Revue et site sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

Belgique : Les PFAS, ce poison du capital

Photo : Canopea remet au Ministre Jean-Luc Crucke un panneau reprenant le nombre de signataires qui se sont mobilisés contre la pollution aux PFAS, ainsi que le logo des dizaines d’organisations partenaires. Source : le site de Canopea

On ne les présente plus. De scandales en révélations, les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) se sont faits une place régulière dans les journaux : eaux et sols massivement contaminés, aliments déconseillés à la consommation, et une large part de la population touchée avec des risques pour la santé. Les PFAS sont partout, depuis nos poêles à frire jusqu’à un simple verre d’eau. 

Une bombe à retardement

Ce sont les atouts des PFAS qui en font aussi leur problème. Faciles à produire, résistants à la chaleur, antiadhésifs ou encore antiadhérents, parfaits pour produire moins cher et faire tourner la consommation avec toujours de nouveaux produits au propriétés bien utiles. Mais aussi parfait pour se déposer durablement dans les eaux, les sols, l’air, et la chaire. 

Le premier d’entre eux, qui deviendra ce qu’on connaît sous le nom de Téflon, a été découvert suite à une réaction imprévue par un chimiste de l’entreprise Dupont en 1938. Une de ses premières utilisations fut pour la production de … la bombe atomique. Guerre et capital ne sont jamais bien éloignés. 

Il faudra cependant attendre 1999, soit plusieurs décennies et après l’apparition de nombreux autres PFAS, pour qu’un avocat enquête sur la contamination des eaux par l’entreprise … Dupont, entamant une série sans fin de révélations sur la toxicité et la contamination des PFAS1.

Entretemps, les PFAS ont eu le temps d’intégrer énormément de produits de consommation : des poêles Tefal jusqu’aux cosmétiques, en passant par la mousse servant aux pompiers pour éteindre les incendies, la fabrication de microprocesseurs, des pesticides, des peintures, des emballages et contenants alimentaires, certains médicaments, des vêtements, ou encore des produits de nettoyage. Ils sont également utilisés lors de processus industriels, et sont relargués en masse de certaines usines.

C’est ainsi que, depuis 2021, les PFAS se sont fait un nom en Belgique : contamination massive jusqu’à 15km autour de l’usine 3M à Zwijndrecht, contamination de l’eau potable à la base militaire de Chièvres depuis 2017 au moins (contaminant notamment l’eau potable de Beauvechain), contamination autour de l’usine Sicli à Uccle, etc. 

Le 18 avril 2025, l’ISSEP (institut scientifique de service publique) a publié une étude sur l’imprégnation des PFAS dans les communes surexposées : 46,4% de la population testée ont un niveau de PFAS où il y a un risque accru d’effets indésirables sur la santé2.

Les PFAS sont associés à de nombreuses maladies métaboliques, depuis des problèmes de développement fœtaux jusqu’aux cancers, en passant par la perturbation du taux de cholestérol ou encore de l’immunité (plus faible, moindre réponse aux vaccins), risques de ménopauses et pubertés précoces, atteintes de la thyroïde, diabète, parmi bien d’autres. 

Les PFAS ont également des conséquences sur la faune et la flore, notamment sur la biodiversité et les capacités reproductrices des animaux, particulièrement des animaux marins (des effets ont aussi été observés chez les oiseaux). En tant que perturbateurs endocriniens, les PFAS provoquent de nombreux problèmes métaboliques et reproductifs aussi sur les animaux et le vivant. 

Selon une estimation, l’inaction vis-à-vis de la pollution des PFAS coûterait entre 52 et 84 milliards par an pour les systèmes de santé de l’ensemble des pays européens3. Dépolluer les PFAS coûterait 100 milliards d’euros par an, selon près d’une trentaine de médias européens4.

L’impuissance relative des institutions néolibérales

Les doutes autour des conséquences sur la santé des PFAS semblent remonter aux années 1970, où des documents industriels confirment que les entreprises savaient les potentiels dégâts des PFAS sur la santé5. Cependant, sur le modèle des cigarettiers et de l’industrie de l’amiante, il aura fallu bien plus longtemps pour que les études scientifiques publiques mettent à jour les conséquences réelles.

Suite à ces révélations et scandales, le monde associatif et les institutions ne sont pas restés immobiles. A ce titre, l’exemple de la France est très illustratif.

En effet, en 2025 la France a adopté une loi à la fois forte et très limitée6 pour restreindre les PFAS. Cette loi fait suite à une assez forte mobilisation citoyenne (notamment autour de la militante Camille Etienne), et a été votée par une majorité alternative au parlement français, contre l’avis du gouvernement mené par le premier ministre français de l’époque, Gabriel Attal, qui désirait porter le débat au niveau européen, notamment le processus en cours au niveau de l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques). 

Ce projet de loi n’est donc pas issu du gouvernement en place, et vise l’interdiction des PFAS dans les cosmétiques et les textiles. Les ustensiles de cuisine, comme les fameuses poêles en téflon, ont été retirés du projet de loi avant le vote, notamment suite à l’instrumentalisation de menace de pertes d’emplois par le groupe SEB, producteur des poêles TEFAL, entraînant la mobilisation de son personnel contre le projet de loi7.

Ce simple retrait des ustensiles de cuisine illustre la difficulté du système d’agir de manière globale contre les PFAS. En effet cette loi, bien qu’un bon début, n’adresse qu’une partie du problème, sans régler les contaminations déjà présentes. 

La situation belge

En Belgique ce sont les régions qui ont pris les devants notamment par l’élaboration de plans, de biomonitoring et l’application de normes plus strictes. 

Un premier exemple de ces politiques a été la condamnation en 2022 de l’entreprise 3M à payer une partie des frais de la dépollution. Alors que l’entreprise 3M a été contrainte de payer 1,8 millions d’euros en compensation aux entreprises agricoles8, et promettait 150 millions d’euros pour l’assainissement du site initial, en plus des 125 millions annoncés pour réduire les émissions de PFAS9, le coût de l’assainissement est finalement estimé à environ 570 millions d’euros10, dont 15 millions iront à la commune de Zwijndrecht11, suite à un accord signé avec le gouvernement flamand. 

Cependant, en 2025, l’assainissement n’a même pas encore démarré. Bien que les plans soient prêts, les nombreuses difficultés pratiques (comme la recherche d’un site pour déposer les terres contaminées) et administratives (l’entreprise 3M est ainsi accusée de volontairement ralentir les processus), les citoyens continuent de vivre dans un environnement pollué et il est toujours impossible de reprendre une production agricole12.

En Wallonie, les résultats montrent que, sur 1988 habitants de Chièvres, 28,8% dépassaient le seuil de santé de référence. En réaction à ce résultat, l’asbl citoyenne SOS Notre Santé, formée à partir d’une page Facebook, a porté plainte contre X afin d’obtenir une meilleure reconnaissance des difficultés que ces résultats ont engendré, et d’éviter que le dossier ne s’éternise dans l’immobilité, tout en plaidant pour plus de transparence13.

Aussi, une campagne de la société civile, notamment centrée autour d’Adélaïde Charlier, en miroir de la mobilisation et la sensibilisation faite par Camille Etienne en France, a été lancée. Un des résultats de ce mouvement a été la remise d’une pétition contenant près de 28 000 signatures au ministre fédéral de l’environnement des Engagés Jean-Luc Crucke, et réclamant des actions ambitieuses14.

Suite à cela, le ministre a fait signe de vouloir avancer au niveau national, vu le recul observé au niveau européen : alors que l’interdiction des PFAS figurait initialement dans le Green Deal, la Commission européenne a discrètement abandonner cette proposition en 2023, illustrant la radicalisation vers la droite de la Commission, et l’hégémonie de forces de plus en plus anti-écologistes et réactionnaires au sein des institutions européennes.

Il y a fort à parier que l’éventuel projet de loi fédérale ressemblera à la loi adoptée en France, afin de pousser vers une harmonisation européenne. Mais cela ne sera pas suffisant.

La dépollution permanente : une approche écosocialiste

Que faire ? Cette question est devenue brûlante pour le mouvement écologiste, mais pas seulement. Derrière ce qui semble être un sujet singulier, c’est toute la structure du capitalisme qui est incriminée. Les PFAS constituent un cas d’école pour identifier les mécanismes par lesquels l’intérêt économique de quelques privilégiés empoisonne l’environnement et la population avec l’apparente impuissance des institutions censées nous protéger. 

En effet, depuis le tournant néolibéral et l’élaboration de stratégies visant à contrer les mouvements écologistes à la fin des années 197015, la santé et la nature sont en balance perpétuelle avec les intérêts économiques des entreprises. Ainsi, pour retirer un composé nocif du marché, il faut que les bénéfices surpassent les coûts de ce retrait.

Cette balance pose trois grands problèmes. Le premier est l’évaluation des coûts et bénéfices : si les entreprises peuvent facilement évaluer leurs coûts, l’évaluation équivalente, et donc monétaire, de vies et d’années en bonne santé est philosophiquement impossible, politiquement très complexe. Le deuxième repose sur les forces en présence dans cette balance : il y a un déséquilibre net entre la force de frappe mondialisée des entreprises, et celle des associations et organisations citoyennes et environnementales.

Mais enfin, et surtout, le principe même de la balance, mettant en équivalence de purs intérêts commerciaux et la vie, est issu de la volonté claire de pouvoir freiner toute tentative d’interdiction franche, et légitimer l’empoisonnement à grande échelle. Si c’est assez rentable, qu’importe les vies perdues et les milliards à dépenser pour dépolluer. Si c’est le cadre du bras de fer qui est biaisé, c’est la table qu’il faut renverser. 

Les institutions étatiques occidentales, telles que l’Union Européenne, jouent ici parfaitement leur rôle de canalisation et de tempérance de lutte des classes, en dirigeant toutes les mobilisations vers ces négociations, et non une remise en question de la balance en elle-même. Cela permet, au mieux, de préserver le statu quo, au pire de gagner du temps.

On peut dresser un parallèle avec l’industrie fossile. Similairement à cette dernière, les PFAS sont au coeur de la production capitaliste contemporaine, et s’en prendre aux PFAS en cherchant à s’en passer à grande échelle – seule manière de résoudre structurellement le problème – implique de faire une incursion au coeur de la machine productive capitaliste et donc d’engager un rapport de force global. On comprend donc pourquoi des problèmes similaires se posent et pourquoi les institutions capitalistes sont incapables d’apporter des solutions tangibles à la crise des PFAS.

Plus que des lois incomplètes, c’est un changement de paradigme qu’il faut opérer. Les choix de société à poser pour sortir de cette situation d’empoisonnement à une échelle inégalée de l’humanité ne peut que se faire qu’en reprenant en main démocratiquement chaque site de production, chaque cours d’eau, chaque lieu de vie, chaque processus de dépollution.

Dès aujourd’hui, un programme de lutte contre les PFAS

Invoquer la socialisation des moyens de production n’est pas un simple coup de baguette magique. Il faut une stratégie qui mobilise à la fois les citoyen·nes touché·es par les PFAS, les travailleur·ses des industries qui les produisent ou en utilisent, et les mouvements écologistes.

Dans un premier temps, nous devons renforcer, massifier et radicaliser les mouvements de sensibilisation et d’éducation aux PFAS en tant qu’exemple terriblement parfait du lien entre capital et destruction du vivant. Dans cette optique, le mouvement écologiste en Belgique devrait davantage s’emparer du sujet : faire le lien avec les collectifs de citoyen·nes contaminé·es qui se sont constitués ces dernières années, leur apporter un soutien dans leur lutte, et engager des discussions sur les revendications et un calendrier d’actions. Nous regrettons que pour l’instant la question des PFAS semblent passer sous le radar des revendications du mouvement écologiste.

Il est également urgent d’accentuer la pression pour obtenir une véritable campagne de prévention et d’accompagnement : il faut poursuivre l’analyse des sols et de l’eau, pour fournir des informations complètes et transparentes aux habitant·es, renforcer les campagnes de prévention au niveau local, et mettre en place un accompagnement médical des personnes contaminées, au frais des entreprises pollueuses.

En parallèle, les mobilisations et victoires illustrées en France, bien qu’incomplètes, sont déjà des avancées que nous pouvons obtenir également et pousser plus loin. : obtenir le maximum de réduction et d’élimination à la source de manière contraignante, tout en instituant le principe de pollueur-payeur. Sur ce dernier point, il s’agit de cesser la logique de collectivisation des coûts pour la privatisation des gains : ce que le capital casse, il doit le réparer à ses propres frais. 

Finalement, les organisations syndicales doivent jouer un rôle central pour résoudre cette crise sanitaire. On ne pourra régler le problème à la source sans une intervention directe des travailleur·ses du secteur. Ceux et celles-ci sont les premier·es à subir les conséquences des empoisonnements et il est donc normal que les organisations qui défendent leurs intérêts s’emparent du sujet. 

Ensuite, si les réglementations qui encadrent les PFAS sont imposées de l’extérieur sans l’appui des travailleur·ses, alors celleux-ci risquent de se mobiliser contre leur application, comme dans le cas français de SEB (voir plus haut), particulièrement dans un contexte de backlash écologique sur lequel s’appuient les forces réactionnaires, anti-écologistes et d’extrême droite. 

Il n’y a qu’en se basant sur l’action des travailleur·ses et dans un processus de délibération démocratique avec la population qu’on sera en mesure de réellement mettre en œuvre une planification écologique et sociale. Seule une mobilisation massive, en Belgique et ailleurs, permettra par ailleurs de construire le rapport de force face aux puissants lobbies industriels qui s’activent en Europe pour tenter d’édulcorer ou d’annuler l’interdiction des PFAS. Et c’est dans ce cadre que pourront être arbitrés d’éventuels besoins résiduels en matière de PFAS, ainsi que la gestion des effets nuisibles de ces derniers et aussi, et surtout, les processus publics nécessaires pour dépolluer notre environnement. 

Une approche réaliste sur les PFAS peut se résumer par : éliminer dès que possible, réduire autant que nécessaire. Une telle approche, gérée directement par les travailleurs des entreprises concernées sera beaucoup plus rapide et efficace que toute bataille institutionnelle interminable et épuisante pour arracher des miettes sur un champ déjà contaminé. 

Publié le 12 octobre 2025 par la Commission écologie de la Gauche anticapitaliste