Les otages de Khimki, toujours emprisonnés

par Carine Clément
Manifestation le 23 Août 2010 à Moscou pour la défense de la forêt de Khimki

Du 17 au 20 septembre ont eu lieu des Journées internationales pour la libération des "otages de Khimki" avec des actions dans plus d'une dizaine de pays, y compris à Paris. En Russie, des rassemblements ont eu lieu à Moscou (300 personnes), Saint-Pétersbourg (200 personnes), et plus d'une dizaine d'autres villes.

Plus de deux ans de lutte des riverains et militants écologistes, des dizaines de pétitions, de procès, de manifestations, de violentes agressions contre les opposants au projet, l'incarcération de jeunes sympathisants à la cause des habitants de Khimki, un meeting-concert massivement applaudi au centre de Moscou : il aura fallu tout cela et plus encore pour obtenir que le pouvoir fédéral accepte de prêter l'oreille aux revendications des citoyens. Le 26 août dernier le président Dmitri Medvedev a demandé à son gouvernement de suspendre le chantier qui ravage la forêt de Khimki, dans la banlieue de Moscou, pour la construction d'une autoroute reliant Moscou et Saint-Pétersbourg.

" C'est une grande victoire de la société civile, commente Evguenia Tchirikova, leader du mouvement de défense de la forêt de Khimki. Mais ça ne règle pas tous les problèmes, notre combat ne doit pas s'arrêter là-dessus. Il faut restaurer la forêt et, point important, obtenir la libération des militants injustement emprisonnés pour avoir soutenu notre cause ».

Car en marge des projecteurs, deux jeunes militants sympathisant du mouvement antifasciste, Alexey Gaskarov et Maxim Solopov sont incarcérés depuis plus d'un mois, soi-disant pour avoir organisé le "pogrom» (sic) de la Mairie de Khimki.

Rappelons les faits. Le 28 juillet, alors que les militants écologistes et les riverains, qui essaient de freiner les abattages dans la forêt de Khimki, sont attaqués par de jeunes voyous et embarqués par la police, de nombreux jeunes militants des mouvements antifascistes, anarchistes et autres informels de gauche se rendaient à leur secours. Passant devant la Mairie de Khimki, l'émotion et l'indignation montant, les premières pierres sont parties, suivies de bouteilles et de fumigènes. Les murs ont été recouverts de graffitis dont le slogan était " Sauvons les forêts de Russie ! ». La police, occupée à neutraliser les militants écologistes, est arrivée avec un grand retard, les jeunes s'étaient déjà dispersés.

La police a arrêté les plus connus d'entre eux, Alexey Gaskarov et Maxim Solopov, connus comme porte-parole des mouvements informels et anarchisant. Ils sont devenus " les otages de Khimki ». Quant aux militants écologistes ils ont déjà planté les premiers arbres destinés à restaurer la forêt de Khimki. Le mouvement de Khimki, devenu symbole de la renaissance des mobilisations sociales, continue donc à prendre de l'ampleur.

Le 27, puis le 28 septembre dernier, à la suite de deux procès expédiés et en grande partie fermés au public, les deux jeunes emprisonnés depuis deux mois pour le prétendu " pogrom » de l'administration de Khimki — Alexey Gaskarov et Maxim Solopov — ont été condamnés à encore deux mois de prison préventive, le temps que se poursuive l'enquête. Ni les lettres de soutien de députés de la Douma d'État, ni les arguments des avocats et des présumés coupables selon lesquels leur mise en liberté ne constituait ni un danger pour la société, ni un risque pour la tenue de l'enquête, rien n'y a fait : en quelques minutes la juge du tribunal de Khimki a rendu son verdict : encore deux mois de prison pour... pour quoi ?

Les dégâts engendrés par l'action des quelques 400 jeunes venus à Khimki le 28 juillet soutenir la campagne des écologistes et habitants locaux pour la sauvegarde de la forêt et contre la construction de l'autoroute Moscou St-Pétersbourg ne justifient guère une telle sévérité (rappelons qu'au final les deux inculpés risquent une peine allant jusqu'à sept ans d'emprisonnement). Quelques carreaux cassés et des murs tapissés de tags ne font pas un " pogrom ». Encore moins un acte " prémédité » et " organisé » par des meneurs...

Alexey et Maxim sont-ils coupables de leur engagement militant ? De leurs convictions antifascistes ? Du soutien qu'ils ont apporté aux mouvements sociaux ? Ce serait alors le procès d'une jeunesse militante et indépendante.

Ils paient pour l'affront porté au pouvoir, pour cette action symbolique témoignant du ras-le-bol de l'arbitraire des organes d'État et prenant pour cible la mairie de Khimki.

Ils paient parce qu'il n'y a pas de coupables à présenter aux autorités supérieures, les mouvements des jeunes — anarchistes, antifascistes, gauche radicale, etc. — n'ayant ni structures, ni organisations formelles, ni commanditaires.

Ils paient parce qu'ils sont parmi les rares militants de cette mouvance à s'exprimer en public ouvertement et sans fard.

Ils paient parce qu'ils se sont rendus eux-mêmes à une entrevue-piège organisée par la police.

Ils paient parce la mairie de Khimki ne connaît pas d'autre moyen de garder la face, ne sait pas dialoguer avec ses concitoyens autrement que par la force (en deux ans de lutte pour la défense de la forêt de Khimki, les écologistes et habitants mobilisés n'ont jamais été admis à la table des négociations, par contre ils ont été menacés, victimes de passages à tabac...).

Ils paient parce que les forces de l'ordre, au lieu de s'occuper du maintien de l'ordre, étaient occupées, pendant le dit " pogrom », à disperser le camp de veille des écologistes dans la forêt de Khimki, et à protéger les agissements des jeunes bandits embauchés par le promoteur pour surveiller l'abattage des arbres.

Evguenia Tchirikova, leader du mouvement de défense de la forêt de Khimki, menacée par ces bandits et arrêtée le même jour par ces " forces de l'ordre », l'a dit dernièrement publiquement lors d'une conférence de presse : " Quand on est militant et qu'on s'en prend à une mairie on se retrouve emprisonné pour des mois, et quand on est bandit on ne risque rien ».

C'est contre cet arbitraire, cette leçon que le pouvoir tente de donner à tous les citoyens quelque peu mobilisés, qu'est menée depuis des mois la campagne pour la libération des otages de Khimki.

Les 17-20 septembre dernier ont eu lieu des Journées internationales pour leur libération, des actions ont eu lieu dans plus d'une dizaine de pays, y compris à Paris. En Russie, des rassemblements ont eu lieu à Moscou (300 personnes), Saint-Pétersbourg (200 personnes), et plus d'une dizaine d'autres villes. Des députés, hommes politiques, défenseurs des droits de l'homme, musiciens et artistes prennent position pour la libération des ôtages de Khimki. Une pétition a été adressée au président Medvedev.

Et la campagne se poursuit. Le bras de fer doit se terminer par la libération d'Alexey et Maxim, il en va de l'avenir des mouvements sociaux en Russie. En cas contraire, exprimer publiquement ses convictions et s'engager pour une quelconque cause deviendra criminel. ■

Moscou, le 2 octobre 2010

* Carine Clément anime l'Institut de l'action collective (IKD) à Moscou.