Alain Brossat et Sylvia Klingberg, Le Yiddishland révolutionnaire, Éditions Syllepse, Paris 2009, 291 pages, 22 euros
Que reste-t-il des polémiques sur la question nationale juive. Car, comme le rappellent Alain Brossat et Sylvia Klingberg, une telle question était d'actualité (en particulier les développements du Bund autour de la question nationale extraterritoriale), comme partie intégrante d'un internationalisme concret et non d'une mythique construction sioniste. Je partage les critiques avancées contre Rosa Luxembourg et les dirigeants bolcheviques et leur incapacité à saisir les aspirations de ces composantes juives du mouvement ouvrier.
En six chapitres les auteurs font revivre, à travers les récits de rescapés juifs, non seulement les combats du siècle, révolution, guerre d'Espagne, résistance au fascisme, espoirs dans une nouvelle société, mais ils nous rappellent, la place des membres du Yiddishland dans toutes ces histoires.
Destruction des Juifs d'Europe par les nazis, anéantissement d'un espace social, culturel et linguistique, de ses organisations sociales, trahisons et assassinats lors des combats. Les défaites, lorsqu'il était minuit dans le siècle, furent aussi des défaites pour ces acteurs, qui n'étaient pas des victimes passives comme le voudrait une certaine tradition du judaïsme.
Six chapitres pour ne pas oublier la violence du fascisme et du stalinisme, la force de l'espérance et la destruction sans retour du Yiddishland : " Dans l'immensité salée des larmes humaines », " Autour de notre drapeau, groupons-nous ! », " Le ciel d'Espagne », " Silencieuse est la nuit étoilée », " Le chant de la révolution trahie » et " Je suis las des défaites ».
Cette réédition d'un livre paru en 1983 permettra, je l'espère, à de nombreuses et nombreux jeunes lectrices et lecteurs de prendre connaissance d'un pan de la réalité du continent européen aujourd'hui anéanti, d'un pan oublié de l'histoire du mouvement ouvrier et d'un pan de l'histoire juive dénié : " ... ce fil juif et rouge, traversant les sept cercles de l'enfer de notre histoire, nous conduit tout droit aux allées et boutiques obscures de notre époque, à l'absurde, l'illogique, au déraisonnable, à l'irrationnel de ce temps ; à ce bégaiement de l'histoire qu'aucune raison, aucun bilan, aucun discours a posteriori, aucune dissection du passé ne parviennent à épuiser, apprivoiser, réduire à l'état de passé-objet. »
Dans ce livre, le lyrisme des auteurs permet de donner présence au souffle de l'espérance de ces hommes et femmes acteurs et actrices de leur histoire, de l'histoire, de faire revivre leurs engagements.
Appréhender ce Yiddishland, n'est pas seulement rendre mémoire aux vaincu-e-s de l'histoire et ne pas " congédier les fantômes » qui, de Varsovie à la Kolyma, d'Albacete à Auschwitz, viennent à notre rencontre. C'est aussi ouvrir les fenêtres sur " L'étonnante actualité de ces récits diffractés ».
Ressurgit de ma mémoire le phrasé de quelques mots yiddish compréhensibles, de cette langue qui pourrait bien disparaître, de ce patrimoine d'un passé/futur non encore advenu.
Comment alors ne pas conseiller en lectures adjacentes :
● Anthologie de la poésie Yiddish, le miroir d'un peuple, édition de Charles Dobzynski, réédition en 2000 dans la collection Poésie Gallimard ;
● Rachel Ertel : le Shtetl, la bourgade juive de Pologne, Payot 1986 ;
— Claudie Weill : Les cosmopolites, socialisme et judéité en Russie (1797 - 1917), Syllepse 2004 ;
● Moshé Zalcman : histoire véridique de Moshé, ouvrier juif et communiste au temps de Staline, Encres 1977 ;
● et l'ouvrage de Nathan Weinstock : Le pain de la misère, histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, 1984, réédité à La Découverte. ■