Japon : début d’un changement politique radical pour la classe ouvrière

par Karen Yamanaka
Kishida est élu, le 4 octobre 2021. © 首相官邸ホームページ, CC BY 4.0

Le scandale des dessous de table lors des soirées de collecte de fonds de la faction Abe, la plus grande faction du Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir au Japon, est devenu un problème majeur qui ébranle les fondations du régime Kishida au Japon.

La faction Abe a fourni de nombreux politiciens au cœur du régime Kishida au Japon. Le scandale a commencé par une plainte en justice contre la sous-déclaration des revenus provenant de la vente de tickets lors de soirées de collecte de fonds par les factions du PLD. En fait, 80 à 90 % des recettes de ces soirées sont devenues une économie souterraine à l’origine douteuse. Il a également été dit que les revenus cachés provenant de la vente de tickets pour des événements de collecte de fonds avaient été reversés à des membres du PLD.

En réponse au scandale de ces versements, le Premier ministre sortant, Fumio Kishida, a remplacé quatre ministres, dont le secrétaire en chef du cabinet, le 14 décembre. Cinq vice-ministres et un secrétaire parlementaire de la faction Abe ont également démissionné. Des scandales similaires ont également été découverts dans d’autres factions. Même la faction Kishida, dirigée par le Premier ministre Fumio Kishida, a fait l’objet de soupçons. En outre, les accusations de rétrocessions impliquant des membres clés du cabinet et des cadres du PLD ne cessent de s’amplifier. Le problème ne peut être résolu simplement en remplaçant les ministres de la faction Abe et les responsables du parti. Le 14 décembre, lorsque le remplacement de quatre ministres a été annoncé, le journal japonais Jiji Press a publié les résultats d’un sondage d’opinion. Selon ce sondage, le soutien au cabinet était de 17,1 % et celui du PLD de 18,3 %, les chiffres les plus bas depuis que le PLD est revenu au pouvoir en 20121. La colère du peuple japonais contre un gouvernement qui ne rend pas de comptes ébranle la politique japonaise.

Première enquête

Ces scandales de dessous-de-table versés par la plus grande faction du PLD ont mis en lumière le problème institutionnel d’hommes politiques dont la gestion a pour seul but de retirer des avantages personnels. Le cabinet de Fumio Kishida a été considérablement remanié à la suite de ces scandales. Il est inhabituel que le PLD ne comporte aucun ministre issu de la faction Abe, qui représente un quart des député·es du PLD. En novembre dernier, après le dépôt de la plainte, le département des enquêtes spéciales du bureau des procureurs du district de Tokyo a lancé une enquête sur les accusations selon lesquelles cinq grandes factions du PLD, dont la faction Abe, avaient omis de déclarer dans leur bilan financier un total d’environ 40 000 000 JPY de revenus (250 000 euros environ) provenant de soirées de collecte de fonds2. Les dirigeants de la faction Abe, au cœur du régime Kishida, sont tous soupçonnés d’être impliqués dans ce scandale.

Les cinq principales factions du PLD incluent la faction dirigée par le Premier ministre Fumio Kishida lui-même. Au cours de l’enquête menée par le département des enquêtes spéciales du bureau des procureurs du district de Tokyo, non seulement les recettes provenant de la vente de billets pour la soirée de collecte de fonds n’ont pas été incluses dans le rapport, mais il s’est également avéré que le montant de l’argent collecté par les membres du conseil en sus de leurs « quotas » respectifs avait été dissimulé dans le bilan et leur a été reversé. Dans le cas de la faction Abe, le montant total s’élèverait à 500 millions de yens (3,2 millions d’euros). Depuis que le scandale des rétrocessions a été révélé, les médias japonais ont utilisé de nombreux termes tels que « tickets de soirées », « argent des rétrocessions » et « quota » dans leurs reportages quotidiens. Même de nombreux Japonais qui ne s’intéressent normalement pas à la politique sont désormais contraints de réaliser que le gouvernement est en danger. Une enquête approfondie menée par les autorités d’investigation après la fin de la session extraordinaire de la Diète, le 13 décembre, serait un coup dur pour le régime de Kishida.

L’origine des rétrocessions

Pour comprendre le processus des dessous-de-table dans la politique japonaise, il faut d’abord comprendre ce que sont les soirées de soutien, comment sont vendus les « tickets de soirée » et comment se déroule le processus des rétrocessions. Le mot « soirée » fait rêver de nombreuses personnes. Cependant, les soirées de collecte de fonds ne doivent pas être comprises comme des soirées festives. Elles n’ont pas pour but de divertir les participant·es et n’attendent pas d’eux qu’ils se rendent sur place. L’objectif des soirées est d’inciter les gens à faire des dons. Au début des années 2000, lorsque le PLD était en plein essor, les législateurs organisaient des soirées nocturnes dans des hôtels célèbres autour de l’Assemblée nationale. Après un bref discours des dirigeants du PLD, la fête se poursuivait par un buffet debout, d’une durée d’environ 30 minutes. Les participant·es ne mangeaient pas ou très peu. Après la crise de Covid 19, le nombre de « soirées » où l’on ne sert même pas de nourriture a augmenté. Ces « soirées » inhabituelles sont organisées avec environ 2 000 participant·es entassé·es dans la salle.

La loi japonaise prévoit que les recettes et les dépenses des « soirées » doivent être déclarées. Ces rapports sont ensuite mis à la disposition du public. Le rapport de la faction Abe pour 2022, publié en novembre dernier, montre que plus de 70 % des revenus sont en fait des bénéfices3. Les membres de la faction Abe ont vendu 2,5 fois plus de billets que la salle ne pouvait accueillir de personnes, 2 000 personnes au maximum. En 2022, 59 entreprises et organisations politiques ont été répertoriées comme ayant effectué des paiements supérieurs à 200 000 JPY (1 300 euros) et certaines de ces entreprises ont payé 1 500 000 JPY (9 600 euros). Si une organisation politique achète des tickets pour un parti, cela doit être noté dans son propre rapport et rendu public. Cependant, dans le rapport actuel, les noms ne figurent que pour une petite partie du revenu total. La plupart des documents du rapport n’indiquent pas qui les a payés.

L’argent des rétrocessions intentionnellement masqué

Le rapport de la faction Abe a identifié plus de 30 000 000 JPY (190 000 euros) non référencés pour la période de cinq ans allant de 2018 à 2022. En outre, des dons « non référencés » ont été trouvés dans tous les rapports des cinq principales factions du PLD. Le montant total s’élevait à près de 60 000 000 JPY (380 000 euros) sur la période. Après une série d’informations données par la presse, les factions du PLD ont révisé la description de leurs rapports. Cependant, l’omission d’un montant aussi élevé n’est pas une simple erreur. Il est clair que les rapports ont été délibérément falsifiés. L’objectif de ces faux rapports est de permettre les rétrocessions. Cependant, les faux rapports révélés cette fois ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le département d’enquête spéciale du bureau des procureurs du district de Tokyo, mène actuellement une enquête approfondie. L’enquête a apporté le soupçon selon lequel le montant collecté par les député·es de chaque faction au-delà de leurs « quotas » respectifs leur a été « rétrocédé », dissimulant à la fois leurs revenus et leurs dépenses. Ces dessous de table ne sont rien d’autre que des fonds secrets, dont l’échange n’est pas mentionné dans les rapports.

Les fonds secrets sont monnaie courante

Le scandale des rétrocessions au sein de la faction Abe du PLD s’est poursuivi après la mort d’Abe lors d’un discours de campagne en juillet 2022. Sans l’incident de 2022, le côté obscur de la politique « de fermeté » d’Abe, nationaliste de droite, aurait pu être imposé, y compris le scandale des dessous-de-table. De plus, les fonds secrets au Japon ne sont pas limités au seul PLD. Le scandale touchant la faction Abe n’est qu’une suite des problèmes de la politique, du gouvernement et des affaires qui ont été dissimulés par le pouvoir d’État. Les médias ont souvent fait état de rétrocessions au sein de la police japonaise, mais ceux-ci n’ont pas été considérés comme un problème majeur4. Dans le passé, les organisations de policiers ont commis le crime évident de tricher sur les irrégularités budgétaires en tenant une double comptabilité. Cependant, ces actes n’ont pas fait l’objet de poursuites judiciaires et les enquêtes n’ont pas été conduites sérieusement parce que les officiers de police qui devaient enquêter étaient directement impliqués dans les malversations.

En 2009, il a été révélé que de grandes entreprises japonaises gonflaient les coûts de construction des projets japonais à l’étranger, notamment dans le cadre de l’aide publique au développement (APD)5. Les entreprises déploient également des efforts considérables pour rassembler l’argent des rétrocessions, notamment en créant des sociétés écrans à l’étranger. Les rétrocessions illégales ont été utilisées pour financer le PLD et d’autres partis au pouvoir avec l’objectif de remporter des contrats de construction nationaux et internationaux, entre autres. De nombreux politiciens et bureaucrates au Japon et à l’étranger dépendent des dessous de table. La « politique de l’argent » du PLD, le parti le plus souvent au pouvoir, a été l’un des plus grands problèmes de la politique japonaise d’après-guerre – par exemple, le scandale Lockheed en 19766 et le scandale de Recruit en 19887. La politique est devenue une « industrie » au Japon. Les hommes politiques japonais ont besoin de satisfaire ces « industries » pour être mis en avant. L’opacité de la société japonaise a été conservée avec la domination politique du gouvernement à long terme et du PLD, qui a été maintenue par le contexte historique de la politique d’après-guerre au Japon.

En finir avec le PLD

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les premières enquêtes obligatoires ont commencé dans les bureaux de deux factions, dont la faction Abe. Cette situation pourrait détruire « la nation japonaise » si les procureurs enquêtent sérieusement (sans retenue). L’acharnement des médias contre la politique « monolithique » du Premier ministre Abe et le PLD se poursuit sans relâche. Les accusations portées contre le PLD et ses membres sont innombrables.

En réponse à la mise en accusation permanente du PLD dans son ensemble, le Premier ministre Fumio Kishida a annoncé qu’il s’abstiendrait d’organiser des soirées de faction pour le moment et qu’il ne serait plus le chef de la faction Kishida. Mais toutes les déclarations des ministres du PLD sont très éloignées de ce qui se passe dans l’opinion publique. Outre la nécessité de recueillir le témoignage des anciens secrétaires généraux des principales factions, une enquête approfondie sur les accusations de rétrocessions s’impose. Il est impératif d’éradiquer la politique de l’argent au Japon en interdisant totalement les soirées de collecte de fonds et les dons d’entreprises et de groupes, y compris les recettes provenant de la vente de tickets pour les soirées de collecte de fonds. Il est également nécessaire d’abolir les subventions aux partis politiques, qui ont des effets néfastes évidents.

Le système de subventions aux partis politiques, qui leur alloue des fonds du contribuable, oblige en fait les partis politiques à faire des dons, et c’est un système qui viole la Constitution en piétinant la « liberté de pensée et de croyance » et la « liberté de soutenir les partis politiques ». La mort de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe a été le catalyseur qui a permis d’interrompre la longue succession de politiques malhonnêtes et antidémocratiques.

Les politiques pro-capitalistes d’Abe avaient ignoré leurs victimes et exploité la main-d’œuvre avec des salaires bas et des conditions de travail instables au nom de la « théorie de l’autoresponsabilité ». Même de nombreux Japonais·es qui ne prêtent habituellement pas attention à la politique sont désormais conscient·es de la crise politique que traverse le Japon. Le moment est venu de poursuivre la lutte pour renverser le gouvernement de droite radicale, incompétent, du PLD et pour mettre fin sa politique. C’est le point de départ d’un processus de changement politique radical pour la classe ouvrière japonaise.

Le 19 décembre 2023

  • 1Fiji Press, 14 décembre 2023, « Soutien au cabinet Kishida 17% = baisse continue en raison des allégations de caisse noire ; désapprobation 58% ».
  • 2Tokyo Web, 25 décembre 2023, « La méthode du PLD consistant à créer une “caisse noire” avec les tickets du parti ».
  • 3Rapport sur les revenus et les dépenses (japonais).
  • 4Toyo Keizai, 11 mai 2022, « Caisses noires de la police» : ce que l’exécutif m’a appris ».
  • 5Red Flag, 16 janvier 2009, « Création d’une caisse noire, principalement à l’étranger ».
  • 6Scandale de corruption international touchant l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, les Pays-Bas et le Japon, pour des ventes d’avions militaires.
  • 7Délit d’initié et scandale de corruption concernant l’introduction en bourse de la société Recruit, une société de gestion de personnels et de petites annonces, qui a permis de rémunérer une cinquantaine de politiciens, concernant notamment le Premier ministre, et des personnalités du PLD, du Komeito, du Parti démocratique du Japon et du Parti socialiste du Japon.