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IIe Rencontre écosocialiste latino-américaine et caribéenne

par Vanessa Dourado

Territoires libres et convergence pour l’action

La période actuelle est marquée par la montée de l’extrême droite et les guerres génocidaires. Dans cette époque, les contradictions du système actuel de production, de distribution et de consommation montrent que nous sommes à un stade avancé d’une crise de civilisation.

Il ne s’agit pas d’une crise cyclique du capitalisme comme les autres. La rupture métabolique, cette fracture irréparable dans le cycle naturel d’échange entre la société humaine et la nature, met à l’épreuve la capacité des êtres humains à apporter des réponses compatibles avec l’accélération de la destruction socio-environnementale.

Bon nombre de ces réponses intègrent une stratégie ouvertement guerrière, qu’il s’agisse de guerres commerciales – comme nous l’observons depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis – ou génocidaires, comme c’est le cas à Gaza et dans le cadre de la poursuite du projet de « campagne du désert » 1, qui connaît différentes versions dans divers territoires du monde. . Le succès de tous ces projets repose sur l’accumulation de capital et le colonialisme. La guerre pour les ressources et le maintien de l’hégémonie mondiale a généré une crise de gouvernance mondiale qui soulève de nouvelles questions et de nouveaux défis. Nous avons besoin de produire de nouvelles analyses afin de mieux comprendre cette situation faites de changements brutaux et accélérés.

Face au défi de concevoir, créer et mettre en œuvre un plan alternatif au projet mortifère imposé, qui accompagne le « capitalisme cannibale » caractérisé par Fraser, les Rencontres écosocialistes internationales jouent un rôle fondamental. Si nous partons du principe qu’il n’y a pas d’avenir sans présent et que la tâche d’aujourd’hui consiste à créer les conditions d’un monde vivable, un programme de transition écosocialiste est indispensable pour imaginer un avenir face à des crises qui semblent insolubles. Il s’agit de construire une issue écosocialiste à la crise environnementale profonde qui menace la continuité des modes de vie tels que nous les connaissons sur Terre.

Il est fondamental de sortir du statut d’observateur pour nous considérer comme des acteur·rices du changement, à un moment où notre conception du monde est particulièrement remise en cause. De ce point de vue, il y a un avant et un après Gaza : la lutte écosocialiste est la lutte pour la vie. Par conséquent, cette dimension doit être prise en compte par toute personne qui envisage un programme de transition écosocialiste avec une perspective anticapitaliste. Génocide et écocide ont toujours été liés : l’un rend possible l’autre, et vice versa.

Face aux logiques capitalistes

Pour penser et agir en ces temps de cruauté, il est important d’opérer un tournant analytique vers « la conscience du lien » et l’empathie, comme le propose Rita Segato 2. Il s’agit de placer, au centre du débat la solidarité écoterritorialisée, l’internationalisme des peuples et une action fondée sur le care, le soin, sans perdre de vue les luttes urbaines, syndicales et les luttes pour de meilleures conditions de vie pour la classe ouvrière. Car résister aujourd’hui, c’est aussi faire face à la précarisation de la vie dans tous ses domaines.

C’est dans le contexte d’un tel défi que se tiendra la 2e Rencontre écosocialiste latino-américaine et caribéenne. Sa tenue à Belém (Brésil) à l’occasion de la COP30 est, de manière symbolique, une réponse, et un rejet, à l’idée que l’économie pourrait justifier ou planifier ce que la société construit. Nous le savons, et le romancier Kim Stanley Robinson 3 l’a parfaitement illustré dans le Ministère du futur, la solution à l’effondrement environnemental proposée par ceux-là mêmes qui l’ont provoqué est incohérente, contradictoire. Elle repose sur de fausses solutions et des objectifs inatteignables.

La critique est ancienne, mais elle est particulièrement nécessaire actuellement : bien que la COP30 se déroule dans l’un des pays les plus importants pour l’élaboration de stratégies permettant de faire avancer les luttes écoterritoriales, le gouvernement brésilien s’est distingué par son manque d’engagement envers les collectifs en lutte et se rapproche des projets de colonialisme vert. Cela se traduit par l’adoption du projet de loi dit « da devastação » 4 – bien qu’avec des oppositions 5 –, l’annonce de la fin des négociations, avec une possible ratification, de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, et la position enthousiaste de Lula à l’égard du Tropical Forest Forever Facility, qui devrait être l’un des principaux projets défendus par le gouvernement brésilien lors de la COP30 et qui est un projet ambitieux de capitalisme vert visant à corriger les prétendues « défaillances » du marché 6.

Faire converger les alternatives

Dans le même ordre d’idées, il est préoccupant que des espaces critiques à l’égard de la COP30 envisagent un lien direct avec les gouvernements. La nécessité de créer des espaces autonomes, comme l’ont toujours été les contre-sommets ou les sommets des peuples, en cohérence avec les luttes antisystémiques, est essentielle et devrait être non négociable. L’ingérence des gouvernements dans les processus d’auto-organisation de la société civile compromet la possibilité de proposer des alternatives populaires.

La 2e Rencontre écosocialiste se tiendra du 8 au 11 novembre et s’inscrit dans les espaces autonomes de débat et de construction de récits alternatifs existants. Ainsi ces dates ont été soigneusement choisies afin de ne pas interférer avec les activités du Sommet des peuples, qui se tiendra du 12 au 16 novembre, ni avec l’initiative « Charte de la Terre », prévue les 7 et 8 novembre.

Sur le plan stratégique, cette deuxième rencontre – qui s’inscrit dans la continuité des débats menés à Buenos Aires en 2024 et s’appuie également sur les cinq rencontres précédentes organisées en Suisse, dans l’État espagnol, au Pays basque et au Portugal – vise à faire converger les points de vue écosocialistes avec d’autres alternatives anticapitalistes qui ont vu le jour au cours des dernières décennies. L’objectif est de générer des actions concrètes coordonnées pour la construction d’un horizon commun. À cette fin, les éléments clés des propositions de différents collectifs qui réfléchissent et construisent des alternatives aux formes de production, de reproduction, de consommation, de distribution, d’organisation et de conception civilisationnelle du système capitaliste, seront débattus.

Cette rencontre, la première à se tenir en Amazonie, vise à faire entendre la voix des collectifs qui luttent pour la délimitation de leurs terres ancestrales et pour la préservation des forêts contre la déforestation et le racisme environnemental qui touche les peuples racisés. Au-delà d’un bilan critique des expériences des États plurinationaux, elle permettra de partager les projets de territoires sans combustibles fossiles ni exploitation minière qui voient le jour dans différentes régions d’Amérique latine.

Les objectifs de la rencontre

La rencontre proposera également un débat approfondi et critique sur les projets de transition préparés sans la participation des populations touchées par l’extractivisme, ainsi que sur une caractérisation des impérialismes dans le contexte politique actuel, dans lequel des projets tels que les BRICS et le repositionnement de la Chine soulèvent des questions sur les opportunités et les menaces pour les territoires du Sud global. Les guerres, la militarisation, les dettes et les accords commerciaux et d’investissement apparaissent comme la stratégie bien connue – mais plus violente depuis la montée des droites néofascistes – de subordination, de dépendance et de contrôle des territoires, menaçant la souveraineté des pays.

Dans la continuité du débat qui a animé toutes les rencontres précédentes, l’un des axes centraux sera l’écosyndicalisme et l’action dans le monde du travail, ainsi que les écoféminismes et les économies du soin dans une perspective écoterritoriale. Dans le cadre de la discussion sur la stratégie écosocialiste, seront abordées : les tactiques menant à l’écosocialisme ; l’écosocialisme et le pouvoir ; les dialogues entre le Nord et le Sud sur les méthodes et les contenus de la discussion ; le positionnement face à la COP ; et d’autres débats tels que la décroissance, les droits de la nature, les zones péri-urbaines et les populations des villes, la démocratie écosocialiste.

Malgré l’énorme défi que représente l’organisation de cet évènement, notamment en raison des aspects logistiques et des coûts élevés de l’hébergement à Belém, le lieu de la rencontre est désormais confirmé et un comité local a été mis en place pour organiser la logistique de l’événement et apporter son soutien, notamment en proposant des hébergements aux personnes qui participeront à la rencontre.

Les inscriptions à l’événement, qui seront obligatoires, ouvriront prochainement, car nous ne pouvons accueillir que 350 personnes. Conformément à son principe d’autonomie, l’événement est entièrement financé par les organisations et les personnes qui y participent, ce qui signifie que nous ne pouvons garantir le financement des billets et des transports sur place.

Nous nous attendons à une participation importante des collectifs et des personnes venant des différents territoires brésiliens ; c’est pourquoi, si nécessaire, la participation des délégations par pays pourra être limitée, afin que les débats se déroulent avec la plus grande participation et le plus grand pluralisme possible.

La question des territoires libres et la convergence pour l’action sont les thèmes sur lesquels cette rencontre entend progresser, en transmettant les propositions, les questions et les débats aux 7e Rencontres écosocialistes internationales qui se tiendront à Bruxelles au printemps 2026. n

Le 19 septembre 2025

Vanessa Dourado est membre d’Attac Argentine et du Réseau international des rencontres écosocialistes.
 

  • 1

    La « campagne du désert », ou « conquête du désert », est le nom donné à la campagne menée entre 1878 et 1885 par le gouvernement argentin afin d’obtenir la domination de l’État sur les régions du sud et de la Patagonie orientale. Cette campagne, fondatrice de la nation argentine, s’est faite par l’extermination de milliers de mapuches.

  • 2

    L’autrice fait ici référence à l’ouvrage de Rita Segado, Contra-pedagogias de la crueldad, Prometeo Libros, 2018, non traduit en français.

  • 3

    Kim Stanley Robinson est un auteur de science-fiction étatsunien. Particulièrement connu pour sa trilogie sur la terraformation de mars : Mars la rouge, Mars la verte et Mars la bleue. Ses récits, très documentés tant sur le plan biologique qu’anthropologique, ont une forte dimension politique.

  • 4

    Loi de dévastation, de son vrai nom : Projet de loi d’assouplissement des réglementations environnementales.

  • 5

    Les éluEs du PT de Lula ont voté contre. Lula a opposé son veto à certaines parties du projet mais la loi est entrée en vigueur et ce veto peut être rejeté par le Congrès.

  • 6

    Lire, de Mary Louise Malig et Pablo Solón, « TFFF: Una falsa solución para los bosques tropicales » (TFFF : une fausse solution pour les forêts tropicales)

 

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