Réunifier la tradition des luttes ouvrières

par Boguslaw Zietek
Zbigniew Kowalewski à gauche et Boguslaw Zietek du Parti Polonais du Travail. Photothèque Rouge/JMB
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Nous reproduisons ici l'éditorial de l'hebdomadaire syndical <i>Kurier Zwiazkowy</i> n° 245 du 26 avril 2006, publié sous le titre " Aux Héros des Drapeaux Rouges ».

Dabrowa Gornicza c'est une de ces villes en Pologne, qui matérialisent l'histoire du mouvement ouvrier, l'ethos du travail et de la lutte pour les droits, la dignité et la libération du monde du travail de l'exploitation et de l'oppression sociale et nationale.

C'est pour cela que nous nous rassemblons ici le jour de la Fête internationale du travail, de la Fête du travailleur, pour, sous le monument dédié aux Héros des Drapeaux Rouges, réunir symboliquement l'unité de la tradition ouvrière et salariale.

Cette tradition a été déchirée et ainsi déchirée elle est partiellement détruite et partiellement déformée jusqu'à ce qu'on ne puisse plus la reconnaître.

Une part de cette tradition c'est celle qui est inscrite dans le nom du Syndicat libre " Août 80 ». C'est la tradition du soulèvement généralisé des travailleurs en 1980, dont est issu notre syndicat. Aujourd'hui des forces qui n'ont rien de commun avec cette tradition se l'approprient. Elles la déforment terriblement, la vident des contenus historiques véritables et la remplissent avec d'autres.

Une propagande massive, que la société subit, présente ce soulèvement comme un mouvement anticommuniste et antisocialiste, qui aurait prétendument aspiré à la privatisation de l'économie, à la destruction des acquis sociaux et à l'imposition du système capitaliste néolibéral. C'est une propagande absurde du point de vue logique et historique.

Le caractère de ce soulèvement ouvrier était défini par le slogan des grèves d'août : " socialisme oui, déformations non ! » Slogan qui était l'expression du rejet de l'aliénation de l'élite au pouvoir. Une élite gouvernant de plus en plus dans son propre intérêt et non dans l'intérêt des ouvriers dont pourtant elle se réclamait. Cela mettait en danger les énormes acquis sociaux qu'avait apporté le renversement du capitalisme et l'étatisation de l'économie. Les ouvriers grévistes de 1980 voulaient élargir leurs droits et leurs garanties sociales et réaliser leurs aspirations à la démocratie, à la liberté et à l'autogestion. Seule la réalisation de ces aspirations pouvait garantir une véritable socialisation de l'économie, sans laquelle celle-ci ne pouvait plus se développer et satisfaire ainsi les besoins sociaux.

Ces aspirations ont composé le programme élaboré et adopté démocratiquement lors du premier congrès national des délégués de " Solidarité » à Gdansk en septembre 1981. C'était le programme de la République autogérée. On y postulait que " l'entreprise sociale », " gérée par les travailleurs représentés au travers de leur conseil et dirigée quotidiennement par le directeur, choisi par voie de concours par ce conseil et responsable devant lui », soit le fondement de l'économie.

On y réclamait " l'introduction de la réforme autogestionnaire et démocratique à tous les niveau de la gestion, d'un nouvel ordre socio-économique, qui associera le plan, l'autogestion et le marché ». Ce programme proclamait clairement que " l'authentique conseil d'autogestion des travailleurs sera le fondement de la République autogérée ».

C'est pour cela que les ouvriers polonais luttaient en 1980-1981 ! C'est la véritable tradition d'août 1980 et du mouvement ouvrier indépendant issu d'août. C'est pour cela que luttaient les mineurs qui, après l'instauration de l'état de guerre ont été tués dans la mine " Wujek ». Plus tard, au cours de la seconde moitié des années 1980, les dirigeants de " Solidarité », contre les intérêts des travailleurs, ont abandonné ce programme sans en avoir le droit. Et non seulement ils l'ont effacé, mais ils l'ont enfoui et ils le cachent jusqu'à aujourd'hui et les historiens aux ordres, l'Institut de la Mémoire Nationale et les médias, les aident à l'effacer de l'histoire et de la mémoire humaine.

Nous soutenons cette véritable tradition d'août et nous ne permettrons pas qu'elle disparaisse.

Mais cette tradition serait incomplète et condamnée à l'appropriation par ceux qui la dénaturent, si elle était séparée de toute la tradition plus ancienne du mouvement ouvrier polonais, en particulier de celle que symbolise à Dabrowa Gornicza le monument érigé à la gloire des Héros des drapeaux rouges. Car cela fait plus de dix ans que les uns — les néolibéraux de droite et toute la droite — tentent de la détruire à tout prix, alors que d'autres — les néolibéraux de gauche — font tout pour qu'elle soit oubliée.

Mais cette tradition survivra, comme le monument aux Héros des drapeaux rouges a survécu. Rappelons les deux actes les plus importants des ouvriers de ce bassin minier que ce monument remémore.

La révolution de 1905 avait dans le Bassin minier de Dabrowa l'un de ses centres principaux dans les territoires occupés par la Russie et elle y a été plus loin que n'importe où ailleurs. Après des mois de soulèvements massifs, les partis ouvriers agissant dans le Bassin ont obtenu une liberté de parole et de presse, de rassemblements et de réunions, beaucoup plus grande qu'ailleurs. Ils désarmèrent la police tsariste et en octobre 1905 ils ont pris le pouvoir, l'arrachant à l'occupant et aux capitalistes.

Le Parti socialiste polonais, la Social-démocratie du Royaume de Pologne et de la Lituanie ainsi que la Ligue nationale ouvrière, agissant ensemble malgré d'immenses divergences politiques, ont crée ensemble la République du Bassin minier. L'armée russe, paralysée par les sentiments révolutionnaires qui l'atteignaient également, a cessé d'intervenir et s'est enfermée dans les casernes.

La République du Bassin minier n'a existé qu'une semaine, car elle a été écrasée par l'état de guerre imposé par le pouvoir tsariste, mais ce fut une expérience hors du commun — le premier embryon de pouvoir ouvrier autogéré sur les terres polonaises. Cette expérience a porté ses fruits lorsque, en 1918, la Pologne recouvrait son indépendance et l'enjeu était de savoir si l'État serait celui de la Pologne possédante ou celui de la Pologne travailleuse.

Lorsque dans les premières semaines de novembre 1918 les armées autrichienne et allemande commencèrent à évacuer le Bassin, les ouvriers à l'appel de leurs partis ont commencé à les désarmer et à créer leur propre milice ainsi qu'à élire dans les mines et les usines leurs délégués. Le 8 novembre à Dabrowa, dans une atmosphère de grève générale et lors d'une manifestation ouvrière massive, les délégués ont constitué le conseil des délégués ouvriers. Il en fut de même à Sosnowiec. Les conseils ont décrété la journée de travail de 8 heures et l'augmentation des salaires de 100 %.

En décembre les délégués élus dans tout le Bassin ont constitué le Conseil des délégués ouvriers du Bassin minier de Dabrowa. Les conseils, élus dans les mines, les forges, les fabriques et les quartiers étaient si forts, que dans certaines entreprises ils ont imposé la gestion ouvrière et dans d'autres le contrôle ouvrier. Ils organisaient la lutte des travailleurs pour l'amélioration de leurs conditions de travail et de salaire et ont amélioré d'une manière importante les conditions de vie des ouvriers. Ils luttaient contre le sabotage des employeurs, ne permettant pas la fermeture des usines ni la réduction de la production. Ils luttaient contre le chômage — ils ont introduit dans les mines le travail en trois équipes, garantissant ainsi l'embauche de plusieurs milliers de chômeurs.

Les conseils recouvraient les fonds nécessaires à leur fonctionnement et à celui de leur milice auprès des employeurs et des mairies. A Sielec, le quartier le plus prolétarien de Sosnowiec, ils ont même pris tout le pouvoir et la milice ouvrière y était la seule force armée. Dans tout le Bassin les conseil contrôlaient les entrepôt de nourriture et les moulins, organisaient ou contrôlaient l'approvisionnement des usines et des quartiers ouvriers, surveillaient les centres de soins, les hôpitaux et l'état sanitaire des habitations ouvrières ainsi que l'enseignement. Dans les entreprises les conseil ouvriers décidaient de l'emploi — des embauches et des licenciements.

Tout cela avait lieu dans une atmosphère de grève générale et de manifestations ainsi que de répression de la part de l'armée, déjà polonaise — elle avait tiré le 12 mars 1919 sur une manifestation ouvrière, tuant quatre travailleurs et en blessant de nombreux autres. Le Conseil des délégués ouvriers du Bassin de Dabrowa a agi durant huit mois, jusqu'en juillet 1919 lorsque tous les délégués ont été arrêtés lors d'une session.

La République ouvrière de 1905, le mouvement des conseils de délégués ouvriers de 1918-1919 et le mouvement d'autogestion ouvrière avec le programme de la République autogérée de 1981 sont les segments d'une même continuité historique de luttes et d' aspirations ouvrières toujours les mêmes. C'est une tradition unie. L'unité de cette tradition est une prémisse très importante de l'unité ouvrière, indispensable dans la dure lutte que nous avons devant nous et que nous devons mener pour défendre nos droits de plus en plus foulés aux pieds et pour nous opposer à l'exploitation de plus en plus absolue.

Aujourd'hui en Pologne, comme dans le monde entier, la mondialisation du capitalisme néolibéral menace de détruire tous les acquis historiques du monde du travail et de soumettre le travail humain à la dictature despotique du capital. La course au profit à tout prix fait oublier les êtres humains. La politique sociale injuste de ces dernières années a durement touché les habitants du Bassin minier. L'immense potentiel industriel de la région a été détruit. La majorité des usines, des mines et des entreprises a été liquidée, condamnant les habitants à la pauvreté et au chômage. Le reste de ce que les générations précédentes nous ont légué, comme le complexe sidérurgique Huta Katowice, a été privatisé sans tenir compte de l'intérêt des travailleurs et de toute la société en le livrant pour rien à des propriétaires privés.

Aujourd'hui cela peut encore conduire à l'augmentation du chômage. C'est à Dabrowa Gornicza, dans la Huta Katowice, que le 1 juin 1994 a commencé la plus grande grève de l'histoire de la sidérurgie polonaise, qui avait pour but l'amélioration des conditions matérielles des salariés. La lutte menée à l'initiative du Syndicat libre " Août 80 » par l'ensemble des salariés a été victorieuse. C'est ici que naissait aussi le Parti polonais du travail (PPP) — une formation de travailleurs de gauche, en faveur des choix sociaux, qui se donne pour but la réalisation efficiente des intérêts des salariés, des chômeurs, des exclus

C'est d'ici que venait le fondateur et le premier président du Syndicat libre " Août 80 » et du PPP, Daniel Podrzycki (1), mort sur la route vers sa ville de Dabrowa Gornicza dans des circonstances toujours non éclaircies. C'est pourquoi Dabrowa Gornicza est un endroit bien choisi pour revendiquer encore une fois la tradition ouvrière, la rappeler et la cultiver — pour nous souvenir des victimes et des héros de cette lutte du passé proche et lointain en vue de nous armer pour les combats qui nous attendent.

Ce sera le but de la journée du 1er mai co-organisée à Dabrowa Gornicza devant le Monument aux héros des drapeaux rouges par le syndicat libre " Août 80 » et le Parti polonais du travail.■

* Boguslaw Zietek est président du Syndicat libre " Août 80 » (WZZ " Sierpien 80 »), une organisation syndicale issue de scissions de " Solidarité », particulièrement forte dans la région du Bassin minier de Dabrowa Gornicza et en Haute Silésie. Il dirige également le Parti polonais du travail (PPP), un parti politique de gauche fondé sur le mouvement syndical qui est en cours de construction.

notes
1. Cf. Z.M. Kowalewski, "Mort sur la route vers un parti ouvrier", Inprecor n° 511/512 de novembre-décembre 2005.
traducteur
J.M. (du polonais)