La menace fasciste et les moyens de la conjurer

par Antoine Larrache
France, Paris, rassemblement après la victoire de la gauche lors du deuxième tour des legislatives. Photographie de Martin Noda / Hans Lucas

Depuis le second tour des élections législatives françaises, des messages de félicitation sont arrivés du monde entier, tandis que dans les quartiers populaires résonnaient des chants et des cris de joie. Cette euphorie ne doit pas nous faire oublier ce qui nous menace, mais nous donner des lignes directrices sur comment avancer.

Dans les semaines qui ont précédé l’élection, des dizaines d’agressions ont été commises par des fascistes. Le Rassemblement national est passé de 4,2 millions de voix en 2022 à 9,4 millions en 2024, de 89 à 143 sièges (en comptant ses alliés chez Les Républicains). Marine Le Pen a déclaré sur TF1 : « Le Rassemblement national est le premier parti de France, il est aussi le premier parti en termes de députés et je vois surtout l’ensemble de ferments qui forment la victoire de demain. La marée monte, elle n’est pas montée assez haut cette fois-ci mais elle continue à monter et notre victoire n’est que différée ». La défaite du RN n’est pas encore une victoire pour le mouvement ouvrier.

L’ascension mondiale de l’extrême droite

Aux États-Unis la victoire de Trump est chaque jour plus probable, au Royaume-Uni le parti raciste Reform a atteint 4 millions de voix lors des élections générales, tandis qu’en Irlande l’extrême droite a recueilli 5 % des voix (auxquelles on peut ajouter 11% de votes pour la droite populiste) aux élections européennes, sans parler des pays où l’extrême droite est déjà au pouvoir ou réalise déjà des scores très hauts.

Néanmoins donc, le RN est repoussé. Et l’élément le plus impressionnant dans cette séquence est sans doute la capacité de reconstitution du prolétariat en classe par l’intermédiaire déformé du Nouveau Front populaire. En quelques semaines, les organisations de gauche ont réalisé un improbable accord, de Poutou à Hollande. Cet accord, réalisé par en haut mais sous la pression indéniable des classes populaires effrayées par le danger de l’extrême droite, a permis en retour de mobiliser des dizaines de milliers de militant·es (dans un grand nombre des 577 circonscriptions, des centaines de personnes se sont mises en mouvement) et d’obtenir une victoire relative (182 sièges). L’implication des syndicats, en particulier de la CGT et de Solidaires, mais aussi de la CFDT sur une base démocratique, a été importante. Cette unité ne vient pas de nulle part, elle est une forme de prolongement de la NUPES de 2022 et de la très large unité syndicale réalisée pendant le mouvement contre la réforme des retraites.

Une polarisation croissante

On observe en France, comme dans de très nombreux pays du monde, une polarisation accrue entre l’extrême droite, parfois fascisante, et la gauche. Dans une période de crise profonde – écologique, sociale, économique, politique… – du capitalisme, l’affrontement se fait de plus en plus fort. « Il n’est désormais plus question de nouvelles réformes ni d’aumônes, mais plutôt de rogner et de revenir sur ce qui avait été déjà accordé. La domination politique de la bourgeoisie entre ainsi en contradiction non seulement avec les organes de la démocratie prolétarienne (syndicats et partis politiques), mais aussi avec la démocratie parlementaire dans le cadre de laquelle se sont constituées les organisations ouvrières » écrivait Trotski en 1932 à propos de l’Allemagne 1 .

Les problèmes posés en France sont les mêmes que ceux posés à l’échelle mondiale : comment combiner d’une part la reconstruction du mouvement ouvrier, d’une classe consciente d’elle-même, d’un prolétariat qui a changé et dont aujourd’hui les personnes racisées, les femmes mobilisées et les LGBTI constituent un élément moteur et imbriqué avec les ouvrier·es et les employé·es conscient·es, avec d’autre part la défense d’une orientation à la hauteur des enjeux posés par la crise du capitalisme. Il ne peut être question, dans une telle période, de participer à des gouvernements sociaux libéraux, avec Lula au Brésil, le Parti travailliste en Grande-Bretagne, un nouveau Hollande en France ou un Biden aux États-Unis. Le rôle des révolutionnaires est de tenter de regrouper les secteurs du mouvement favorables au front unique, à la construction de mobilisations de masse, unitaires, seules à même de modifier les rapports de forces politiques et sociaux et d’ouvrir la voie à la construction d’une autre société. À nous, dans le monde entier, de nous insérer dans les dynamiques militantes, de les renforcer, pour les pousser jusqu’au bout ! 

Le 8 juillet 2024

 Antoine Larrache est rédacteur d’Inprecor, membre de la direction de la IVe Internationale et du NPA-L’Anticapitaliste.

  • 1« La seule voie », dans Comment vaincre le fascisme, 13 septembre 1932.