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Le Havre, un exemple d'auto-organisation

par Vincent Alès
Le Havre, 16/10/2010. Manifestation en défense des retraites. Photothèque Rouge/Nathan Alliard
A l'embouchure de la Seine, à 175 km de Paris, Le Havre, agglomération de 250 000 habitants, est le deuxième port du pays, un vieux bastion de la combativité et de l'organisation ouvrière. Le mouvement d'auto-organisation et de généralisation de la grève y a été l'un des plus avancés du pays.

Au-delà des journées d'actions nationales où nous comptions jusqu'à 40 000 manifestants, un pas a été franchi au Havre avec une généralisation de la grève dans un nombre conséquent d'entreprises de la zone portuaire. Dans certaines, comme à la raffinerie Total, chez Chevron, à la Cim, chez Petrochimicals, à la centrale de production EDF, la production a été totalement à l'arrêt. A la SNCF, chez Exxon, Foure Lagadec, Vinci, Ponticelli, La Poste, Debris, dans l'Éducation, chez le transporteur Loheac, à Renault Sandouville ou chez les agents territoriaux de plusieurs communes, avec des taux de grévistes variables, c'est une mobilisation d'ampleur qui a été construite et maintenue pendant quinze jours. La reconduction quotidienne de la grève a permis de s'appuyer sur l'activité militante au minimum de centaines de grévistes, jusqu'à plusieurs milliers les meilleurs jours, pour bloquer la zone industrielle principale de la ville. Ces blocages, malgré les désagréments qu'ils entraînaient, ont rencontré un large soutien de la population. Ils n'ont pas pour autant permis de généraliser la grève à toute l'agglomération.

 

 

Une structuration du mouvement enthousiasmante

 

Si les conflits entre organisations syndicales et les désaccords politiques ont traversé le mouvement comme ailleurs, le travail intersyndical (CGT-FSU-CFDT-Solidaires) et les rapports de confiance construits ces dernières années dans l'opposition au Traité constitutionnel européen (TCE) puis dans la lutte pour la défense des emplois de l'usine Renault, ont porté leurs fruits. Le poids des militants d'extrême gauche et une équipe d'animation de la CGT particulièrement combative n'y sont pas non plus étrangers. Aussi, dès le 7 septembre, avons-nous pu commencer à réunir des assemblées générales (AG) interprofessionnelles de grévistes. L'absence de perspectives au niveau des confédérations syndicales nationales nous a rapidement imposé l'auto-organisation à la base. A partir du 12 octobre, quand la grève a commencé à être reconduite journellement, les AG interprofessionnelles se sont tenues tous les soirs à 17h pour faire le point et organiser l'extension des grèves. Notre outil, ce fut Le Havre de Grève, bulletin d'information de l'AG, envoyé sur les boîtes mails tous les soirs à 21h et publié avec les moyens techniques des différents syndicats, qui est rapidement devenu très populaire et a connu 18 numéros. Ce fonctionnement nous a permis de donner, à la mesure de nos moyens, ce que beaucoup espéraient : des outils pour que notre classe puisse s'exprimer d'une seule voix. Il nous a aussi permis d'être quasiment les seuls à poser le problème du contrôle de l'intersyndicale nationale par les assemblées interprofessionnelles de lutte. Ainsi, au soir de la journée d'action du 19, on pouvait lire dans le n° 15 : " Ce qui se passe au Havre est la preuve qu'on peut discuter dans l'unité pour rassembler des dizaines de milliers de grévistes et de manifestants pour agir et exiger le retrait de la loi. On exige la même chose des directions des confédérations. Par 151 voix pour et 3 abstentions, nous avons voté la résolution qui suit pour que des délégations de toutes les villes aillent secouer le cocotier de l'Intersyndicale nationale : "L'Assemblée Générale interprofessionnelle de l'agglomération du Havre [...] demande à l'Intersyndicale nationale d'inviter lors de sa réunion du 4 novembre des délégations représentatives des AG de grévistes et de la base mobilisée dans les villes, afin de porter des propositions d'actions à mettre en place et un calendrier de mobilisation jusqu'au retrait de la loi" ».

Plus tard, alors que les directions nationales proposaient une nouvelle journée d'action décentralisée, nous étions 120 militantEs à l'AG à affirmer : " L'unité affichée par les directions nationales des confédérations et unions interprofessionnelles a contribué à la construction d'un formidable mouvement populaire durable et déterminé soutenu par la majorité de la population. Elle a permis également à des millions de salariés victimes de la dégradation de leurs conditions de travail, de la baisse de leur pouvoir d'achat, de la précarisation de leurs emplois, des licenciements et du chômage, de reprendre confiance dans la force de la mobilisation [...]. Nous sommes prêts à tout mettre en œuvre pour que nous soyons des millions dans les rues de la capitale. Les organisations nationales doivent appeler à une manifestation nationale à Paris le samedi 13 novembre. Si cette démonstration de force pacifique et déterminée ne suffit pas, il faut que ce soir-là, les directions nationales des organisations syndicales réunissent à Paris des délégations de toutes les villes, des grandes entreprises du pays pour décider d'appeler à une journée de grève générale et à la reconduction du mouvement, jusqu'à ce que le gouvernement renonce à promulguer ou appliquer la loi et décide enfin d'ouvrir de véritables négociations. » (120 pour, 7 contre, 7 abstentions 7).

Faut-il préciser que nous n'avons reçu de réponse ni à l'une, ni à l'autre de nos motions et demandes de rencontres ? ■

 

 

 

 

* Vincent Alès est militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) du Havre.

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