Dans un communiqué envoyé récemment, la direction de Québec solidaire exprimait sa position concernant les élections fédérales à venir. Elle rappelait que les instances du parti n’appuyaient aucun parti ou candidature et que ce devoir d’impartialité s’appliquait à toutes les personnes élues et porte-paroles des instances locales et régionales.
Cette position n’est pas complètement différente de ce qui a été décidé par le passé, le CCN s’est toujours abstenu d’appuyer un parti politique lors des élections fédérales, mais elle est plus sévère en ce qu’elle ne se limite pas en une position du parti mais s’adresse aussi spécifiquement à toutes les instances du parti.
Le problème majeur cependant, est que cette position évacue tout le débat politique concernant notre stratégie dans l’État canadien. Par le passé, la direction de QS considérait important de se préoccuper de la solidarité avec les travailleurs et travailleuses et les mouvements sociaux du Reste du Canada, même si la consigne de vote est demeurée complexe au niveau fédéral.
Lors des élections de 2015 le CCN (dont je faisais partie) avait décidé ce qui suit : « Que dans le cadre de l’élection fédérale, QS intervienne publiquement sur les enjeux qu’il jugera prioritaire pour mettre de l’avant sa propre vision solidaire. Que QS continue à s’impliquer dans la solidarité des peuples dans l’État canadien sur des questions comme l’austérité et les changements climatiques et qu’il fasse la promotion du droit à l’autodétermination du Québec. On convient de la nécessité de faire le bilan de notre position de neutralité après la tenue des élections. »
Le CCN avait mis sur pied un sous-comité de réflexion qui avait produit le document suivant :
Texte du sous-comité de réflexion : A : Élections fédérales
« Quelle que soit notre position, les élections fédérales nous interpellent. D’une part parce que la politique fédérale nous concerne. Le débat engendré au Québec par les politiques conservatrices et le désir de chasser Harper le démontre. D’autre part il y a un lien politique et organisationnel évident entre le BQ et le PQ. La gouvernance fédéraliste vient compléter la gouvernance souverainiste. Il y a ici une confusion des genres. Le Bloc est une extension du PQ qui vient couvrir leur angle mort sur la scène fédérale, ce faisant il s’adresse en bonne partie à nos militants et militantes et à notre clientèle électorale. Pour ces raisons nous serons toujours la cible des bloquistes même si nous ne prenons pas position, ou plutôt parce-que nous ne prenons pas position pour eux. Il sera donc nécessaire de nous démarquer afin de sortir de notre position défensive. Il n’y a pas beaucoup d’issue, tenant compte de notre position d’abstention. Cependant si nous avons une position de neutralité quant à l’élection, nous ne sommes pas neutres en ce qui concerne les enjeux.
Nous pouvons mettre l’accent sur les enjeux énergétiques en démystifiant les positions des partis concernant le pétrole et Énergie Est.
Notre travail de solidarité avec les progressistes du reste du Canada et les peuples autochtones met en lumière notre vision différente de la souveraineté ; construire une solidarité des peuples contre l’austérité mais aussi solidaires de la lutte sociale pour la souveraineté au Québec. »
Le CCN avait ensuite adopté en décembre 2016 une résolution visant à formaliser le travail pancanadien :
« André Frappier présente le document déjà envoyé et les objectifs poursuivis. Cela fait deux ans qu’il a entamé ces travaux avec d’autres progressistes canadiens. Il fait également état des activités et conférences organisées régulièrement. L’expérience de Québec solidaire a su inspirer plusieurs groupes progressistes du reste du Canada. Ce serait bien que ce travail soit un peu plus formalisé et que ce dossier soit reconnu au sein du comité de coordination national. Ainsi, ce pourrait être d’autres personnes du CCN qui participe à ces activités et, si nécessaire, un soutien financier pourrait être accordé. »
« Que ce travail avec les progressistes canadiens soit formalisé en confiant cette responsabilité aux porte-parole (qui pourront déléguer au besoin) et qu’un budget soit accordé lorsqu’il y a représentation formelle au nom de QS. Qu’on informe autant que possible nos membres sur la gauche canadienne. »
Durant cette période plusieurs militants et militantes de QS, dont Amir Khadir, Benoit Renaud, Jessica Squires, Roger Rashi, Andrea Levy et moi-même, ont participé ou initié des conférences dans le Reste du Canada et travaillé à créer un réseau militant qui a duré quelques années.
Bien que cette résolution soit toujours valide, cette perspective a été mise de côté. Depuis 2018 la direction de QS n’a effectué aucun travail dans ce sens.
Quelles perspectives ?
Le changement de société que nous revendiquons ne peut se réaliser dans le cadre de l’État canadien, qui a démontré son rôle antidémocratique à plus d’une reprise envers les décisions du Québec. Le Canada est un État impérialiste où les partis bourgeois sont les accessoires, les portes tournantes entre les fonctions ministérielles et celles des chefs d’entreprise en font foi.
Plus de 75% des sociétés mondiales d’exploration ou d’exploitation minière ont leur siège social au Canada et près de 60% de celles cotées en Bourse s’enregistrent à Toronto à cause des avantages juridictionnels et réglementaires réservés par le Canada à ce secteur d’activité. L’ex premier ministre Brian Mulroney et l’investisseur Paul Desmarais ont fait partie du Conseil international de Barrick Gold, une des pétrolières présentes au Nigéria TG World Energy Corp. de Calgary était représentée par l’ancien premier ministre Jean Chrétien et Joe Clark a représenté les intérêts de First Quantum Mining en Afrique. [1]
Par son historique politique et culturel et d’oppression nationale, le Québec constitue le maillon faible où il est possible de réaliser un projet de société au moyen de l’indépendance. Mais ce projet ne se fera pas sans riposte. Le scandale du programme des commandites (1996 à 2004) dont les malversations avaient été révélées par la commission Gomery en 2004 n’est qu’ai pâle exemple des capacités dont l’État canadien peut utiliser pour conserver le statu quo fédéral. Le love-in d’octobre 1995 à Montréal au moment du référendum du PQ, où des milliers de citoyens et citoyennes de Reste du Canada sont venus influencer le vote référendaire le démontre également. Parmi les milliers de personnes qui investissent le centre-ville de Montréal, on trouve des Néo-Brunswickois venus dans des autocars nolisés par la pétrolière Irving, des étudiants venus d’aussi loin que Vancouver grâce à un rabais de 90 % d’Air Canada, des employés de la municipalité d’Ottawa-Carleton qui ont obtenu un congé payé, etc. [2]
Pour contrer ces offensives, l’indépendance du Québec ne pourra se réaliser que par une mobilisation large de la population du Québec dans un projet de société démocratique, inclusif et égalitaire. Mais ce projet doit dès maintenant interpeller les progressistes de Reste du Canada au fait qu’ils ont intérêt à appuyer la lutte d’émancipation sociale au Québec et qu’il en va également de leur avenir. Dans ce combat, soutenir la bourgeoisie canadienne irait contre leurs propres intérêts.
Si les options soumises lors des élections fédérales ne sont pas appropriées et que le choix pour la direction de QS s’avère la neutralité, il demeure à tout le moins essentiel de construire un réseau de solidarité avec les progressistes du Reste du Canada et en lien avec les peuples autochtones. Il faut trouver des pistes alternatives, on ne peut pas seulement demeurer neutre et attendre que le train de droite nous passe dessus.
Nos camarades catalans de la CUP ont innové lors des deux dernières élections espagnoles et ont décidé de présenter leurs propres candidatures (en Catalogne). Au printemps dernier j’ai tenté d’organiser une rencontre virtuelle avec ces camarades et des membres de la direction de QS afin de discuter avec eux des conclusions de leurs expériences. Le processus a finalement échoué par manque de disponibilité.
Il faut persévérer dans cette réflexion, s’inspirer des expériences internationales et trouver nos propres solutions alternatives. Chose certaine, avec la montée de l’extrême droite nous ne pouvons plus nous offrir le luxe de demeurer les bras croisés.