Dans son allocution du 3 mars 2011, le président par intérim a annoncé l'abandon de la feuille de route qu'il avait annoncée au lendemain de la chute de Ben Ali, c'est-à-dire l'abandon de l'organisation des élections présidentielles, dans le cadre de la Constitution actuelle. Il a désormais annoncé la nécessité d'élire une Assemblée constituante le 24 juillet prochain qui " sonne la rupture avec l'ère ancienne ».
Le président par intérim a également confirmé que lui et le gouvernement de transition, à la tête duquel il a désigné Béji Caïd Sebssi, demeureraient au pouvoir jusqu'à ce que l'Assemblée nationale constituante entame ses fonctions. Par ailleurs, il a annoncé qu'une instance dite " instance de réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » allait se charger de préparer le texte de loi régissant l'élection de cette assemblée.
Le parti communiste des ouvriers de Tunisie, tient à s'adresser au peuple tunisien au sujet de ces annonces :
1. La reconnaissance du président par intérim de la nécessité d'élire une Assemblée constituante pour préparer une nouvelle constitution, est une nouvelle victoire du peuple tunisien et de sa révolution, particulièrement pour les centaines de milliers de Tunisiennes et de Tunisiens qui ont organisé les sit-in, manifesté et offert des martyrs pour faire chuter le gouvernement Ghanouchi qui a fait perdre un temps précieux au peuple tunisien.
2. Cette victoire demeure menacée en dépit de son importance. La feuille de route annoncée par le président intérimaire pour aboutir à une Assemblée constituante est floue et minée d'autant qu'il ne s'est aucunement concerté avec les forces politiques et civiles attachées à la révolution et à ses objectifs. Si cette feuille de route n'est pas révisée, elle risque de permettre aux ennemis de la révolution de revenir aux affaires sous les slogans de la révolution.
3. L'élection d'une Assemblée constituante consacrant la volonté du peuple et de sa révolution politique, sociale et nationale, mettant définitivement fin à la tyrannie, exige :
► Un accord sur la date des élections pour éviter toute précipitation, permettre aux forces politiques une meilleure préparation, mais aussi pour que le peuple tunisien participe pleinement à ces élections. Il s'agit tout de même de la mise en place d'une nouvelle Constitution, qui portera des défis multiples et variés et qui définira les modèles politique, social et culturel à venir en Tunisie.
► de prendre des mesures concrètes pour permettre au peuple tunisien de jouir de la totale liberté d'exercer ses droits, aux forces politiques de faire connaître leurs positions, leurs opinions sans pression ni répression. Parmi ces mesures :
● La dissolution de la police politique, la poursuite de ceux qui parmi ses membres seraient impliqués dans des actes de tortures et d'assassinats.
● L'abrogation des lois contraires aux libertés ou du moins leur suspension : lois régissant les associations, les partis, les réunions, les manifestations... La mise en place de dispositions provisoires garantissant l'ensemble des ces libertés et permettant la reconnaissance des partis et associations qui le souhaitent.
● L'assainissement de l'administration des figures de la tyrannie et de la corruption, par la nomination, par concordance, de nouveaux responsables à la tête des gouvernorats et des délégations, vu l'influence de ces fonctions dans le processus électoral.
● L'assainissement de l'appareil judiciaire des symboles de la tyrannie et de la corruption, avec le concours de l'Association des magistrats, afin de garantir l'indépendance de la justice lors des élections.
● L'élaboration d'une loi électorale spécifique pour élire l'Assemblée constituante garantissant la participation des différentes forces politiques et civiles, afin d'être à la hauteur des attentes de notre peuple et pour lui permettre d'exprimer sa volonté : mode de scrutin, découpage des circonscriptions électorales…
● La désignation d'une instance nationale par un accord des différentes forces politiques et civiles pour superviser les élections.
● La définition des modalités de financement des élections pour contrecarrer les risques de falsification de la volonté populaire, notamment en monnayant des voix grâce à des financements douteux à l'intérieur du pays, par les forces de la contre-révolution, ou à l'extérieur, par des États réactionnaires et colonialistes qui ambitionnent l'avortement de la révolution et l'instauration d'un régime à leur solde.
4. le Conseil national pour la protection de la révolution constitue le cadre adéquat pour s'accorder sur une feuille de route visant à réaliser un changement démocratique qui rompe définitivement avec la dictature. Ceux qui s'opposent à ce Conseil, prétextant qu'il serait illégitime (car non émanant d'un vote populaire) oublient sciemment que la seule légitimité qui existe aujourd'hui est celle de la révolution, ce conseil est l'unique cadre bénéficiant d'une large représentativité des forces défendant la révolution.
La présidence par intérim et le gouvernement de transition ne doivent aucunement échapper à la surveillance du peuple et des forces de la révolution, dans les décisions et les dispositions qu'ils prennent.
5. Le maintien de la mobilisation populaire et le renforcement des cadres instaurés par la révolution (les assemblées et comités locaux pour la protection de la révolution) et leur implication sont aujourd'hui, les seuls garants du contrôle de la présidence par intérim et du gouvernement de transition. Ils sont l'unique moyen de consolider la révolution jusqu'à son triomphe total dans notre pays.
Les ennemis de la révolution demeurent, aujourd'hui encore, forts de leurs finances, des appareils de l'État, du soutien de l'extérieur. Ils courbent l'échine juste pour rebondir une fois la tempête passée, pour resserrer à nouveau l'étau autour de notre peuple et le soumettre. Jusqu'à présent, ils n'ont à aucun moment hésité à s'en prendre à nos concitoyens, à saccager leurs biens en faisant appel à des bandes criminelles. Ils ont aussi mené des campagnes de menaces et de dénigrements contre les forces révolutionnaires et populaires.
6. En cette période cruciale, le Front du 14 janvier a le devoir de protéger la révolution et de la faire avancer. Aux côtés des travailleurs, des précaires, des pauvres, des étudiants, des intellectuels, des créateurs progressistes et de toutes les couches populaires, le Front du 14 janvier doit faire face aux tentatives de faire avorter la révolution et de la réduire à une simple " réforme » de l'ancien régime sans remise à plat de ses fondements et de ses bases économiques et sociales. ■
Tunis, le 5 mars 2011
* Fondé en 1986, le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), clandestin et fortement réprimé sous Ben Ali, a été longtemps " pro albanais ». Il fait partie du Front du 14 janvier. Nous reproduisons sa déclaration diffusée sous forme de tract.