Revue et site sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

Portugal : La grève générale montre que la lutte peut ouvrir des perspectives à la gauche

par Jorge Costa

Tenue les 29 et 30 novembre, la XIVe Convention du Bloc de gauche s’est tenue à un moment particulier : quelques jours avant la grève générale du 11 décembre contre la nouvelle loi sur le travail ; après des élections législatives et municipales qui ont vu des résultats médiocres pour les partis de gauche ; et à moins de deux mois d’une élection présidentielle qui reflète l’hégémonie actuelle de la droite.

La grève générale, la première depuis l’époque de la Troïka1, a été convoquée par les deux centrales syndicales, la CGTP et l’UGT, ce qui n’est arrivé que dans la moitié des dix grèves générales organisées depuis la fin de la dictature. Malgré l’isolement actuel de la gauche, la simple affirmation de l’initiative du mouvement syndical a contribué à changer les termes du débat public. Le processus de régression sociale mené par la droite et camouflé sous le bruit assourdissant des campagnes de haine et de mensonges qui monopolisent l’espace public a été mis clairement en évidence.

La brutalité du train de mesures sur la législation du travail révèle un gouvernement minoritaire et instable, qui cherche à frapper le plus fort et le plus rapidement possible, à précariser autant que possible et de manière permanente le rapport de force du monde du travail. Dans ce contexte, la grève générale a été un succès en termes de participation, et pas seulement dans le secteur public : le service était minimal dans le transport aérien, grève chez Volkswagen, Mitsubishi Fuso, mais aussi dans le commerce et l’industrie. Selon la CGTP, plus de trois millions de travailleur·ses se sont joint·es à la lutte. La manifestation à Lisbonne a rassemblé, malgré l’absence quasi totale de transports, plusieurs milliers de personnes, en grande majorité des travailleurs et travailleuses jeunes et non syndiqués, mais qui ont marqué leur présence.

La grève générale est un succès politique : son appel, 12 ans après la précédente, et de manière unitaire, a sensibilisé les masses à la gravité de l’offensive et a rendu difficile la formation d’une majorité parlementaire PSD-Chega pour l’adoption du train de mesures législatives. Ils n’y que les patrons pour de montrer enthousiastes à l’égard des nouvelles lois ; dans les sondages, deux tiers des personnes interrogées déclarent être d’accord avec les motifs de la grève ; aucun des candidats de droite à la présidentielle n’ose soutenir ouvertement la contre-réforme ; des syndicalistes proches du parti au pouvoir ont participé à la grève générale et, le jour même, la tentative du gouvernement de qualifier la grève d’insignifiante a tourné au ridicule. Le leader des néofascistes, qui pendant des semaines a attaqué les syndicats et défendu les nouvelles lois, déclare désormais comprendre les raisons des grévistes et parle de retirer certains éléments absurdes de la proposition du gouvernement. Nous verrons quel prix politique André Ventura est prêt à payer pour satisfaire la bourgeoisie avec son vote parlementaire.

L’annus horribilis de 2025

La gauche ayant enregistré son pire résultat historique et le PS ayant été dépassé par les néofascistes, dès la fin des élections législatives de mai dernier2, la nouvelle direction socialiste a clairement indiqué qu’elle était prête à garantir l’adoption du budget de l’État du gouvernement de Montenegro. Ceci, alors que les contre-réformes de la droite sont adoptées en accord avec Chega. Nous reviendrons plus tard sur la situation politique actuelle.

Lors des élections municipales d’octobre, le virage à droite s’est accentué, la droite remportant les plus grandes villes. Le PCP, qui jouit d’une importante tradition municipale, a perdu un tiers de ses élus et les deux capitales de district qu’il gouvernait encore. Le Bloco et Livre, alliés dans une vingtaine de villes importantes, ont obtenu des résultats médiocres, et pires encore lorsqu’ils se sont présentés séparément.

En ce qui concerne l’élection présidentielle, les sondages donnent l’avantage à deux candidats de droite (Marques Mendes et Gouveia e Melo) et au leader d’extrême droite André Ventura, tous trois autour de 20 %. Le candidat soutenu par le PS – une figure très à droite du parti – semble loin de la course au second tour et au même niveau que le candidat ultralibéral (10 %). La candidature de l’ancienne coordinatrice du Bloc de Gauche, Catarina Martins, oscille autour de 5 %, suivie par celles du PCP et de Livre. Ainsi, la droite portugaise pourrait consolider son hégémonie en 2026, en contrôlant le gouvernement, la présidence et, pour la première fois dans l’histoire, une majorité parlementaire supérieure aux deux tiers, capable d’approuver des réformes constitutionnelles sans le Parti socialiste ni aucun autre parti de gauche.

Un parti qui se repense dans un nouveau contexte

Malgré une participation militante moindre qui reflète ce cycle de reculs, la Convention du Bloco a été un moment de répit et de débat entre les différentes composantes du Bloco. Quatre motions politiques ont été soumises au vote lors du XIVe Congrès et les motions A (65 élu·es), S (8), H (4) et B (3) seront représentées au sein du Bureau national élu. Pour la motion A, le Bloco « doit être un moteur de convergences, tout en revendiquant l’espace politique qu’il occupe seul et à partir duquel il peut se développer : fidélité aux classes exploitées et stratégie pour étendre ses mouvements ; engagement en faveur du pluralisme et de la convergence comme fondement de la construction du parti socialiste ; internationalisme contre tous les empires et oligarchies ». José Manuel Pureza, 66 ans, professeur d’université et ancien député, succède à Mariana Mortágua, qui a décidé de ne pas se représenter á la fonction de coordinatrice nationale. Ces dernières années, Pureza a été le visage de la lutte pour le droit à l’euthanasie et a participé à des initiatives de dialogue entre marxistes et chrétiens.

Au-delà du diagnostic politique, la Convention a procédé à un vaste renouvellement et rajeunissement des organes de direction – Bureau national et Commission politique –, qui intègrent 50 % de nouveaux membres. Le débat de la Convention a également été marqué par les questions de l’organisation du parti et la nécessité d’intensifier la régularité, l’autonomie et la participation à la vie démocratique du Bloco. Ce qui détermine la vie politique, c’est la création d’organismes de base et de collectifs de travail militants, de communautés de réflexion et d’action.

Cinq thèmes sur la situation au Portugal

1. Le gouvernement du PSD et la majorité parlementaire PSD/Iniciativa Liberal/Chega mènent une offensive sociale en matière de travail, d’immigration et de logement. Et le Premier ministre Luís Montenegro réussit l’exploit de faire normaliser le processus par le PS, transformant le budget de l’État en une production collective du bloc central. Le cas est étrange : Montenegro s’appuie ainsi une base parlementaire représentant 95 % des député·es. Nous assistons à la décomposition de la politique traditionnelle, ce qui ne serait pas une mauvaise nouvelle si cette décomposition n’était pas menée par l’oligarchie : le centre est entraîné par la droite et tous deux suivent la trace de Chega.

2. La faiblesse de la gauche est le résultat de la geringonça, les accords entre le PS, le Bloco et le PCP signés en 2015 et maintenus en vigueur jusqu’en 2019. De cette période, ce qui est resté gravé dans la conscience populaire, ce ne sont pas les progrès réels accomplis, ni les choix du Bloco après 2019, le vote contre les budgets du PS, ni la crise orchestrée entre Costa et Marcelo pour fabriquer une majorité absolue. Ce qui est resté gravé dans les mémoires, c’est le gouvernement du PS à partir de 2019, une période post-Covid menée par des dirigeant·es médiocres, qui ont laissé dans les caisses de l’État l’argent qui manquait dans les domaines de la santé, de la politique du logement ou des conditions de travail.

L’image de la gauche, même après la geringonça, est restée associée à la mauvaise gouvernance de 2019-2022 et à cette majorité absolue. Nous n’avons pas eu la force d’éviter cette image. Et cela n’aurait pas été changé, ni ne changera, avec de simples mots. Cela changera lorsque nous parviendrons à incarner la révolte, à prendre des initiatives et à jouer un nouveau rôle dans la lutte. Sans cela, rien ne sera facile à l’avenir pour aucun parti de gauche.

3. Les difficultés des partis ne signifient pas qu’il est impossible de mener des luttes. La gauche italienne est en lambeaux depuis deux décennies, mais elle a organisé une grève générale de plusieurs millions de personnes pour la Palestine. Nous sommes à la veille d’une nouvelle grève générale, un moment critique pour changer le climat politique. Et même dans une année aussi difficile que 2025, il y a eu des signes très importants : la plus grande manifestation de travailleurs immigrés de la dernière décennie, l’entrée en scène de la jeunesse noire des banlieues de Lisbonne, l’élargissement de la solidarité avec la Palestine autour de la flottille. Dans ces luttes, la gauche grandit et brise son isolement, elle débat des thèmes du débat public à travers une mobilisation concrète. C’est là aussi que le Bloco respire.

4. Ce ne sont pas les difficultés des partis qui dictent la nécessité d’une convergence. Ce qui l’impose aujourd’hui, c’est la nécessité de faire face à l’impasse : nous avons un gouvernement allié aux néofascistes et soutenu par le PS. Dans les luttes pour les services publics et le logement, pour le travail et contre la fascisation de la vie sociale, il est nécessaire d’identifier les axes de confrontation. Pensons donc à la politique des mouvements, encourageons la présence des militants, ouvrons tous les canaux de dialogue.

5. Faisons les calculs que tout le monde a déjà appris à faire : quand elle va aux élections divisée, la gauche sert sur un plateau des conseillers municipaux et des députés à Chega et contribue à faire déborder le marais et à élever les néofascistes au rang de première force politique, comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays d’Europe. Le Bloco a sa place dans la société, qui découle de la différence de sa politique et de son programme, de sa vision du monde et de sa culture partisane. Tout cela, comme nous le savons bien, nous distingue radicalement de partis comme Livre ou le PCP. Ces différences sont aussi importantes que la nécessité réelle de converger dans les luttes et d’offrir au peuple une alternative électorale autour de ce que la gauche a en commun. Un pôle qui empêche la réduction de la démocratie à des jeux de pouvoir entre Luís Montenegro et ses deux partenaires, Chega et le PS.

Publié le 13 décembre 2025 par viento sur, traduit par Luc Mineto.

Inprecor a besoin de vous !

Notre revue est en déficit. Pour boucler équilibrer notre budget, nous avons besoin de 200 abonnements supplémentaires.

Soutien
79 €

France, Europe, Afrique
55 €

Autres destinations
71 €

- de 25 ans et chômeurs
6 mois / 20 €