Revue et site sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

Soulèvement ou dictature en Équateur

par Iain Bruce
Cerimônia militar equatoriana. (Carlos SIlva - Presidencia de la República)

Dans l’après-midi du jeudi 18 septembre, la nouvelle direction, apparemment de droite, de la CONAIE, le puissant mouvement indigène équatorien, a cédé à la pression et a appelé à une grève nationale illimitée pour protester contre la suppression des subventions pour le diesel, une mesure qui devrait presque doubler le prix de la plupart des produits de première nécessité du jour au lendemain.

Vendredi matin, le président Daniel Noboa a annoncé son intention de convoquer une Assemblée constituante pour réécrire la Constitution. Il prône une série de réformes visant à supprimer ou à restreindre les droits environnementaux et du travail inscrits dans la Constitution progressiste de 2008, et à lui permettre d’inviter des troupes américaines à opérer sur le sol équatorien, soi-disant dans le cadre de sa « guerre contre la drogue ».

Tard dans la nuit de vendredi à samedi, le président Noboa a envoyé la police encercler et évacuer la Cour constitutionnelle alors qu’elle délibérait sur la constitutionnalité de ses mesures. Elle avait récemment déclaré irrecevables plusieurs de ses tentatives en ce sens.

Les mouvements sociaux équatoriens ont immédiatement appelé à une mobilisation samedi matin pour défendre la Cour constitutionnelle.

Ce dernier face-à-face intervient au terme d’une semaine de confrontations croissantes entre le gouvernement, de plus en plus d’extrême droite, et les mouvements sociaux équatoriens, les communautés autochtones en tête.

Des journées de protestation contre un important projet minier dans le sud de l’Équateur, qui menace l’équilibre écologique de la région, notamment ses ressources en eau, ont culminé mardi avec une immense manifestation. Quelque 100 000 personnes ont défilé à Cuenca, la troisième ville du pays. Le gouvernement a été contraint de reculer, suspendant le projet, au moins temporairement, tout en promettant de poursuivre d’autres grands projets miniers dans des communautés comme Palo Quemado et Las Naves, où la résistance et la répression sont intenses.

Parallèlement, le gouvernement a annoncé une forte augmentation du prix du diesel, dans le cadre de son accord avec le Fonds monétaire international. La réaction a été similaire à celle d’octobre 2019, lorsqu’une hausse du prix du carburant avait déclenché un soulèvement autochtone. La grève des syndicats des transports a rapidement été rejointe par les communautés autochtones qui ont bloqué les autoroutes et affronté la police. Des étudiants ont manifesté dans la capitale, Quito.

La répression s’est également intensifiée. Alors que le gouvernement continue d’utiliser sa prétendue guerre contre la drogue pour justifier ses attaques contre les mouvements sociaux, des rapports horribles font état de tortures infligées par des soldats à des militant.es détenu.es. Mais le mouvement indigène exerce également son important pouvoir social. Le mois dernier, lorsque des agents des services secrets ont apparemment tenté d’écraser Leonidas Iza, ancien président de la CONAIE et figure de proue de la résistance radicale, ils ont été rapidement arrêtés par la communauté locale et soumis à la justice indigène, un autre droit protégé par la Constitution actuelle. Ils n’ont subi aucun préjudice, mais ont été soumis à plusieurs jours d’interrogatoire serré, au cours desquels ils ont révélé des détails remarquables sur la surveillance des mouvements sociaux par les services de sécurité, notamment le recours à des agents infiltrés et à de faux journalistes. Suite à l’arrestation de ces agents, Leonidas lui-même est désormais accusé d’enlèvement.

Ce même pouvoir social indigène s’est manifesté jeudi lorsque le nouveau président de la CONAIE, Marlon Vargas, a annoncé la grève nationale illimitée. Suite à la multiplication des grèves régionales et des barrages routiers les jours précédents, le président Noboa avait déclaré l’état d’urgence dans plusieurs provinces. Parallèlement à la grève, Marlon Vargas a déclaré l’« état d’urgence communautaire », interdisant à l’armée et à la police l’accès aux communautés et territoires autochtones.

Cela représente un changement significatif dans l’équilibre des forces au sein du mouvement autochtone. Il y a seulement deux mois, Vargas était élu à la tête d’une coalition de forces centristes et ouvertement d’extrême droite, promettant de collaborer avec le gouvernement Noboa et de promouvoir l’unité nationale. Cela semblait être une lourde défaite pour les forces radicales du mouvement autochtone, menées par Leonidas Iza. Mais ces dernières semaines, la réalité a mis à mal cette « unité ». La section amazonienne de la CONAIE, Confeniae, autrefois dirigée par Vargas, et plusieurs fédérations provinciales ont annoncé la rupture de leurs relations avec le gouvernement. Les communautés locales ont déjà engagé des actions directes.

Les événements se succèdent rapidement et il est encore trop tôt pour dire si le blocage national se transformera en une véritable rébellion, la troisième en six ans. Beaucoup dépendra de l’évolution de la direction du mouvement indigène. On ignore également jusqu’où ira le président Noboa – qui conserve un soutien important d’une partie de la population, même si sa popularité est en baisse – pour faire fi des institutions démocratiques déjà fragiles de l’Équateur. Il ne s’agit pas encore d’une dictature, comme certains à gauche le suggèrent. Mais cela pourrait bien s’orienter dans ce sens.

Quoi qu’il en soit, le peuple équatorien a besoin de la solidarité internationale – maintenant !

Le 20 septembre 2025, traduit par Laurent Creuse, publié par International Viewpoint.