Depuis un an, la jeunesse serbe poursuit sa lutte pour une société démocratique face au régime autoritaire d’Aleksandar Vučić. De part et d’autre de la Serbie, des marches étudiantes parcourent le pays direction Novi Sad pour commémorer l’effondrement de la gare, responsable de la mort de 16 personnes le 1er novembre 2024. Cet événement tragique a servi de déclencheur à une contestation politique d’ampleur inédite.
Depuis un an, les étudiant·es serbes tiennent la rue. Ils ont réussi à organiser le plus grand mouvement de protestation depuis la chute de Slobodan Milošević en 2000. Ils accusent le régime autoritaire et corrompu d’Aleksandar Vučić d’être responsable du drame de Novi Sad. Depuis l'arrivée au pouvoir du Parti progressiste serbe (SNS) en 2012, le président concentre les pouvoirs, marginalise l’opposition et étouffe la presse indépendante.
À partir d’avril 2025, la mobilisation se tourne vers l’arène internationale. Une partie des étudiants se rend à Bruxelles et à Strasbourg pour alerter les institutions européennes sur les dérives autoritaires de leur gouvernement. En parallèle, le mouvement dénonce le rôle des médias publics, relais de la propagande d’État. Face aux silences européens et au mépris du pouvoir, le mouvement prend un virage stratégique : de civique, il devient politique.
En juin, la création du Front social marque un tournant1. Cette confédération de collectifs ouvriers et d’associations professionnelles réunit pour la première fois les cinq principaux syndicats de Serbie. Dans un pays où la politique reste axée sur les privatisations et le détricotage du droit du travail, cette alliance ouvre la voie à une possible recomposition du mouvement ouvrier.
Mais la réponse du régime est brutale. La répression s’intensifie, les forces de l’ordre utilisent des moyens illégaux tels que les canons à sons, et les affrontements se multiplient. La nuit du 13 octobre, plusieurs villes serbes deviennent le théâtre de violents heurts entre manifestants et partisans du SNS soutenus par la police et des milices paramilitaires2.
Cette escalade fragilise le gouvernement sur la scène internationale. Mercredi dernier, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant la polarisation politique et la répression étatique en Serbie3. Le texte dénonce les menacescontre les médias, la propagande anti-UE et pro-russe, ainsi que la responsabilité politique du régime dansl’affaiblissement de la démocratie. Cependant, cette résolution reste non contraignante, soulignant la frilosité européenne face à un partenaire jugé « indispensable » pour la stabilité régionale.
Ni Bruxelles, ni Moscou : pour une internationale des Balkans
En offrant une relative sécurité politique aux frontières européennes et un accès privilégié aux marchés serbes, Vučić s’est assuré la complaisance de Bruxelles et de Paris. Lors de sa visite à Belgrade début octobre, Ursula von der Leyenex hortait le président à faire « des progrès en matière d’État de droit »4: une réaction bien faible face à un mouvement d’ampleur violemment réprimé. En misant sur la stabilocratie, l’Europe choisit la stabilité autoritaire plutôt que la démocratie5. Ce calcul alimente un statu quo géopolitique qui enracine l’autoritarisme et accroît l’instabilité régionale.
L’héritage de la Yougoslavie non alignée a laissé à Belgrade une tradition de « troisième voie ». Depuis son effondrement, cette position s’est muée en ambiguïté stratégique. Alors que la Serbie négocie son entrée dans l’UE, elle maintient des liens étroits avec la Chine et la Russie.
L’Union européenne exerce un impérialisme normatif et économique, imposant ses standards démocratiques et commerciaux tout en demeurant le principal investisseur du pays. Cette dépendance s’accompagne de pressions politiques, notamment sur la question des sanctions contre Moscou. La Russie, quant à elle, incarne un impérialisme symbolique et énergétique : Gazprom contrôle une large part du secteur, et le Kremlin soutient Belgrade sur le dossier du Kosovo.
Pour Vučić, jouer sur cette ambivalence entre Bruxelles et Moscou lui permet de renforcer sa légitimité interne et d’asseoir sa position sur la scène internationale. Pris entre deux blocs dont aucun n’offre d’issue émancipatrice, le peuple serbe voit sa souveraineté confisquée par un jeu de dépendances croisées.
La seule perspective progressiste réside désormais dans la construction d’un front social capable de rompre avec toutes les tutelles extérieures et de refonder une démocratie autonome.
C’est dans ce contexte, ou l’internationalisme retrouve toute son actualité, qu’en mai dernier une délégation franco-belge composée de militant.es du NPA-L’Anticapitaliste et de la Gauche anticapitaliste s’est rendu à Belgrade. Ils y sont retournés fin octobre à l’occasion de la commémoration de Novi Sad pour rencontrer syndicats, collectifs étudiants et militant.es. Un reportage approfondi de nos échanges et sur les perspectives d’organisation régionale est à paraître.
Le 29 octobre 2025
- 1
Europe Solidaire Sans Frontières, Serbie. Déclaration du Front Social présentée, 2 juillet 2025.
- 2
LeCourrier des Balkans, « Étudiants face aux milices et à la police : la nuit où la Serbie a basculé », 14 octobre 2025.
- 3
European Parliament, Motion for a Resolution on the Polarisation and Increased Repression in Serbia, One Year After the Novi Sad Tragedy, B10-0459/2025, 22 octobre 2025.
- 4
Le Courrier des Balkans, Von der Leyen demande à Vučić « des progrès en matière d'État de droit » en Serbie, 7 octobre 2025.
- 5
Luka Šterić, « Sortir de la “stabilocratie” : repenser l’approche française des Balkans occidentaux », Fondation Jean‑Jaurès, 2 juin 2022