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Le Bloco veut « résister » et « se relever », mais aussi « élargir ses alliances » pour continuer à se battre avec détermination

par Bloco de Esquerda
© Ana Mendes

Dans sa résolution, la direction du Bloco de Esquerda (Bloc de gauche) tire le bilan des élections législatives du 18 mai, au regard de la conjoncture et de la campagne du parti afin de trouver des réponses pour l’avenir.

1. Le Bloco de Esquerda a obtenu le pire résultat de son histoire à des élections à l’Assemblée de la République. Le Bloco regarde ces résultats avec préoccupation et entend dresser un bilan qui permette de corriger les erreurs commises, d’écouter l’ensemble de ses militant·es ainsi que des personnes qui ne sont pas membres du parti, et de faire porter à maturation une orientation qui assure la pérennité de ce projet politique, de sa présence dans les luttes sociales et de son offre alternative. Ce processus ne peut se faire dans la précipitation ni en cherchant une explication unique. Il exige du temps, de l’humilité, de l’ouverture et la volonté de trouver des voies que nous ne découvrirons qu’ensemble.

2. Le total des voix des partis à la gauche du PS est le plus bas jamais enregistré, et il en va de même lorsque l’on inclut le PS dans ce total. Ces défaites – de l’ensemble de la gauche et du Bloco – exposent le pays à de graves risques. Pour que nous puissions les comprendre, il faut étudier les facteurs qui ont déterminé ce désastre électoral, ainsi que les spécificités de chaque force politique. Cette résolution examine certaines conditions politiques nationales et internationales et leur impact, en particulier la manœuvre du Premier ministre, l’effet du déplacement de l’immigration au cœur du débat politique et encore la peur de la guerre. Elle engage également une réflexion sur notre campagne.

Le contexte des élections

3. La crise politique créée par le Premier ministre Montenegro à la suite de la violation de son obligation de se consacrer exclusivement à sa tâche a constitué une manœuvre sans précédent dans l’histoire récente du gouvernement, qui a contribué à la dégradation du climat politique. Elle s’est avérée être un succès pour Montenegro, en lui permettant de retrouver sa capacité d’initiative. Sa première déclaration, en faveur d’une révision constitutionnelle avec le soutien de l’Initiative libérale et Chega (extrême droite), même si elle était enrobée dans une déclaration d’ouverture, est une menace flagrante et très grave contre certains des piliers des acquis démocratiques de la Révolution des Œillets.

4. La place centrale prise par la question de l’immigration dans le débat politique a été un facteur important dans la défaite de la gauche. Le Portugal connaît l’une des transformations les plus profondes de sa composition sociale et du profil de sa classe laborieuse. En quelques années, le nombre de travailleurs étrangers a été multiplié par dix et représente aujourd’hui environ un tiers de la population active. Une partie importante de cette nouvelle classe ouvrière ne vient pas des pays lusophones. Dans ce contexte, la défaillance des services d’accueil et de régularisation et le manque de moyens consacrés à des réponses globales en matière de logement, de services publics et d’accès à la langue ont renforcé le discours de l’extrême droite. Ce discours a été repris par le gouvernement pour justifier la nouvelle législation et légitimé, par ailleurs, par le recul du PS sur cette question. Ce discours a été relayé par le sensationnalisme de certains médias et surtout par la manipulation des masses à travers les réseaux sociaux. En effet, l’extrême droite a réussi à faire de l’immigration l’explication de toutes les difficultés de la population, du logement aux hôpitaux.

5. Le Bloco et d’autres partis ont été pénalisés dans les urnes en raison de cette réalité. La leçon à en tirer est que différents éléments restent essentiels : l’action militante antiraciste et antifasciste, la création d’espaces communs et unitaires, l’intervention dans les quartiers populaires où il faut affronter l’autoritarisme et les discours de haine. Il est indispensable de trouver les moyens d’ouvrir les syndicats aux travailleurs étrangers, de créer des mécanismes d’inclusion, d’empêcher l’exploitation des différences qui nourrissent le ressentiment social. La lutte contre la division de la classe travailleuse est essentielle aujourd’hui comme demain.

6. La réélection de Trump a des conséquences multiples en matière de politique internationale, qui favorisent l’extrême droite : premièrement, elle encourage le génocide à Gaza et place Netanyahou à l’abri des pressions internationales, en s’en prenant aux gouvernements qui ont dénoncé le génocide des Palestinien·nes, comme celui de l’Afrique du Sud ; deuxièmement, elle recherche une alliance avec Poutine ; troisièmement, elle met en place une internationale réactionnaire qui implique directement l’administration américaine dans les élections en Allemagne et dans d’autres pays européens ; quatrièmement, elle utilise les droits de douane comme un instrument de politique économique visant à soumettre ses alliés et partenaires et à s’opposer à la Chine.

7. Dans ce contexte international, le Bloco de Esquerda a bien identifié le risque d’accentuation du virage à droite observé depuis un an, en particulier sous l’effet de la montée de la pression militariste dans ce nouveau cadre. Cette pression crée la peur et fait basculer la politique vers la droite, amenant les partis du centre à accepter la course aux armements en Europe et la soumission à l’OTAN.

8. Ces trois facteurs – la stratégie de l’Aliança Democrática (coalition de la droite), qui a repris le discours sur la stabilité qui a donné la majorité absolue au PS en 2022 ; la centralité de la question de l’immigration, déterminante pour toute la politique nationale ; et la peur face à la propagande militariste – ont été déterminants dans le contexte général des élections.

La réponse immédiate à la menace qui pèse sur la Constitution

9. La plus forte évolution observée le 18 mai a été la progression du Chega. Ce résultat démontre sa capacité à conserver l’électorat qu’il avait récupéré parmi les abstentionnistes en 2024, tout en l’augmentant sur l’ensemble du territoire, en particulier dans les zones les plus défavorisées socialement, à l’intérieur du pays et dans les anciennes ceintures industrielles. Devenu, comme prévu, le deuxième parti en nombre de député·es (une fois le dépouillement des votes des circonscriptions électorales de l’émigration terminé), Chega entre désormais bel et bien dans la course pour le gouvernement. Cette nouvelle situation se traduira par une dégradation générale des conditions d’exercice de la démocratie, tant au parlement (où Chega mène depuis plusieurs années une stratégie de sape des conditions de débat et d’expression) que dans la société, avec la banalisation de la violence raciste, machiste, transphobe, homophobe et, plus généralement, fasciste. En devenant majoritaire dans le sud du pays et à Setúbal, et en renforçant son score dans tous les districts, l’extrême droite gagne des voix populaires, y compris de nombreuses voix qui étaient auparavant représentées par les forces de gauche. Fort de cette représentation, Chega va aggraver sa campagne xénophobe et antidémocratique, en coordination avec les groupes criminels qui gravitent autour de lui (voir la récente attaque contre la manifestation du 25 avril par une bande néonazie, immédiatement applaudie par Chega).

10. Dans la nouvelle configuration parlementaire, aucun des trois principaux partis ne peut former une majorité avec des partis plus petits. Cependant, pour la première fois, les partis à droite du PS dépassent le seuil des deux tiers qui leur permet de modifier la Constitution. Ce fait prend une importance capitale dans la situation politique actuelle et représente un risque réel de modification régressive du système constitutionnel, compte tenu des antécédents du Parti Social-Démocrate (droite) en la matière, qu’il s’agisse de l’attaque contre les retraites menée dans le cadre du plan d’austérité imposé par la troïka, des propositions de révision de la loi électorale ou encore des récentes déclarations sur le droit de grève. Iniciativa Liberal et Chega ont déjà annoncé leurs intentions. Le Bloco de Esquerda considère qu’il est essentiel que toutes les voix et toutes les forces politiques qui se reconnaissent dans les valeurs et le texte de la Constitution du 25 avril (1974, NdT) s’expriment de manière unie, afin de défendre les libertés et les garanties qu’elle consacre.

11. Pour le Bloco, l’objectif n’est pas seulement de résister à la vague fasciste et xénophobe ou aux alliances possibles et dangereuses entre la droite et l’extrême droite, ou encore au soutien du PS au gouvernement de Montenegro. L’objectif du Bloco est de se relever, de se reconstruire, de créer et d’élargir des alliances et de lutter avec détermination pour notre peuple.

La campagne du Bloco

12. Dans le nouveau contexte politique, nous avons revu notre modèle de campagne. Nous avons donc décidé de nous concentrer sur quelques thèmes essentiels auxquels nous avons accordé la plus grande importance, en cherchant à les placer au centre du débat public : plafonnement des loyers, droits des travailleurs postés et impôt sur la fortune. Nous n’avons pas abandonné les autres combats programmatiques qui font l’identité du Bloco, tels que les services publics, l’égalité, le rejet de la xénophobie ou l’opposition à la guerre, mais nous nous sommes concentrés sur ces thèmes afin qu’ils deviennent notre marque distinctive. C’est également ainsi que nous avons évité un débat stérile sur la gouvernabilité, en mettant en avant les mesures qui permettraient d’améliorer la vie d’une partie importante de la population et que notre représentation parlementaire défendrait en toutes circonstances. Cette politique a porté ses fruits : la question du plafonnement des loyers a occupé une place importante dans le débat politique, a obligé tous nos adversaires à se prononcer, a été renforcée par les nouvelles de plus en plus alarmantes sur la crise du logement et a été identifiée par la population comme une solution crédible. Elle continuera d’être l’un des combats les plus importants pour la vie de notre peuple – même la majorité des familles de travailleur·ses, qui achètent leur propre maison, savent que leurs enfants ne pourront pas en faire autant et ne parviennent pas à louer un logement. La deuxième proposition, sur le travail posté, a été soutenue par des milliers de travailleur·ses. Cependant, aucune d’entre elles n’a permis de relancer la dynamique électorale dans le contexte décrit ci-dessus.

13. Deuxièmement, notre campagne a favorisé les initiatives décentralisées de contact direct, par le porte-à-porte. Nous avons frappé à plus de vingt mille portes et lancé une forme d’action politique qui sera fondamentale à l’avenir. Nous l’avons fait de manière différenciée dans le pays, en mobilisant des jeunes militant·es, des adhérent·es récents et plus anciens, qui ont constaté qu’ils pouvaient intervenir directement et non pas en tant que spectateurs de la campagne électorale. Pour la même raison, nous avons remplacé les traditionnels meetings par des « cafés-débats », ouverts au dialogue avec tout le monde, et par des fêtes et des réunions publiques créatives et animées.

14. Troisièmement, nous avons mobilisé toutes nos forces, y compris avec les candidatures des fondateurs du parti. Ces candidatures n’ont pas eu d’effet électoral, mais elles ont eu un effet militant, dynamisant les campagnes dans les grands districts.

15. Ces choix n’ont pas permis d’inverser la tendance électorale et le Bloco a subi sa pire défaite. Et sachant que la discussion sur le bilan des élections permettra d’identifier les erreurs et d’évaluer, au-delà des questions mentionnées, les modèles de communication, les formes d’organisation, la pédagogie de la campagne, l’adéquation des réponses aux campagnes diffamatoires, ou d’autres aspects de cette bataille, le Bloco affirme qu’il ne cessera de lutter pour ce que nous avons mis en avant lors de ces élections : pour une politique populaire du logement, pour les droits de qui travaille, contre les inégalités et pour la qualité et le maintien des services publics, contre les menaces fascistes et pour l’unité dans la défense de la vie démocratique et des règles constitutionnelles qui la protègent.

Délibérations

16. Les 13 et 14 juin, à Porto, le Bloco de Esquerda accueille le congrès fondateur de l’Alliance de la gauche européenne pour les peuples et la planète, un nouveau parti politique européen qui réunit le Bloco de Esquerda (Portugal), La France Insoumise (France), l’Alliance de gauche (Finlande), Podemos (Espagne), l’Alliance verte et rouge (Danemark), Razem (Pologne) et le Parti de gauche (Suède). La montée des forces d’extrême droite et les crises sociales, environnementales et internationales exigent une coopération plus efficace de la gauche verte, féministe et antiraciste européenne. Le Bloco de Esquerda s’engage dans cette nouvelle alliance et invite ses adhérent·es et sympathisant·es à participer activement à ce temps de débat et d’apprentissage. Lors de ce congrès, ouvert à la participation d’autres forces de gauche, européennes et internationales, ainsi qu’aux mouvements sociaux et militants, nous souhaitons créer de nouvelles formes de travail solidaire et préparer des actions concrètes de mobilisation contre le capitalisme et la guerre, de résistance à l’extrême droite et de reconquête de majorités sociales à gauche.

17. Le Bloco de Esquerda continuera à préparer ses candidatures aux élections municipales, réaffirmant son engagement en faveur d’accords programmatiques pour une convergence à gauche, que ce soit avec le PS à Lisbonne pour battre Carlos Moedas, ou pour affirmer des alternatives municipales à gauche. Même dans les communes où le Bloco a déjà présenté sa liste, il reste ouvert à des rapprochements, dans la mesure du possible, avec le PCP, Livre, le PAN et les mouvements citoyens.

18. Au vu des nombreuses adhésions de jeunes enregistrées tout au long de la campagne électorale et dans les jours qui ont suivi les élections, le Bureau national réitère son appel à participer au « Campement Liberté » qui se tiendra dans le centre du pays du 24 au 27 juillet. Cette rencontre, ainsi que d’autres rencontres élargies de formation et de débat politique, comme « Socialisme 2025 », qui se tiendra du 29 au 31 août, sont essentielles dans cette nouvelle phase de la vie du pays.

19. Face à la nouvelle situation politique et à la lourde défaite électorale du Bloco, le Bureau national décide de convoquer une nouvelle Convention nationale les 29 et 30 novembre. Il ne s’agit pas de reprendre le processus qui avait été suspendu en raison des élections, car le changement de la situation politique nationale, la nécessité d’une réflexion approfondie et de la définition d’une orientation pour les années à venir ne pouvaient être traités comme la simple conclusion d’un processus entamé en janvier 2025, alors que la convocation d’élections législatives n’était même pas envisagée et que Trump n’avait pas encore pris ses fonctions. Avec cette décision s’ouvre une nouvelle période pour la présentation de motions d’orientation avec une mise à jour de la liste des adhérent·es ayant le droit d’élire et d’être élu·es délégué·es.

Le 24 mai 2025

Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde