Été social 2011 : Possibilités et défis

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Manifestation dans le quartier de Shapira pour les résidents du sud de Tel-Aviv. © Roi Boshi
Stanley Fischer, le gouverneur de la banque centrale d'Israël, ramène les problèmes sociaux d'Israël à quatre phénomènes importants : le logement, le coût de la vie, les impôts et la capacité (l'incapacité) du gouvernement à fournir des services exigés par le public. Le ministère des Finances maintient que les exigences sociales des protestataires coûteraient quelques 60 milliards de shekel (12,12 milliards euros). Les analystes et les données de médias éditées par la banque centrale et le ministère des Finances d'Israël indiquent que l'État pourrait y faire face.

Mais les milliers de personnes campant dans les rues et les places du pays, les centaines de milliers qui ont pris les rues, samedi 30 juillet, exigent un changement fondamental des priorités nationales : l'élimination des politiques néolibérales et la restauration de l'État-providence. Autrement dit, comme les manifestants eux-mêmes l'ont crié, " la révolution. »

Le gouvernement d'Israël manque de volonté politique pour résoudre les problèmes soulevés par ces protestations, tout en essayant de manœuvrer les protestataires et de s'en servir pour approfondir son projet néolibéral.

Dans une conférence de presse à Jérusalem, le 1er août, Stanley Fischer a déclaré que la solution au manque de logements inclurait la création de comités pour passer outre les processus de planification existants, le soutien au bâtiment et une réforme du marché de l'immobilier. Entre les lignes, Fischer annonce ainsi des aides aux grandes entreprises du bâtiment et aux sociétés d'adjudication en réduisant les contraintes écologiques et sociales tout en accélérant la privatisation des terres de l'État.

Aujourd'hui, 93 % des terres de l'État d'Israël sont des terres appartenant aux réfugiés palestiniens et sont ainsi protégées par des garanties internationales publiées par les Nations Unies depuis 1950.

En même temps, le Premier ministre Netanyahu accélère l'ouverture du marché laitier aux importations comme réponse au coût élevé de nourriture, ainsi que la privatisation des services publics.

Mais des rangs de la protestation sociale elle-même vient une suggestion plus radicale : réduisez le budget de la défense. Le 31 juillet, lors de l'examen mensuel du Comité de la Knesset pour les affaires étrangères et la défense, le chef de l'Etat-major, le général Benny Gantz, s'est référé à cette proposition : " Nous devons prendre en considération la période actuelle marquée par les menaces croissantes. Nous ne pouvons pas compromettre notre capacité d'agir. Sur cela il ne peut y avoir aucun compromis. » Il se référait à la demande de l'Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) que l'ONU reconnaisse un État palestinien indépendant. Selon Gantz, un mouvement de protestation non violent palestinien est en préparation pour septembre " contre le mur ou contre les colonies. » Il a ajouté que l'armée acquiert maintenant des armes pour répondre aux mobilisations palestiniennes de masse et renforce les activités de renseignement pour empêcher un tel mouvement.

Lors d'une réunion de la faction du Likoud à la Knesset, qui a eu lieu le 1er août, le Premier ministre a calmé les soucis de son chef d'Etat-major : " En dépit de la protestation, la réduction du budget de la défense n'est pas à l'ordre du jour du gouvernement. »

Les milliers de personnes qui ont occupé les espaces publics dans les villes d'Israël ne sont pas un groupe homogène et n'ont pas une direction reconnue. Ils rejettent le régime néolibéral, la privatisation des services publics et les relations intimes entre le capital et le gouvernement. Mais, en dehors de cela, les protestataires ne sont d'accord sur rien.

Ce mouvement de masse n'a pas de direction nationale. Aucun campement de protestation ne représente les autres. Dans les campements eux-mêmes il y a un accord consensuel pour se limiter à quelques problèmes. N'importe quel groupe peut prendre ses propres décisions, mais elles n'engagent que lui-même. La pratique des réunions dans lesquelles les décisions sont prises par consensus doit encore s'imposer. Pourtant le mouvement a créé un espace qui sert de référence à la presse locale et internationale. Cet espace c'est le campement sur le boulevard Rothschild à Tel-Aviv.

Mais si les protestataires médiatisés campent sur le boulevard Rothschild, cela ne signifie pas que les autres se sentent représentés par eux. L'attention des médias est concentrée ici non seulement parce que le premier groupe de protestataires s'y est établi, mais également parce que les médias et les politiciens qui dominent en Israël préfèrent interpréter ce mouvement de protestation comme celui des " classes moyennes », alors que la plupart des protestataires sont des locataires de logement à caractère social, des mères célibataires, des immigrés juifs d'Asie et d'Afrique et des travailleurs migrants.

Cette " classe moyenne » a biaisé les interprétations du mouvement. Elle a un temps facilité les tentatives de la municipalité de Tel-Aviv en vue d'expulser de force les protestataires regroupés au le sud de la ville, dans le parc Lewinsky, des protestataires qui ne sont pas issus de cette " classe moyenne » imaginaire. Ce sont des résidents d'un des quartiers les plus pauvres de la ville, y compris de nombreux travailleurs saisonniers. Il est cependant significatif que l'atmosphère régnant dans le mouvement social qui campe sur le boulevard Rothschild ainsi que ses marches de solidarité ont convaincu la municipalité de renoncer aux tentatives d'expulsion.

La nature même de ce mouvement de protestation, l'absence d'une direction centralisée rendent difficile son exploitation par les groupes qui ont traditionnellement négocié les luttes sociales en Israël. C'est surtout une limite pour la Fédération générale des travailleurs d'Israël (Histadrout), le syndicat majoritaire qui est le seul autorisé à négocier avec le gouvernement et les employeurs.

Dans une interview à la radio de l'armée israélienne, le secrétaire général de l'Histadrout, Ofer Eini, a reconnu que le syndicat ne dirige pas cette lutte sociale, en soulignant que si le but des protestataires est de renverser le gouvernement de Netanyahu, l'Histadrout n'y participerait pas. " Nous sommes un pays démocratique, nous ne sommes pas l'Égypte ou la Syrie, » a-t-il proclamé.

Eini était surtout bouleversé par l'exigence générale que toutes les négociations avec le gouvernement soient transparentes au public. L'Union nationale des étudiants s'est également élevée contre cette demande. Molly Itzik, son président, a indiqué à la presse qu'ils seraient " des adultes responsables à l'heure du dialogue avec le gouvernement ». Des membres du syndicat étudiant ont dit que le campement du boulevard Rothschild a été infiltré par " les éléments anarchistes qui radicalisent les revendications. »

Les leaders du syndicat étudiant espèrent que la nouvelle année universitaire s'ouvrira avec une victoire et qu'ils pourront en tirer profit lors des élections étudiantes. Ofer Eini sait que la demande publique d'une plus grande transparence des négociations avec les employeurs et le gouvernement est un danger. En mars de cette année l'Histadrout a fait face à une vague de protestations des assistants sociaux qui étaient peu disposés à accepter l'accord négocié par l'organisation des travailleurs avec le gouvernement et les patrons après environ trois semaines de grève.

Le principal danger aux yeux de l'Histadrout ce n'est pas les le gouvernement ni le patronat israéliens. Ce sont les organisations ouvrières radicales, telles que Koach La Ovdim (1) et Maan (2). Ces organisations relativement nouvelles sur le champ social agissent pour forger des syndicats qui représentent horizontalement les intérêts des travailleurs, tandis que l'Histadrout est une organisation qui collabore avec le gouvernement et des employeurs.

Le Président israélien Shimon Peres est intervenu dans la crise le 1er août pour profiter des faiblesses du mouvement de protestation et pour convaincre le campement du boulevard Rothschild d'abandonner les demandes de négociations publiques avec le gouvernement. La situation est cependant fluide, et même si ce groupe acceptait d'entamer des négociations avec le gouvernement, une direction alternative du mouvement pourrait voir le jour et décider de ne pas accepter les ordres de la bureaucratie des syndicats et de ne pas tenir compte des intérêts de l'Union nationale des étudiants.

La question que chacun a en tête mais que personne ne soulève est celle des Palestiniens. Les militants du mouvement de protestation craignent que la question palestinienne ne soit employée par le gouvernement comme une arme contre eux. Cependant, dans toutes les présentations publiques, les orateurs précisent que les Juifs et les Arabes sont des associés dans ce combat, bien que personne ne soit disposé à définir la signification immédiate et pratique de cette déclaration.

Les protestataires se rendent également compte de la possibilité que le gouvernement pourrait choisir une provocation militaire pour détourner la pression et l'attention. Ceci pourrait consister en une attaque au Liban ou dans les territoires palestiniens occupés. De nombreux protestataires pensent que le massacre par les militaires israéliens de deux Palestiniens dans le camp de réfugiés de Qalandiya, dans la nuit du 31 juillet, était une telle provocation. En réponse à la pression publique, Netanyahu a déclaré que ce massacre répondait seulement aux exigences militaires.

Excepté des développements exceptionnels, les groupes continueront à combattre ensemble jusqu'à la fin d'été. Mais la division entre le boulevard Rothschild et les campements de la périphérie sociale, où les gens n'ont pas d'autres options, verra le jour en septembre, quand les enfants reviennent à l'école et quand la classe moyenne mettra fin à sa rébellion de vacances. Ceux qui resteront sont ceux qui n'ont pas d'autres solutions.

Néanmoins l'été 2011 sera une ligne de partage : pour les mouvements sociaux en Israël il y aura un " avant » et un " après ». ■

Jérusalem, le 2 août 2011

* Sergio Yahni est co-directeur de l'Alternative Information Center (Centre d'informations alternatives), une association israélo-palestinienne qui lutte contre l'occupation des territoires palestiniens (www.alternativenews.org/<:a>)

Synthèse actualisée sur la Palestine et Israël
(® Inprecor)

notes
1. L'Organisation ouvrière démocratique Koach La Ovdim (littéralement " Pouvoir des travailleurs ») est un nouveau syndicat inter-professionnel, qui a commencé à organiser des emplois jusqu'ici non-syndiqués, surtout des travailleurs précaires et a réussi à faire une brèche dans le monopole syndical de l'Histadrout. " Koach La Ovdim » regroupe actuellement des milliers de cotisants, des hommes et des femmes (plus de 50 % de membres et plus de la moitié de son Assemblée représentative, la direction du syndicat), des Arabes et des Juifs, des cols blancs et des cols bleus, parlant l'hébreux, l'arabe, le russe, l'amharique et l'espagnol. Il encourage l'organisation syndicale sur les lieux du travail et non par métier et se présente comme " obéissant à ses valeurs et à ses membres et opposé à tous les intérêts particuliers en contradiction avec ceux de la classe ouvrière ».

2. Workers Advice Center-Maan (Centre de consultation des travailleurs) est une association à but non lucratif, fondée à la fin des années 1990. WAC-Maan organise les travailleurs indépendamment de leur nationalité, de leur religion, de leur genre ou de la couleur de leur peau et se donne pour but de réunir les non-syndiqués dans un syndicat universel.