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Succès de Die Linke en Rhénanie du Nord-Westphalie


par Manuel Kellner
Oskar Lafontaine, responsable de Die Linke.<br> Photothèque Rouge/JMB

Le résultat des élections régionales à Rhénanie du Nord-Westphalie (NRW) du 9 mai 2010 est un évènement politique de portée fédérale en Allemagne et peut-être même de portée européenne. C'est le Land le plus peuplé de l'Allemagne avec plus de 13 millions d'électeurs inscrits.

Trois aspects centraux doivent être mis en lumière pour faire le bilan des ces élections :

1. La CDU chrétienne-démocrate conservatrice essuie une défaite considérable. Sa coalition avec les libéraux du FDP est battue en Rhénanie du Nord-Westphalie et au niveau fédéral la coalition noire-jaune CDU-CSU-FDP, c'est-à-dire le gouvernement de la chancelière Angela Merkel, perd la majorité dans le Bundesrat (la 2ème chambre, le parlement qui représente les Lõnder), ce qui va imposer des procédures de consultations et de compromis pour beaucoup de projets de loi importants. Le gouvernement Merkel est aussi sous pression, tombant à 40 % des intentions de vote dans les sondages.

2. L'abstention a encore augmenté. C'est une tendance lourde et continuelle de la politique. Lors des élections fédérales en 2005, la participation en NRW en 2005 fut encore de 63 %, cette fois-ci seulement de 59,3%, soit 7 872 862. Autrement dit plus d'un demi-million, qui allaient encore voter en 2005, ont maintenant boudé les urnes ! Cela traduit une crise de légitimité évidente des institutions de la démocratie parlementaire, bien que ce genre de constat soit toujours difficile à interpréter. Ce n'est pas simplement un réflexe " anti-système », il y a aussi de la résignation, de la dépolitisation. Les mobilisations extra-parlementaires, elles aussi, restent faibles.

3. Le fait que le parti Die Linke (La Gauche) franchisse la barrière des 5 % et entre pour la première fois dans le parlement de NRW, le Landtag à Düsseldorf avec 5,6 %, soit 434 846 voix, constitue une donnée indubitablement positive. Avec une fraction parlementaire de 11 députés, dont 6 femmes, c'est la section régionale la plus " à gauche » dans Die Linke qui renforce son poids tant dans le débat politique publiquement perceptible qu'au sein du parti. Des 11 député(e)s, six sont dans le courant Antikapitalistische Linke (AKL - Gauche Anticapitaliste), dont deux sont également membre de la ISL(internationale sozialistische linke - Gauche Socialiste Internationale, une des deux fractions publiques de la section de la IVe Internationale en Allemagne). Les cinq autres sont membre de la Sozialistische Linke (SL), un courant réformiste de gauche (mais dans lequel militent aussi, par exemple, les membres de " Marx 21 » qui fait partie du courant international IST, lié au SWP britannique). Il n'y a donc aucun membre du FDS (Forum Demokratischer Sozialismus), regroupant l'aile " co-gouvernementaliste » majoritaire dans le parti au niveau fédéral. La direction fédérale du parti avait néanmoins jugé cette élection très importante et s'était engagée dans la campagne électorale : de grands meetings publics, avec Oskar Lafontaine et Gregor Gysi, avaient rassemblé des milliers de participants. Die Linke est maintenant présente dans les parlements régionaux de 13 Lõnder sur 16.

La défaite des partis gouvernementaux

Obtenant 34,6 % des suffrages exprimés, la CDU a perdu 10 points par rapport a 2005, ce qui est énorme. Le gros de ses pertes est allé au SPD (140 000), aux Verts (90 000), ou dans l'abstention (330 000)… mais même Die Linke en a attiré (30 000). Mais la CDU a perdu aussi des voix au profit du FDP (130 000) et des petits partis (110 000), surtout d'extrême droite (Pro NRW raciste et anti-islamiste, qui a fait 1,4 %, et le NPD, qui reste en-dessous de 1 %).

Il y a certainement des aspects régionaux spécifiques qui expliquent en partie cette lourde défaite, liée au candidat principal du CDU, le ministre-président sortant Jürgen Rüttgers. Pendant un certain temps il se faisait intituler " leader ouvrier » par les médias en demandant des retouches sociales à la loi Hartz IV. Au début de la campagne électorale, faisant allusion au " vote sanction » annoncé par les sondages d'opinion contre le gouvernement fédéral d'Angela Merkel, il avait déclaré : " Le vote sanction, c'est moi », en voulant faire comprendre qu'il s'occuperait de corriger un peu dans le sens social la politique de son parti et du gouvernement fédéral noir-jaune.

Mais au milieu de la campagne, il y avait ce que les grands médias appellent les " pannes ». Par exemple, il a été dévoilé que la CDU de NRW offrait la présence de son chef de file Rüttgers à quiconque était prêt et capable de payer 20 000 euros, et celle de ses ministres pour 10 000 euros. Tout en se défendant qu'il ne le savait pas, Rüttgers n'apparaissait plus comme " le leader ouvrier », mais plutôt comme l'emblématique politicien vendu et minable. De plus, au cours d'un meeting électoral, il s'est laissé aller en injuriant les ouvrières et ouvriers roumains (pour défendre les emplois allemands, bien entendu) : " Le matin, ils viennent n'importe quand au travail, et alors, ils ne savent pas quoi faire. » Le raciste nationaliste allemand tout craché perçait ainsi la carapace du respectable politicien prétendument social !

Il faut dire que le penchant de Jürgen Rüttgers — qui aime se donner une image respectueuse et qui, dit-on, aimerait bien devenir président de l'Allemagne — pour une démagogie populiste sans limites est bien connu pour celles et ceux qui ont un peu de mémoire. Pendant la politique dite de la " green card » (visant à faire entrer en Allemagne la main-d'œuvre hautement qualifiée, surtout en matière de logiciels et surtout en provenance des Indes) du gouvernement SPD/Vert de Gerhard Schröder, Rüttgers, qui était déjà le chef du CDU de NRW, n'avait pas hésité à faire coller des affiches avec le slogan : " Des enfants, pas d'Indiens » (en allemand, ça rime : " Kinder statt Inder »).

Ceci dit, la défaite de la CDU s'explique probablement en premier lieu par l'effet du " vote sanction » contre le gouvernement conservateur-libéral d'Angela Merkel. A la fin, dit-on, l'affaire de la Grèce aurait joué — mais il ne faut pas la surestimer ni y voir un réflexe nationaliste-protectionniste de la population allemande. Bien entendu, tout le monde sait que les milliards pour sauver les banques en faillite ainsi que les nouveaux milliards investis pour contrer la crise de l'euro signifient que les salariés et les exclus vont payer la facture. La perte de confiance en Angela Merkel et en sa politique est clairement visible. La politique de son gouvernement, dite du " frein à l'endettement », projette déjà " d'épargner » 10 milliards d'euros par an à partir de 2011… ce n'est ni le grand capital, ni la Bundeswehr qui vont en souffrir !

Le FDP libéral se maintient avec 6,7 % des suffrages, et même gagne 0,5 points par rapport aux élections de 2005. Pourquoi alors tout le monde parle de sa défaite ? Parce que son résultat est comparé à celui des élections fédérales de 2009, où il a obtenu plus que 14 % des voix, ce qui était un triomphe pour son chef de file Guido Westerwelle. Le slogan de campagne principal était un génial attrape-nigaud " Plus de net, du brut » (1), la promesse principale — réduire sensiblement les impôts. Dans la pratique gouvernementale cela ne fut pas réalisé, au mieux un tout petit peu au début (entre autres avec un cadeau fiscal aux hôteliers). Et avec la crise de l'euro, le " rien ne va plus » a été officiellement décrété par Angela Merkel. Le FDP redevient donc un petit parti à base électorale modeste et instable. Sa crise est en même temps une crise du projet " noir-jaune ».


Faux et vrai triomphe du SPD et des Verts

Le triomphe de Hannelore Kraft, candidate principale du SPD en Rhénanie du Nord-Westphalie, qui avec 5 000 voix de moins que la CDU obtient le même nombre de députés, est très relatif. En comparaison avec 2005, le SPD perd 2,6 points en pourcentage (170 000 suffrages au profit des Verts, 70 000 de Die Linke, 50 000 des petits partis et 130 000 abstentionnistes, ce qui n'est pas compensé par les 140 000 voix qu'il prend à la CDU et les 10 000 au FDP). Le succès du SPD, c'est surtout la faiblesse des scores de la CDU et du FDP. Il faut mentionner le caractère de sa campagne électorale, en rupture verbale nette avec le SPD du temps des Schröder et des Müntefering, avec un nouveau profil beaucoup plus social (et un peu plus écologique) et un certain nombre de revendications copiées du programme de Die Linke.

Bündnis 90/Die Grünen (les Verts) triomphent vraiment. Avec 12,1 % des voix, ils gagnent 5,9 points en pourcentage comparé à 2005 ! Ils prennent 170 000 voix au SPD, 90 000 à la CDU, 30 000 aux libéraux du FDP, et ils sont les seuls à avoir pu mobiliser des voix des abstentionnistes de 2005, soit 80 000 voix ! Et ils n'en perdent que 20 000 au profit de Die Linke et autant en faveur des petits parti, entre autres, probablement au profit des " Pirates » qui réalisent 1,5 %.

Apparemment, il y a dans la population allemande une couche ascendante, qui aspire à une politique progressiste dans le domaine culturel et dans celui des mœurs, veut une politique tenant compte des problèmes de l'environnement et en même temps une politique moins dure contre les pauvres et les exclus (dans la campagne, les Grünen ont affiché, par exemple, " Pas de réductions pour les gosses »), tout en restant acquis à la politique néolibérale et donc ne voulant pas sanctionner les Grünen pour leur politique antisociale (et guerrière interventionniste) sous le gouvernement dit " rouge-vert » du tristement célèbre Gerhard Schröder (SPD).

On observe également une certaine inertie de la perception politique. Dans un récent sondage d'opinion plus de 60 % des questionnés sur leurs raisons de voter pour les Verts, croyaient que ces derniers militent pour " débrancher » les centrales nucléaires… ce qui n'est simplement pas vrai et ne vaut que pour un loigntain de ce parti !

Die Linke, un succès contre vents et marées


En Rhénanie du Nord-Westphalie lors des élections régionales de mai 2005, Linkspartei/PDS et WASG (qui ont depuis formé Die Linke) présentaient des candidatures séparées. Avec presque 73 000 votes Linkspartei/PDS obtenait 0,9 %, alors qu'avec 182 000 votes la WASG avait 2,2 %. Ensemble la gauche radicale totalisait 255 000, soit 3,1 % des suffrages exprimés. Tant en pourcentage (5,6 %) qu'en chiffres absolus (434 846) Die Linke améliore donc le score de ses prédécesseurs d'il y a cinq ans. Mais si l'on compare son résultat avec celui des élections fédérales de 2009 — en Rhénanie du Nord-Westphalie Die Linke obtint alors 790 000 voix — il s'agit plutôt d'un recul. Pourquoi l'entrée au Landtag de Düsseldorf avec 5,6% constitue-t-elle quand même une véritable petite victoire?

Après l'adoption de son programme électoral, Die Linke de Rhénanie du Nord-Westphalie fut soumise à un vrai matraquage par les médias et par les leaders des autres partis. Des revendications comme la socialisation du secteur de l'énergie ou la légalisation des drogues " douces » faisaient scandale, son refus formel d'accepter la réduction des acquis sociaux, les privatisations de biens publics, les pertes d'emploi dans le secteur public était présenté comme bêtement têtu et dogmatique. Die Linke NRW se faisait dénoncer comme l'aile " extrémiste » et " chaotique » du parti, traité d'" irresponsable », " inapte à gouverner », " incapable de faire de la politique », avec des dirigeants d'extrême gauche ou ayant un passé politique " gauchiste »..

Le SPD et les Verts voulaient convaincre l'électorat qu'il ne sert à rien de voter pour Die Linke, que c'est inutile pour parvenir à une alternance gouvernementale et qu'il fallait empêcher Die Linke d'entrer dans le Landtag. En même temps, cette pression visait l'adaptation de Die Linke NRW, pour que le parti accepte de gouverner avec le SPD et d'appliquer une politique d'austérité dans l'intérêt du capital, comme Die Linke le fait dans les Lõnder de Berlin et de Brandenburg. Pour leur part, la CDU et le FDP insinuaient que le SPD et les Verts pourraient réaliser une coalition avec Die Linke, si ses résultats le permettaient, ce qui poussait le SPD et les Verts à une agressivité encore plus forte contre Die Linke. Notons qu'au tout début de la campagne électorale les représentants influents les plus durs de l'aile droite de Die Linke, comme Dietmar Bartsch, avaient poussé eux-mêmes à la dénonciation de leur parti en NRW à coup de déclarations publiques insinuant le " manque de maturité politique des gauchistes en Rhénanie du Nord-Westphalie » (le succès du 9 mai à fait taire ce genre de voix, du moins provisoirement). Il va sans dire que le SPD et les Verts ont refusé les initiatives et les propositions de Die Linke pour des mobilisations extra-parlementaires communes.

Le fait que Die Linke n'avait encore jamais été au Landtag de Rhénanie du Nord-Westphalie jouait aussi un rôle. Les sondages, surtout au cours des dernières semaines avant l'échéance, lui donnaient au maximum 6 %, souvent moins. Dans l'électorat l'incertitude quant à la capacité de Die Linke de franchir la barrière des 5 % était ainsi maintenue. De plus la composition du Landtag, qui n'a pas les compétences du Bundestag (Parlement fédéral), mobilise moins les gens normaux.

L'effet négatif pour Die Linke se renforçait au fur et à mesure que la date de l'élection s'approchait. Le SPD, qui venait de loin après sa cuisante défaite de 2005, gagnait de plus en plus dans les sondages et se rapprochait de la CDU. Les derniers jours avant le 9 mai les médias mettaient en avant la " course tête-à-tête » entre Jürgen Rüttgers de la CDU et Hannelore Kraft du SPD. Probablement cela a conduit une partie de ceux qui avaient envie de voter pour Die Linke à finalement donner leur voix au SPD ou aux Verts. C'est un phénomène sans doute comparable à celui observé lors des récentes élections régionales en France : la " gauche modérée », traditionnelle, donc la social-démocratie, tire profit du rejet de la droite gouvernementale et, en même temps, l'abstention se renforce. C'est une constellation difficile pour les forces politiques à la gauche de la gauche.

Le SPD et les Verts ont montré qu'ils sont capables de modifier leur rhétorique et de capter des espoirs, bien qu'il ne s'agisse que d'espoirs très modestes : une politique moins agressive, un peu plus sociale, un peu plus écologique, un peu plus progressiste. Donner raison à ce genre d'espoir dans une politique gouvernementale, ça serait, bien entendu, tout autre chose. Mais le SPD a aussi su regagner une importante partie des dirigeants syndicaux au nom de la " solidarité » et des relations personnelles traditionnelles, même si une minorité d'entre eux commence à montrer un penchant pour Die Linke. La " gauche modérée », qui a tellement fait durant tant d'années pour tuer tout espoir, n'est pas encore morte… ou du moins elle est encore capable de se manifester comme un revenant.

Cela dit, en prenant en compte le contexte et en sachant que le niveau de mobilisation extra-parlementaire était resté très faible, on peut dire que Die Linke NRW à remporté un vrais succès à contre-courant.

Question gouvernementale et perspectives


Die Linke de Rhénanie du Nord-Westphalie n'est pas parvenue à mobiliser les abstentionnistes. C'est un problème évident, surtout quand on sait que le profil assez radical de sa campagne était conçu pour y arriver : elle mettait l'accent sur la justice sociale, le retrait de la Bundeswehr de l'Afghanistan, exigeant que les riches payent pour la crise, expliquant qu'alors que les autres veulent gouverner, nous voulons changer la société, etc. Dans les meetings et dans les médias, Die Linke disait à la fois qu'elle ne fera pas obstacle à l'objectif de renverser le gouvernement noir-jaune de Jürgen Rüttgers, étant donc prête à discuter avec le SPD et les Grünen d'une possible coalition dite "rouge-verte-rouge», et qu'elle veut un vrai changement de politique dans l'intérêt de la grande majorité de la population, des salarié(e)s, des exclus, des jeunes et des femmes et de la responsabilité écologique, en conflit avec les intérêts du grand capital. Die Linke ajoutait très clairement, qu'elle n'est en aucun cas prête a accepter la remise en cause des acquis sociaux et la destruction des emplois, qu'elle s'opposera donc aux privatisations.

Notre camarade Wolfgang Zimmermann (membre du courant AKL), un des deux porte-paroles du parti à NRW et maintenant co-président de sa fraction parlementaire (avec Bõrbel Beuermann, qui est membre du courant SL), avait été perçu pendant la campagne électorale par les médias comme un " réaliste » visant à une coalition avec le SPD et les Verts. C'était une perception très sélective. Un exemple : le 20 mars à Essen, parlant aux 7 000 manifestants de la manifestation sous le slogan : " Nous ne payons pas pour votre crise », Wolfgang Zimmermann avait lancé : " Nous serons probablement une petite minorité dans le Landtag. Mais même si nous avions la smajorité au Landtag, à nous seuls, nous ne pourrions pas changer grand chose. Car les parlements n'ont pas le pouvoir. C'est le capital qui est au pouvoir. Contre le pouvoir du capital, il n'y a qu'un recours : le contre-pouvoir des millions de gens. Je suis prêt à collaborer avec le SPD et les Verts, mais où sont-ils ? Pourquoi ne sont-ils pas ici avec nous ? Pourquoi se cachent-ils dans le parlement ? La collaboration doit commencer dans les mobilisations extra-parlementaires. »

Le lendemain, dans les journaux et dans les émissions régionales, on pouvait lire et entendre : " Wolfgang Zimmermann veut une coalition avec le SPD et les Grünen ». Ce qui n'était pas un mensonge total, mais quand même un compte-rendu étrange de ce que Wolfgang Zimmermann avait dit réellement !

Le SPD et les Grünen ont répété pendant toute la campagne électorale que Die Linke est incapable de politique réelle. Quelques jours après les élections, alors que le FDP avait rejeté une coalition rouge-verte-jaune (sa condition d'exclure toute discussion avec Die Linke n'avait pas été acceptée par le SPD et les Grünen), le SPD et les Grünen ont invité Die Linke pour une consultation préalable à de possibles négociations sur les possibilités d'une coalition commune. L'évènement eu lieu le 20 mars et a duré cinq heures, après quoi les délégations du SPD et des Verts déclarèrent publiquement que Die Linke de Rhénanie du Nord-Westphalie n'est pas apte à se conduire d'une manière responsable. A qui la faute ? C'est une question qui se discute maintenant dans les milieux politisés.

Pendant deux heures, le SPD et les Grünen voulaient une dénonciation de la défunte RDA par Die Linke. La délégation de Die Linke de Rhénanie du Nord-Westphalie accepta la formule du " préambule du contrat de coalition à Brandenburg » : " La RDA, ce n'était pas une démocratie, mais une dictature ». Mais le SPD et les Verts voulaient plus : " La RDA, c'était un Unrechtsstaat». Qu'est-ce que c'est que cela ? Dès qu'un terme est intraduisible, il faut renifler l'idéologie. " Rechtsstaat », cela existe, c'est un État de Droit. Mais sa négation " Unrechtsstaat » ne signifie pas que " ce n'était pas un Etat de Droit ». C'est un terme artificiellement créé et lancé il y a des décennies par un think-tank ultra-conservateurs (Konrad Adenauer Stiftung, proche du CDU) au service de l'anti-communisme primaire. Sa signification est celle d'une " dictature comme celle des Nazis, qui a commis les pires crimes contre l'humanité ». C'est l'identification du " socialisme » et du " fascisme » dans le cadre de la théorie bourgeoise dite du " totalitarisme ». La délégation de Die Linke ne pouvait pas l'accepter.

Au cours de la troisième heure, le deuxième thème a été abordé : le " Verfassungsschutz », le service d'espionnage secret contre les " ennemis de la constitution », qui espionne entre autres le parti Die Linke en Rhénanie du Nord-Westphalie ! Die Linke demande dans son programme sa dissolution. Sa délégation déclare tout de suite : " Nous ne représentons que 5,6 %, nous sommes prêts à la rigueur à renoncer à toute initiative concrète dans ce sens au cours du prochain quinquennat. Nous sommes prêts à signer cela dans un éventuel contrat de coalition ». Mais le SPD et les Verts en demandaient plus : que Die Linke accepte de voter pour un fonds spécial en vue de renforcer le Verfassungsschutz. Là, la délégation Die Linke ne suivait pas, disant qu'il faudrait plutôt réfléchir à réduire les dépenses pour le Verfassungsschutz.

Ce n'est qu'à la suite de ces deux discussion que le SPD et les Grünen en venaient aux thèmes de la politique économique et sociale. Ils voulaient faire accepter un début de privatisation de la banque du Land. Ils voulaient faire accepter que 8300 postes de travail dans les services publics ne soient pas renouvelés. Ils voulaient faire accepter une politique dite de " consolidation budgétaire » incluant des incursions dans certains acquis sociaux. La délégation de Die Linke ne pouvait pas accepter cela : " Nous avons dit le contraire dans la campagne électorale… et vous aussi par ailleurs ! » Et Hannelore Kraft du SPD de répondre : " Après les élections, tous les programmes doivent être soumis à une vérification réaliste [Realitõtscheck] » ! La délégation de Die Linke a répondu : " Nous comprenons de mieux en mieux pourquoi il y a de plus en plus d'abstentions. Ce n'est pas responsable de faire après le contraire de ce qu'on a promis avant les élections ! ». L'entretien était terminé.

Maintenant, le SPD entame les entretiens avec la CDU.

Un grand nombre de militants de base du SPD et des Grünen ne sont pas contents de la manière dont leur direction à torpillé les consultations avec Die Linke. Cette dernière se concentre maintenant sur le travail d'opposition qu'elle veut lier intimement aux activités des mouvements sociaux et des syndicats prêts à se battre. En cas de duel entre Hannelore Kraft (SPD) et Jürgen Rüttgers ou un autre candidat du CDU pour le poste de Ministre-Président du Land, Die Linke est prête dans la situation actuelle à élire Hannelore Kraft. Dans le cas d'un gouvernement minoritaire du SPD et des Grünen, aux " majorités changeantes », Die Linke décidera au cas par cas comment voter (le SPD et les Grünen revendiquent par exemple certaines réformes progressistes dans le domaine des crèches, de l'école et de l'université). Mais Hannelore Kraft a déjà exclu publiquement la possibilité d'un gouvernement minoritaire au Landtag. Il faudrait quand même relancer cette proposition publiquement pour répondre aux sentiments de beaucoup de gens dans le monde du travail qui ont horreur d'une grande coalition noire-rouge ou d'un gouvernement minoritaire provisoire de Jürgen Rüttgers.

Avant l'entretien exploratoire avec le SPD et les Verts, Die Linke avait organisé trois conférences régionales (Rhénanie, Ruhr et Westphalie-Lippe) pour le préparer. Le dimanche suivant un congrès régional a approuvé la conduite de la délégation du parti dans les entretiens (un jugement par ailleurs approuvé par la direction fédérale du parti).

Dans le cas où la délégation aurait signé un contrat de coalition, la procédure suivante avait été prévue : a) trois nouvelles conférences régionales consultatives pour en discuter ; b) un congrès régional extraordinaire pour décider ; c) un référendum permettant aux près de 9000 membres du parti de trancher finalement la question, en approuvant ou non la décision du congrès. (Soit dit entre parenthèses, lors de l'entretien exploratoire, le SPD et les Verts avaient violemment critiqué cette procédure ainsi que le fait que la délégation de Die Linke incluait des membre de la direction du parti et non seulement de la fraction parlementaire : " Voilà encore une preuve que vous n'êtes pas fiables ! » Cela montre bien le respect de la démocratie de base qui caractérise les directions du SPD et aussi des Grünen).

Le parti Die Linke est loin d'avoir résolu tous ses problèmes. Il faut essayer d'en faire un vrai parti de combat, enraciné dans les usines, les services, les universités, les écoles, les quartiers populaires, dans les mouvements sociaux, dans l'aile combative des syndicats. Mais en Rhénanie du Nord-Westphalie c'est déjà un parti qui se démarque des autres par le fait qu'il est gouverné par ses membres et qu'il reste fidèle aux intérêts — employons notre terminologie traditionnelle — de la classe ouvrière et de tous les exploités, opprimés et dépossédés.

Köln, 25 mai 2010

Nouvelle répartition des sièges au Landtag (Parlement régional) de Rhénanie du Nord-Westphalie à Düsseldorf :

CDU 67 ; SPD 67 ; Grünen 23 ; FDP 13 ; Die Linke 11 - au total : 181

Coalitions majoritaires arithmétiquement possibles :

CDU et SPD (dite " noire-rouge » ou " grande » ; 134 sièges)

CDU, Grünen, FDP (dite " noire-jaune-verte » ou " Jamaika » ; 103 sièges)

SPD, Grünen, FDP (dite " rouge-jaune-verte » ou " feux de signalisation »; 103 sièges)

SPD, Grünen, Die Linke (dite " rouge-verte-rouge » ; 101 sièges)

* Manuel Kellner, notre correspondant à Cologne, Düsseldorf et Bonn, est membre du parti Die Linke, assistant scientifique du député Michael Aggelidis dans le parlement régional de NRW et membre de la coordination de la isl.

notes
1. " Mehr netto vom brutto », ce qui signifiait qu'avec moins d'impôts chacun disposerait d'une partie plus grande de son revenu brut (avant impôt) mais laissait dans l'ombre toute la partie socialisée des services, subventionnée par… les impôts. Une manière de proposer l'inégalité dans une formule sympathique !

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