1. Une divergence d'analyse
Les Thèses présentées par le secrétariat ont le mérite de fonder le débat de préparation du Congrès sur une analyse globale de la phase économique, politique et sociale, à partir de laquelle développer notre proposition de ligne politique. Cela rompt, au moins dans les pages de Liberazione, avec un débat centré sur la nécessité " du moindre mal " pour battre la droite et " sauver le parti ", débat qui, par contre, semble souvent dominer nos discussions dans les cercles et dans les fédérations.
C'est à partir de ces éléments de l'analyse que nous pouvons mesurer la portée de notre première divergence, qui est significative.
S'il est certainement vrai — et il faut donc le souligner — que les mouvements sociaux de ces dernières années ont marqué un point, en stoppant la crise vertigineuse de la crédibilité et de la confiance en soi de toute proposition alternative à l'ordre capitaliste de la mondialisation, il est faux — et donc dangereux pour les mouvements eux-mêmes — de surestimer la capacité structurelle d'inversion des rapports de forces sociaux qu'ils auraient produit en si peu de temps. Ces mouvements sont le résultat d'une défaite, celle qui a clos le XXe siècle sous les décombres du Mur de Berlin : c'est une défaite historique. Ce n'est qu'en revendiquant " le droit à la patience " que les nouveaux mouvements pourront rendre réellement possible un système alternatif à la désagrégation du néolibéralisme et de la guerre.
Si nous ne devons donc pas sous-estimer la portée historique de la reprise de la confrontation sociale et de l'engagement que nous avons observés au cours de ces dernières années, nous devons remarquer aussi — c'est ici que l'analyse proposée est incomplète — que ce renouveau de l'engagement n'a pas encore acquis une force capable de remettre en cause les processus contre lesquels il lutte, ceux qui sont mondiaux comme la guerre et ceux qui localement liquident le travail ou lui imposent une contre-réforme barbare.
Le mouvement donc, qui a été et doit rester central pour nos initiatives, se ressource en lui-même et non en lui imposant un saut en avant sur le plan politique, ce qui risque de lui briser ses jambes sociales indispensables et ainsi de l'affaiblir.
Comment expliquer autrement le fait que, face aux énormes mobilisations qui ont marqué l'agenda politique au cours des dernières années, la politique, celle avec un " P " majuscule, ne semble pas avoir été modifiée ni dans ses programmes ni même, symboliquement, au niveau de ses représentations publiques et de ses groupes dirigeants ? Que le centre-gauche, qui, il y a à peine deux ans, devait subir au moins la contestation des " girotondi " (1) est à nouveau solidement en selle et nullement disposé à l'autocritique ni à une réorientation, comme en témoignent continuellement ses prises de position, depuis la défense du Pacte de stabilité jusqu'à celle de la loi sur les PME. Même en ce qui concerne la guerre — une question sur laquelle il n'est pas permis de faire de l'équilibrisme (on est pour ou on est contre) la Grande alliance démocratique (GAD) réussit à formuler une position qui est objectivement en retrait par rapport aux revendications du mouvement. On arrive ainsi au paradoxe d'un mouvement (et de nous-mêmes) qui samedi prochain sera dans la rue pour le retrait immédiat des troupes et d'une opposition, dont on dit qu'elle devrait maintenant être perméable aux revendications de ce dernier, qui va descendre dans les rues la semaine prochaine avec une position ambiguë et qui ne parvient même pas à s'accorder sur le calendrier du vote au parlement.
2. Une autre ligne politique est nécessaire
De ce cadre, traité pour d'évidentes raisons seulement à grands traits, émerge la nécessite d'une autre ligne politique qui, en remettant au centre le développement des mouvements sociaux et l'enracinement en leur sein, sache défier l'opposition sur le plan du programme et de l'efficacité, partant de la nécessité d'une opposition frontale au gouvernement de Berlusconi. La stratégie poursuivie par le parti au cours de ces derniers mois — dont je n'ai jamais été convaincue — s'avère aujourd'hui dangereusement imprécise.
Se déclarer d'emblée disponibles pour un accord gouvernemental, tout en acceptant le renvoi d'une discussion programmatique claire, alors qu'une bonne partie des forces politiques du centre-gauche se détournent d'une opposition sérieuse au gouvernement, risque de nous mener dans une impasse. Au lieu de casser le piège du centre-gauche nous risquons de nous précipiter dedans. Les premiers pas de la nouvelle Grande alliance démocratique ne mènent pas, en effet, dans la bonne direction : on construit un cadre nullement innovant, sans commencer même une confrontation programmatique sérieuse, et on accepte l'idée que des " primaires ", dont on dit qu'elles permettront l'expression des revendications des mouvements, se déroulent au sujet du leadership.
On ne peut reconstruire un nouveau sujet critique sans avoir une idée de son programme, c'est-à-dire de la société alternative. La préoccupation programmatique doit faire abstraction de la question de l'accord gouvernemental : elle doit venir d'abord, elle en est une condition en soi. Elle doit servir en particulier à harceler et à défier le centre-gauche sur sa capacité (ou plus probablement son incapacité) à représenter les demandes qui apparaissent dans les mouvements et les besoins sociaux toujours insatisfaits de la grande majorité de la population.
Nous avons eu tort d'écarter la question du programme de notre discussion avec les forces de l'opposition, car c'est sur le terrain du programme que nous aurions au moins pu mesurer réellement la crédibilité d'une réelle alternative au gouvernement de la droite.
Nous ne pouvons pas accepter une conception " statique " du programme, divisé en un minimum et un maximum. L'hypothèse d'un accord " minimal ", sur ce qui serait possible aujourd'hui pour préparer un programme " maximum " relève d'une mécanique qui a déjà conduit le mouvement ouvrier à la soumission et à la défaite. Par contre un programme acceptable serait celui qui contient aujourd'hui des éléments même partiels de rupture esquissant une perspective souhaitable : réduction du temps de travail, échelle mobile, nationalisation de certains secteurs productifs, réduction de l'armée et des dépenses militaires, inversion de la politique des privatisations : c'est-à-dire des signaux évidents d'un changement de direction, d'un renversement d'orientation. Le fait que nous savons tous, dès maintenant, qu'avec ce centre-gauche un tel programme ne peut être proposé, ne signifie rien d'autre que l'impossibilité d'un accord de gouvernement et la nécessité d'un changement radical de notre ligne politique.
3. Une autre refondation est possible
Ce parti, pour respecter peut-être la mission qu'il s'est donnée, a changé souvent de peau depuis qu'il est apparu. Ce furent ses instants fondateurs ou refondateurs. Le dernier congrès semblait avoir réellement emprunté une orientation correcte, celle d'une affirmation rénovée de l'autonomie politique du sujet communiste qui nous avait conduit à la rupture avec le premier gouvernement Prodi et nous engager totalement dans les nouveaux mouvements, depuis les journées de Gênes en quelque sorte.
Le nouveau tournant politique proposé aujourd'hui risque de produire une inversion de cette orientation, de ce " nouveau départ ", en mettant en question l'identité même de ce parti et, ce qui est plus grave, sa " raison sociale ". Nous ne pouvons pas ne pas être tous préoccupés, quelle que soit notre position, par les signaux de la désorientation du parti, qui risque de nous conduire à un congrès de lassitude, où l'on mesure l'amertume et la crainte et non l'enthousiasme.
Je crois que c'est la nature même de la proposition politique avancée par le secrétariat qui est à l'origine de cette situation. C'est une affirmation forte, mais je ne réussis pas à penser à la vie d'un corps collectif tel qu'un parti, à son état de santé et de réactivité, sans les lier à la ligne politique suivie. Autrement, nous reviendrions à une conception monolithique du parti et des militants, qui avancent comme des automates, abandonnant l'interprétation de la ligne au groupe dirigeant. Au contraire, je crois que ce parti a appris des mouvements bien plus que nous ne l'imaginons et qu'il réagira aux difficultés et à l'absence de conviction.
Je pense que mener la refondation communiste à un gouvernement de la mondialisation, même modéré, dénature totalement la vocation de ce parti au point de mettre en danger son existence même en tant que communauté vivante et capable d'interaction avec la société.
Et je suis suffisamment convaincue, par contre, de l'espace qui s'ouvre encore devant notre entreprise collective et du travail que nous pourrons faire encore ensemble, pour penser qu'en reprenant notre inventivité et notre radicalisme profond ayant marqué les années précédentes, il est possible de prendre une autre direction. Cette conviction me fait croire, dès maintenant, à la possibilité d'un débat de congrès permettant une élaboration collective, en accord avec ce qu'ont écrit les camarades qui ont signé la contribution " refondation, refondation, refondation ". Ce faisant je veux m'engager pour le développement d'un regroupement large et pluriel de la gauche critique au sein du prochain congrès.
1. Le mouvement des " Girotondi " (rondes) s'était opposé aux modifications du droit, imposées par le gouvernement de Silvio Berlusconi afin de préserver ce dernier de la condamnation.