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Portugal : grand succès de la grève générale

par António Luçã

Le gouvernement minoritaire de droite conservatrice (Alliance démocratique) prévoyait de survivre grâce au soutien parlementaire, alternativement, des socialistes ou de l’extrême droite. Il a réussi à faire adopter le budget général de l’État pour 2026 grâce à l’abstention du PS et entendait désormais faire passer un ensemble de nouvelles lois sur le travail avec la complicité de Chega (extrême droite). Cependant, la grève générale du 11 décembre a plongé ce projet dans l’incertitude.

Une violente attaque au monde du travail

La confiance du gouvernement dans les deux piliers « opposants » qui soutenaient sa minorité parlementaire était telle qu’il a osé annoncer le paquet législatif le plus radical de ces dernières décennies. Il allait beaucoup plus loin dans sa brutalité anti-ouvrière et antipopulaire que n’importe quel autre gouvernement au cours des cinquante années que la contre-révolution vient de célébrer [le cours progressiste de la Révolution des Œillets a été renversé par le coup du 25 novembre 1975, NDT]. Même les différents gouvernements à majorité absolue de droite, après 1975, n’ont jamais osé envisager les mesures extrêmes contenues dans ce « paquet travail ».

Parmi les nombreuses dispositions prévues, il y a notamment le feu vert illimité aux licenciements individuels, la nullité des jugements ordonnant la réintégration d’un travailleur licencié, le droit pour l’employeur de faire appel à des entreprises externes pour effectuer le travail des personnes licenciées, l’obligation pour les travailleurs ayant des enfants en bas âge d’accepter des horaires le week-end, et la mise en place d’un compteur d’heures individuelles afin que les heures supplémentaires ne soient plus rémunérées en tant que telles, entre autres.

Et soudain, le gouvernement téméraire de Luís Montenegro [membre du parti social-démocate, qui est un parti de centre droit au Portugal, NDT] a réalisé que la confortable majorité parlementaire des conservateurs, soutenue par les fascistes et le Parti socialiste, et la perspective que seuls deux candidats de droite se qualifient pour le second tour des élections présidentielles de janvier, ne correspondait plus à la révolte du pays réel.

Au début du mois de décembre, les sondages montraient déjà un très large soutien populaire à l’appel à la grève générale, et les indications de l’institut de sondage Vox Populi reflétaient déjà la volonté de faire grève de nombreuses personnes qui n’avaient jamais participé à une grève de leur vie. Le gouvernement a tout tenté pour dissuader la population de se joindre à la grève, promettant de relever le salaire minimum de 870 euros à 1 600 euros et le salaire moyen de 1600 euros à 3000 euros. Mais ces promesses extravagantes, sans aucune date ni garantie, sont tombées dans les oreilles de sourds.

Une participation sans précédent à la grève

Le jour même, la participation à la grève a atteint un niveau sans précédent. La CGTP, centrale syndicale à majorité communiste, a estimé à 3 millions le nombre de grévistes sur une population active de 5,3 millions de personnes. L’UGT, centrale syndicale à majorité socialiste, a annoncé un chiffre encore plus élevé. Les statistiques de participation sont toujours sujettes à controverse, mais, indépendamment de l’exactitude des calculs, la grève a démontré sa force de manière incontestable en paralysant les services essentiels.

Les transports publics ont été paralysés dans pratiquement tout le pays. Le métro de Lisbonne a dû fermer ses portes. Les trains qui n’étaient pas soumis à des services minimums ont été totalement paralysés, et beaucoup de ceux qui étaient inclus dans les services minimums n’ont pas non plus circulé. À l’aéroport de Lisbonne, la grève a entraîné l’annulation de 400 vols. Les bateaux qui traversent le Tage sont restés à quai. La plupart des écoles ont fermé et la grève dans l’enseignement s’est prolongée jusqu’au lendemain, le 12 décembre. Dans les hôpitaux, les consultations et les opérations programmées ont été annulées, seules les urgences étant prises en charge. Les ordures ménagères n’ont pas été ramassées. De grandes entreprises privées, telles qu’Auto-Europa, filiale de Volkswagen et premier exportateur du pays, ont complètement cessé leur activité.

Le ministre de la Présidence, Leitão Amaro, s’est ridiculisé en déclarant à la télévision que la grève était « insignifiante ». La blague la plus populaire du pays est devenue la comparaison entre ce personnage et le ministre de la Propagande de Saddam Hussein, qui continuait, imperturbable, à affirmer devant les caméras les succès des forces irakiennes, alors que le bruit de l’artillerie impérialiste se faisait déjà entendre en arrière-plan de sa propre émission. Celui qui est passé à l’histoire sous le nom d’« Ali, le comique » a désormais en Amaro un imitateur de second ordre.

Les faits, irréfutables, parlent un langage plus sérieux et complètement différent. Face au succès de la grève générale, le gouvernement a jugé prudent de mettre de côté son intransigeance proclamée et a annoncé qu’il rouvrirait les négociations sur le « paquet travail ». Lors de la réouverture, il ne veut, en tout état de cause, que l’UGT comme interlocuteur, afin de semer la discorde entre les deux centrales syndicales qui, depuis 2013, n’avaient plus jamais appelé à la grève générale. Un autre fait éloquent a été le changement spectaculaire de position du parti d’extrême droite Chega : alors qu’il y a un mois, il louait le sens général des nouvelles lois annoncées et vilipendait l’appel à la grève, il a désormais manifesté sa sympathie pour les motivations des grévistes. Cela signifie apparemment que le « paquet travail », tel qu’il est, ne pourra plus compter sur une majorité parlementaire.

La confrontation se poursuit

Ce premier succès de la lutte des travailleurs ne signifie pas que le danger s’est évanoui. Le gouvernement et les confédérations patronales vont chercher un autre moyen d’imposer leur programme néolibéral et de créer finalement un régime de capitalisme sauvage sans aucune entrave juridique. Pour cela, ils pourront compter sur la complicité de l’extrême droite et des socialistes, mais aussi sur l’attitude collaborationniste ou, à tout le moins, démobilisatrice des directions syndicales.

L’UGT a déclaré, juste après cette journée de grève générale, qu’une deuxième grève pourrait être nécessaire si le gouvernement restait intransigeant sur les questions de fond. Cela paraît une attitude combative, mais, en réalité, avant de proférer une menace qu’elle ne peut tenir seule, l’UGT aurait dû refuser le rôle d’interlocuteur unique que lui offre le gouvernement. Dans l’état actuel des choses, et connaissant les antécédents de l’UGT, la menace d’une deuxième journée de grève ne peut être considérée que comme une rhétorique destinée à négocier quelques concessions mineures à la table des négociations.

La CGTP, pour sa part, ne s’est pas impliquée cette fois-ci dans l’organisation généralisée de piquets de grève, se limitant dans de nombreux cas à soutenir uniquement ceux organisés à l’initiative de la base. Et lors de la grande manifestation, jeune et combative, qu’elle a convoquée pour se rendre devant le parlement, elle s’est contentée de prononcer ses discours habituels pour être entendue par la tête du cortège. Elle a immédiatement quitté les lieux, où les colonnes de manifestants ont continué d’affluer pendant plusieurs heures, se battant dans les rues étroites pour entrer sur la place devant le parlement. En quittant les lieux, la CGTP a également abandonné les manifestants qui avaient répondu à son appel et qui avaient fait confiance à sa direction, les laissant sans consignes, face à la police et à la merci de provocations qui ont ensuite donné lieu à une répression féroce.

Publié et traduit du portugais par Marx21 le 13 décembre 2015

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