Le 7 mars, c'est tenu à Moscou le congrès de fondation du Mouvement socialiste russe. Ce dernier est né de la fusion de deux organisations anticapitalistes qui tenaient la veille, le 6 mars, leur congrès de dissolution : Vperiod (En avant) et Résistance socialiste.
Nous étions invités au congrès de Vperiod ainsi qu'au congrès de fondation de la nouvelle organisation.
Le congrès de Vperiod a réuni un peu moins d'une trentaine de participants, les délégué(e)s et quelques militant(e)s. Il a porté sur le bilan d'activités et les objectifs de la création d'une nouvelle organisation par la fusion avec Résistance socialiste. La discussion sur le bilan était centrée sur une appréciation critique des deux années écoulées depuis le troisième congrès du groupe. Ce congrès avait décidé d'orienter le petit groupe vers les entreprises, le soutien aux luttes, l'aide aux syndicats indépendants. Le mouvement syndical russe est divisé entre les syndicats militants — qui prennent en charge les revendications immédiates des travailleurs, les mobilisations, l'organisation des grèves — et les syndicats officiels dominants, dont les dirigeants sont des intermédiaires entre les salariés et le patronat, enlisés dans le " partenariat social ». Les syndicats indépendants sont très inégalement implantés, très minoritaires au niveau national. L'orientation du dernier congrès s'est traduite pour bien des militants par un activisme sans réels résultats. Cela renvoie à une situation extrêmement difficile au sein de la classe ouvrière et sur le plan politique.
Les effets de la crise entraînent une accentuation du recul dans un contexte déjà très dur, la pression économique et politique étant très forte sur une classe ouvrière désorganisée, atomisée. Vperiod fondait son orientation sur le fait que les contradictions politiques se déplaceraient vers les conflits sociaux mais la pression de la crise a été la plus forte. À partir de ce bilan, plusieurs camarades insistaient sur la nécessité d'agir plus sur le terrain politique. Mais là aussi la situation est difficile. La politique de Poutine de stabilisation de la restauration capitaliste en Russie, autour d'un appareil d'État fort et d'un parti, Russie unie, assis sur cet appareil a éliminé toute opposition réelle, intégrant au système le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF) ou la droite réactionnaire et nationaliste. La seule opposition qui se fait entendre est l'opposition libérale qui n'est pas intégrée au système Poutine, défend la démocratie face à la corruption et aux féodalités bureaucratiques, prône une politique économique libérale plus " juste ». Elle n'a pas de représentation parlementaire. Quelle politique avoir vis-à-vis de cette opposition fut le deuxième point en discussion. Il s'est dégagé une large convergence sur la légitimité qu'il y a à s'appuyer sur les initiatives de cette dernière lorsqu'elle cherche à mobiliser sur les questions démocratiques, la défense des minorités ou les questions sociales. Par ailleurs, les camarades soulignaient le fait que la politique du KPRF n'est pas acceptée par tous, les contestataires se heurtent à une réaction brutale de l'appareil qui n'a d'autre objectif que de sauvegarder ses positions. Il y a eu de nombreuses exclusions, en particulier à Saint-Petersbourg où nos camarades ont pu tisser des liens avec les Komsomols, les jeunes, exclus du parti.
Face à cette évolution, le petit groupe de Vperiod veut construire une organisation impliquée dans la lutte de classes, en s'appuyant sur les contradictions aiguës du système mais dans un contexte de dépolitisation, d'effondrement de la conscience de classe, d'absence d'opposition de gauche. Dans cet objectif, le travail vis-à-vis des militants syndicalistes indépendants est leur préoccupation essentielle. Deux militants du syndicat indépendant de l'automobile étaient présents.
Leur souci est aussi de travailler à regrouper la gauche anticapitaliste, très faible. C'est dans cette perspective qu'ils inscrivent la fusion avec Résistance socialiste et veulent créer des comités pour un parti démocratique, large, anticapitaliste.
Le congrès de fondation s'est tenu le lendemain. Il regroupait une cinquantaine de délégué(e)s et militant(e)s et une vingtaine d'invités représentants l'essentiel des petits groupes de la gauche. La IVe Internationale était la seule organisation extérieure invitée.
Les statuts ont été adoptés définissant le parti comme démocratique, ouvert et anticapitaliste, un parti militant tenant des réunions hebdomadaires, un congrès annuel et garantissant le droit de tendance et de fraction. Un comité central de 8 membres a été élu. Il a coopté un représentant d'une autre petite organisation, le Front de gauche, qui accueillera réciproquement un représentant du Mouvement. Le nom de l'organisation a été adopté, Mouvement socialiste russe, après un vote opposant cette dénomination à Mouvement socialiste de Russie. La première a été faiblement majoritaire. La nouvelle organisation est présente dans une douzaine de villes et dispose de nombreux contacts avec lesquels la principale difficulté est d'établir et de maintenir des liens.
Une " feuille de route » a été ensuite discutée et votée avec la mise en place de comités pour un parti ouvert, démocratique, socialiste, la tenue d'une conférence en juin. Au centre des débats la question de la presse et la mise en place d'un site Web. Dans ce domaine, tout est à recommencer.
L'après-midi, le dernier point du congrès était une discussion ouverte avec les invités, discussion qui malgré son caractère souvent abstrait témoignait de l'intérêt porté à la nouvelle organisation et au processus qu'elle engageait. À noter dans ce débat comme à propos des autres points, les interventions solidaires de Boris Kagarlitsky, intellectuel, vieil opposant emprisonné par deux fois et auteur en particulier d'un livre édité en français, La Russie aujourd'hui, néo-libéralisme, autocratie, restauration. Il a souligné que face à l'immense vide qui existe à gauche en Russie, le petit pas en avant de la fusion des deux organisations —même si bien sûr il ne peut pas prétendre à le combler — est important pour tous ceux qui aspirent à combattre pour le socialisme. Et aussi la nécessité de renforcer le travail politique pour définir un programme, une démarche transitoire sans laquelle la nouvelle organisation ne pourrait pas progresser. Il y a là une question essentielle face au recul que connaît le mouvement ouvrier en Russie. Les militants de la nouvelle organisation, internationalistes convaincus, conscients de leur isolement, sont à la recherche de liens internationaux, de discussions et d'apports politiques pouvant les aider à consolider le fragile pas en avant qu'ils viennent d'accomplir, à s'armer politiquement, à se donner les moyens d'élargir le processus de regroupement qu'ils ont engagé. La question formelle des rapports avec la IVe Internationale n'a pas été discutée, mais le besoin d'aide et de relations suivies, d'échanges clairement exprimé. ■
* Yvan Lemaitre est membre du Comité exécutif du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et du Comité international de la IVe Internationale. Il a assisté au Congrès du mouvement socialiste russe et à celui de Vperiod.