Irrationalité et paranoïa de masse envahissent nos sociétés

par Yorgos Mitralias

« Mais, pourquoi ils nous agressent ? Qu’est-ce qu’on leur a fait pour qu’ils nous haïssent et nous bombardent comme ça ? ». Ces questions surprennent et ont de quoi nous faire réfléchir car elles sont le fait des citoyens Russes ordinaires de la région de Koursk interrogés par des reporters envoyés sur place pour couvrir l’avancée des troupes ukrainiens dans ce territoire russe. Et elles surprennent d’autant plus que ces citoyens Russes n’habitent pas à Vladivostok ou en Sibérie, mais pratiquement à cheval sur la frontière russe avec l’Ukraine, à seulement quelques dizaines de kilomètres des champs de bataille de la guerre déclenchée par l’invasion de ce pays par l’armée russe le 24 février 2022…

Simple naïveté ou bourrage des crânes, conditionnement du peuple par une propagande de l’État russe asphyxiante et omniprésente ? Oui sans aucun doute, mais sûrement plus que ça. Ce qui rend ces interrogations des citoyens de la région de Koursk emblématiques d‘un état d’esprit plus général de notre époque, c’est qu’elles sont en même temps le fait aussi des citoyens… Israéliens qui se posent systématiquement des questions du genre « qu’est-ce qu’on leur a fait pour que les Palestiniens ou les Arabes nous haïssent tellement et veulent nous faire du mal ? ». Des citoyens israéliens qui sont d’ailleurs souvent des témoins oculaires sinon des acteurs des actes de racisme, d’oppression, des bombardements et des massacres perpétrés contre leurs voisins Palestiniens par une armée israélienne composée par des citoyens ordinaires, c'est-à-dire… d'eux-mêmes !

Évidemment, on ne peut pas comparer la passivité teintée de fatalisme de la majorité des citoyens russes atomisés et repliés sur eux-mêmes, à l’actuel fanatisme raciste et va-t’en guerre de l’écrasante majorité des citoyens israéliens. Cependant, au-delà de leurs différences et des raisons qui font que les sociétés russe et israélienne paraissent aujourd’hui aveuglées par le chauvinisme et soudées derrière leur gouvernants archi-autoritaires (pour le cas israélien voir notre article Essayant de comprendre la dérive génocidaire de la société israélienne !), ce qui caractérise actuellement toutes les deux est leur basculement vers l’irrationalité. Ce qui fait qu’elles soient balayées par une vague de ce qui est la définition même de la paranoïa de masse : « Psychose caractérisée par un orgueil démesuré et une tendance au délire de persécution ». En somme, la folie des grandeurs (Le Grand Israël des uns ou l’Empire Russe promis par Dieu des autres…) mêlée à la suspicion pathologique qu’ils sont entourés par des ennemis qui ne veulent que leur destruction…

A vrai dire, si la paranoïa de masse reste pour l’instant l’apanage des sociétés russe et israélienne, par contre le basculement vers l’irrationalité de masse concerne pratiquement tout le monde actuel et constitue un phénomène de nos temps ! En effet, quelle société de par le monde peut prétendre ne pas connaître et ne pas subir cette irrationalité de masse des temps modernes, qui n’est rien d’autre que ce mélange d’obscurantisme et de mysticisme, de complotisme et de conception policière de l’histoire, à la recherche permanente des boucs émissaires pour « expliquer » tout ce qui préoccupe l’humanité, comme par exemple la catastrophe climatique ou les pandémies ?

Mais alors, qui sont les responsables de cette dérive si inquiétante et si dangereuse ? La réponse saute aux yeux : ce sont les gouvernants et les élites politiques et autres de nos pays. Tous ceux qui par leurs actes et même par leur exemple personnel, distillent méthodiquement le poison de cette méfiance pathologique envers les « autres » (qui peuvent être les migrants, les minorités ethniques, sexuelles, religieuses, etc) mêlé à la folie des grandeurs fondée sur la croyance qu’on est le peuple élu de Dieu dont les « autres » ne peuvent qu’en être jaloux…

Force est de constater que ce poison, les gouvernants et leurs acolytes l’ont distillé à leurs sujets pratiquement depuis le fond des temps, et surtout durant ce XXe siècle de toutes les barbaries. Mais, force est aussi de constater que jamais autant qu’aujourd’hui ils ne l’ont fait aussi systématiquement, méthodiquement et à l’échelle planétaire allant même jusqu’à se coordonner entre eux ! Le résultat est que les politiques et les attitudes tendant à imposer et à généraliser cette irrationalité, qu’on considérait jadis être des exceptions à la règle, tendent aujourd’hui à devenir...la règle. Et ce n’est pas évidemment un hasard que leurs meilleurs représentants sont actuellement tous ces politiciens au pouvoir ou aux portes du pouvoir catalogués à l’extrême droite et au néofascisme : du russe Poutine à l’américain Trump, de l’Indien Modi à hongrois Orban, du Brésilien Bolsonaro à l’argentin Milei. sans oublier les centaines de leurs émules de par le monde, et évidemment l’israélien Netanyahou et ses ministres mystiques et fascistes, ainsi que les ultra-riches comme Elon Musc qui ne cachent plus leur ambition de gouverner le monde cauchemardesque de leurs rêves.

Toutefois, le fait qu’ils sont unis dans leur volonté de s’entraider et de se coordonner dans un réseau international ultra-réactionnaire, anti-ouvrier, raciste, misogyne, homophobe et liberticide ressemblant de plus en plus à une Internationale Brune, ne signifie pas qu’ils sont pareils. Par exemple, Trump n’est pas Poutine, et ses comportements ubuesques faits de délires égocentriques, des promesses messianiques, des mensonges éhontés proférés par rafales, et des appels au meurtre font déjà des émules dont le plus illustre est l’argentin Milei, « le président à la tronçonneuse ». Les catastrophes sociales sans précédents causées déjà par ce clone argentin de Trump, devraient faire réfléchir tous ceux qui ont tendance à penser que dans la nuit de leur raisonnements, tous les néolibéraux, tous les libertariens et tous les réactionnaires sont gris, donc pareils. En réalité, toute cette pègre néofasciste cultive et nourrit l’irrationalité et la paranoïa de masse dont souffre nos sociétés pour une raison très simple : parce que cette irrationalité et cette paranoïa font partie intégrante et servent leur projet néofasciste...

Alors, c’est tout à fait « normal » que tout ce beau monde se reconnaît, se regroupe et serre les rangs derrière ceux qu’il considère, d’ailleurs à juste titre, comme ses idoles, ses chefs et ses incontestables exemples à suivre : Poutine et Netanyahou ! Pourquoi eux et pas d’autres ? Mais, parce que ces deux-là font preuve de la plus grande brutalité et barbarie et d’une absence totale de scrupules, n’hésitant pas à commettre toute la gamme des crimes punis par le droit international (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocides...) afin de démontrer leur détermination d’aller jusqu’au bout de leur projet raciste, obscurantiste, antidémocratique et liberticide.

 

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Auteur·es

Yorgos Mitralias

Yorgos Mitralias, journaliste retraité, ancien militant de la section grecque de la IVe Internationale et de Syriza, un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM, a animé le site EuropeansForBerniesMassMovement qui fournissait, surtout en anglais et en grec, des informations quotidiennes sur les actions des mouvements sociaux et de la gauche étatsunienne.