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De la secte au parti de masse

par Alex De Jong
Jan Marijnissen, président du SP. © Roel

Le Parti Socialiste hollandais (SP) est passé de force marginale à candidat au niveau national. Mais il a " perdu son âme en chemin ».

Octobre 2014

Dans nombre de pays occidentaux, l'extrême gauche reste dominée par des groupes enracinés dans la radicalisation des années 1960. La plupart n'ont jamais pu devenir plus que des groupes propagandistes de quelques centaines de membres. Le Parti socialiste (SP) aux Pays-Bas fait donc figure d'exception. Ce qui a commencé comme une énième scission de gauche s'est développé en parti de masse qui semble en position de devenir la plus grande force à gauche du centre dans le pays.

Les élections municipales de mai 2014 ont vu un changement dramatique dans les politiques de la capitale néerlandaise, Amsterdam : pour la première fois depuis sa fondation en 1946, le Parti travailliste social-démocrate (PvdA) a disparu de l'exécutif municipal. À sa place, deux partis de droite ont formé une coalition avec le SP. Jusque-là, les tentatives du Parti socialiste de dépasser le PvdA à l'échelle nationale ont échoué, mais il est sur les talons de ce parti plus établi.

Le développement est remarquable, d'autant plus que la gauche néerlandaise a historiquement été faible. La classe ouvrière industrielle, souvent la colonne vertébrale des partis de gauche en Europe, était relativement petite aux Pays-Bas. Et les travailleurs ont longtemps été divisés entre protestants et catholiques. De larges secteurs de la classe ouvrière catholique, défavorisée, étaient organisés selon des lignes de démarcation religieuse. Les mouvements sociaux restent faibles. Malgré cela, le SP a grandi pour devenir le troisième plus grand parti du pays.

Le SP trouve son origine dans une petite scission prochinoise du Parti communiste des Pays-Bas en 1965. Ce groupe était basé dans la ville portuaire de Rotterdam, où il était l'un des nombreux groupuscules de gauche. Mais les maoïstes ont réussi à trouver du soutien pendant la radicalisation des années 1960, en particulier dans des régions du sud catholique du pays, alors que les organisations religieuses se disloquaient. Là, ils n'avaient pas beaucoup de concurrence de plus grandes organisations de gauche.

Tandis que beaucoup de groupes de gauche étaient actifs dans les syndicats, le SP a gardé ses distances vis-à-vis de ceux-ci. Les campagnes nationales sont aussi une priorité pour de nombreux militants de gauche, mais là aussi le SP avait d'autres préoccupations. Au lieu de cela, il s'est concentré sur des campagnes locales dans les municipalités. Ces campagnes étaient un moyen important pour le parti pour gagner de la reconnaissance et créer une base de soutien.

Fidèle au slogan maoïste " servir le peuple », le SP organisa du soutien médical et juridique pour les gens dans le besoin. Dans de nombreux endroits, les sections du SP coordonnent toujours de l'assistance pour les gens qui sont en conflit avec leur propriétaire ou qui ont besoin d'aide pour obtenir leur sécurité sociale. Cette approche a été un succès dans la construction d'un appui local dans plusieurs villes.

Mais il y avait des revers. L'idéologie officielle du parti, " marxiste-léniniste », avait peu à dire sur les activités quotidiennes du SP sur des enjeux locaux comme la sécurité routière, la pollution du sol ou le logement. Le parti est resté à l'écart des développements internationaux - son engouement vis-à-vis de la Chine s'est estompé au début des années 1970 - et il coopérait peu avec d'autres courants.

Le soutien local ne s'est pas traduit automatiquement en succès au niveau national. Beaucoup de gens qui ressentaient de la sympathie pour le travail du parti, mais aussi des militants actifs, n'avaient pas le sentiment que le SP pourrait les représenter au niveau national. À partir de la fin des années 1970, le parti participa sans succès aux élections parlementaires, en obtenant souvent dans ces élections des résultats inférieurs au total de ses voix aux élections locales.

Rompre avec les vieilles idées

Cependant, vers la fin des années 1980, le SP n'a pas été épargné par la crise mondiale de la gauche radicale. Pour échapper à la stagnation, un groupe de dirigeants du parti impose une réorganisation pour se concentrer sur l'objectif de la percée nationale. Le président sortant fut mis de côté, en même temps que les dernières références maoïstes.

Le " vieux » SP était une formation de cadres qui exigeait beaucoup de ses militants, mais dorénavant quiconque payait ses cotisations pourrait être membre. D'environ 750 membres au début des années 1980, le parti a grandi pour atteindre 15 000 membres en 1992. Le SP est également devenu plus actif dans les campagnes nationales et plus désireux de coopérer avec d'autres groupes de gauche. En 1988 le parti rédigea une nouvelle charte, sans références à la révolution ou au renversement de l'État, et quelques années plus tard il laissa tomber sa description comme parti " marxiste ».

La nouvelle direction était composée en grande partie de personnes qui étaient déjà des membres importants avant, et qui jouent encore souvent un rôle central dans le parti. Le plus important d'entre eux est Jan Marijnissen. En 1975 il devient conseiller municipal du SP à Oss, une petite ville industrielle du Sud catholique, et en 1988 il devient président du parti, une position qu'il occupe toujours. De 1994 à 2008, il était aussi président de son groupe parlementaire. Des idées qui allaient plus tard faire partie des documents programmatiques du SP peuvent être trouvées quasiment au mot près dans ses livres.

La dernière gauche debout ?

Pendant ce temps, la politique néerlandaise se transforma. Durant les années 1980, tous les partis à gauche du Parti travailliste perdirent leurs sièges au Parlement. La droite était à l'offensive tandis que l'économie traversait une récession. Beaucoup se rassemblèrent derrière le Parti travailliste, espérant qu'il serait assez fort pour stopper les attaques. Leurs attentes ont été déçues.

Revenus au gouvernement en 1989, les sociaux-démocrates commencèrent à appliquer des mesures d'austérité. Au pouvoir tout au long les années 1990, le Parti travailliste opta pour les politiques de la " troisième voie » néolibérale. Ils aidèrent à privatiser les entreprises publiques comme le rail et la poste, à couper dans les services sociaux, et dérégulèrent les marchés du travail et du logement. Le nombre de membres du PvdA déclina rapidement : entre 1989 et 1994, plus d'un quart de ses membres quitta le parti.

La gauche était en crise. Dans les années 1980, les syndicats avaient accepté la modération salariale et perdu de la crédibilité. En dix ans, le pourcentage de travailleurs syndiqués est tombé de 35 % à moins de 25 %. Ces années ont bien connu de grandes mobilisations sociales, mais aucun de ces mouvements n'a gagné de victoires claires.

Le vieux parti communiste et plusieurs autres partis de gauche fusionnèrent après 1990 dans GroenLinks (Gauche Verte), une formation qui s'est rapidement orientée vers les professionnels à haut niveau de qualification. Après la désintégration de l'extrême gauche et le tournant néolibéral du Parti travailliste, le SP devint, quasiment par défaut, la seule opposition de gauche.

Le SP récupéra des morceaux de la vieille gauche. Des électeurs déçus du parti travailliste rejoignirent le " nouveau » SP, tout comme le firent quelques communistes et d'autres militants de gauche qui étaient mécontents du développement de GroenLinks. Parmi les nouveaux membres se trouvaient des militants avec une expérience précieuse - par exemple, dans les campagnes d'élections nationales.

Avec le Parti travailliste au gouvernement et perdant de l'audience, et uniquement GroenLinks comme concurrent à gauche, les élections de 1994 ont fourni au SP une précieuse fenêtre d'opportunité. Il tripla son score, obtenant 1,32 % des voix. Dans le système électoral néerlandais, c'est suffisant pour obtenir deux des 150 sièges au Parlement.

Les deux premiers parlementaires du SP, dont l'un était Jan Marijnissen, devinrent des voix importantes de la gauche. Le parti grandit rapidement. En 1998 il gagna cinq sièges, en 2002 neuf et en 2003 à nouveau neuf - devenant cette fois le plus grand parti à gauche du Parti travailliste. Le nombre de membres atteignit un sommet autour de 50 000 entre 2007 et 2010, et déclina légèrement pour se stabiliser à 45 000 ensuite. Autour de 10 % de ces membres sont régulièrement actifs pour le parti.

Une nouvelle réorientation

En 2006, le SP atteignit un pic de 25 sièges au parlement. Ce nombre est aujourd'hui de 15. En regardant en arrière, la période entre 1999, lorsqu'il adopta son manifeste actuel Heel de Mens (" L'humain tout entier »), et 2006 est comparable avec celle de la fin des années 1980, début 1990 comme une période de changement profond pour le parti. Dans son manifeste de 1999, le SP abandonna ses doutes antérieurs sur la viabilité démocratique du Parlement, décrétant celui-ci comme " le moyen le plus important pour faire entendre et mettre en œuvre la volonté de la population ».

Son socialisme aussi a subi une métamorphose. Le parti ne se considérait plus comme marxiste, mais dans sa charte l'idée marxiste que le socialisme implique le contrôle démocratique sur les moyens de production était encore reconnaissable. Mais avec Heel de Mens, le SP adopta un socialisme éthique qu'il résume comme " la dignité humaine, l'égalité et la solidarité entre les gens ». La force motrice pour réaliser ces idéaux est " l'indignation morale ».

Selon le dirigeant et vétéran du SP Tiny Kox, " dans les années 1970 nous étions tous un peu fous ». Mais le SP des débuts était un candidat particulièrement improbable pour faire une percée. Son pragmatisme idéologique et ses slogans moraux ont été une réussite pour gagner en taille et en représentation, mais il y avait en même temps un malaise grandissant sur l'évolution du parti.

Le SP mène des actions sur des thèmes où l'expérience vécue des gens entre en contradiction avec l'idée hégémonique que les Pays-Bas sont une société qui valorise l'honnêteté, l'égalité, la démocratie et la justice. Par exemple ses campagnes pour défendre les soins de santé, les soins aux personnes âgées, ou, jusqu'en 2012, le maintien de l'âge de la retraite à 65 ans. Le SP utilise souvent des termes comme " moralité » et " civilisation » pour justifier ses revendications. Au lieu de gagner des gens sur de nouvelles idées, cette stratégie utilise des valeurs bien acceptées, pour gagner de l'audience.

Son ancien " marxisme-léninisme » avait peu de rapport avec la pratique du SP. Les déclarations programmatiques parlaient dans des termes généraux de la nationalisation de grandes entreprises et des ressources, et décrivaient vaguement les politiques gouvernementales qui garantiraient du travail et du logement pour tout le monde. Les documents ne traitaient pas de la manière dont le travail local du parti pourrait servir de point d'appui vers de tels changements. La théorie du SP du début était en grande partie rhétorique, parfois avec des thèmes apocalyptiques, comme son manifeste de 1974 qui déclarait que le capitalisme " menace l'existence du peuple néerlandais ».

Mais le socialisme éthique du SP actuel n'est pas sans conséquences pour sa pratique quotidienne. Utilisant des arguments moraux, le parti essaye d'attirer tout le monde, en partant de l'idée que la motivation pour soutenir le SP n'est pas l'intérêt de classe ou le désir d'émancipation mais la moralité. La faiblesse relative du cadre et de l'analyse théoriques du SP est souvent vue comme un reste de son ouvriérisme passé, mais a également une source différente : pour un parti qui se considère comme motivé par " l'indignation morale », la théorie et l'analyse jouent un rôle secondaire.

Cette stratégie implique que le SP a peu d'expérience dans le recrutement de membres sur la base d'idées ou dans des débats idéologiques dans lesquelles différentes conceptions du monde s'affrontent. Cet évitement du débat idéologique a causé des difficultés au SP dans sa compétition avec le PvdA. La pensée néolibérale est profondément enracinée aux Pays-Bas, et les mêmes recours au " sens commun », auxquels fait appel le SP, peuvent empêcher des électeurs d'accepter l'anti-néolibéralisme du SP comme alternative.

À chaque fois, dans les sondages pré-électoraux beaucoup disent qu'ils prévoient de voter pour le SP mais finissent par voter PvdA, une force gouvernementale plus " crédible ». Pour un si grand parti, le SP a peu d'influence dans les médias et parmi les intellectuels connus, particulièrement en comparaison avec le PvdA. Cela signifie que le PvdA est souvent encore en mesure de dépeindre le SP comme des radicaux irresponsables qui n'offrent aucune solution. Beaucoup de gens sont moralement d'accord avec le SP mais ne sont toujours pas convaincus que ses propositions sont réalistes. Ceci était particulièrement clair dans la campagne pour les élections de 2012 : en quelques semaines, le soutien pour le SP dans les sondages a diminué de 35 sièges à 15, tandis que le PvdA passait de 30 à 38.

Le SP tente de gagner des électeurs qui ont été abandonnés par les autres partis, comme les soutiens de la vieille extrême gauche et des sociaux-démocrates qui sont mécontents du cours néolibéral du PvdA. Pendant la dernière décennie, le parti a aussi essayé de gagner des gens qui sont mécontents du tournant à droite de la démocratie chrétienne. Cette orientation et la priorité mise sur le Parlement impliquent que le SP se concentre sur des campagnes sur lesquelles il est certain de trouver un soutien massif.

À la recherche de futurs partenaires gouvernementaux

Le dirigeant du SP Ronald van Raak a résumé l'approche du SP envers les mobilisations sociales en disant que les actions sont " un complément important à la représentation au conseil municipal et au parlement ». La visibilité espérée et la réponse médiatique sont des facteurs déterminants dans la décision de savoir si le parti va participer à une manifestation ou une campagne. Par exemple, le SP a joué un rôle important dans les manifestations contre l'invasion de l'Irak en 2003. Mais après l'invasion, alors que l'attention pour l'Irak déclinait, le SP est revenu sur son implication.

Le SP évite les questions dont il suppose qu'elles vont moins rapidement attirer un soutien massif ou qui pourraient être controversées parmi ses propres partisans. La plus importante de celles-ci est l'antiracisme. Depuis le tournant du siècle, les opinions racistes et en particulier islamophobes sont devenues prononcées aux Pays-Bas et jouent un rôle important dans le débat politique. Cependant, le SP garde ses distances par rapport aux initiatives antiracistes. Il semble considérer le racisme comme étant simplement un effet secondaire des difficultés socio-économiques.

Pendant presque une décennie, le SP s'est placé dans la tradition du Parti travailliste avant son tournant néolibéral. Il essaye maintenant de contester la position du PvdA comme principal parti de gauche et se positionne comme composante d'une future coalition gouvernementale. Après les élections de 2006, le PvdA a refusé le SP comme partenaire de coalition pour le gouvernement. Cependant, il a réussi à placer la responsabilité de ce choix sur le SP, qu'il a décrit comme rigide et irréaliste. Cette expérience a laissé une rancœur au SP, qui essaie depuis de démontrer qu'il est un parti de gouvernement.

Le choix du SP de faire une coalition avec la droite dans l'exécutif de plusieurs villes et au niveau régional fait partie de cette logique. Le parti espère qu'à travers sa participation à des exécutifs il peut prouver son utilité pour de futurs partenaires de coalition nationale et convaincre les électeurs de sa légitimité. Il considère la participation à la mise en œuvre de mesures d'austérité comme inévitable.

Depuis 2006, le SP a aussi laissé tomber un certain nombre de revendications qui étaient perçues comme " trop radicales » et empêchant son acceptation dans un gouvernement de coalition, comme la sortie de l'OTAN, l'abolition de la monarchie ou l'opposition à la hausse de l'âge de la retraite jusqu'à 67 ans. À quelques exceptions près, le parti est également resté à l'écart des manifestations contre les récentes attaques israéliennes sur Gaza - en partie à cause de son refus de ce qui serait trop radical ou controversé.

En août dernier, l'ancienne sénatrice SP et icône féministe, Anja Meulenbelt, a quitté le parti, déçue par son manque d'attention envers l'antiracisme et la solidarité internationale. Elle a averti le SP qu'il risquait de tomber dans le même piège que " cet autre parti » qui a abandonné ses principes idéologiques dans un raccourci vers le pouvoir. Chaque jour où le SP met en priorité son rêve de participation gouvernementale sur l'organisation militante, il ressemble un petit peu plus au PvdA. ■

* Alex de Jong, co-directeur de l'Institut international de recherche et de formation (IIRF/IIRE) d'Amsterdam, est membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale et rédacteur en chef de Grenzeloos, la revue de la section néerlandaise. Cet article a été initialement publié par la revue étatsunienne Jacobin (www.jacobinmag.com), puis, traduit de l'anglais par Mauro Gasparini, par La Gauche (revue électronique de la section belge de la IVe Internationale, LCR-SAP) : http://www.lcr-lagauche.org (traduction revue par Inprecor).

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