Déclaration d'Olivier Besancenot

par Olivier Besancenot
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Olivier Besancenot est porte-parole de la LCR et membre de son Bureau politique. Nous reproduisons ici la déclaration qu'il a faite au nom de la LCR lors du rassemblement pour le retrait des troupes française de la Côte d'Ivoire le 24 novembre 2004 à Paris.

La récente crise a poussé le pays au bord de l'abîme. La politique de la France en Afrique, et particulièrement dans ce pays, porte une lourde responsabilité. Rien ne se passe dans ce pays sans que n'y soient mêlés les intérêts des grandes entreprises françaises et les ingérences des gouvernements français. Après trente ans de règne du dictateur Houphouët-Boigny, qui protégeait les grands intérêts français omniprésents, ce sont encore ces entreprises françaises qui raflèrent la mise lors de la vague des privatisations, à l'heure de la mondialisation libérale : Bouygues le bâtiment, les travaux publics, l'eau et l'électricité ; Bolloré le bois et les plantations, le transport, les ports ; France Telecom le téléphone ; la SNCF le chemin de fer ; Total, avec Shell et Texaco, les raffineries. Privatisées en 1998, les filières café et cacao sont désormais aux mains de multinationales françaises, européennes ou américaines. Ayant bradé à bas prix ses principales ressources, l'État a été ruiné. Les populations se sont appauvries. Et les gouvernements qui se sont succédés en Côte d'Ivoire, pour se maintenir au pouvoir, ont dérivé vers une infernale politique d'ethnicisation de la vie politique et sociale. Pendant dix ans, de Bédié à Gbagbo, qu'ils soient soutenus par le camp chiraquien ou par le PS français jusqu'à peu, ils ont activé les clivages religieux chrétiens-musulmans, sudistes-nordistes, " ivoiriens authentiques " contre " allogènes " de toutes sortes. Dans ce pays, mosaïque de peuples rassemblés dans les frontières arbitraires dessinées par la colonisation, et où 30 % de la population est d'origine étrangère, c'est un poison mortel.

 

L'actuel président Gbagbo a accepté de se mouler dans des institutions basées sur le concept " d'ivoirité ", qui refuse l'éligibilité à ceux dont le père ou la mère n'est pas jugé vraiment " ivoirien ". Il leur interdit la possession de terres, il divise les salariés entre " vrais Ivoiriens " et les autres, Maliens, Béninois, Burkinabés qui représentent un tiers de la population, ouvriers agricoles dans les plantations, mais aussi les Dioulas et autres populations du Nord du pays. Gbagbo n'est pas légitime, il a accepté d'être élu par une règle du jeu faussé, quand 70 % des électeurs ont refusé de participer à des élections réservées au " vrais Ivoiriens ". Il se disait au début de gauche, sa politique au pouvoir est celle qu'un Le Pen propose en France. Les gouvernements français successifs, et l'Internationale Socialiste dont il est encore membre, ont la lourde responsabilité de l'avoir légitimé et d'avoir fermé les yeux sur ses dérives xénophobes, tant qu'elles ne concernait que des Ivoiriens.

 

Lorsqu'une nouvelle rébellion est apparue, divisant le pays en deux, la France s'est interposée. Ce n'était pas le sort des Ivoiriens qui la préoccupait, mais la " stabilité " du pays pour le bénéfice des intérêts français : d'ailleurs on trouve dans les deux camps, rébellion ou gouvernement, des intérêts français, Bouygues pour les uns, Bolloré pour les autres. Loin d'empêcher la guerre civile et de protéger les populations contre la violence xénophobe des milices de Gbagbo, l'intervention française suscita des manifestations anti-françaises à Bouaké comme à Abidjan, selon que la France semblait pencher pour l'un ou l'autre camp. Sous les yeux des militaires français, le camp gouvernemental, dont 90 % des officiers ont été formés à l'École de guerre française, recrutait des milices par milliers sur une base ethnique, de jeunes désoeuvrés excités par des discours xénophobes relayés par les médias. Il organisait la chasse aux opposants, assassinait des journalistes et personnalités, les manifestations pacifiques de l'opposition étaient dispersées dans le sang, des chasses aux Dioulas dans les quartiers d'Abidjan entraînaient l'an dernier 200 morts, tués parfois à la machette. Les militaires français, censés " protéger les populations " ne bougèrent pas.

 

Refusant le plan de paix proposé l'été dernier par l'Union Africaine à Accra, qui prévoyait de mettre fin à la " politique d'ivoirité ", de désarmer les deux camps, et d'organiser des élections en 2005, le régime de Gbagbo s'est engagé dans une fuite en avant en reprenant la guerre. C'est quand des militaires français ont été tués que l'armée française a réagi, provoquant en retour des manifestations organisées par les milices du pouvoir.

 

C'est parce que la France est impliquée jusqu'au cou dans les affaires ivoiriennes quelle ne peut être " impartiale ". Aussi nous exigeons que soit retirée à la France la gestion de la crise en Côte d'Ivoire, que les troupes françaises soient retirées, et qu'une solution africaine soit mise en œuvre. L'ampleur des rancoeurs accumulées contre la politique africaine de la France parmi les populations donne à Gbagbo la possibilité de mettre en scène une mobilisation populaire qui n'a pourtant rien d'anti-impérialiste et ne s'en prend pas aux vrais intérêts des multinationales françaises. Toute la politique passée et présente de l'armée française démontre qu'elle ne peut être un facteur de paix sur ce continent. Sauf à ignorer le danger que courent les populations laissées en un huis clos meurtrier face au régime, il faut d'urgence une solution africaine pour empêcher la dérive du gouvernement Gbagbo dans sa logique de guerre et d'épuration ethnique. Malgré toutes les méfiances que nous devons avoir sur la volonté des gouvernements africains, l'urgence impose pourtant une interposition militaire en Côte d'Ivoire à la place de l'armée française.

 

Des troupes de pays de l'Union Africaine, non directement parties prenantes du conflit, doivent être déployées à la place de l'armée française, avec mandat de protéger toutes les populations, et d'imposer un cessez-le-feu aboutissant à une issue démocratique : en finir avec la politique d'" ivoirité " et imposer aux belligérants des élections générales où chaque résident ivoirien, quelle que soit sa région, son origine, sa religion, élise une assemblée qui prendra les choses en main, désignera un gouvernement qui ne sortira ni de conclaves à Paris, ni d'une guerre civile où aucun des deux camps ne représente la légitimité populaire. C'est le seul moyen de remettre le débat politique au centre des préoccupations pour faire reculer le poison de l'ethnisme. Et de redonner la parole aux Ivoiriens, pour qu'ils reprennent le contrôle de leurs ressources, de leurs services publics privatisés, pour leur permettre de rompre avec une " Françafrique ", qui, décidément, entraîne les pays qu'elle domine dans un terrible chaos.