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Trump : quelque chose comme un « coup de force de basse intensité »

par Daniel Tanuro
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Les individus nominés par Trump aux postes clés de l’administration US font apparaître une réalité encore plus effrayante que ce qu’on pouvait craindre.

Un gouvernement d’illuminé·es fanatiques

Robert Kennedy Jr, qui est confirmé comme ministre de la Santé, est un antivax et antiscience notoire, adversaire déclaré du droit a l’avortement (même en cas d’inceste ou de viol).

Personne ne s’attendait a la nomination de Tulsi Gabbard, transfuge du parti démocrate, fidèle amie de Vladimir Poutine et de Bachar Al Assad. Militante anti-woke, Gabbard a relayé les pires mensonges poutiniens (e.a. sur les « 30 labos secrets de création d’armes chimiques-bactériologiques US en Ukraine ») et rendu une visite amicale a Al Assad (après qu’il ait usé d’armes chimiques contre son propre peuple). Qu’elle soit chargée de diriger les services de renseignement étasuniens (CIA, FBI, NSA) est vraiment hallucinant.

Personne ne s’attendait non plus a ce que Trump choisisse un présentateur de Fox News, Pete Hegseth, comme secrétaire a la défense. Le type a certes servi dans l’armée (contrairement a Trump, qui a su éviter le Vietnam !), mais avec un grade intermédiaire et il n’a aucune connaissance des enjeux géostratégiques. Anti-« wokiste » virulent, Hegseth s’est illustré récemment en déclarant qu’il fallait saquer dans l’état-major (il vise en particulier les Noirs et les femmes). Il a plaidé a plusieurs reprises pour que l’armée soit chargée de la déportation massive des migrant·es, promise par Trump. Un boutefeu incompétent et ignare en charge de la plus puissante armée du monde : voila ou en est l’impérialisme étasunien !

Cette déportation, et la gestion des frontières, est confiée a Tom Homan. Son plan est prêt: Homan est en effet un des auteurs du chapitre que le « Project 2025 » de la Heritage Foundation consacré a ce sujet. On lui a demandé récemment comment éviter des drames humains en reportant des « illégaux » qui ont des enfants aux USA (ceux-ci ont donc le droit d’y résider). Réponse: « c’est simple, on déporte toute la famille »… Voila ce que ce quasi-fasciste appelle une « solution humaine ».

Une autre énorme et scandaleuse surprise (la plus scandaleuse, peut-être ?) est la nomination de Matt Gaetz comme attorney General (ministre de la Justice). Le mec, ouvertement et crapuleusement misogyne (« seules les femmes laides » se battent pour l’avortement), consommateur de drogues, est connu pour ses agressions sexistes et pour l’achat de services sexuels a des mineures (il a échappé de justesse a une condamnation, un témoin ne s’étant pas présenté, mais une enquête du comité d’éthique du Sénat US est en cours a son sujet). Gaetz n’a travaillé que quelques mois comme avocat. Dans une interview, il a traité les fonctionnaires du département de la justice de « cafards ».

Marco Rubio, le futur secrétaire d’État (ministre des affaires étrangères) parait presque « normal » au milieu de cette bande d’illuminé·es fanatiques. Mais, là aussi, les choses sont claires : Rubio, de même que le nouvel ambassadeur US en Israël, n’évoque jamais la Cisjordanie : pour lui, il s’agit de la Judée et de la Samarie… La Palestine, pour ces salauds, n’existe pas davantage que les Palestinien·nes. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ils sont aussi violemment antisémites que pro-sionistes (leurs récits complotistes sur le rôle de Soros en témoignent).

En attendant la nomination d’un·e climato-négationniste à la politique énergétique (tiens ! Pourquoi pas cette cinglée de Marjorie Taylor Green ?!), la cerise sur le gâteau est évidemment la désignation de Vivek Ramaswamy et d’Elon Musk comme responsables de la simplification de l’État. Les deux capitalistes ultra libertariens ont l’intention de déréguler à tout va et de couper a la hache, voire de supprimer des administrations qui emmerdent les patrons (notamment l’agence de protection de l’environnement, EPA). Et de se servir au passage! Musk a mis plus de 100 millions de dollars dans le trumpisme, il en attend un « retour sur investissement ».

Le symptôme de la décomposition de la classe dominante

Voila le ramassis de canailles avides et fanatiques qui prétend contrer « le déclin » afin de « make America great again ». En réalité, ce panier de crabes (prêts a s’entre-dévorer a la moindre occasion) illustre plutôt l’incroyable « déclin » nihiliste d’une classe dominante tellement intoxiquée par sa propre idéologie fantasmagorique et rapace qu’elle ne semble même plus capable de « dominer » intelligemment ni le monde, ni la société, ni ses propres instincts les plus vils.

Normalement, toutes ces nominations doivent passer par le Sénat, mais Trump invoque un article de la constitution qui rend possible de passer outre (en cas de relâche du Sénat) pour une période d’un an renouvelable, au nom de l’urgence. Plusieurs responsables républicains se sont empressés de donner servilement leur accord avec cette procédure. On verra… Rappelons de toute manière que la Cour suprême a offert à Trump l’immunité pour les actes commis dans le cadre de sa fonction.

Ce « gouvernement » de copains et de coquins (en fait, une kleptocratie oligarchique), est rassemblé autour de la loyauté au Chef putschiste et à ses mensonges, d’une « pensée » réactionnaire catholique et de quelques objectifs assez clairs : utiliser la justice pour se blanchir, blanchir ses amis, et se venger de ses adversaires; soutenir le bandit Netanyahou sans la moindre limitation, y compris les projets d’annexion pure et simple de Gaza et de la Cisjordanie; conclure un deal avec son autre ami Poutine sur le dos du peuple ukrainien et des ses droits démocratiques; attaquer brutalement les syndicats, les droits des femmes et des LGBTQ, le mouvement pour l’environnement; faire diversion en flattant des penchants réactionnaires et en organisant des rafles contre les migrant·es, accusé·es de tous les maux. Mais ce sont pour ainsi dire des objectifs au coup par coup, ils ne définissent pas une stratégie de long terme pour l’impérialisme US.

Il faudra suivre attentivement l’évolution des réactions dans la classe dominante et dans son appareil d’État. Profitant de la crise du système bipartisan, Trump s’est approprié le parti républicain pour en faire un instrument national-populiste-autoritaire, lié a l’extrême-droite (plusieurs fachos authentiques dans son équipe, comme S. Miller). Sur base de son triomphe électoral, il tente maintenant une sorte de « coup de force de basse intensité ». Il le fait avec le soutien militant d’une fraction de la bourgeoisie très active (Musk, Koch et les autres 5 grandes fortunes qui ont finance le Project 2025…). Le grand capital voit évidemment d’un bon œil nombre de ses projets (baisse des impôts, dérégulation…) Mais de nombreux secteurs semblent réservés, au moins sur certains aspects. Le coté kleptocratique du trumpisme1 inspire de la méfiance – Trump, c’est un mélange d’Al Capone et de Barry Goldwater au pouvoir. Surtout, la puissante caste militaire est certainement inquiète. Pour des raisons géostratégiques évidentes, mais aussi parce que l’aventurisme trumpiste met en danger le consensus autour de son rôle comme bras armé impérialiste censé ne pas faire de politique (la « grande muette »).

Les tâches de la gauche

En attendant, l’heure est très grave. On n’en serait sans doute pas la si les puissants mouvements sociaux (féministes, antiracistes, environnementaux, syndicaux) qui se sont dressés contre Trump lors de son premier mandat s’étaient structurés et coordonnés pour tenir sur la durée. Au lieu de cela, ils ont majoritairement choisi de miser sur l’opposition démocrate au parlement, puis sur le soutien au gouvernement Biden. Erreur. On voit bien aujourd’hui qu’il n’y a d’autre moyen que de reprendre le chemin des luttes, de la démocratie dans les luttes et de leur convergence. Aux États-Unis et de ce coté-ci de l’Atlantique !

Publié par la Gauche anticapitaliste le 17 novembre 2024

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    Dans « Le moment Trump », je parlais de « capital interlope ». (Livre disponible sur Academia.)

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Auteur·es

Daniel Tanuro

Daniel Tanuro, ingénieur agronome et militant écosocialiste, est membre de la direction de la Gauche anticapitaliste (GA-SAP, section belge de la IVe Internationale). Outre de nombreux articles, il est l’auteur de Impossible Capitalisme vert (la Découverte, Paris 2010) et de Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement (Textuel, Paris 2020).