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La dérive autoritaire en Équateur

par Raúl Zibechi
Une banderole déployée lors de l’une des manifestations contre l’enlèvement de quatre enfants à Guayaquil. © Santiago Arcos/REUTERS

Le 8 décembre, quatre enfants d’origine africaine ont été arrêtés puis ont disparu à Guayaquil, le plus jeune n’ayant que 11 ans, alors qu’ils avaient quitté leur domicile pour jouer au football. Dans la vidéo qui circule sur Internet, on peut voir comment au moins 10 soldats les ont fait monter dans une camionnette et les ont maltraités. Quinze jours plus tard, leurs corps ont été retrouvés brûlés près d’une caserne militaire.

Les tribunaux ont déclaré que les garçons avaient été victimes d’une « disparition forcée » et ont tenu l’État équatorien pour responsable. Il n’y avait aucune preuve qu’ils avaient commis des crimes, contrairement à ce que les autorités avaient déclaré. Les forces armées se contredisent. Elles ont d’abord affirmé qu’ils avaient été libérés dans de parfaites conditions. Ensuite, elles ont placé en détention 16 officiers en uniforme faisant l’objet d’une enquête du bureau du procureur général, responsable des événements.

Une campagne contre les enfants a été déclenchée en haut lieu : « Le 24 décembre, sur les réseaux sociaux et les groupes WhatsApp, des centaines de comptes, récemment créés et vraisemblablement faux, ont commencé une campagne de diffamation contre les mineurs, affirmant que leur disparition était nécessaire et qu’ils étaient liés à des groupes criminels » (« Infobae », 24/12/2024). Le gouvernement et les institutions publiques ont tenté de dissimuler les faits.

Le 31 décembre, le ministère public équatorien a confirmé que les quatre corps retrouvés correspondent au groupe d’enfants portés disparus le 8 décembre. Une vague d’indignation secoue le pays. L’Alliance des organisations pour les droits humains de l’Équateur a déclaré que cette affaire s’inscrivait « dans une pratique d’abus d’autorité et de force, de discrimination, de stigmatisation et de profilage racial » de la part des forces de sécurité de l’État.

La société équatorienne découvre qu’il s’agit d’une guerre contre ceux d’en bas, conséquence du racisme structurel et de la militarisation croissante du pays, un processus aussi récent qu’intense. L’état d’urgence est en vigueur en Équateur presque sans interruption depuis janvier, dans le cadre de la prétendue guerre contre le crime organisé, un argument avancé par le président Daniel Noboa, mais en réalité il s’agit de contenir les secteurs populaires.

Le collectif féministe et anti-prison Mujeres de Frente, qui travaille dans les prisons, affirme que l’Équateur est devenu « un État paramilitaire » dont l’épicentre se trouve dans les prisons. » Depuis 2015, l’État, par l’intermédiaire de la police, avec le soutien des grandes entreprises et de l’ambassade des États-Unis, a armé les prisonniers et les a “ organisés ” en groupes criminels pour faciliter le mode d’accumulation par dépossession au service des pouvoirs d’en haut. »

Ce à quoi nous devons répondre, c’est pourquoi un pays comme l’Équateur, qui était il y a encore cinq ans l’un des plus pacifiques et des plus stables du continent, a entamé cette dérive vers la militarisation et l’effondrement des institutions démocratiques. Je vois deux raisons principales : l’une géopolitique et l’autre intérieure, toutes deux liées entre elles.

L’Équateur est un acteur important de la géopolitique régionale. C’est le premier point décisif pour comprendre les raisons qui poussent les États-Unis, le Pentagone et le Commandement Sud à tisser des liens étroits avec le gouvernement Noboa. Un gouvernement rejeté par la population, qui n’est pas capable d’être gouverné par la légalité et la légitimité de ses actions. Ce gouvernement a obtenu la cession des îles Galápagos pour que les États-Unis y établissent une base militaire permanente, fournissant des installations pour le fonctionnement de la flotte et de la force aérienne du Commandement Sud. C’est la position géographique idéale pour répondre à la présence croissante de la Chine, qui a inauguré il y a quelques semaines le port de Chancay, dans le nord du Pérou, qui aspire à devenir un lien clé dans le commerce entre l’Asie et l’Amérique du Sud.

La deuxième question concerne la réaction des élites équatoriennes au soulèvement indigène et populaire de 2019. Cette action collective des peuples indigènes et des secteurs populaires a abouti à une victoire politique sur le gouvernement de Quito, un triomphe aux yeux de l’opinion publique, mais aussi à la défaite des forces de police, qui ont dû reculer face aux peuples organisés.

Pendant les treize jours du soulèvement, ils ont réussi à arrêter plus de 200 policiers, qui sont restés sous la garde des indigènes et de la population jusqu’à ce que leur libération soit négociée avec les organisations internationales de défense des droits humains. Il est clair qu’aucune classe dirigeante ne peut accepter une telle situation sans réagir violemment, comme l’ont fait plus tard les élites en créant un État paramilitaire lié au trafic de drogue.

Deux processus se combinent ici : la militarisation interne et l’alignement externe sur le Pentagone. La Maison Blanche a tout intérêt à avoir un gouvernement soumis en Amérique du Sud, tandis que les classes dirigeantes équatoriennes ont intérêt à la tutelle d’un allié capable de soutenir le militarisme interne tout en restant neutre face aux violations flagrantes des droits humains.

Enfin, la nouvelle réalité de la militarisation du pays pose un énorme défi aux forces sociales populaires, en particulier au mouvement indigène. Depuis son apparition publique dans les années 1980, la Conaie (Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur) à toujours évolué dans un cadre démocratique, ses droits d’organisation et de manifestation ont toujours été respectés, bien qu’elle ait parfois été durement réprimée. La douzaine de soulèvements indigènes qui ont eu lieu depuis 1990 se sont soldés par des victoires ou des échecs, mais la Conaie a généralement été reconnue par l’État comme un interlocuteur légitime.

Aujourd’hui, il devra agir dans de nouvelles conditions, sous la pression du militarisme et de la société pour la sécurité et l’ordre. Les gouvernements ne permettront pas de nouveaux soulèvements, comme ceux qui, par le passé, ont modifié l’équilibre des pouvoirs dans le pays. Les mouvements d’en bas ne seront pas interdits mais étroitement contrôlés, leurs dirigeants surveillés et soumis à un chantage à la collaboration avec le système. Ils devront se réinventer pour faire face aux nouveaux défis.

Publié dans naiz le 5 janvier 2024

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