Revue et site sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

La Chine ne peut pas sauver le monde de la crise

par Jean Sanuk
Usine d'assemblage Seagate en Chine (disques durs). © Robert Scoble
Alors que les États-Unis et l'Europe ont été durement touchés, la Chine a résisté à la crise internationale de 2008 grâce à un plan de sauvetage qui a combiné de fortes dépenses publiques, un faible taux d'intérêt et des subventions à la consommation. La croissance chinoise a atteint 9 % en 2009 et 10,4 % en 2010 entraînant avec elle l'Asie et l'Amérique latine hors de la récession. Elle a aussi réussi à maintenir un chômage à un niveau supportable. La Chine est même devenue la deuxième économie mondiale en termes de PIB en 2010, dépassant le Japon, et elle est en train de combler son retard avec les États-Unis. Dans l'ensemble, l'émergence de la Chine ne semble pas affectée par la crise des subprimes. En y regardant de plus près, il semble que les problèmes sont à venir. Les travailleurs chinois n'acceptent plus d'être surexploités. Une vague de grèves s'est répandue durant l'été 2010. Les travailleurs luttaient pour une augmentation des salaires, l'amélioration des conditions de travail et le droit de s'organiser et de négocier.

L'inflation, en particulier des biens alimentaires, qui s'est accélérée depuis le milieu de 2010, s'ajoute aux problèmes des travailleurs et inquiète le gouvernement qui craint une vague de mécontentement. Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement doit faire de son mieux pour prévenir toute contagion des révolutions démocratiques des pays arabes.

Bien que la situation soit complètement différente en Chine, ces révolutions démocratiques montrent aux travailleurs chinois qu'il est possible de renverser même les pires et les plus puissantes dictatures.

La résistance de la Chine à la première récession

L'impact de la crise en Chine et en Asie a jusqu'à présent été limité (1). Au contraire des banques européennes, les banques asiatiques n'étaient pas très engagées dans les subprimes et produits toxiques. À l'exception de la Corée du sud, les pays asiatiques ne dépendaient pas des capitaux à court-terme et des emprunts bancaires pour financer leur économie. Ils n'ont pas été pris dans le piège de la dette comme les pays d'Europe de l'Est ou la Grèce. La plupart d'entre eux, et en particulier la Chine, ont accumulé d'énormes réserves en devises et ont été capables de faire face aux mouvements de capitaux à la fin de 2008. Les pays asiatiques ont été principalement touchés par la chute des exportations à cause de l'effondrement de la demande en Amérique du nord et en Europe. D'une manière générale, la récession a été plus forte dans les économies asiatiques les plus ouvertes au commerce international, où les exportations étaient concentrées dans les produits manufacturés, et quand les États-Unis étaient un client important. Par exemple, les exportations de produits manufacturés représentent environ 70 % du total en Malaisie, plus de 40 % en Thaïlande et au Cambodge, environ 30 % en Chine, Corée du sud, aux Philippines et au Vietnam, mais moins de 10 % en Inde et au Pakistan. Ces caractéristiques expliquent que les trois économies les plus importantes d'Asie, la Chine, l'Inde et l'Indonésie, n'ont pas eu un seul trimestre de récession entre 2008 et 2009. La résistance de ces trois pays et en particulier de la Chine, qui est parmi les plus importants ou le plus important partenaire commercial des pays asiatiques, a conduit à un rapide rebond au deuxième trimestre de 2009 et à un rétablissement en forme de " V » plus fort que dans le reste du monde.

Plusieurs facteurs expliquent la résistance à la crise des pays asiatiques et leur rapidité à se rétablir.

► Premièrement, pour absorber le choc de l'effondrement des exportations, les pays asiatiques ont lancé des plans de sauvetage sans précédent, à la différence de la crise " asiatique » de 1997-1999 quand les plans d'ajustement structurel sponsorisés par le FMI avaient aggravé la crise. Le plan de sauvetage chinois mérite une attention particulière du fait de son ampleur : 585 milliards de dollars représentant 13,3 % du PIB à dépenser sur une durée de deux ans. En moyenne, les plans de sauvetage annoncés par les pays asiatiques représentent 7,5 % du PIB au lieu de 2,8 % pour les pays du G7. De plus, ils étaient plus tournés vers les dépenses publiques que vers les réductions d'impôts. En moyenne, les pays d'Asie ont dédié 80 % du montant des plans à l'augmentation des dépenses publiques contre 60 % en moyenne pour les pays du G20. La seule exception est l'Indonésie où les baisses d'impôt dominent.

Ces dépenses publiques ont été accompagnées par des politiques monétaires expansionnistes consistant à baisser les taux d'intérêt pour encourager le crédit. Le taux d'intérêt médian des banques centrales asiatiques a diminué de 2,25 points, soit cinq fois plus que durant la crise précédente. Le fait que le système bancaire ait continué à fonctionner a eu un impact positif sur la croissance. Dans des pays comme le Vietnam et la Chine, la politique monétaire expansionniste a joué un rôle dominant. En Chine, la dépense publique a modestement augmenté de 23 % en 2007 à 26 % en 2008, mais seulement de 21 % en 2009 puis de 17 % en 2010 quand le plan de sauvetage a officiellement pris fin. Dans l'ensemble, les dépenses publiques n'ont pas joué un rôle crucial pour absorber le choc. C'est en fait le développement du crédit qui a été fondamental en 2009 avec une augmentation spectaculaire de 31 %. Il a cependant diminué en 2010 de 4 % quand le gouvernement chinois a décidé de ralentir l'économie parce que l'argent facile avait conduit à une nouvelle bulle spéculative.

► En deuxième lieu, la consommation des ménages est restée forte parce que l'emploi ne s'est pas effondré pendant la crise. En temps de crise, il n'y a pas en général d'accroissement fort du taux de chômage dans les pays asiatiques, parce que, à part dans quelques-uns d'entre eux, le chômage n'est pas indemnisé.

Les travailleurs qui perdent leur emploi dans l'industrie essayent d'en trouver un dans les services, ou se mettent à leur propre compte, ou encore retournent travailler dans la ferme familiale quand c'est possible et quand il y en a encore une. C'est le cas en particulier en Chine où des centaines de milliers de travailleurs migrants sont retournés dans leur ferme familiale à l'intérieur du pays pendant l'hiver 2008, ou bien ne retournèrent pas travailler dans l'industrie après les vacances du nouvel an chinois en février 2009. Mais comme l'économie s'était rétablie au printemps 2009, nombre d'entre eux ont repris le chemin de la ville pour trouver un emploi urbain mieux payé.

► Troisièmement, défiant les plus sombres pronostics, les exportations chinoises ont chuté de septembre 2008 à février 2009 mais ne se sont pas effondrées et ont vite récupéré grâce à la reprise du commerce mondial au printemps 2009.

Du fait du contenu élevé en composants importés dans les exportations chinoises (environ 50 %), les importations ont chuté dans les mêmes proportions que les exportations et le solde commercial est resté quasiment toujours positif bien que d'une plus faible ampleur. Cela révèle à la fois la résistance de la Chine aux chocs externes et sa faiblesse en même temps.

Le mythe du découplage de l'Asie du reste du monde

► Premièrement, le rapide succès commercial chinois est dû à son rôle de centre d'assemblage de composants fabriqués ailleurs en Asie, principalement au Japon et en Corée du sud et dans une moindre mesure en Asie du Sud-est. Les produits finis assemblés en Chine sont majoritairement exportés dans le reste du monde et en particulier en Europe et en Amérique du Nord. Pour être moins vulnérable à la crise provenant des États-Unis et d'Europe, l'Asie de l'Est et du Sud-est devrait être capable d'absorber une part beaucoup plus importante de sa propre production en produits finis. Mais si le commerce interne à l'Asie de l'Est a bien progressé depuis la crise, il n'a pas encore atteint un seuil qui lui permettrait d'amortir les contractions du commerce au niveau mondial.

► Deuxièmement, bien que la Chine soit devenue la deuxième puissance économique du monde du point de vue de la valeur absolue de son PIB, dépassant le Japon en 2010 et se rapprochant maintenant des États-Unis, la Chine et le reste de l'Asie sont encore très loin de remplacer les États-Unis comme premier marché du monde. Si l'on prend en compte la totalité de la population chinoise, le revenu par tête devrait rattraper celui des États-Unis d'ici 25 à 50 ans suivant les hypothèses retenues. Si l'on prend seulement en compte les régions les plus riches de Chine, la plupart le long des côtes et représentant 42 % de la population en 2005, le rattrapage pourrait se faire d'ici 10 à 20 ans. Les hypothèses les plus optimistes avancées par la Banque Asiatique du Développement (BAD) montrent qu'au rythme actuel, les 22 pays asiatiques, qui forment " l'Asie en développement » selon la classification de l'ADB, pourraient dépasser les dépenses de consommation des pays de l'OCDE dès 2030. Toutes ces prédictions reposent sur des scénarios optimistes et sont loin d'être certaines vu le degré d'incertitude créé par la crise internationale actuelle. Mais elles indiquent un potentiel.

► Troisièmement, pour pouvoir se découpler du reste du monde, au moins de manière relative, car de toute manière avec la globalisation de l'économie il ne peut en exister de régions complètement autonomes, l'Asie, et plus particulièrement la Chine, devrait être capable de rééquilibrer son économie tournée vers les exportations en faveur de son marché intérieur. Cela ne peut être fait qu'en remplissant trois conditions :

1. La Chine doit réévaluer en partie son taux de change pour baisser les prix des importations (et de ce fait le prix des biens qu'elle produit pour le marché intérieur) et rendre les exportations moins profitables qu'elles ne le sont actuellement.

2. La Chine, et c'est le plus important, doit augmenter de manière significative les salaires des travailleurs urbains et ruraux afin que la consommation intérieure puisse dépasser son niveau actuel extrêmement bas (35 % du PIB). C'est la décision la plus sensible parce que les capitalistes et bureaucrates ont pris l'habitude de s'engraisser grâce aux immenses profits que les entreprises d'État et privées font sur le dos des travailleurs surexploités.

3. La Chine doit augmenter son taux d'intérêt, traditionnellement faible, de manière à décourager les investissements très importants dans l'industrie, intensive en capital, et à réorienter l'économie en faveur des services. Des services comme l'éducation, la santé, la culture et les loisirs sont des nécessités pour la majorité de la population. Ils sont intensifs en travail et pourraient créer des millions d'emplois dont la Chine a besoin. Ils sont aussi moins consommateurs d'énergie et moins polluants que l'industrie et seraient plus compatibles avec un objectif de réduction des gaz à effet de serre. La Chine a fait des progrès dans cette direction mais elle est très loin de l'objectif.

La Chine peut-elle résister une deuxième fois à une nouvelle récession ?

En 2011, la crise internationale est entrée dans une nouvelle phase. La crise en Europe est très grave et les États-Unis ne sont dans une situation guère meilleure. Une deuxième récession arrive qui entraînera une nouvelle contraction du commerce mondial affectant à nouveau la Chine et l'Asie. Dans ces conditions on est amené à s'interroger sur sa capacité à résister à un nouveau recul du commerce mondial grâce à un nouveau plan de sauvetage d'ampleur.

Il y a des raisons d'être pessimiste. La Chine et les pays d'Asie ne peuvent pas augmenter les dépenses publiques et le crédit massivement tous les deux ans. Les plans de sauvetage précédents ont déjà créé des problèmes qui ne sont pas encore résolus : dans le cas de la Chine, une augmentation importante des créances douteuses dans le secteur bancaire car bon nombre de crédits accordés ne sont pas rentables ; une inflation élevée et des bulles spéculatives dans l'immobilier et à la bourse. Comme aux États-Unis et en Europe, les banques chinoises vont devoir être sauvées avec l'argent public. Et comme aux États-Unis et en Europe, c'est toujours aux travailleurs que les gouvernements présentent la note. En Chine, le sauvetage des banques et des autorités locales, qui sont aussi très endettées, devrait coûter beaucoup d'argent. Si les travailleurs doivent payer d'une manière ou d'une autre, l'objectif de rééquilibrer la croissance en faveur de la demande interne devrait être reporté dans un futur lointain et avec lui le mythe que la Chine pourrait sortir le monde de la crise. ■

* Jean Sanuk, économiste, organisateur des Séminaires économiques sur la crise mondiale à l'Institut International de Recherche et de Formation à Amsterdam en 2009 et 2011, est correspondant d'Inprecor pour l'Asie.

Synthèse sur la Chine
(® Inprecor)

notes
1. Cf. Jean Sanuk, La Chine peut-elle sauver le capitalisme mondial ?, Inprecor N°543/544 de novembre-décembre 2008.

Inprecor a besoin de vous !

Notre revue est en déficit. Pour boucler notre budget en 2024, nous avons besoin de 100 abonnements supplémentaires.

Abonnement de soutien
79 €

France, Europe, Afrique
55 €

Toutes destinations
71 €

- de 25 ans et chômeurs
6 mois / 20 €