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30 ans après son décès, construire avec Ernest Mandel

par Penelope Duggan

Ernest Mandel (1923-1995) a été l’un des principaux dirigeants de la Quatrième Internationale lors de la reconstruction du mouvement après la Seconde Guerre mondiale.

Il est surtout connu comme un économiste marxiste et un analyste politique de premier plan, dont la réputation a dépassé les cercles militants (1). La liste des ouvrages qu’il a publiés, notamment sur l’économie, est longue, dont par exemple Le troisième âge du capitalisme (1972). L’un de ses ouvrages majeurs, Les ondes longues du développement capitaliste. Une interprétation marxiste (Syllepse, 2014), a été publié pour la première fois par la prestigieuse Cambridge University Press en 1980. Il a également écrit de nombreux ouvrages d’analyse politique tels que Sur la Seconde Guerre mondiale(La Brèche) publié en français en 2018.

Mandel formateur

Cependant, Ernest était également un révolutionnaire pratique convaincu de la nécessité de construire des organisations révolutionnaires, à la fois la section en Belgique et la Quatrième Internationale dans le monde entier.

Il était donc très engagé dans le développement de programmes de formation au sein de l’Internationale et un certain nombre de ses ouvrages publiés sont basés sur des séries de formations qu’il a lui-même dispensées. L’un d’entre eux, en anglais « From Class Society to Communism » (« De la société de classe au communisme », 1977), a été réédité plus tard sous le titre Introduction au marxisme (1982). Les chapitres traitent des questions de base : Quelles sont les racines économiques de l’inégalité sociale ? Quelles sont les différences entre cette société et les sociétés de classes précédentes ? Quelle est l’origine du profit ? Comment le mouvement ouvrier moderne s’est-il développé ? Pourquoi la révolution sociale est-elle nécessaire pour libérer la classe ouvrière ? Comment la bureaucratie se développe-t-elle dans le mouvement ouvrier ? Quel est le rôle d’un parti révolutionnaire ? Comment le monde s’est-il divisé en nations riches et pauvres ? Quelle est la nature d’États comme l’URSS, la Chine et les pays d’Europe de l’Est ? Comment fonctionnerait une société gérée par les travailleurs ? L’édition élargie couvre des sujets qui n’ont pas été abordés dans l’édition précédente, tels que l’oppression des femmes, ce qui montre que Mandel était prêt à apprendre des mouvements existants.

Mettre à jour le marxisme

Ces textes pédagogiques de Mandel ont façonné la pensée de générations de militant·es de la Quatrième Internationale.

L’un d’entre eux, traduit en plusieurs langues, Théorie léniniste de l’organisation, est un ouvrage sur le développement de la conscience de classe et ses liens avec la capacité à mener une action politique et révolutionnaire, et donc sur le rôle du parti. Il ne s’agit pas d’un traité sur la construction de partis en général.

Cependant, un passage est devenu fondamental pour le travail de nos camarades femmes en expliquant comment le sexisme (ainsi que d’autres oppressions) continue d’exister même dans les organisations engagées dans un programme de construction d’une société libérée de toute oppression : « Ce serait accorder trop de crédit au mode de production capitaliste que de penser qu’il est une école parfaite pour préparer le prolétariat à une activité indépendante, ou qu’il crée automatiquement la capacité des masses laborieuses à reconnaître et à réaliser spontanément tous les objectifs et toutes les formes d’organisation de leur propre libération » (2). Alors que Mandel discutait des dangers de la bureaucratisation, cela nous semble tout aussi pertinent pour la question du sexisme (ou de la lgbtphobie, du racisme, etc.) et nous renforce dans notre bataille pour imposer des mesures en interne pour faire le contrepoids à l’idéologie de la société capitaliste patriarcale de classe dans laquelle nous vivons.

Inspiré par Mai 1968, Ernest Mandel – qui a fait par exemple des meetings dans trente-trois universités au Canada et aux États-Unis à l’automne 1968 – a réfléchi au rôle de l’université dans la société bourgeoise et à celui des étudiants dans la lutte des classes, comme il l’a expliqué dans son ouvrage Les étudiants, les intellectuels et la lutte des classes (1979), l’un des textes fondamentaux pour nos militant·es étudiant·es.

Mandel constructeur

Lorsque nous avons, en juillet 1995, appris son décès quelques jours avant le camp de jeunes de la Quatrième internationale, nous avons décidé que le meeting d’ouverture comporterait un hommage à Ernest. Le discours inspirant de Vincent Scheltiens, de Belgique, a provoqué une ovation de la part des 800 participant·es, dont beaucoup avaient entendu Mandel parler, en particulier, bien sûr, les 35 Belges présent·es.

Une autre des tâches prioritaires d’Ernest Mandel était la question des finances – l’argent était bien pour lui le nerf de la guerre. Il ne s’agissait pas de savoir comment l’argent était dépensé – pour Ernest, c’était secondaire. La vraie question était de savoir comment trouver de l’argent, auprès de qui on pourrait demander des dons. Il a consacré du temps et de l’énergie à trouver ceux qui donneraient de l’argent à la Quatrième Internationale, comme acte de soutien politique.

C’est grâce à ses efforts dans ce domaine que la Quatrième Internationale a pu créer son Institut international de recherche et d’éducation à Amsterdam en 1982. L’achat et la transformation des locaux ont permis à des camarades du monde entier de se réunir pour des écoles résidentielles où ils apprendraient à la fois grâce aux spécialistes de certains sujets qui venaient parler et aussi les un·es des autres. L’école – qui a déménagé dans un nouveau bâtiment en 2006 – a d’abord proposé deux cours résidentiels de trois mois par an, mais comme de moins en moins d’organisations nationales étaient en mesure de fournir des candidat·es pour des durées si longues, l’offre est devenue plus variée. D’abord dans les années 1990 avec des écoles thématiques, une école plus courte spécialement pour les jeunes cadres, et plus tard une session générale de trois semaines ainsi que des réunions de séminaire pour les camarades qui dirigent différents domaines de travail militant. Le bâtiment accueille également les réunions résidentielles régulières des organes de direction de la QI.

Aujourd’hui, trente ans après son décès, nous cherchons toujours à faire vivre la contribution d’Ernest à la construction de notre Internationale en publiant ses écrits, y compris de nouvelles traductions.

Le 8 juillet 2025