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Un nouveau cycle ?

António Louçã, João Carlos Louçã et Jorge Costa sont rédacteurs de Combate et membres de la direction nationale du Bloco de Esquerda.

Annoncée au pays le dernier jour de Novembre, la décision prise par le Président de la République de dissoudre le Parlement a mis fin à quatre mois d'action gouvernementale populiste et erratique de l'alliance de droite PSD/PP (1). De la classe travailleuse jusqu'à divers secteurs de la banque et de l'industrie, le pays a plus que fêté la décision de Jorge Sampaio, que ses électeurs et électrices attendaient de lui depuis juillet, l'unique reproche à lui faire étant qu'elle ait été si tardive. La dégradation des indicateurs économiques et sociaux, le manque de confiance dans le gouvernement de Santana Lopes qui commençait à atteindre des secteurs conservateurs, en particulier dans le monde de l'industrie et de la finance, ainsi que la démission intempestive d'un ministre trois jours après sa nomination, auront été les facteurs décisifs de la décision du Président. Après l'abandon du gouvernement par Durão Barroso, l'opinion de tous les partis de gauche était enfin prise en compte et les élections anticipées offraient l'occasion d'un nouveau cycle politique dans notre pays.

 

 

La fuite de Barroso et la désignation dynastique

Aux élections européennes de juin dernier l'alliance de droite a connu la pire défaite électorale de son histoire. Durão Barroso en s'adressant au pays le soir des élections annonçait qu'il " en tirait les conséquences ". Mais en fin de compte, quelques jours après, il changeait son nom par celui de José Manuel Barroso et annonçait sa candidature au poste de Président de la Commission Européenne, en désignant comme successeur Pedro Santana Lopes, vice-président de son parti et maire de Lisbonne. L'argument du " prestige " de la charge à laquelle il avait été désigné par le Conseil de l'Europe a été utilisé jusqu'à l'écœurement dans une tentative d'effacer de la mémoire collective les deux ans et demi d'un gouvernement qui a aggravé le chômage, provoqué la dégradation de la qualité de la vie d'une large majorité de la population et favorisé sans scrupule les grands groupes économiques et financiers. Le résultat sorti des urnes en Juin était à l'évidence plus qu'un jugement sur les différents projets et conceptions de l'Europe : une sanction du gouvernement à cause de ses politiques dans le pays, de sa participation à la guerre en Irak, de son choix de jouer au larbin de Bush lors du sommet de guerre tenu aux Açores (2), de la démagogie d'un discours de freinage et de contrôle de la dépense publique simultanément à la progression des privations dans des secteurs tels que la santé ou l'énergie. Cet argument du prestige que gagnait le pays en ayant un Portugais à la tête de la Commission Européenne, a entraîné le PS, une grande partie de la presse et des faiseurs d'opinion, mettant au second plan la question de la succession au gouvernement de la république. Les deux semaines qui ont séparé l'annonce de la dissolution du gouvernement Barroso et la décision du Président d'accepter la nomination du successeur choisi furent des jours d'angoisse et de protestations indignées. Ce furent des jours qui virent les jardins de Belém, devant le palais présidentiel, se remplir de manifestants qui exigeaient du président des élections. Sont restées dans l'histoire l'allégresse et la créativité de ces manifestations, les premières convoquées par SMS.

 

La décision prise par Sampaio de nommer le gouvernement de Santana Lopes a justifié la démission du secrétaire général du PS, son ami et ancien compagnon d'armes en politique (3), provoquant un congrès et l'élection d'un nouveau leader au PS. Ferro Rodrigues, le leader qui avait résisté à la plus forte attaque contre son parti à l'occasion d'un procès judiciaire, toujours en cours, concernant des abus sexuels sur des enfants et un réseau pédophile, qui était toujours resté devant le parti majoritaire au gouvernement et qui venait d'obtenir une retentissante victoire aux élections européennes, n'a pas résisté à la décision de Sampaio. Sa démission a ouvert la voie au retour de la " génération Guterres ", mélange de conformisme social-démocrate et de technocratie qui aujourd'hui lutte pour le pouvoir sans le moindre projet significatif de changement des politiques menées ces dernières années par la droite.

 

 

Entre majorité absolue et changement

En tête à chaque sondage, le PS se prépare à recommencer à gouverner le pays et parie sur l'hypothèse de la majorité absolue aux élections du 20 Février 2005. Le désastre de la droite est si profond et évident que les socialistes n'ont pas besoin de faire grand-chose pour gagner. Mais la vraie question est : comment vont-ils gouverner s'ils n'obtiennent pas la majorité absolue ? Quelle politique d'alliances, quelle majorité parlementaire pourront-ils avoir ?

 

La droite ne perd pas de temps et accuse le PS de vouloir gouverner avec le Bloco de Esquerda. La presse bourgeoise cite des sources anonymes du PS favorables à un accord avec le BE et catégoriquement opposées à toute entente avec le Parti Communiste. Dans une campagne qui va se jouer au centre, où le PS dispute l'électorat conservateur, cette hypothèse impossible est l'argument de la droite et le cauchemar du PS. Ce dernier dément, par la voix autorisée de sa direction, les rumeurs de sources anonymes, mais ne parvient pas à réduire au silence le chœur de l'intox.

 

Du côté du Bloc, toutes les clarifications vis-à-vis de ce scénario se transforment en éléments marginaux, sont absorbées par le tumulte d'une pré-campagne manipulatrice en provenance de la droite.

 

Tout indique que la campagne du PS fera la clarification nécessaire du fait de son contenu et des propositions qu'elle présentera. Et tout d'abord du fait du rédacteur du programme socialiste : l'ex-commissaire européen António Vitorino de qui on ne peut qu'attendre un programme de continuité des politiques budgétaires et de leurs conséquences sociales dans le pays. Ensuite parce que le débat politique en donne des signes évidents, le PS va chercher sa majorité absolue en tentant de transformer en votes l'indignation généralisée contre le gouvernement de la droite alliée, tout en lui disputant l'espace et l'électorat avec des propositions de continuité des politiques antisociales et de destruction des services publics. A cet égard une déclaration est d'une clarté aveuglante, celle du secrétaire général du PS, José Sócrates, qui a affirmé son intention de conserver " ce qui était bien " dans la politique de droite, en plusieurs domaines :

 

— Santé : le précédent gouvernement socialiste de Guterres avait inventé la formule de la privatisation des hôpitaux publics en privatisant la gestion de deux nouveaux hôpitaux. Le gouvernement de Barroso en a privatisé trente deux de plus. La direction socialiste a déjà indiqué qu'elle comptait aller plus loin et appliquer ce modèle de gestion privée aux milliers de centres de santé du pays. Et cela au moment même où les problèmes de fonctionnement de ces modèles de privatisation partielle commencent à être suffisamment évidents aux yeux du public.

 

— Obsession du déficit : comme la droite le PS préfère continuer à chercher des recettes extraordinaires grâce à la vente du patrimoine de l'État pour combler le déficit, plutôt que de renégocier le Pacte de Stabilité et de Croissance dans les instances européennes, et que d'admettre que celui-ci constitue un modèle qui limite la possibilité de politiques sociales et justifie la destruction de services publics vitaux.

 

— Chômage : un demi-million de chômeurs, avec augmentation de 400 nouveaux chômeurs par jour, voilà le bilan du gouvernement des droites. Mais cette réalité ne fait pas promettre au PS de revenir sur l'ensemble des mesures du gouvernement Barroso concernant le travail. La fin des conventions collectives et l'extrême précarisation des relations de travail sont la marque de la droite dans les politiques du travail, le PS et José Sócrates, son secrétaire général, semblent en assumer l'héritage.

 

— Incinération des déchets industriels dangereux : en tant que ministre de l'Environnement du gouvernement socialiste, José Sócrates avait lancé un projet de co-incinération dans les cimenteries. Cette excellente affaire pour les industriels du ciment fut alors contestée de toutes parts pour des raisons environnementales et aussi par les populations les plus directement concernées. Aujourd'hui, le PS ne dit pas clairement quelle politique il défend sur cette question.

 

— Irak et Otan : en dépit de la promesse de retrait d'Irak des militaires de la Garde nationale républicaine (GNR), le PS s'est dépêché de préciser qu'un accord avec le Bloco ne serait possible que si la participation portugaise à l'alliance atlantique n'était pas mise en cause. Pour le Bloco, il s'agit là, bien évidemment, d'une condition inacceptable.

 

 

Déclin et schizophrénie du PCP

Tout en conservant une influence considérable dans les milieux populaires et syndicaux, le Parti Communiste est une organisation en difficulté. D'abord à cause de son débat interne invariablement résolu à coup d'exclusions.

 

Ensuite du fait de la contradiction entre sa propagande officielle d'affirmation marxiste-léniniste et son désir de se voir comme un possible partenaire du PS au gouvernement. Son nouveau leader, Jerónimo de Sousa, a déjà annoncé que le parti a d'excellents cadres à cet usage.

 

Mais la sectarisation de la voie suivie par cette direction l'isole du monde et transforme le PCP en un parti au déclin électoral accentué, sans propositions face à la crise que traverse le pays et sans aucune dynamique qui permette un espoir de changement (4). La participation de dirigeants de Renovação Comunista — une petite organisation des derniers cadres dissidents du PC — aux listes du Bloco, nous confirme comme ennemis principaux de la direction stalinienne. Mais à la base les convergences sont nombreuses, de même que les luttes sont communes et l'influence dans les mouvements sociaux un terrain de conflit permanent entre le Bloco et le PCP.

 

 

Avortement : la honte nationale

En 1998, avec une abstention supérieure à 60 %, la droite obtenait une victoire de justesse au référendum sur la modification de la loi sur l'avortement (5). Pour la gauche, la défaite fut si significative qu'en 2000, le soir de leur première élection, les députés du Bloco affirmèrent l'engagement de tout faire pour changer la loi dans le sens de la possibilité d'avortement à la demande de la femme jusqu'à 12 semaines. Ce fut aussi ce premier point de l'accord post-électoral de l'alliance PSD/PP qui nous a gouvernés ces dernières deux années et demie. Le PP, parti de la droite radicale, parvenait à imposer la loi du silence grâce à son accord de gouvernement avec le PSD. Silence d'autant plus difficile quand devint évidente l'injustice de la loi avec une succession de jugements et d'humiliations contre des femmes pauvres qui avaient dû recourir à l'interruption volontaire de grossesse. A chaque jugement la situation rendait plus manifeste l'hypocrisie du système qui considère les femmes qui avortent comme des criminelles.

 

L'évident changement de la société portugaise témoignait qu'il existait sur le sujet une nouvelle majorité sociale qui n'admettait pas le jugement de ces femmes. Mais la question était bloquée par la majorité parlementaire et fin 2003 le Bloco lançait une énorme campagne de signatures pour exiger un nouveau référendum. Plus de 120 000 signatures recueillies dans les rues, avec un énorme soutien populaire, ont permis de replacer la question au centre de la scène politique et malgré l'échec au Parlement, l'avortement n'a plus cessé d'être un thème permanent et décisif dans le pays, de diviser la droite elle-même, et de contraindre la nouvelle direction socialiste à s'engager.

 

Cette question a connu un épisode burlesque au printemps dernier quand l'organisation Women on Waves a voulu entrer au Portugal avec son navire-clinique. Paulo Portas, ministre de la défense et leader du PP, à l'encontre de toutes les lois communautaires, a envoyé la marine de guerre pour empêcher le bateau de jeter l'ancre. Pendant de longues semaines, le bateau de l'ONG hollandaise a été surveillé en haute mer par des navires de guerre. A terre la discussion sur l'avortement et l'autoritarisme du gouvernement éclataient avec fracas et aboutissaient à rendre évident que le pays se trouvait otage d'un petit parti de la droite radicale qui partageait le pouvoir au gouvernement.

 

Un autre thème qui a fait beaucoup de dégâts pour la droite est celui du contrôle des moyens de communication, en particulier quand une chaîne privée a connu une purge, écartant un commentateur politique très écouté. Il s'agissait ni plus ni moins que de l'ancien leader du PSD avant Barroso, un homme de la droite organique mais, à plusieurs reprises, critique des politiques menées par le gouvernement. Le gouvernement de Santana Lopes n'a pas supporté ces critiques et a utilisé le pouvoir de chantage de l'État dans l'affaire de la privatisation des réseaux de télécommunications, où la chaîne de télévision était candidate, pour imposer qu'elle écarte le gêneur. Cette affaire et d'autres de moindre portée ont mis en lumière la stratégie de manipulation et de contrôle de l'information par un gouvernement qui n'avait pas été légitimé par les urnes et qui était capable de tout pour conserver le pouvoir.

 

Pour la gauche la question qui se pose, plus que celle de la dimension que peut prendre la défaite de la droite, est : que sera le prochain gouvernement ? Sera-t-il un gouvernement de majorité absolue du PS avec un peu de rhétorique sociale, mais qui pour l'essentiel maintiendra les politiques libérales ? Ou au contraire y aura-t-il une majorité de gauche capable d'obliger un gouvernement minoritaire socialiste à des engagements clairs pour les changements dont le pays a besoin ?

 

 

 

notes

1. Le Parti social-démocrate (qui contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, n'a aucun lien avec la social-démocratie européenne) et le Parti populaire ont été sanctionnés lors des élections européennes de juin dernier. L'alliance de droite au gouvernement PSD/PP a obtenu 33,2 % des voix, le PS, 44,5 %, le Parti Communiste 9 % et le Bloco de Esquerda 4,9 %.

 

2. Barroso a été avec Blair le seul des dirigeants européens à affirmer qu'il avait vu de ses yeux les preuves des armes de destruction massive. Le Sommet des Açores a réuni Bush, Blair, Aznar et Barroso pour annoncer le début des opérations militaires en Irak, déchaînées une semaine après.

 

3. Sampaio et Ferro Rodrigues avaient parcouru ensemble la trajectoire du MES, une organisation de gauche, à mi-chemin entre la gauche réformiste et la gauche révolutionnaire, qui avait eu quelque poids lors du processus révolutionnaire et s'était éteinte dans les années 1980. On les considérait comme " la gauche du PS ".

 

4. Bien qu'il ait encore une représentation électorale notable, 6,9 % aux législatives de 2002, avec 12 députés élus, le PCP perd des voix au profit du Bloco dans tous les bureaux de votes où il y a des jeunes et commence à en perdre globalement dans les grands centres urbains.

 

5. A l'époque, le premier ministre socialiste Ant¾nio Guterres avait annoncé qu'il voterait aux côtés de la droite et de l'Église catholique, bien que le PS ait fait campagne pour le " oui " à la modification de la loi.

 

 

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