La dynamique du mouvement syndical et ouvrier a connu un ralentissement en 2009. La description et l'analyse ci-dessous font apparaître une poussée des actions spontanées locales comme les actions de rue avec blocage des routes, en premier lieu dans les villes mono-industrielles. Les conflits éclatent de manière spontanée et désordonnée et ne se fondent pas dans un mouvement de masse capable de durer. Néanmoins, l'apparition de nouveaux leaders dans la vague d'actions spontanées et l'activisation de certaines organisations locales de la FNPR constituent une tendance positive.
Selon les sources de l'Institut d'action collective (IKD), on dénombre 183 conflits du travail sur l'année entière (chiffre vraisemblablement sous-estimé), avec une tendance à l'augmentation. Au premier semestre 2009, on note 62 conflits du travail — la moitié en mai-juin. Au second semestre, 116 conflits (dont la moitié se traduit par des meetings de protestation).
Par comparaison avec 2007, les formes de protestation ont changé : à la place des grèves on observe des actions dans la rue. C'est là une conséquence de la crise (qui fait de l'arrêt de travail une arme à haut risque), mais aussi de la législation du travail qui désormais rend une grève quasiment impossible dans le cadre de la loi. Du fait de l'absence de mécanismes effectifs pour le règlement des conflits, les salariés sont contraints d'avoir recours à des formes de mobilisation ne figurant pas dans le code du travail, comme les actions de rue.
® Inprecor/JR
La géographie des conflits est très large — pratiquement toutes les régions sont plus ou moins touchées. La situation la plus tendue se trouve dans les villes mono-industrielles (1) où, aux côtés des travailleurs, on retrouve les habitants de la ville. Quant aux secteurs les plus touchés, ce sont la construction automobile, les usines d'armement, l'agriculture, la métallurgie. Mais en fait l'augmentation des conflits atteint quasiment tous les secteurs.
Les principales revendications des travailleurs concernent le versement des salaires et le sauvetage de l'entreprise. En d'autres termes, ce sont les actions défensives qui dominent, ce qui n'a rien d'étonnant en période de crise. Mais face à une pression extrêmement forte des patrons et à une accentuation de l'exploitation, même les actions défensives ont un avant-goût de contre-offensive.
C'est que le problème ne réside pas seulement dans la crise et les difficultés économiques soit-disant objectives. Souvent travailleurs et syndicalistes n'en croient pas leurs yeux : l'entreprise est rentable et fait même des bénéfices, les ventes marchent, mais cela n'empêche pas la direction d'utiliser la crise pour faire des économies sur le dos des travailleurs : salaires, conditions de travail, sécurité du travail, etc. Et tout est fait pour dissimuler la situation financière réelle, tant à l'égard du public que des salariés et des syndicalistes (des vrais syndicalistes en tous cas).
Le fait est qu'à cause de la crise ou en utilisant celle-ci, les patrons ont lancé une offensive à grande échelle contre les travailleurs qui commencent à s'organiser. À partir de 2007, on a observé chez eux une élévation de la conscience, une plus grande autonomie ainsi qu'une réelle capacité à s'organiser. De toute évidence, durant l'année écoulée cette tendance est devenue évidente pour les patrons qui font tout pour écraser les foyers de résistance et les manifestations d'auto-organisation.
Ils visent, en premier lieu, les syndicats véritablement indépendants. Ces actions agressives de la part des patrons se sont encore renforcées avec la crise qui accentue la concurrence, mais aussi compte tenu de la politique du pouvoir qui, lui-même dépendant du capital oligarchique, apporte une aide généreuse aux oligarques de façon à ce qu'ils traversent la crise sans pertes importantes, et ceci sur le dos des contribuables et des salariés.
Une offensive à grande échelle contre les travailleurs
Les dirigeants d'entreprises, tant privées que d'État, se livrent à des violations systématiques du droit du travail.
En premier lieu, cela prend la forme du non-paiement des salaires. À l'instar de ce qui s'était passé dans les années 1990, les travailleurs sont transformés en esclaves forcés à travailler pour rien. De plus, et cela de façon unilatérale, alors que le Code du travail prévoit un accord des deux parties, les patrons diminuent les salaires, suppriment les primes, réduisent le temps de travail avec une diminution forte des salaires.
Plus grave encore, ont commencé des licenciements à grande échelle, généralement en violation de la loi, accompagnés de menaces à l'adresse des travailleurs que l'on force à " démissionner » de leur poste de travail. Parfois les licenciements sont dissimulés sous la forme d'une mutation ou d'une affectation dans une entreprise créée pour une journée (c'est apparemment ce qui se passe à l'usine d'automobile Avtovaz à Togliatti).
On assiste à la multiplication des formes d'emploi non standard et sans garantie de durée. Souvent la réduction ou la baisse des salaires n'est en rien justifiée par des difficultés financières réelles (situation difficile à vérifier compte tenu de la dissimulation systématique des comptes).
Inutile de parler des chiffres officiels du chômage (les autorités considèrent comme chômeur une personne qui s'est fait enregistrer à la bourse du travail) : en effet, rares sont ceux qui sont prêts à faire des heures de queue pour une allocation misérable, de 890 à 4900 roubles (soit de 25 à 120 euros). D'après les données établies conformément aux méthodes de l'OIT (déclaration de la personne comme quoi elle est disponible pour travailler et recherche un emploi), fin novembre 2009 le nombre des chômeurs s'élevait à 6,3 millions de personnes soit 8,1 % de la population active. Quant aux chômeurs " cachés », qui sont encore considérés comme travaillant, mais qui ne touchent pas de salaire ou qui, pour cause de lock-out n'en touchent que les 2/3, ils sont très nombreux. Beaucoup ont des emprunts à rembourser, sans parler des dépenses courantes pour des produits et des services indispensables dont les prix, à la différence des salaires, augmentent.
Fréquemment, les licenciements signifient une aggravation des charges de travail pour les travailleurs restants, qui, de plus, voient leurs salaires réduits. Les inspecteurs du travail ont relevé une augmentation du stress et des surtemps de travail, entraînant la multiplication des accidents de travail, parfois mortels, une situation aggravée par le fait que les patrons n'hésitent pas à faire des économies sur la sécurité, en menaçant du chômage ceux qui protestent.
En résumé, les travailleurs soit sont jetés à la rue, quasiment sans moyens de subsistance, soit sont pressurés comme des citrons, forcés de travailler plus pour gagner moins.
Dans une telle situation, la majorité d'entre eux s'en tient à des manifestations passives de protestation. Nombreux sont ceux qui préfèrent se soumettre et endurer la situation, plaçant tous leurs espoirs sur la bonté du patron et la conservation de leur emploi. Beaucoup ont recours à des formes individuelles d'adaptation cherchant à passer un accord avec la direction et à négocier à leur seul profit quelques avantages. Certains arrivent quand même à trouver un emploi complémentaire ou se serrent la ceinture dans l'attente de temps meilleurs. Avec la crise, ces possibilités se sont considérablement réduites et on a vu un nombre croissant de gens désespérés se lancer dans des initiatives de masse spontanées, échappant à tout contrôle.
Le plus important est la multiplication des nouveaux syndicats. De plus en plus de travailleurs essaient de résister collectivement et de façon organisée à l'offensive contre leurs droits. De plus, ces nouveaux syndicats se développent dans des secteurs où jusqu'ici ils étaient absents : média, secteur alimentaire, commerce, etc. Et, sous la pression du mécontentement de la base, nombre de syndicats traditionnels sont forcés de prendre des positions plus combatives.
C'est précisément les syndicats les plus combatifs qui font l'objet des attaques les plus dures, non seulement de la part des patrons mais aussi de certains fonctionnaires et de représentants du pouvoir.
Employeurs et pouvoir : écraser et diviser les syndicats
Les capitalistes russes n'ont jamais considéré les syndicats comme un phénomène normal et ont toujours tout fait soit pour les éliminer, soit pour les neutraliser en recourant à la corruption ou en les intégrants dans l'appareil administratif de l'entreprise. Aujourd'hui, pris de panique face à la crise et confrontés à l'apparition de nouveaux syndicats combatifs mais aussi à une réactivation de certains syndicats jusqu'ici passifs et loyaux, les directeurs des entreprises et les propriétaires de celles-ci ont lancé une offensive redoublée. Avec, globalement, le soutien actif du pouvoir et des autorités à différents échelons.
Fait notable : les persécutions, les mesures répressives et discriminatoires, loin d'être limitées aux seuls syndicats indépendants, frappent également les syndicats affiliés à la FNPR pour peu qu'ils soient réellement mobilisés.
C'est le directeur général du trust OAO Kontsern Kalin (région de Sverlovsk) qui a brandi l'étendard de cette campagne antisyndicale. Le 5 octobre 2009, dans une interview à un journal en ligne, il déclare : " Depuis plusieurs années, les syndicats, tels des cafards et des punaises, s'efforcent de s'infiltrer dans les entreprises par toutes sortes de moyens, et cela me contrarie. Pour moi les syndicats sont comme des sectes. Si dans une compagnie apparaissaient des pédophiles buveurs de sang, adeptes de Satan, qu'ils s'y renforçaient et commençaient à attirer dans leurs files gluantes les membres du collectif, on comprendrait mieux pourquoi je cogne sur eux. Pour moi, les militants syndicalistes c'est du pareil au même : des manipulateurs qui poursuivent leurs objectifs matériels et politiques au détriment de l'entreprise… »
Les formes de répression contre les syndicats sont très variées.
Les dirigeants syndicaux sont convoqués dans différentes instances policières pour des " entretiens » ; on cherche à les inculper pour avoir organisé une action de protestation non autorisée ou sur la base d'une infraction fabriquée de toutes pièces. C'est le cas de Piotr Zolotarev, dirigeant du syndicat Edinstvo (Unité) à l'usine Avtovaz, qui est régulièrement convoqué par différents organes. Ou encore le cas tragique que constitue l'arrestation illégale de Velentin Ouroussov, dirigeant du syndicat Profsvoboda, condamné à six ans de prison soi- disant pour détention de drogue. Ou encore la démarche plus sophistiquée du CentreE qui s'efforce de prouver que les appels à la création de syndicats — comme les tracts diffusés par le syndicat MPRA (2) dans l'entreprise Tsentrosvarmach à Tver — tombent sous le coup de la loi contre " l'extrémisme ».
Autre moyen désormais largement accessible à tous les employeurs qui partent en guerre contre les syndicats : le 3 novembre 2009, la Cour Constitutionnelle a déclaré anticonstitutionnel l'article 374 du Code du Travail qui interdisait le licenciement des délégués syndicaux non permanents sans l'accord des instances dirigeantes du syndicat, supprimant ainsi la seule protection légale des militants syndicaux en lutte contre l'arbitraire patronal. Cet article était utilisé en premier lieu par les militants des syndicats indépendants qui ont peu de permanents et dont le combat déplaisait fortement à la direction. Ce sont eux qui étaient visés en premier lieu, d'autant plus qu'il n'est pas compliqué de fabriquer de toutes pièces une soi-disant faute.
Exemples récents : le licenciement d'E. Ivanov, président du syndicat MPRA de l'entreprise GMAuto (à Saint Pétersbourg) et d'une militante, O. Chafikova, suite à une " grève à l'italienne » (3) le 21 octobre et du 11 au 20 novembre. Les revendications portaient sur les points suivants : intégration des primes dans le salaire garanti, droit des employés de disposer librement de leurs congés, suppression du décompte annuel du temps de travail et passage à la semaine de 40 heures.
Mais l'imagination des patrons ne s'arrête pas là. Parfois, le syndicat se voit retirer sans la moindre raison son local (comme ce fut le cas le 26 octobre dernier où, sur ordre de la direction de l'Aviation civile, le Syndicat des contrôleurs aériens s'est vu privé du jour au lendemain de son local à Moscou). Ou bien encore les militants syndicaux se voient confisquer le laissez-passer qui leur permet de circuler librement dans les ateliers.
Dans certaines entreprises, des tracts sont diffusés visant à discréditer les militants syndicaux. Parfois, l'administration fait appel à la milice ou aux forces spéciales (Omon) pour stopper une action de protestation, une action de sensibilisation ou tout simplement une assemblée syndicale, comme ce fut le cas le 20 octobre à l'entreprise KarelskiOkatych à l'occasion d'un rassemblement du syndicat Sotsprof.
Autre invention dans l'arsenal antisyndical : la saisie des biens personnels suite à une grève, comme cela est arrivé à A. Chkhakharov, président du syndicat du port de commerce maritime de Tuaspinski (Tuapse ?), assigné devant les tribunaux par la direction de la compagnie portuaire TMTP qui a demandé qu'il soit condamné à rembourser les pertes causées par une grève.
Les agressions contre les dirigeants syndicaux, en premier lieu des syndicats alternatifs, et plus particulièrement ceux qui font partie du MPRA, se sont multipliées. Toutefois, par comparaison avec la vague massive d'agressions fin 2008, on observe une certaine accalmie, probablement liée à la campagne massive de protestations (y compris en provenance de l'étranger) mais aussi à un changement de tactique de la part des patrons et de l'administration présidentielle. Certains médias et des experts associent ces péripéties récentes à des manœuvres bureaucratiques au sommet et aux tentatives visant à neutraliser les syndicats combatifs et à les placer sous contrôle. Ils font remarquer qu'entre septembre et la fin décembre 2009, on a changé à trois reprises les personnes en charge de suivre les syndicats au sein de l'administration présidentielle. De toute évidence, le domaine syndical est considéré comme une affaire sensible à suivre de très près.
Le pouvoir mène un jeu cynique : d'un côté on encourage tacitement les patrons à lancer des poursuites et autres mesures discriminatoires, de l'autre on signe des accords assez vides de contenu avec les syndicats traditionnellement loyaux à l'égard du pouvoir. Il s'agit donc à la fois de développer des pseudo syndicats et de lutter contre les syndicats " extrémistes ».
L'exemple le plus connu concernant la création de syndicats fantômes est le nouveau syndicat Sotsprof dirigé depuis le début 2008 par Sergeï Vostretsov, un personnage totalement étranger au mouvement syndical mais qui, selon toute probabilité, a des relations très solides avec le sommet du pouvoir. Ce dernier s'efforce de transformer la première fédération syndicale alternative créée dans la Russie postsoviétique en un syndicat sous contrôle et progouvernemental tout en lui donnant l'apparence d'une organisation indépendante et combative. Une tâche impossible par définition et ces manœuvres ont eu pour seul résultat un éclatement de fait de Sotsprof.
Toutefois, dans l'ensemble, il semble que soit privilégiée la tactique " diviser pour régner » : créer un syndicat jaune (aux ordres) pour l'opposer à un syndicat alternatif trop gênant, mais aussi acheter certains dirigeants en leur promettant qu'ils auraient l'oreille du pouvoir ; ou encore provoquer une scission, dresser les syndicats les uns contre les autres ou semer la zizanie entre les consommateurs et les syndicats. Ainsi, l'hiver dernier l'activité soit-disant subversive des automobilistes de Vladivostok (4) a été présentée comme dirigée contre les travailleurs des usines automobiles russes.
Face à ces manœuvres en tous genres la réaction des syndicats est avant tout de défendre leur indépendance et leur cohésion. Certes, certains dirigeants se sont laissés corrompre, d'autres (très peu) ont pris peur, mais la majorité d'entre eux a choisi d'unir leurs efforts et de développer la solidarité.
Ainsi, le syndicat de l'usine Ford (région de Saint Pétersbourg) a lancé une campagne de solidarité avec le slogan : " les ouvriers de Saint Pétersbourg ne sont pas les ennemis des ouvriers d'Extrême Orient », auquel la Société des citoyens actifs de Russie (un mouvement en réseau né fin 2008 pour protester contre l'augmentation des droits de douane sur les voitures importées) a répondu : " les ouvriers d'Extrême-Orient ne sont pas les ennemis des ouvriers de Pétersbourg ». Quant aux syndicats indépendants ils ont lancé un processus unitaire avec la préparation d'un processus de fusion entre la Confédération panrusse du travail (VKT) et la Confédération du travail de Russie (KTR).
Ces derniers temps, des syndicats de différentes branches, régions ou unions ont signé des accords d'aide mutuel. C'est le cas de l'accord entre le syndicat APK (qui fait partie de la FNPR), de la filiale de Iaroslav de la firme Baltika et du MPRA (qui est dans la VKT) de Ford Motor Company. Autre exemple : l'accord entre le syndicat de la firme Packaging et le syndicat de Leroy Merlin (branche " commerce » de la FNPR).
Comme on le voit, on assiste à des dynamiques contradictoires au sein du mouvement syndical : d'un côté on observe un morcellement, de l'autre une consolidation.
Quant au pouvoir, d'un côté il aide les entrepreneurs à neutraliser les syndicats, de l'autre il favorise les économies de main-d'œuvre, mais se garde bien de toucher aux bonus, bénéfices et autres dividendes des actionnaires et des directeurs. Si de l'argent est dégagé du budget fédéral pour soutenir les grosses entreprises, par contre, on pratique des coupes sombres dans les dépenses sociales et concernant l'indexation des salaires. En 2010, ni les salaires des fonctionnaires, ni les soldes des militaires, ni le salaire minimal, ni même l'allocation chômage ne seront indexés sur la hausse des prix.
Par cette politique le pouvoir envoie un message clair au patronat : faire des économies sur le dos des travailleurs. Et pour cela on envisage de ne pas respecter la législation du travail : en avril dernier, un document a été signé par le gouvernement, le patronat et la FNPR, document qui affirme la possibilité " d'une suspension temporaire de certains articles des conventions collectives ».
On peut penser que si le pouvoir continue à faire porter aux travailleurs tout le poids de la crise, et cela pour l'unique profit des milieux d'affaires, il finira tôt ou tard par recevoir une réponse forte.
Les résistances spontanées
Au cours de l'année 2009, ce sont les blocages des routes et les rassemblements hors des entreprises qui ont été les principales formes de résistance.
Au départ, les travailleurs, face à la détérioration de leur situation, commencent par s'adresser à la direction de leur entreprise, à engager des négociations par l'intermédiaire du syndicat et à recourir aux autres formes d'action prévues par la législation du travail. Mais comme elles n'ont aucun effet, ils sortent des limites de l'entreprise pour s'adresser à l'opinion publique et aux autorités. En faisant cela, ils n'agissent plus dans le cadre de la législation, ce qui, d'ailleurs, en révèle toutes les limites. Et les actions qui sont menées sont celles de personnes qui désespèrent de pouvoir obtenir le paiement de leur salaire par un autre biais et qui sont très préoccupées par le sort de leur entreprise.
Pour l'année écoulée, on ne dénombre pas moins de 88 actions de rue des travailleurs, essentiellement des meetings de masse, souvent devant les bâtiments des pouvoirs publics. En mai-juin on a assisté à une explosion des blocages de routes (18 cas) à la suite des événements de Pikaliovo (5).
En général, au moins dans les cas où le syndicat y participe, les actions dans la rue sont utilisées comme un moyen supplémentaire de pression et sont associées à d'autres initiatives. Leur objectif : s'adresser à l'opinion publique et au pouvoir politique, afin de casser le face-à-face avec le patron. La plupart ont eu lieu dans des villes mono-industrielles ou dans des cités ouvrières. Très souvent elles ont réuni beaucoup de monde, car le destin de la ville entière ou de la cité dépend du sauvetage de l'unique usine qui y est implantée.
En règle générale, les autorités locales font au moins semblant de prendre des mesures. Mais l'expérience montre qu'il faut l'intervention du pouvoir fédéral pour que les propriétaires et les pouvoirs locaux bougent réellement. C'est la raison pour laquelle le barrage des routes à grande circulation (ou la menace d'un tel barrage), accompagné d'autres actions, est devenu l'instrument le plus efficace. C'est le gouvernement lui-même qui l'a fait comprendre après Pikaliovo : " Vous voulez toucher votre salaire, alors barrez les routes, sinon le pouvoir ne se souciera pas de vous ! ». Le savon que le président Dimitri Medvedev a passé à ses représentants et aux gouverneurs, les menaçant de les destituer de leur fonction au cas où sur leur territoire des événements comparables à ceux de Pikaliovo se reproduiraient, a produit son effet : parfois la seule menace d'un barrage de route a suffi pour que les autorités locales acceptent de prendre à leur charge les dettes des patrons privés.
L'État a-t-il suffisamment de moyens pour éteindre ces incendies et se substituer aux patrons voleurs et irresponsables ? Visiblement, non. Le gouvernement a tiré la sonnette d'alarme à la fin de l'année, en déposant devant la Douma un projet de loi prévoyant des sanctions très sévères contre ceux qui se rendraient coupables " d'ingérence illégale dans le fonctionnement des transports » (comprendre : le barrage des routes de grande circulation). Le message est clair : oui, il n'y a pas d'argent, oui, il n'y aucune possibilité d'obtenir justice dans les limites de l'entreprise, mais ne vous risquez pas à descendre dans la rue !
Ci-dessous nous évoquons quelques cas significatifs d'action de rue :
► La ville de Pikaliovo (région de St Pétersbourg) a été le symbole de cette nouvelle vague de protestations. Le 2 juin 2009, les habitants de cette ville ont bloqué le trafic sur la route nationale de Saint Pétersbourg à Vologda. Environ 300 personnes, travailleurs des entreprises de la ville et membres de leurs familles, ont participé à cette action spontanée. Ils revendiquaient de manière très décidée la liquidation de la dette salariale et la remise en route des entreprises. Comme on le sait, Poutine a réagi aussitôt et de façon démonstrative : devant les caméras il a forcé Deripaska, propriétaire de Baseltesemnt-Pikaliovo, à signer un document sur la reprise de la production dans cette entreprise en déshérence. D'une certaine façon, le problème a été réglé. Rappelons que le 20 mai 2009, les habitants, plongés dans le désespoir, avaient tenté de " prendre d'assaut » le bâtiment de la mairie où se déroulait une réunion consacrée aux problèmes de la ville, réunion à laquelle participaient des fonctionnaires locaux, des représentants de la procurature, du fournisseur de gaz et des propriétaires des entreprises.
► Région de l'Altaï : les travailleurs de l'entreprise ATE-Pièces détachées (et d'autres firmes issues du dépeçage de l'ancienne usine de tracteurs, un géant de la période soviétique) ont commencé à brandir la menace d'un nouveau Pikaliovo. Dans des lettres ouvertes, ils faisaient part de leur intention de dresser des barrages sur la route principale et la voie ferrée. Dès le 18 juin ils organisaient un piquet non autorisé en face du bâtiment de l'administration de la région de l'Altaï. Cette action avait été déclenchée par l'annonce de la venue à Barnaul de Vladimir Poutine. Suite à l'intervention des forces de l'ordre, l'action fut interrompue, mais les autorités n'osent pas réprimer les participants, non seulement elles prennent en charge une partie de la dette salariale mais aussi cherchent à remplir pour un temps le carnet de commandes de l'entreprise. En juillet, les ouvriers de l'usine, des membres de leurs familles et des habitants de la ville de Roubtsovsk, solidaires, mènent une série d'actions dans la rue, y compris une nouvelle tentative de bloquer la route principale mais ils sont repoussés par les forces spéciales (Omon). À partir de septembre, la section locale du PC de la Fédération de Russie se mobilise et apporte un soutien logistique à l'organisation de déplacements et d'actions de protestation. Toutefois, certains observateurs considèrent que ce soutien avait surtout pour objectif de prévenir une explosion sociale et d'empêcher un nouveau blocage des routes. La dernière action des ouvriers d'Alttrak a eu lieu le 1er décembre 2009 à Novosibirsk dans les bureaux de RATM à qui appartient l'usine (plus de 1100 travailleurs participaient à ce rassemblement). Dans la mesure où la ville de Roubtsovsk (150 000 habitants) est entièrement dépendante d'Alttrak et des sous-traitants, les deux revendications principales des ouvriers sont la relance de la production et le paiement de la dette salariale.
► Région de Kirov : les villes mono-industrielles de la région de Kirov ont aussi connu des mobilisations des travailleurs pour sauver leur usine et leur ville. Ils ont été soutenus par la section locale du RKRP (6) en la personne de V. Touroulo, député de l'assemblée.
● Les ouvriers de l'usine d'armement Molot, dans la ville de Vjatskie Poljany, sont descendus dans la rue à différentes reprises. Le 26 juin 2009 un meeting s'est tenu devant les locaux de la direction de l'usine où étaient réunis les actionnaires. Ce n'était pas la première mobilisation des travailleurs qui ne percevaient pas leur salaire depuis plusieurs mois. Le même jour l'usine a reçu une subvention de l'État et les travailleurs de l'usine ont touché trois mois d'arriérés de salaire. Le 14 octobre 2009 a eu lieu une nouvelle action avec une grève d'avertissement qui se transforma en meeting spontané pour réclamer le versement intégral des salaires en retard.
● Les habitants de Kirovo Tchepetsk se sont mobilisés pour sauver leur ville d'une catastrophe écologique. Le meeting qui s'est tenu le 8 septembre devant l'usine Velkont a débouché sur la création d'un Comité pour la sauvegarde de la ville qui aura pour tâche de contrôler les entreprises et l'administration locale sur le plan écologique.
● A Strijki les ouvriers se battent pour garder l'usine Silikat, y compris en la transformant en usine sous contrôle ouvrier (ce qui juridiquement est très compliqué). Durant l'été ont eu lieu une série d'actions pour réclamer le paiement des salaires, non payés depuis fin 2008, mais aussi pour le maintien des postes de travail et sauver l'usine de la banqueroute. En juillet un comité de sauvetage de la ville a été créé ainsi qu'un syndicat Zachtchita. Le 14 décembre, les ouvriers sont allés à Kirov où ils ont tenu un meeting devant le bâtiment de l'administration régionale, exigeant le maintien en activité de l'entreprise et réclamant le droit pour le collectif des travailleurs de racheter l'usine avec l'aide de l'état pour la transformer en usine autogérée.
► Région d'Ivanovo : Les travailleurs de plusieurs usines sont en ébullition, toujours en raison du non-paiement des salaires.
● Le 5 mars les habitants de la cité où vivent les travailleurs de l'usine Petrovski ont organisé un meeting devant les locaux de la direction pour réclamer le paiement des salaires et demander que soit mis fin à la liquidation de l'entreprise. Le 30 juin les ouvriers planifiaient une " marche des travailleurs sur Moscou », mais finalement décidaient de reporter cette action compte tenu de certaines avancées concernant le paiement des salaires et le sauvetage de l'usine, suite à des pressions sur la direction de la part des autorités locales. A l'annonce de la marche, le gouverneur de la région d'Ivanovo a invité le dirigeant du comité d'initiative pour des négociations, promettant la reprise de la production et l'extinction de la dette salariale en échange de l'annulation de la marche.
● Le 27 juin les ouvriers du combinat Menanjevo ont organisé une marche (non autorisée) devant le bâtiment de l'administration locale.
► Oural : La situation dans l'Oural est très tendue.
● Le 23 juin les ouvriers de l'usine de porcelaine de Bogdanovtchisk (région de Sverdlovsk) ont tenté de bloquer la nationale pour sauver leur entreprise. 150 personnes participaient à cette action spontanée pour réclamer le rétablissement des livraisons de gaz suspendues le matin même en raison des dettes de l'entreprise. Les autorités régionales réagirent sur le champ et suite à leur intervention les livraisons de gaz furent rétablies quelques heures avant que l'arrêt des fours n'ait provoqué des conséquences irréversibles.
● Le 22 juillet, les travailleurs de l'entreprise Kuzbasselement dans la ville de Leninsk Kuznetsk ont organisé un piquet durant quatre heures et bloqué l'avenue Lénine dans le centre-ville. Environ 300 ouvriers (certains avec leurs enfants), réduits au désespoir, réclamaient le paiement de leur salaire, non versé depuis 10 mois. Le trafic fut pratiquement paralysé, ce qui força l'administration de la ville à réagir. Le vice-gouverneur vint à la rencontre des manifestants avec des promesses. Mais les participants au meeting refusèrent de bouger tant qu'ils ne recevraient pas leur argent. Et les passions ne sont retombées qu'après que l'argent des salaires (30 millions de roubles pris sur le budget régional) ait été versé sur les comptes des travailleurs.
● Dans les mines de bauxite de l'oligarque Deripaska, un nouveau conflit est en train de mûrir (7). Les membres de l'Institut d'Action Collective (IKD) en sont convaincus après s'être rendus sur le terrain en septembre à Severouralsk. Dès le 5 juin, 100 mineurs de la mine de Severouralsk (qui fait partie du holding RusAl) ont organisé un piquet devant les bureaux de la direction, en frappant une heure durant le sol avec leurs casques : ils protestaient contre la suppression des rations alimentaires, les bas salaires et l'insécurité dans la mine qui avait déjà causé plusieurs accidents.
En septembre, dans différentes mines, à l'initiative du syndicat NPG (8), une réunion était prévue pour discuter des revendications et définir un plan d'action. Mais les gardiens et les responsables de la direction ont bloqué la réunion, menaçant de licenciement tous ceux qui y participeraient. Comme le fait remarquer Valeri Zolotarev, président du NPG à la mine de Severouralsk, " aujourd'hui on revoit tout ce qui s'est passé à la veille de la grève de mars 2008, on dirait qu'ils n'ont rien compris ». Rappelons qu'alors 123 mineurs de la mine Krasnaïa Chapochka appartenant à l'équipe n° 3 avaient décidé spontanément de rester au fond à la fin de leur travail.
► À Kaliningrad, ce sont les travailleurs de KDAvia qui se sont mobilisés de la manière la plus conséquente pour le paiement des arriérés de salaire. En juillet, différentes catégories de personnel lancent des grèves de courte durée, à la suite desquelles la Procurature a ouvert plusieurs informations. Puis ce sont des meetings. Avec le soutien du PC de la Fédération de Russie et d'autres organisations sociales et politiques, un meeting se tient dans le centre-ville réunissant 500 des 2000 travailleurs de l'entreprise. En novembre, après plusieurs mois de mobilisation, les travailleurs obtiennent une compensation partielle pour les salaires non versés et un soutien matériel en provenance du budget de la région.
► Région de Iaroslav : de janvier à avril, ont eu lieu une série de meetings des travailleurs de l'usine de moteurs et des habitants de Toutaev. A la suite de quoi, le maire de Toutaev a démissionné. A Kourgan, à l'initiative du syndicat Zachtchita, les travailleurs de plusieurs entreprises, en premier lieu de Region Avtotrans Kourgan et de Promstroï, ont durant l'été et à l'automne mené toute une série d'actions à propos de la dette salariale : piquets, grèves de la faim, manifestations dans les bureaux de l'administration.
► Région de Vladivostok : L'Extrême Orient n'a pas été épargné par les conflits, et cela dans tous les secteurs.
● Le 13 mai à Vladivostok, s'est tenu un meeting des travailleurs des chantiers de réparation navale militaires, à l'initiative de la Fédération des syndicats de la région de Vladivostok. 400 personnes y participaient : les orateurs ont dénoncé le non-respect généralisé du Code du travail, le non-paiement des salaires, l'augmentation non justifiée du personnel administratif.
● Les habitants de Svetlogorie poursuivent le combat. Le 4 avril la majorité d'entre eux (environ 1000 personnes) ont participé à un meeting pour réclamer la liquidation de la dette salariale (les salaires ne sont pas versés depuis plusieurs mois) au combinat Russki Volfram, et organiser des repas gratuits pour les enfants. A l'époque toute la cité mourrait de faim. Depuis le mois d'août l'entreprise a repris la production et à la fin de l'année, Svetlogorie a été intégrée dans le programme gouvernemental de développement des villes mono-industrielles.
● Les ouvriers des entreprises d'extraction minière et de retraitement du minerai de la région de Vladivostok se sont également mobilisés. Le 11 mars plus de 1000 d'entre eux ont manifesté dans les rues de Dalnegorsk pour réclamer une baisse des tarifs des services communaux et demander que les salaires soient versés régulièrement. C'est le syndicat du combinat Bor qui en était à l'initiative, soutenu par les syndicats de la métallurgie et de la chimie de la région. Des représentants des syndicats de la santé, de l'éducation, de la culture et de l'industrie du bois étaient présents pour exprimer leur solidarité.
► Le Grand Nord (au-delà du cercle polaire) a également été le théâtre de mobilisations.
● Le 24 mai plus de mille personnes ont participé à un meeting à Vorkuta sur la principale place de la ville. Les mineurs et les habitants de la ville ont exigé de la direction de Vorkutaougol qu'elle renonce au plan de réduction des effectifs, et des autorités de la ville qu'elles bloquent l'augmentation des tarifs des services communaux. Les manifestants ont également réclamé que les veuves des mineurs morts dans les mines soient réinstallées dans une autre région (cent familles ont déposé des demandes).
● Le 10 avril à Mourmansk, à l'initiative de la section régionale du Syndicat de la flotte du Nord, s'est tenu un meeting auquel participaient quelques centaines d'ouvriers venus de huit entreprises travaillant pour l'armée. Les participants réclamaient du Ministère de la Défense l'extinction de la dette salariale. Cette action a payé et une partie de l'argent a été versée.
● Une autre action a eu un impact comparable aux événements de Pikaliovo, par son importance et du fait qu'elle a eu lieu à l'initiative de personnels généralement passifs : des médecins et des personnels hospitaliers ont manifesté pour défendre le système de santé. Le 19 mais, à Arkhangelsk, 450 personnes ont participé à un meeting : des médecins d'Arkhangelsk, de Severodvinsk, de Novodvinsk ainsi que des spécialistes venus de la région. Ils ont réclamé que les hôpitaux soient équipés d'un matériel performant indispensable pour assurer des soins de qualité, revendiqué de meilleures conditions de travail ainsi qu'une augmentation des salaires, et demandé que soit mis fin au manque de personnel dans les cliniques de la région. Le 29 juin, un piquet a été organisé sur le territoire de l'hôpital pour soutenir les médecins menacés de sanction. On en est arrivé au point que les médecins ont menacé de faire grève !
► Togliatti : on ne peut pas ne pas mentionner les meetings de masse à l'usine Avtovaz de Togliatti. Les actions entreprises pour que soit sauvé ce géant de l'automobile et pour le maintien des postes de travail ne laissent pas insensibles les autorités tant à l'échelon régional que fédéral : de là un déluge de promesses (souvent gratuites), de menaces, de plans de restructuration soft et autres manœuvres en tous genres. Malgré de fortes pressions et grâce à la ténacité du syndicat indépendant Edinstvo, deux meetings relativement importants (plus de 2000 personnes) ont eu lieu le 6 août et le 17 octobre sur la place du Palais de la Culture et de la technique de l'usine. Ce qui se joue actuellement à Togliatti c'est la capacité du mouvement syndical et, plus largement, social à construire un front large capable d'influencer la politique du gouvernement pour les villes-usines. Piotr Zolotarev, président du syndicat Edinstvo l'a formulé clairement : " Nous ne resterons pas passifs face à la volonté d'expérimenter à Togliatti un nouveau plan pour les villes-usines. Nous voulons sauver notre ville, notre industrie. Nous cherchons les moyens qui nous permettront d'influer sur notre destin, de telle sorte que les intérêts des travailleurs et des habitants soient pris en compte ».
En résumé, on doit noter que là où les actions collectives ont été menées de façon conséquente et ont été accompagnées de menaces de blocage des routes ainsi que dans le cas des villes construites autour d'une seule usine, les pouvoirs publics à l'échelon régional et fédéral ont dû intervenir et prendre à leur charge, au moins en partie, les dettes des propriétaires qui avaient conduit leurs entreprises à la faillite.
Le maintien du potentiel de grève
Comme en 2008, ce qui domine ce sont les " grèves de crise » où l'arrêt de travail est déclenché par le non-paiement des salaires (une des rares formes de grève prévue par le Code du travail). Mais il y a eu également des grèves offensives au vrai sens du terme : un arrêt collectif du travail pour défendre un ensemble de revendications face à un patron qui ne veut rien entendre. Au cours de l'année 2009, on a dénombré 70 cas de grève, les deux tiers pouvant être caractérisées comme des " grèves de crise ».
Les grèves de crise.
Jusqu'en mai 2009, les travailleurs, à l'initiative de leur syndicat, ont utilisé leur droit de refus individuel de travailler, une forme légale de grève. Les actions prennent alors la forme d'un ensemble de refus individuels organisés collectivement face au non-paiement du salaire (article 142 du Code de travail). Mais cette forme d'action perd de son efficacité dans les périodes où les travailleurs redoutent avant tout l'arrêt de la production et la perte de leur emploi. Néanmoins, dans la majorité des cas, cette forme de grève a donné des résultats, avec le paiement au moins en partie des salaires.
Quelques exemples :
● Courant septembre, les travailleurs du onzième secteur des services communaux de la ville d'Orel ont fait grève. La grève sur le tas des gardiens d'immeuble, des techniciens des services sanitaires et des services des eaux a duré une semaine. La raison : le non-paiement des salaires depuis le mois de juillet.
● A la mine Tchikh, dans la région de Rostov, les mineurs ont fait plusieurs grèves, y compris au fond de la mine. Début octobre, plusieurs d'entre eux y ont fait une grève pour réclamer la liquidation de la dette salariale. Plus de cent collègues les soutenaient en surface. Résultat : le directeur fut licencié et le propriétaire de la mine a promis de liquider la dette salariale pour le mois d'août. Auparavant, le 24 juin, 34 mineurs s'étaient mis en grève et avaient refusé de remonter. Et cet épisode avait déjà été précédé par d'autres grèves " au fond », et à chaque fois avec quelques résultats, même si les retards de salaire ont toujours très vite recommencé.
● Le 14 septembre au chantier naval d'Astrakhan " Troisième Internationale », les ouvriers ont cessé le travail pour réclamer le paiement des salaires. Ont participé à l'action cinquante personnes. Après des négociations en présence d'Oleg Shein, député à la Douma, la direction promettait de payer le jour même une partie des salaires en retard.
● Usine Kalibrov à Moscou. Une journée de grève (22 juin) a suffi pour faire céder la direction sur les retards de salaires. Nouvelle grève le 3 août, leur non-paiement ayant recommencé.
● Usine de réparation navale de Tchajminsk (région de Vladivostok) : plus de 50 ouvriers ont cessé le travail du 20 juillet au 3 août à cause de 5 mois de retard pour les salaires. Dès le 24 juillet une partie des arriérés était versée, et le 3 août les travailleurs reprenaient le travail, les salaires de juin ayant été versés. Seuls cinq travailleurs décidaient de poursuivre la grève jusqu'à leur paiement intégral.
● Mine Enisseï : après une grève de 24 h sous terre (27 - 28 mai) les mineurs ont obtenu satisfaction.
● Les soudeurs de l'atelier 45 de TagAz ont cessé le travail le 23 mai mais, face aux menaces de la direction, ils ont arrêté leur mouvement.
Des grèves analogues ont également eu lieu au combinat de construction de Krasnodar (trois mois de salaires non payés), au combinat de construction de Linetsk (région de Novosibirsk, 4 mois de salaires impayés), à la mine de la compagnie minière de Abakan (république de Khakassie, 3 mois d'impayés), à l'usine mécanique de Katav Ivanovo (région de Tcheliabinsk, 5 mois de retard dans le paiement des salaires), à l'usine de réparation automobile n° 96 de la Flotte du Nord à Mourmachi (région de Mourmansk, 5 mois de retard), à l'atelier 26 de l'usine automobile de Taganrog (4 mois de salaire impayés), à Ouralesprom (région de Sverdlovsk, 3 mois d'impayés). Ces grèves ont, souvent, eu lieu avec l'aide des syndicats ; certaines ont été prises en charge par un comité d'initiative spécifique.
Les grèves offensives
Malgré la crise et un certain recul des syndicats à l'échelle globale, on a observé au cours de l'année écoulée des grèves offensives où les travailleurs non seulement se mobilisent contre une détérioration de leur situation mais aussi pour une amélioration de celle-ci. Ces actions peuvent être spontanées ou prendre la forme d'un arrêt de travail collectif organisé par le syndicat dans le cadre d'un conflit de travail ou en référence aux conditions de travail. Il y a eu également des cas où, avec le soutien du syndicat, la méthode de lutte retenue a été la baisse du rythme de travail et le respect strict des consignes (" grève à l'italienne »). Le mode le plus fréquent est la menace de se mettre en grève lorsque le degré de mobilisation la rend crédible.
Quelques exemples de grève spontanée :
● Le 15 mai à l'entreprise Lipetskkompleks les ouvriers de l'atelier de fabrication de saucissons ont cessé le travail en raison des mauvaises conditions de travail, des bas salaires et du système policier de contrôle. La direction ayant menacé de déposer plainte contre les grévistes, ces derniers ont repris le travail.
● A la mine Korkin (région de Tcheliabinsk), le 21 juillet les mineurs mécontents des salaires de misère, ont commencé une grève. Les trois équipes ont refusé de travailler et ont cherché à rencontrer la direction pour réclamer une augmentation de salaire (d'environ 6000 roubles soit 167 euros).
En général, les grèves spontanées prennent fin rapidement, car il est facile pour la direction d'intimider les travailleurs en les menaçant de porter plainte pour grève illégale.
Avec l'aide de leur syndicat et en s'appuyant sur la législation, les travailleurs ont trouvé d'autres moyens légaux de lutte. Par exemple, à l'usine Volkswagen de Kalouga les ouvriers de la chaîne de montage, en se référant à l'article 379 du Code du travail ont refusé de travailler pendant quelques jours (à compter du 15 juin), la chaleur insupportable régnant dans l'atelier présentant une " menace pour la vie et la santé ».
Le 7 septembre à l'usine GMAuto à Saint-Pétersbourg, la chaîne a été stoppée à l'atelier de soudure pour non-respect de la sécurité du travail suite à la rupture, à trois reprises, d'une conduite de refroidissement qui passe à proximité immédiate des ouvriers.
La grève " à l'italienne » qui a connu le plus de retentissement a eu lieu précisément dans cette usine GMAuto du 11 au 20 novembre. Le 11 novembre, à l'initiative du syndicat MPRA un groupe de travailleurs de l'atelier de montage a ralenti au maximum le rythme de travail, donnant le signal de départ à cette grève " à l'italienne ». Le syndicat demandait la convocation immédiate d'une Conférence du collectif de l'usine, la suppression des primes annuelles avec la garantie d'une hausse des salaires de 8 % compte non tenu du réajustement en fonction de l'inflation, des règles strictes concernant les congés et, surtout, l'abandon du décompte annuel des heures de travail et le retour à la semaine de 40 heures. Il faut souligner qu'ont participé au mouvement non seulement les membres du syndicat mais aussi des travailleurs de la base. Pendant quelques heures l'atelier de peinture a stoppé la chaîne de montage, mais suite à des " explications convaincantes » de la direction, il a repris le travail à plein régime. Toutefois, le plan de production de voitures ne fut pas réalisé. Officiellement la direction n'a reconnu aucune grève, mais le 20 novembre E. Ivanov, président du syndicat MPRA était licencié sous prétexte d'une " absence injustifiée ».
Les actions organisées par le syndicat sont plus efficaces lorsqu'elles consistent à brandir la menace d'une grève à l'occasion d'un conflit du travail. C'est ce qui s'est passé avec succès le 19 mai lorsque, suite à une menace de grève, les contrôleurs aériens ont obtenu de la direction fédérale des transports aériens la prolongation de la convention collective en cours. Il est vrai que le syndicat a payé cher ce succès avec la suppression de son local.
Si l'année écoulée il n'y a pas eu de grèves offensives au vrai sens du terme, la menace de grève, rendue crédible par le niveau de mobilisation, a été utilisée avec succès par certains syndicats actifs à l'occasion d'un conflit du travail :
● A l'usine Danone Industrie (région de Moscou), à l'initiative du Comité syndical (qui fait partie de Sotsprof), le 2 décembre un conflit du travail a éclaté. La direction de l'usine a reçu un préavis de grève à compter du 15 décembre si une commission de conciliation n'était pas formée d'ici là et si les revendications mises en avant par le syndicat n'étaient pas satisfaites. Dès le 11 décembre, la direction acceptait de négocier. Les revendications avancées par le syndicat étaient formulées avec précision et solidement argumentées sur le plan juridique. Elles concernaient la régulation du temps de travail, le profil des postes, les normes et les consignes au travail, le travail intérimaire, et les mesures discriminatoires à l'encontre des militants syndicaux.
● La même démarche a été utilisée par le syndicat des métallurgistes Sotsprof à l'usine KarelskiOkatych, mais dans cette entreprise les militants syndicaux se heurtent à une résistance farouche de la part de la direction, qui n'a pas hésité à faire intervenir les forces de sécurité pour empêcher une réunion syndicale le 20 octobre. Toutefois, l'activité et la détermination dont a fait preuve le syndicat a gagné à la cause syndicale de nombreux travailleurs.
● Dernier exemple : le lancement de la campagne contre le travail intérimaire (recrutement par des agences spécialisées dans l'externalisation). Suite à des actions menées par des travailleuses de la fabrique de confiserie Babaevski (Moscou) recrutées par l'agence Petroline et non payées, différents syndicats, dont l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation (IUF) ont organisé en novembre et décembre des piquets dans différentes villes du pays avec les mêmes revendications : stopper le recours à l'externalisation et les autres formes d'emploi non standard. Dans ce cas les syndicats ont agi de manière préventive pour s'opposer à la légalisation de formes d'emploi, qui privent les travailleurs des garanties encore existantes.
Grèves de la faim
Malheureusement, depuis le printemps 2009, les cas de grève de la faim se sont multipliés (au moins 20 cas recensés), bien que cette méthode soit peu efficace pour faire pression sur le patron et surtout nuisible et dangereuse pour la santé des personnes. En général, les travailleurs ont recours à des grèves de la faim, quand seule une petite partie du collectif est prête à se mobiliser de façon active (c'est-à-dire qu'ils se retrouvent confrontés à une absence de solidarité) ou encore lorsque survient la faillite de l'entreprise. Le plus souvent, au bout d'un certain temps, les grévistes de la faim mettent un terme à leur action suite à la promesse d'éteindre la dette salariale, mais ces promesses restent lettre morte si la grève de la faim n'est pas suivie par des actions de masse plus actives .
On peut citer un grand nombre d'exemples de grèves de la faim qui ont échoué et qui ont contribué à démoraliser les travailleurs :
● Le 1er juin, les personnels navigants de la compagnie d'aviation KraAir, qui exigeaient la liquidation totale de la dette salariale (plusieurs mois de salaires impayés) ont cessé une grève de la faim de 19 jours. Bien qu'ils n'aient pas obtenu satisfaction ils ont interrompu leur mouvement en raison d'une brusque aggravation de leur état de santé.
● Le 29 juin, les cheminots de Severomuïsk ont arrêté leur grève de la faim après sept jours, car des progrès avaient eu lieu concernant la question de la réduction des effectifs et la baisse des salaires ;
● À Akhtubinsk, les employés municipaux de l'entreprise CentrJilKomKhoz ont entrepris une grève de la faim " par équipes », la seconde depuis le début de l'année. Par là, les travailleurs, à l'initiative de leur syndicat Zachtchita cherchent à s'opposer à la faillite " organisée » de la seule entreprise de services de la ville. Mais cette action n'a suscité aucune réaction de la part des autorités locales ;
● En janvier 2009, en raison du non-paiement des salaires, des ouvriers de l'usine militaire n° 111 de Briansk ont mené une grève de la faim. Les participants à cette action ont dû être hospitalisés au bout de 10 jours. La grève de la faim a été interrompue bien que les salaires n'aient pas été payés. Cela faisait sept mois que les 421 travailleurs de l'entreprise n'avaient pas touché leur salaire.
● En février et de nouveau en mars des travailleurs de l'usine métallurgique de Zlatoustovo (région de Tcheliabinsk) ont organisé une action pour protester contre les baisses de salaires. La première grève de la faim (le 16 février) avait forcé la direction de l'entreprise à réagir et à reculer, au moins verbalement. Comme le problème restait en l'état, l'action a été relancée le 10 mars. Cette fois, la direction de l'entreprise a accusé les grévistes de la faim " d'extrémisme politique ».
Dans quelques rares occasions, cette forme d'action a permis d'obtenir le paiement des salaires. Surtout lorsque les travailleurs ont associé la grève de la faim à d'autres formes d'action, ou encore lorsque la grève de la faim a eu une résonance importante dans l'opinion et dans les médias. C'est le cas de la mine Tchikh (région de Rostov) où le 23 juin trente mineurs ont entrepris une grève de la faim au fond de la mine : dès le 25 juin les grévistes remontaient à l'air libre, dans la mesure où leur action avait provoqué une véritable panique parmi les bureaucrates de la région. Le vice-gouverneur et le ministre de l'énergie sont venus en personne à la mine. Auparavant, en mars, les mineurs avaient fait grève en restant au fond de la mine.
A l'usine de cellulose du Baïkal, suite à une grève massive de la faim (à laquelle participèrent soixante personnes installées dans un village de tentes monté devant les bâtiments de l'administration de Baïkalsk) combinée à des piquets et des meetings à répétition, le paiement des salaires a débuté le 8 juin.
A Iamala, le 10 août, après deux semaines de grève de la faim, les travailleurs de la compagnie d'exploration géologique Severnaïa Ekspedicija ont obtenu le paiement de la dette salariale. Auparavant, du 25 juin au 3 juillet, une première grève de la faim avait eu lieu et s'était arrêtée à la suite de promesses de la direction.
Quelques remarques pour tirer les leçons
La dynamique que connaissait le mouvement syndical et ouvrier a connu un ralentissement.
Les faits exposés ci-dessus font apparaître une poussée des actions spontanées à l'échelon local comme les actions de rue avec menace de blocage des routes, et cela en premier lieu dans les villes mono-industrielles. Grâce à l'effet " Pikaliovo », ces actions sont devenues le moyen le plus efficace pour que les autorités s'impliquent dans la recherche d'une solution. A l'occasion de ces actions sont soulevées des questions qui ne se limitent pas à la dette salariale : pratiquement, dans tous les cas, ce qui est en jeu c'est le sauvetage de l'entreprise. Pour cette raison, les travailleurs s'adressent de plus en plus souvent à l'État pour exiger la nationalisation de l'entreprise ou, en tout cas, pour lui demander de " mettre de l'ordre » dans la situation et de poursuivre le propriétaire " déficient ». De ce point de vue, on peut parler d'une certaine politisation des conflits sociaux, mais avec des limites : le terme " nationalisation » désigne le plus souvent une aide de l'État sous une forme ou sous une autre, et non un véritable changement de politique économique.
Globalement, les conflits pour l'année 2009 ont un caractère défensif et les actions offensives de la part des travailleurs, auxquelles on avait assisté en 2007-2008, sont rares, bien que ce potentiel existe toujours avec les conflits collectifs déclenchés à l'initiative du syndicat et les menaces de grève.
Dans les conditions de la crise actuelle, les conflits ne restent pas confinés dans les limites de l'entreprise. Le nombre des actions spontanées menées dans la rue a connu une forte augmentation, indiquant que les conflits ne peuvent trouver de solution au sein même de l'entreprise, surtout compte tenu de la législation du travail actuel. De plus, les travailleurs ont élargi l'arsenal des formes d'action, expérimentant toute forme susceptible d'avoir une certaine efficacité. La majorité de ces actions prennent des formes non prévues par la législation sur les conflits du travail. Et cela non parce que les personnes seraient tentées de ne pas respecter la loi — bien au contraire, les compétences juridiques des ouvriers et des syndicats ne cessent de croître, de même que leur capacité à utiliser la loi à leur avantage — mais parce que la législation existante ne permet pas une solution effective des conflits du travail.
Enfin, il faut souligner une autre caractéristique importante de la vague de protestations actuelle : les conflits éclatent de manière spontanée et désordonnée et ne se fondent pas dans un mouvement de masse capable de durer, seul à même de peser sur la manière de sortir de la crise : sur le dos des travailleurs ou celui des patrons ? Pour l'instant, les initiatives du pouvoir et des grands capitalistes vont dans le sens d'une sortie de crise sur le dos des travailleurs (baisse des salaires, réduction d'effectifs, non-paiement des salaires) et nullement dans le sens d'une réduction des bénéfices, des dividendes et des bonus accumulés durant la période précédente. Pire encore : l'État prend en charge les dettes des patrons qui refusent d'en assumer la responsabilité face aux travailleurs : pour les dettes de Deripaska et des autres oligarques, ce sont les contribuables et donc une fois encore les travailleurs qui paient.
L'absence de mouvement d'ensemble tient au fait que les conflits sont très limités dans l'espace, à l'absence de structure à même de les coordonner et de liens horizontaux entre les collectifs en lutte. La seule chose qui existe est un espace médiatique commun avec " Un, deux, trois Pikaliovo ».
Pour qu'un mouvement de masse conséquent se développe il faut une structure organisationnelle, des organes de coordination et une solidarité entre les syndicats, toutes choses que s'efforcent d'empêcher le pouvoir et les patrons avec leur politique de répression et de division du mouvement syndical.
Enfin, ce morcellement des luttes s'explique aussi par le fait que les conflits les plus durs ont lieu en dehors des syndicats alternatifs et de leurs réseaux. Ces syndicats connaissent de sérieuses difficultés dans les entreprises : ils subissent les conséquences de la crise (notamment dans l'industrie automobile) et sont victimes de pressions très dures de la part des autorités et des employeurs. Cela les conduit à se concentrer à l'organisation de la lutte là où ils sont réellement implantés et à renforcer leurs structures organisationnelles. Quant à la Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR), sa direction n'est en aucune façon intéressée à participer à une coordination et à une consolidation d'un mouvement d'ensemble pour la défense des droits des travailleurs.
Tout cela explique qu'en raison de la crise et des réactions des différents acteurs face à cette crise, le processus de consolidation du mouvement syndical et ouvrier a connu un net ralentissement.
Néanmoins, l'apparition de nouveaux leaders dans la vague d'actions spontanées et l'activisation de certaines organisations locales de la FNPR constituent une tendance positive. Même si dans la plupart des cas, les dirigeants des mouvements se plaignent du soutien très faible de la part de la direction de la FNPR à l'échelon fédéral mais aussi dans les différentes branches. Contrepartie positive : certains syndicats affiliés à la FNPR commencent à mener des batailles au sein de leurs branches et à affirmer leur indépendance.
Il faut encore une fois insister sur le caractère contradictoire de la dynamique actuelle : d'un côté un morcellement, de l'autre, une consolidation.
Les perspectives de transcroissance des actions locales et éclatées
En dépit de toutes les difficultés dues à la crise mais aussi aux pressions exercées sur l'aile organisée du mouvement ouvrier, la tendance vers une consolidation se poursuit, malgré un certain ralentissement. Les syndicats combatifs coopèrent de plus en plus entre eux, mais aussi avec d'autres mouvements sociaux et avec les militants politiques.
Il est clair que pour obtenir une amélioration de la situation concernant les droits des travailleurs dans cette période de crise, il est indispensable de développer une campagne de masse avec la participation de toutes les composantes du mouvement social : seule une telle campagne peut forcer le gouvernement à renoncer à sa politique actuelle de sortie de crise, synonyme de détérioration de la situation des travailleurs et de violation de leurs droits.
On a assisté à certains pas, encore isolés, dans cette direction. Le Syndicat interrégional de la construction automobile (Mpra) a pris l'initiative d'une campagne de masse sur le mot d'ordre " les ouvriers ne doivent pas payer pour la crise ». Et le 14 février 2009 une première action interrégionale a été menée sur lui..
Le 19 avril, lors du Forum social de l'Oural, des militants — en premier appartenant à l'Union des comités de coordination, SKS (9) et à certains syndicats alternatifs — se sont mis d'accord pour mener ensemble une campagne pour la défense des droits des travailleurs et ont défini en commun une liste de propositions pour que la sortie de crise ne fasse pas " sur le dos du peuple ». Parmi les revendications prioritaires : fournir aux syndicats une information sur la situation économique et financière réelle des entreprises et leur garantir le droit de contrôle sur les mesures adoptées pour sortir de la crise. Mais la campagne s'est développée mollement, au moins pendant les journées unitaires (10-17 octobre) : toutes les régions ne se sont pas mobilisées, et nulle part les syndicats n'étaient partie prenante.
La volonté de mener des actions avec les syndicats existe chez les militants du mouvement social, en premier lieu au sein du SKS : dans un grand nombre de villes, ils mènent déjà un travail au sein des collectifs de travailleurs, en particulier par l'intermédiaire des ouvriers logés dans des foyers. C'est à cette conclusion que sont arrivés les participants d'un séminaire organisé les 18-19 novembre à Togliatti par le syndicat Edinstvo d'Avtovaz avec le soutien de la Confédération panrusse du travail (VKT) et de l'Institut de la globalisation et des mouvements sociaux (IGSO). Thème du séminaire : " Quelle stratégie syndicale dans les conditions de la crise ? ».
De toute évidence, une telle coopération sera efficace et profitable pour tous les participants si elle se met en place à l'échelle d'une ville autour des questions considérées par tous comme socialement les plus aiguës et les plus importantes. Si la première expérience est une réussite, alors il est parfaitement possible que se mette en place une forme de coordination, qui fait si cruellement défaut dans le pays alors qu'elle est cruciale pour surmonter à la fois le morcellement et le localisme du mouvement pour la défense des droits des travailleurs. À l'heure actuelle ces structures de coordination sont au mieux à l'état embryonnaire.
Les syndicats et les mouvements sociaux ont un rôle décisif à jouer pour apporter une réponse positive à la question de savoir si le mouvement spontané de protestation peut se fondre dans un mouvement organisé capable d'obtenir du gouvernement des mesures concrètes pour la défense des droits des travailleurs.
Le pouvoir lui-même devrait être intéressé à un renforcement du mouvement syndical, car sinon il restera seul face à un déferlement sauvage qui peut avoir des conséquences regrettables pour le pays tout entier. Mais ce à quoi l'on assiste c'est tout le contraire, avec le renforcement des pressions sur les syndicats. Les patrons se débarrassent des militants les plus actifs à coup de licenciements, d'agressions physiques ou encore d'emprisonnements pour des délits montés de toutes pièces. Et on ne peut
2. MPRA : Syndicat interrégional de la construction automobile : réseau syndical animé par les dirigeant du syndicat très combatif de l'usine Ford (région de Saint Petersburg).
3. Une " grève à l'italienne » consiste à réaliser les tâches sur la base d'un strict respect de toutes les normes, ce qui ralentit considérablement les rythmes de production.
4. Sur le mouvement de protestation à Vladivostok, on peut lire l'article " Vladivostok gagné par la fièvre sociale » de J. Sabaté dans le Monde Diplomatique de décembre 2009.
5. Sur les événements de Pikaliovo, voir le reportage de C. Clément " Ces villes à la merci des oligarques, accessible sur le site de A l'encontre, en date du 5 janvier 2010.
6. RKRP : Parti communiste des ouvriers de Russie. Une des organisations issues du défunt PCUS, se revendiquant de Staline. A la différence du PC de la Fédération de Russie, les membres du RKRP sont actifs dans différentes régions et impliqués dans le mouvement social.
7. Pour plus de détails, se reporter à l'article de C. Clément Ces villes à la merci des oligarques (site A l'encontre).
8. NPG : Syndicat indépendant des mineurs. Ce syndicat alternatif est né à la suite des grandes grèves de mineur de l'été 1989.
9. Le SKS est né au lendemain des mobilisations de l'hiver 2005 contre la monétisation des avantages sociaux. Regroupement de différentes associations et mouvements existant à l'échelle d'une ville ou d'une région, le SKS est présent aujourd'hui dans plus de trente régions et anime des campagnes sur différentes questions comme le droit au logement.