atteindrait la barre des 20 %. Les " oublis » de paiement des cotisations sociales à la sécurité sociale sont aussi monnaie courante (et ce n'est pas une spécialité grecque). Le boss de Real Media, Andreas Kouris, ancien propriétaire de la chaîne de TV Alter, n'a-t-il pas une dette de 9 millions d'euros envers la sécurité sociale ?

La paupérisation s'accentue

L'envol et la durée du chômage, les baisses massives des salaires, des pensions et autres allocations combinés avec une majoration brutale de divers impôts, tout cela a précipité des centaines de milliers de personnes en dessous de la " ligne de pauvreté » et vers " l'exclusion », pour utiliser le vocabulaire officialisé par la Banque mondiale et l'OCDE. Pour 2011, 21,4 % de la population est considérée comme devant survivre avec moins de 5.951 euros par année. Un seuil qui ne cesse de descendre, puisqu'il est mesuré à partir du salaire médian qui est à la baisse. Ainsi, il se situait à 7.178 euros en 2010.

Le rapport de l'ELSTAT, rendu public le mardi 8 janvier 2013, insiste sur le fait que les chiffres pour 2012 seront nettement plus sombres. Le " coussin amortisseur » des diverses " aides sociales » ne fonctionne plus, car elles ont été soit supprimées, soit comprimées. Le nombre de ménage " ayant une basse intensité de travail » — lisez dont tous les membres sont au chômage, ou ne disposent que de " petits boulots » - est passé de 619.000 en 2010 à 979.000 en 2011. Le pourcentage de personnes ne pouvant couvrir, en 2011, un certain nombre de besoins de base (4 sur une liste de 9) s'élève à 28,4 % (24,1 % en 2010). Parmi ces besoins de base, sont mentionnés : les dépenses fixes contraintes (loyer, hypothèques, etc.) ; une nourriture adéquate ; un téléphone (y compris portable) ; un chauffage adéquat…

Les femmes (en particulier familles monoparentales) sont le plus durement frappées : taux pour cette " catégorie » de 43,2 % en 2001 (33,4 % en 2010).

Selon une dernière étude syndicale, 50 % des nouveaux entrants sur le " marché du travail » gagnent 300 euros par mois. La presse vient de publier les nouveaux salaires contractuels des marins grecs (qui disposent de diplômes et de responsabilités sur les navires) : ils passent de 2.500 euros par mois (avec prime pour les heures supplémentaires) à 850, sans compensation pour les heures supplémentaires. Le journaliste, avec une ironie amère, déclare : " Les marins grecs sont devenus des marins philippins ». Il doit surestimer le salaire de ces derniers.

Le nombre de SDF à Athènes est évalué, par les ONG qui interviennent " sur ce terrain », à 20.000 ; avec toutes les diverses contusions propres à ce qui est qualifié aujourd'hui : " cette population ».

L'offensive gouvernementale de la " loi et l'ordre »

Dans un tel contexte, le gouvernement d'Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie) — soutenu par le Pasok d'Evangélos Venizélos et DIMAR (Gauche démocrate) de Fotis Kouvélis — a lancé depuis quelques semaines une campagne quotidienne très violente contre Syriza. Il cherche, avec un certain succès conjoncturel, à fixer l'agenda politique et mettre Syriza dans une position strictement réactive.

Sous un certain angle, cette offensive de la droite gouvernementale et de son appareil étatique, avec ses relais médiatiques, marche sur les brisées des vastes opérations policières (arrestations multiples, camps de rétention, etc.) contre les migrants (1). Ce qui est parfois négligé par une partie de la gauche européenne qui concentre ses " réflexions » strictement sur l'Aube Dorée (2), dont la percée ne doit certes pas être sous-estimée. Ces opérations politico-policières sont placées sous la bannière de Xenios Zeus, du nom du roi des dieux antiques Zeus, protecteur des hôtes !

Le 9 janvier 2013, la police a attaqué deux squats historiques à Athènes, le plus connu (aussi de ceux qui ont donné l'assaut !) est celui de Villa Amalia. Le second se trouve à la croisée des rues Patission et Skaramanga : Villa Skaramanga. Enfin, les " forces de l'ordre » ont poursuivi l'opération, mardi 15 janvier, à 13 heures, en délogeant les occupants d'un autre squat historique (Villa Leila Karagiani), dans le quartier de Kypseli. Le déploiement de police était spectaculaire : bouclage entier du quartier par les forces de police, hélicoptères, etc. Huit femmes et six hommes ont été arrêtés. La manifestation de solidarité du dimanche 13 janvier avec les squatters et contre les méthodes des forces de police fut assez importante. Elle était précédée par une manifestation, politiquement notable, contre le projet minier destructeur de la compagnie minière canadienne El Dorado à Skouries, située dans la région d'Hadkidiki. Le soutien des forces de gauche d'Athènes à ces 2.000 manifestants, diffusant un matériel très bien fait et pédagogique, était peu visible. Un manque certain.

Le ministre de l'Intérieur Nikos Dendias — chef d'orchestre de la campagne Xenios Zeus — a déclaré : " Nous ne reculerons pas sur la question des squats ». Il a indiqué que 40 squats à Athènes seraient " nettoyés ». Selon les règles de ce genre de " nettoyages de squats », la police — relayée par les chaînes de TV — a multiplié les photos de bouteilles de bière qui " servent à fabriquer des cocktails Molotov », de bâtons " utiles pour attaquer la police ».

Par un divin hasard le quartier général de la Nouvelle Démocratie (ND) a subi dans la nuit de lundi 14 janvier, à 2h30, des tirs d'une " kalachnikov ». Et l'alerte de la possible explosion d'une bombe a été donnée, avec évacuation du bâtiment de la Cour suprême. D'autres " attaques » de locaux de partis (PASOK, entre autres) ont été mentionnées.

Squatter l'espace politique

Les visées de ces initiatives gouvernementales autoritaires et " l'effet de ces événements », précipités dans le temps, peuvent se décliner ainsi :

► 1. " Provoquer » (avec la polysémie que ce terme comporte) une réaction dudit milieu anarchiste, ce qui fut le cas. Après l'évacuation de Villa Amalia, les " occupants » ont réoccupé les lieux, brièvement, puis ont choisi une " appropriation » succincte du siège de DIMAR. La campagne politique et médiatique s'est renforcée afin de chercher à accroître la " légitimité » des arrestations (plus de 140), des condamnations et de la " guerre aux squatters ».

► 2. Mettre la question de la violence — " la loi et l'ordre » comme le disent les éditorialistes politiques — au centre du débat politique. Cela de concert avec un thème énoncé sur le ton : " Nous sommes en train de voir la lumière au bout du tunnel, grâce à l'aide reçue de l'UE ; or la gauche radicale est en train de souffler sur cette flamme ». L'éditorial de Kathimerini, en date du 14 janvier, souligne : " Les turbulences [sociales et politiques] sont toujours là, mais l'opinion publique sait, maintenant, que la crise a envahi de nombreux autres pays et qu'il n'y a pas de solution magique. Les gens ont aussi compris que l'antidote à la montée du chômage ne réside pas dans un mélange d'instabilité et de manifestations qui ne cessent jamais. »

► 3. Le débat ne doit donc plus porter, avant tout, sur les plans d'austérité et leurs effets ou sur les compromissions ainsi que la corruption des politiques. Par exemple : la " liste Lagarde » (les noms des Grecs qui avaient des comptes dans la filiale de HSBC à Genève). Le débat, à rebondissements, sur ce thème a été un révélateur des comportements et du réseau social propres au régime PASOK-ND. La queue de comète de ce scandale courant est loin de s'éteindre. Il faut donc tenter de la masquer et de déplacer le regard des " citoyens ».

La véritable question à l'ordre du jour ne réside-t-elle pas dans les conditions de stabilité sociale et politique qui " nous » permettront de sortir de cette crise fin 2013, début 2014, comme la BCE (Mario Draghi le 10 janvier) en a laissé entrevoir la possibilité ?

► 4. Dès lors, Syriza " doit » clairement prendre position face à la population : cette coalition de la gauche radicale est-elle pour la violence ou non, pour l'ordre ou non ? Ne doit-elle pas cesser de jeter les feux sur la terrifiante violence sociale propre aux diktats de la Troïka et de ses alliés gouvernementaux, porte-voix des riches ?

Il est dès lors inacceptable qu'un des députés de Syriza affirme, avec franchise, que les anarchistes, à leur façon, sont pour la démocratie directe, une valeur qu'il partage.

Tous les médias et les dirigeants gouvernementaux interrogent de suite Alexis Tsipras. Il doit être " absolument clair » à propos de la violence et pas seulement déclarer que le gouvernement " crée une polarisation artificielle » et " que la violence ou les menaces contre la vie humaine ne sont pas en syntonie avec les valeurs de la gauche ». Ce d'autant plus qu'il préparait sa visite, le lundi 14 janvier, au ministre des Finances allemand Wolfgang Schõuble. Ce dernier lui a d'ailleurs simplement réaffirmé son credo. Prévisible. Cela ne contribuera pas beaucoup à la stature gouvernementale de Tsipras qui se rendra aussi aux États-Unis.

Les attaques contre Syriza combinent la dénonciation de son " intolérance », de sa caution donnée aux " affrontements », avec une assertion répétée à satiété : " Vous êtes incapables de présenter clairement les objectifs et les modalités de gestion si vous étiez au gouvernement. » Ce qui renvoie à des poussées contradictoires sur la question du gouvernement de gauche et de sa définition en termes d'alliances et d'initiatives dans les rangs de Syriza.

Essayer de dicter l'agenda politique

► 5. Le thème de la violence est d'autant plus incisif médiatiquement que des engins explosifs, très amateurs, ont fait quelques dégâts matériels mineurs, vendredi 11 janvier, devant les entrées des bâtiments de cinq journalistes : Antonis Skyllakos, dirigeant de l'Athens News Agency, le présentateur Giorgios Oikonomenas de l'influente Mega TV, une des chaînes déchaînée contre Syriza, Antonis Liaros ex-homme d'influence du groupe Mega, Petros Karsiotis d'Alpha TV et Christos Konstas, ancien d'Alpha TV et à la tête du journal économique Ependitis.

Le porte-parole du gouvernement, Simos Kedikoglou, a renouvelé le dimanche 13 janvier, dans le quotidien Kathimerini, les attaques contre Syriza, suite au jet d'un cocktail Molotov devant l'entrée de l'habitation de son frère Giorgios. Les formules sont choisies : " Les différences entre les déclarations enflammées et les attaques enflammées sont très petites. Il doit y avoir une claire dénonciation de la violence et de la violence verbale. »

Le premier ministre Antonis Samaras reprenait la thématique dans un long entretien publié, le dimanche 13 janvier, dans l'important quotidien To Vima, actuellement canal journalistique du gouvernement. Les " événements » du lundi matin, 14 janvier, mentionnés ci-dessus, font la première de toutes les émissions de radio et de TV.

Synthèse actualisée Inprecor

► 6. Des articles de presse commencent à diffuser une " analyse des racines historiques de la violence actuelle en Grèce ». En résumé, elle serait le résultat d'une accoutumance par la société à la violence de la " gauche » et de " groupes terroristes » (comme l'Organisation révolutionnaire du 17 novembre, date qui renvoie au massacre commis par l'armée contre les étudiants en 1973 [4.]).

Cette violence, selon ces professionnels de la propagande construite à partir d'une chronologie biaisée et d'une réalité mise cul par-dessus tête, aurait créé le terrain favorable aux actions des néonazis de l'Aube Dorée. Les " extrêmes se nourrissent mutuellement », il faut les combattre avec détermination. Taisons les liens en l'Aube Dorée et certains appareils de l'État, concentrons-nous sur le vrai danger : les squatters et tous ceux qui ne les dénoncent pas et n'approuvent pas les opérations policières.

► 7. Ainsi le gouvernement réussit à dicter, pour l'heure, une partie de l'agenda politique. Dans la foulée, il court-circuite encore plus des procédures parlementaires sur les mesures d'austérité (entre autres les impôts) en gouvernant, de fait, par décrets, sous la houlette de l'Eurogroup qui doit se réunir le 21 janvier. Car, comme le dit le porte-parole du gouvernement : " On ne peut terroriser la démocratie ! » Ainsi, le lundi 14 janvier, 21 lois devaient être adoptées sans débat.

Les traits les plus élémentaires de la démocratie parlementaire sont effacés, comme l'a mis en relief Panayiotis Lafazanis, un des parlementaires les plus pointus de Syriza. Il a déclaré, le 11 janvier, face au ministre des Finances qui tient les manettes des plans d'austérité : " Vous introduisez une nouvelle forme de gouvernement. Les ministres imposent des décrets qui abolissent les droits du parlement et les lois ne seront en aucune mesure débattues. Vous êtes responsables de transformer la démocratie parlementaire en junte parlementaire .» Autrement dit : la majorité actuelle des 164 députés de la coalition gouvernementale (qui était de 179 après les élections de juin) vote comme un seul homme et sans discussion les lois-décrets.

► 8. A cela s'ajoutent diverses mesures, placées sous la lumière des projecteurs, contre l'évasion fiscale et, y compris, des arrestations, révélées à propos, de certains fraudeurs. Ce déploiement qui s'effectue avec l'aide de " spécialistes européens » traduit une solidarité marquée : les Français se consacreront à l'inspection des plus riches ; les Espagnols fouilleront, en spécialistes, les opérations immobilières douteuses ; les Suédois mettront au point un système de contrôle électronique des plus hauts revenus ; les Belges et Hollandais vont créer une centrale téléphonique pour appeler les contribuables qui tardent à payer leurs impôts ! La justification gouvernementale : il est difficile de réduire plus les salaires, l'accent doit être mis sur les impôts ! Dont les hausses à répétition tombent dru sur les salariés et leur revenu, y compris leur richesse fictive : par exemple, la détention d'une voiture à crédit qui, outre la TVA payée, les intérêts à verser, les taxes annuelles à assumer, devient le signe d'une fortune qui doit être fiscalisée.

Cette pluie fiscale imite celle des particules cancérigènes provoquées par l'utilisation du bois de chauffage (de toutes origines) qui remplace partiellement le mazout étant donné son prix insupportable (3). Mais les tarifs de l'électricité vont fortement grimper en 2013 et 2014. Et les institutions étatiques ont accumulé une dette de 170 millions envers la Compagnie publique d'électricité, qui est sur la liste des sociétés à privatiser.

Derrière ces dispositions contre les fraudeurs se profile une campagne politique : certes la " classe politique » et une partie des fonctionnaires étaient peu soucieuses du " bien public ». Mais maintenant une nouvelle génération commence à occuper des positions importantes et fait fonctionner, à l'image des " techniciens européens », la machine d'État, dont les " décisions techniques » ne souffrent pas la discussion, car issues de nécessités chiffrées et de " mesures universelles, appliquées sans exception ».

Dans la foulée, il est évident que se prépare, étant donné la crise du PASOK et de la Nouvelle démocratie, la mise sur pied d'une formation politique moderne, ayant de l'autorité et au profil européen, capable de " moderniser » la Grèce.

Syriza et la reprise de l'initiative politique

Dans la phase qui vient, Syriza doit être apte à reprendre l'initiative en imposant, dans l'espace public, les thèmes sociaux et politiques qui préoccupent la large majorité de la population et ceci en concordance avec les multiples et permanentes luttes sociales, les arrêts de travail, les grèves, les occupations de lieux de travail, et les diverses résistances actives de secteurs de la population. Ces résistances traduisent le rejet des décisions gouvernementales chaque fois qu'elles tombent. Et beaucoup attendent encore dans le tube.

Ce rejet exprime non seulement la détérioration des conditions de travail, la liquidation des conventions collectives, la baisse des salaires, mais toutes les facettes des conditions de vie bouleversées par trois plans d'austérité (Mémorandums). Le mouvement " Den plirono » (" Je ne paie pas ») concrétise à sa façon le principe : " nous ne paierons pas leur crise ». Toutefois, les luttes n'ont pas débouché, pour l'essentiel, sur des gains. Ce qui doit être pris en compte.

A ce propos, il semble exagéré d'utiliser, sans précision, la formule de " grève générale ». L'allusion au " 19 grèves générales » en Grèce est, en partie, trompeuse. Pour l'essentiel, il s'est agi de " journées de grève » (24 heures, beaucoup plus rarement de 48 heures) ; certaines massives. Certes, plus d'une fois, elles ont été baptisées comme étant des " grèves générales ». Le sens du terme de " grève générale » tend, dès lors, à perdre sa connotation d'affrontements socio-politiques d'ampleur et relativement centralisés (plus ou moins directs) avec le pouvoir politique en place.

Il ne s'agit pas de sous-estimer la montée importante de la conflictualité sociale. Mais l'utilisation peu précise du terme " grève générale » peut conduire certains — le plus souvent en dehors de la Grèce — à caractériser la situation comme pré-révolutionnaire, si ce n'est plus (et de dénoncer, dès lors, les " traîtres », toujours à l'affût). Or, précisément, la dimension de la crise sociale, les nombreuses luttes, souvent dispersées dans leur déroulement au cours d'une journée, le rejet de l'austérité n'ont pas, pour l'heure, débouché sur une fusion entre une radicalisation politique — traduite dans l'adhésion électorale massive et rapide à Syriza — et une mobilisation sociale large acquérant un degré d'autonomie et une indépendance, de facto, face aux appareils syndicaux.

Par contre, cela a abouti à des affrontements au sein des syndicats entre les fractions syndicales (PASKE) liées au PASOK et celles liées (DAKE) à la Nouvelles Démocratie. Une crise d'ampleur est ouverte entre ces fractions syndicales, leurs représentants (certains ont dû démissionner) et les partis de la coalition gouvernementale.

Ce qui ouvre un champ d'action à Syriza dont l'influence organisée sur ce plan n'est pas à la hauteur de son audience électorale (celle enregistrée en juin). Des interrogations en découlent : où mettre la priorité, dans le développement d'un syndicalisme de base classiste — où une unité d'action avec des membres du KKE et d'Antarsya s'impose — ou dans la captation de dirigeants issus du PASOK, pour modifier les rapports de force au sommet ? Ce qui, certes, n'est pas toujours contradictoire. Toutefois où est placé l'accent compte pour beaucoup dans la dynamique qui peut être enclenchée et dans la capacité de jonction avec une fraction des chômeurs, de la jeunesse étudiante et d'autres mouvements sociaux.

Une autre question d'importance se pose aussi : la construction d'un front social apte à gagner un secteur de petits paysans projetés dans la misère et de petits entrepreneurs (au sens le plus élémentaire du terme) étranglés par la crise. Le GSVEE (Confédération des industriels et commerçants de Grèce) a soutenu une journée de grève appuyée par la GSEE (secteur privé). Ces petits " entrepreneurs » sont immédiatement frappés par les mesures d'austérité, la politique fiscale, ainsi que bancaire.

Ces deux composantes sociales sont majoritairement captées par la droite et les forces nationalistes. Sans une affirmation politique plus marquée de la " gauche radicale », des initiatives et propositions qui rythment l'agenda politique et affirment les propositions de Syriza, la jonction entre divers mouvements sociaux et un syndicalisme de classe plus consistant et renouvelé, les dérapages politiques vers des propositions de " reconstruction productive du pays » nécessitant un gouvernement " d'unité sociale » risquent de prendre de la force, ou plus de force.

S'il est clair qu'il n'y a pas d'alternative sans coûts — étant donné la profondeur de la crise, les traits propres au capitalisme grec, le contexte économique et politique européen et international — à la politique de la Troïka, une question décisive coule de source : quelles classes vont payer le véritable coût ? La majorité sociale, qui paie déjà un prix analogue à celui qui était la norme dans les années trente, le vit et le sait. Une fraction des dites classes moyennes l'envisage, quand elle y échappe, encore, partiellement.

La priorité est donc d'offrir des réponses convaincantes aux franges les plus socialement actives des salariés, des chômeurs et chômeuses, en passant par les retraités et les personnes atteintes dans leur santé. Car eux tous sont frappés par de véritables " impôts confiscatoires », sous toutes les formes envisageables.

C'est sous cet angle que peut et doit être présenté un ensemble de propositions portant sur le refus des Mémorandums, le refus de payer la dette, sur la mise en place d'un système bancaire public dominant effectivement, sur la politique d'investissement et sur le contenu programmatique essentiel d'un gouvernement de la gauche dans une " situation non révolutionnaire », pour utiliser une formule non traditionnelle.

La récente déclaration du secrétaire de Syriza, membre de Synapsismos, Dimitris Vitsas, selon laquelle, si Syriza était au gouvernement, la renationalisation de toutes les firmes privatisées serait effectuée — et y compris serait mis fin au contrat léonin passé avec le géant chinois COSCO qui a acquis une part décisive du Pirée (secteur clé du centre portuaire et terrains y attenant) — traduit non seulement les effets du mécontentement populaire, mais les rapports complexes entre différentes positions au sein de cette coalition ainsi que l'attachement d'un secteur incontestable de membres au programme avancé à l'occasion des élections.

Les réactions violentes de la machinerie médiatique et des membres du gouvernement que cette prise de position a suscité démontrent la détermination des dominants, de leur gouvernement et de leurs alliés européens.

Donc les points centraux d'une politique alternative doivent se coaguler avec les mouvements de résistance et les diverses luttes, d'autant plus qu'une certaine désynchronisation peut exister entre ces luttes — dont la dimension et la dynamique sont fluctuantes après trois ans d'une crise terrible — et des formes de radicalisation politique, liée au rejet du gouvernement, formes marquées certes par des dynamiques bi-polarisantes.

En outre, un gouvernement Samaras pourrait, dans une période proche, jouer la carte d'une affirmation de la souveraineté nationale, en alliance avec Israël (et Chypre), sur une large zone méditerranéenne censée disposer de réserves importantes de gaz et de pétrole ; ressources présentées comme allant permettre " le développement de la Grèce ». Une telle initiative aventuriste — avec l'appui d'Israël qui dispose d'une autonomie affirmée face aux États-Unis — ouvrirait un conflit politique avec la Turquie. Elle est actuellement plus difficile à mettre en œuvre étant donné la situation en Syrie. Mais, dans ce cas de figure, s'enflammeraient les tendances nationalistes en Grèce. Le 6 janvier 2012, le ministre des Affaires étrangères de Turquie, Ahmet Davutoglu, mettait déjà en garde le gouvernement grec contre les " recherches pétrolières » dans ces régions contestées. Voilà un autre défi pour les forces composant Syriza, plus spécifiquement pour le courant internationaliste.

Dans ce contexte — d'équilibre politique et social précaire et dangereux — le dernier sondage (11 janvier) pour Skai TV et " Kathimerini » tombe à point. La Nouvelle Démocratie obtient 29 % des opinions " sondées » (+3 %), Syriza 28,5 % (-2%), Aube Doére (Chrysi Avgi) 10 %, PASOK 8 %, Grecs indépendants (fort à droite) 8 %, Gauche démocratique (DIMAR) 7 %, KKE (PC) 5,5 %.

Un résultat étonne divers analystes : le 8 % du PASOK qui est en pleine déconfiture.

Le recul des personnes qui pensent, par rapport à décembre 2012, que Syriza peut gagner les prochaines élections est de 16 %. Le rejet du gouvernement reste très fort, même s'il s'est un peu replié. Ce sondage est venu en renfort de la campagne politique exposée ci-dessus. Même si une majorité pense que la crise va durer cinq ans encore, il indique le recul de l'idée répandue d'une " faillite probable de la Grèce » avec ses " conséquences terribles pour tous », si le respect des plans d'austérité n'est pas affirmé et s'ils ne sont pas appliqués, thème mis en avant en permanence par Samaras et le ministre des Finances Yannis Stournaras.

Synthèse actualisée Inprecor

Antonis Samaras est jugé comme plus capable de diriger le gouvernement qu'Alexis Tsipras, qui arrive en troisième position. En deuxième position arrive un absent : " les sondés » affirment que personne n'est capable de gouverner correctement. Ce qui traduit un élément significatif de la conjoncture présente. L'utilisation des sondages est une arme politique utilisée avec entrain. La presse pro-gouvernementale et les médias électroniques, hégémoniques, n'ont pas hésité à le faire.

Une configuration marquée par le pré-Congrès

Au sein de Syriza, le pré-Congrès de fin novembre-début décembre 2012 a modifié la configuration des relations entre courants politiques. Les votes recueillis par l'accord passé durant le Congrès entre le Courant de gauche (représenté par P. Lafazanis) et le " pôle de gauche » (DEA et la majorité de Kokkino ainsi qu'APO), soit 25,71 % de votes sur les 2.987 délégués ayant voté (un certain nombre sur les 3.308 délégués — un pour 10 membres — avaient dû quitter le Congrès le vote ayant lieu très tard le dimanche soir) ont suscité l'étonnement du " groupe présidentiel » de Tsipras.

Ce dernier, sentant le climat, a effectué une longue intervention tardive — pas prévue et peu acceptée par une frange des congressistes — en plein débat sur la question de la structure organisationnelle future de Syriza. Il s'est clairement opposé à la présentation de deux listes pour l'élection des organes dirigeants, au nom de la " démocratie nouvelle à exercer individuellement par chaque membre ». De fait, ce " centre présidentiel », composé pour l'essentiel d'une génération de trentenaires et de quadragénaires, cherche à jouer un rôle bonapartiste. Mais, il tente de le faire sur un terrain interne fort mouvant et dans un contexte où le gouvernement Samaras a repris, pour l'heure, l'initiative, même si sa base parlementaire reste faible et pourrait se défaire devant le surgissement d'événements qui sont propres à la crise multiface régnant en Grèce.

Cette position du " groupe présidentiel » — avec ses caractéristiques partiellement informelles — fait néanmoins, aujourd'hui, barrage à la dynamique la plus à droite d'un secteur influent de Synaspismos. Ce qui est souvent peu pris en compte par les dénonciateurs de Syriza. " Le groupe présidentiel », dans cette fonction bonapartiste difficile à maîtriser, joue face à la gauche de Syriza, parfois, la carte de la cooptation et surtout celle de sa neutralisation.

Ce d'autant plus que la liaison entre le " courant de gauche » et le " pôle de gauche » s'est maintenue et se consolide dans l'après-congrès. La formation d'un secrétariat exécutif de Syriza, qui s'est mis en place le jeudi 10 janvier et doit se réunir de manière hebdomadaire, laisse moins de marge de manœuvre au leadership Tsipras fortement médiatisé. Ce dernier aurait eu plus de possibilités de s'autonomiser par rapport à un " Comité central » qui, lui, ne se réunit qu'une fois par mois, alors que la temporalité socio-politique grecque est compressée. ■

Lausanne, le 15 janvier 2013

* Charles-André Udry, économiste, directeur des éditions Page deux (Lausanne), ancien dirigeant de la IVe Internationale, anime la revue électronique d'analyses internationales A l'Encontre. Cet article a été d'abord publié sur le site d'A l'Encontre.

notes
1. Un organe de justice consacré aux infractions à la loi de la ville d'Igoumenistsa, dans le nord-ouest de la Grèce, vient d'acquitter 17 migrants sans-papiers qui s'étaient enfuis de leur cellule, tant les conditions de détention étaient désastreuses et atroces. Ils avaient été à nouveau arrêtés. Leur fuite a été jugée comme justifiée. En effet, l'état de la prison contrevenait à trois articles de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

2. Sur les caractéristiques de l'Aube Dorée on peut se rapporter à l'entretien avec Dimitris Psarras, l'auteur de l'ouvrage le plus informé à ce sujet, Dimitris Psarras : Le livre noir d'Aube Dorée: http://alencontre.org/europe/grece/grece-des-origines-au-present.html

3. Les commerces de bois de chauffage enregistrés ont passé, selon la Chambre de commerce d'Athènes, de 5 en 2010, à 19 en 2011 et à 32 en 2012. Un indice de croissance de l'économie placée sous surveillance de la Troïka. Début janvier 2013, les experts du ministère de l'Environnement affirmaient que la limite des 50 microgrammes de monoxyde de carbone et d'oxyde d'azote, par mètre cube d'air, a été dépassée plus de 35 fois lors des derniers jours dans la ville d'Athènes. La distribution socio-spatiale est un peu différentiée. Avec la vague de froid hivernal, la concentration de polluants s'élève à 170 microgrammes/m3. La consommation de mazout a baissé de 75 %. Il en découle une perte fiscale estimée à plusieurs centaines de millions pour l'État, ironie de la politique d'austérité. Une partie de la presse grecque est d'ailleurs remplie de propositions les plus fantaisistes sur les nouveaux impôts que pourrait inventer le gouvernement.

[4.] Le 14 novembre 1973, les étudiants de l'Université d'Athènes se rassemblent à l'intérieur de l'École polytechnique pour demander l'abrogation de la loi qui oblige au service militaire immédiat les étudiants impliqués dans des actions syndicales. La police intervient et arrête 11 étudiants tandis qu'une centaine d'étudiants sont envoyés au service militaire. Le 17 novembre, révolte des étudiants de l'Ecole polytechnique. Les étudiants retranchés dans l'école polytechnique, soutenus par une partie de la population, sont expulsés par les forces armées, après une sanglante répression. Les tanks de l'armée pénètrent dans l'École en même temps que la chasse aux étudiants commence par des unités de la police militaire. 34 morts, 2.400 arrestations. La loi martiale est proclamée et les tribunaux militaires sont mis en place. Le 25 novembre, le colonel Papadh¾poulos est renversé par une junte dirigée par le général Ghizíkis, qui se proclame président de la République et forme un nouveau gouvernement. La Constitution est suspendue, et la loi martiale prorogée. La répression contre l'opposition s'amplifie.(Note Inprecor).

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