Après l'automne chaud, saisir la chance du référendum sur la Constitution européenne

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Willem Bos est le président du Comité Grondwet Nee (Comité Non à la Constitution, une large coalition de la gauche pour le " non ») et militant du Parti socialiste ouvrier (SAP, section hollandaise de la IVe Internationale). Cet article est initialement paru dans Grenzeloos n° 80 de mars-avril 2005.

C'est une occasion importante pour mesurer les rapports de forces politiques. La gauche et le mouvement altermondialiste doivent s'en saisir pour en faire une campagne large et dynamique qui ne se limitera pas au cercle habituel des militants. Le défi le plus important, c'est de mobiliser de larges couches de la population.

Le projet de la Constitution européenne poursuit un but de propagande. Il essaye d'améliorer l'image de l'Union européenne et lui procurer une apparence de démocratie. Après un demi-siècle de construction européenne menée sans consulter les citoyens, d'une " Europe par en haut », qui apparaît aux yeux de tous comme ne tenant compte que des intérêts du secteur privé, dirigée par une bureaucratie étouffante aux travers des directives imposées, c'est plus que nécessaire. Un lifting démocratique s'imposait.

Ce projet de Constitution reprend par son contenu les évolutions politiques des dernières années : il est néolibéral, militariste et antidémocratique. Il tente également de rationaliser le fonctionnement de l'Union qui compte actuellement vingt-cinq membres et en comptera plus dans un proche avenir.

Une lutte sur deux fronts

Le référendum national doit légitimer l'acceptation de la Constitution par les Pays-Bas. Pour la première fois en effet on demande aux électeurs de se prononcer au sujet de l'Europe. On attend d'eux une approbation, même si en majorité ils voudraient autre chose, en les noyant sous un arsenal d'articles qu'ils ne comprennent pas et qu'on se garde bien de leur expliquer. Pourtant le résultat n'est pas acquis d'avance. Tout est possible. La popularité de l'actuelle construction européenne diminue constamment (1). Et de plus les plus proéminents défenseurs du projet, le gouvernement Balkenende en particulier, ne sont pas appréciés universellement.

Si nous regardons le champ de bataille, l'image est claire : seuls le Socialistische Partij (2), le LPF (3), Geert Wilders (4) et les petits partis chrétiens sont contre la Constitution ; les partis gouvernementaux, le PvdA (5), GroenLinks (6), les organisations patronales, les syndicats et une grande majorité des mouvements écologistes soutiennent le projet de Constitution.

Pour le gouvernement et les partis gouvernementaux l'enjeu est d'importance. Une victoire du " non » risquerait de les paralyser. De même une victoire du " non » provoquerait une crise au sein du PvdA et de GroenLinks, les obligeant à ouvrir en leur sein un débat sur leur adhésion aux politiques néolibérales. Surtout si ce " non » apparaît comme la conséquence ou s'accompagne d'une mobilisation contre le gouvernement et contre sa politique.

Dans le camp du " non » les intérêts sont bien plus divers. Les petits partis chrétiens s'opposent tant à la Constitution qu'à l'idée même d'un référendum. Ils appellent leurs bases à voter " non », mais le référendum est pour eux d'un intérêt limité. Il en va autrement de l'extrême droite parlementaire : son chef, Wilders, s'est saisi du référendum pour mener une campagne anti-turque.

C'est donc dans le camp du " non » que les enjeux sont les plus importants et ce camp peut l'emporter à condition de mobiliser l'opposition antilibérale potentielle — largement présente dans les rues en automne dernier contre la remise en cause des acquis sociaux. La question centrale est donc : est-ce que le " non » sera saisi par l'extrême droite, au profit d'une campagne anti-islamiste et chauvine, ou bien est-ce le " non de gauche », internationaliste, qui imposera le débat sur une autre Europe possible ? C'est un enjeu de taille pour l'avenir de la gauche et pour le mouvement altermondialiste.

Le gouvernement néerlandais finance la campagne du référendum avec un budget d'un million d'euros, mais la répartition est loin d'être équitable. Ainsi 400 000 ont été accordés pour le " oui », autant pour le " non » et 200 000 pour les " neutres » (qui en pratique font une campagne à peine camouflée — " pour l'Europe » — pour le " oui »). La distribution des fonds entre les divers partisans du " non » est particulièrement scandaleuse : ainsi le Comité Grondwet Nee, principale coalition du " non » de gauche, n'a obtenu que 30 000 euros, alors que le petit collectif " ni de gauche, ni de droite », Eurodusnie, en a obtenu 40 000. De même le SP, qui dispose de 9 députés, en a obtenu moins que la ChristenUnie, petit parti intégriste protestant qui n'a que 3 députés. C'est, bien sûr, Geert Wilders qui a raflé le plus… sa campagne contre l'intégration de la Turquie au sein de l'UE étant évidemment d'actualité brûlante…

Cette Constitution, c'est non !

Le Comité Non à la Constitution ! plaide pour un " non » progressiste : un " non » à ce projet de Constitution car une autre Europe, meilleure, est possible. Il se veut être un point de cristallisation de la campagne, un centre d'initiatives qui aide les militants de toutes sortes de mouvements à s'emparer de la campagne et à se mettre au travail. Car c'est un large mouvement des mouvements qu'il faut développer contre ce projet de Constitution. Un mouvement qui, prenant le départ dans les cercles militants, se doit de s'adresser à l'ensemble des couches populaires.

Cette campagne donne à la gauche, à toutes sortes de groupes et au mouvement altermondialiste, l'occasion de sortir de leur relatif isolement et d'entrer en contact avec de larges couches populaires. Le défi le plus important, c'est de leur rendre disponible l'idée qu'il est possible de construire l'Europe autrement que ne le font les néolibéraux. Pour beaucoup de gens, l'Europe reste un show joué loin de chez eux. Ils ne mettent pas automatiquement en relation avec l'Union européenne la démolition de l'État providence ainsi que tous les autres aspects de la mondialisation néolibérale, contre lesquels ils se sont mobilisés il y a seulement quelques mois. L'enjeu c'est justement de leur permettre de construire ce lien et de réussir qu'il s'exprime par le rejet du projet de la Constitution européenne. Et même si ce projet leur semble être une soupe indigeste, ce n'est pas une raison suffisante pour qu'ils fassent l'effort de voter " non ».

Reprendre le combat de l'automne

C'est seulement si les classes populaires se rendent compte qu'il est possible de construire une autre Europe et que le combat pour le " non » est une manière de reprendre l'offensive contre les politiques néolibérales et en défense des acquis de l'État providence, qu'il sera possible de construire un mouvement massif. Alors — comme le 2 octobre dernier, lorsque des centaines de milliers de manifestants se sont retrouvés, surpris d'être si nombreux, à Amsterdam, convergeant vers Museumplein — le sentiment qu'il est possible de gagner, qu'il est possible d'arrêter l'offensive néolibérale, pourra mobiliser la population. Mais les mobilisations de l'automne dernier n'ont pas réussi à construire leur représentation politique. Et les négociations avec les syndicats (au cours desquelles une grande partie des revendications originales ont disparu) ont abouti à l'accord de Museumplein (7). Et finalement cet accord s'est traduit par un recul des acquis sociaux.

Ainsi, en automne, le mouvement n'a pas été capable de montrer qu'il peut s'imposer contre la politique du gouvernement. Et il n'est pas parvenu à se doter d'une représentation politique qui poursuivrait la lutte pour ses revendications.

Le référendum sur la Constitution européenne peut permettre la réouverture de ce débat politique qui n'a pas eu lieu. Car on ne demande pas autre chose aux électeurs que de s'exprimer sur le projet politique européen et donc, implicitement, au sujet du projet néolibéral global dont nous subissons depuis si longtemps les fruits acerbes. Ce référendum peut donc être, avec un décalage d'un peu plus d'une demi-année, la traduction politique de la mobilisation du 2 octobre.

1. Le 23 avril, pour la première fois au Pays-Bas, un sondage a donné 52 % pour le " non ». Le référendum doit se dérouler après le référendum français, le 1er juin 2005.

2. Le Parti socialiste (SP) est une organisation de la gauche radicale, antilibérale, d'origine maoïste, qui a obtenu 9 sièges au Parlement lors des dernières élections et 7 % — deux eurodéputés — lors des européennes de juin 2004. Sur le SP on peut se reporter aux articles parus dans Inprecor n° 495/496 de juillet-août 2004.

3. La Liste Pim Fortuyn (LPF), du nom de Pim Fortuyn, un politicien populiste assassiné en 2002, à la veille des élections législatives. Alors que la LPF fut le second parti parlementaire en 2002, il s'est rapidement désagrégé en l'absence de son fondateur, perdant deux-tiers de ses voix aux législatives de 2003 et ne parvenant pas à faire élire de députés lors des européennes de juin 2004, avec seulement 2,6 ë des suffrages.

4. Geert Wilders est un député de la droite nationaliste qui fait surtout campagne contre l'intégration de la Turquie au sein de l'UE.

5. Le Parti du travail (PvdA), parti social-démocrate historique, qui a longtemps été de tous les gouvernements, est un parti social-libéral. En 2002 il a perdu les législatives face à une coalition encore plus néolibérale…

6. La GroenLinks (Gauche Verte), qui a commencé comme une organisations écologiste de gauche — une fusion du PC, du Parti socialiste pacifiste et du PPR, un petit parti chrétien progressiste — s'est de plus en plus intégrée dans la politique européenne. Elle régresse ces dernières années (7,4 % des voix aux européennes de 2004 contre 11,8 % en 1999).

7. L'accord de Museumplein a été signé fin octobre par le gouvernement et toutes les centrales syndicales et adopté par un référendum interne au sein de la principale centrale syndicale FNV à 90 %, bien que les concessions gouvernementales aient été minimes et que le 2 octobre la manifestation nationale refusant la contre-réforme des retraites ait été une des plus importantes depuis des années. Mais entre-temps il y avait eu l'assassinat de Van Gogh et une vaste campagne réactionnaire contre les immigrés…

traducteur
J.M. (du néerlandais)