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Les inondations catastrophiques de Porto Alegre et leurs conséquences politiques

par Israel Dutra, Roberto Robaina
Ricardo Stucker / Lula Oficial – CC BY-SA 2.0

Nous étions prêts. La première conférence internationale antifasciste et contre l’extrême droite, avec des intervenant·es déjà confirmé·es provenant de 30 pays, représentant les cinq continents, devait avoir lieu à Porto Alegre les 17, 18 et 19 mai. Trois semaines avant le début de la conférence, des inondations tragiques, la plus grande catastrophe climatique de l’histoire récente du Rio Grande do Sul, ont rendu l’événement irréalisable. 

La conférence aurait été une étape fondamentale pour faire face à l’extrême droite, qui relève la tête en soutenant le génocide à Gaza, l’ajustement budgétaire radical de Milei en Argentine, qui engrange de bons résultats aux élections européennes et célèbre la possibilité (de plus en plus réaliste) d’un retour au pouvoir de Trump aux USA.

Dans la perspective du débat sur les élections municipales, qui se tiendront en octobre, il avait été possible de conclure un accord pour convoquer la conférence, impliquant le PSOL et le PT du Rio Grande do Sul, en alliance avec d’autres secteurs – le plus important étant le MST, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre. L’appel à tenir cette première Conférence Antifasciste explicitait les objectifs de l’événement et rappelait la place de Porto Alegre dans l’histoire en tant que centre de convergence des forces de la gauche sociale. 

« À l’initiative du PSOL et du PT du Rio Grande do Sul, nous appelons les forces antifascistes internationales à ouvrir un dialogue qui puisse faire face à la destruction promue par les hérauts du conservatisme ultra-libéral, en privilégiant l’unité dans la rue contre toute l’extrême-droite. Porto Alegre a été le cœur de la résistance populaire qui a fait échouer le coup d’État de 1961 et, au début de ce siècle, elle a accueilli le Forum social mondial, qui a rassemblé différents espaces de la gauche et des organisations sociales. Des dizaines de milliers de personnes ont participé à ce processus de construction unitaire d’un autre monde. » (Appel à la première conférence antifasciste, Laura Sito/PT et Roberto Robaina/PSOL)

Comme nous l’avons déjà dit, la tragédie climatique qu’a vécue le Rio Grande do Sul, produit d’années de déforestation et de négligence de l’environnement, n’a pas seulement forcé le report de cette Première Conférence antifasciste, elle a avant tout, et de façon dramatique, ramené au premier plan, pour des millions de personnes, le débat sur la crise environnementale qui nous menace. 

Catastrophe climatique et négationnisme : un binôme brésilien 

Le bilan de la tragédie du Rio Grande do Sul est accablant. Jusqu’à présent, on dénombre plus de 170 décès officiels, des dizaines de personnes disparues, 650 000 sans-abris. Les dégâts économiques et sociaux sont incalculables. 

Un impressionnant mouvement de solidarité s’est déclenché immédiatement, et il commence à se transformer en mouvement social, tandis que la société discute de la reconstruction de l’État du Rio Grande do Sul et de comment affronter la « nouvelle normalité » résultant du réchauffement climatique et de la dévastation de l’environnement. Nous avons besoin d’une lutte contre le négationnisme climatique et contre les ajustements néolibéraux qui réduisent les investissements dans les secteurs sociaux, afin de défendre la population la plus vulnérable.

Le modèle de développement basé sur la production de gaz à effet de serre est promu et stimulé par l’agrobusiness, son élevage extensif, sa monoculture du soja et d’autres extractivismes prédateurs. La destruction des biomes 1, des rivières et des forêts entraîne une dégradation de l’environnement. Il s’agit d’un problème concret, dont la facture est toujours payée par les plus pauvres.

Les tragédies du mois de mai ne sont qu’un chapitre de plus d’une tragédie annoncée. Le Rio Grande do Sul a connu dans un passé récent, dans les derniers mois, une série de catastrophes meurtrières, provoquant des centaines de morts, comme les inondations dans la région du Vale do Taquari (au centre du RS) en septembre 2023 ou celles qui ont frappé Porto Alegre pendant une semaine au début de l’année.

La ligne de l’extrême droite est évidemment pétrie d’idéologie négationniste, mais elle a des implications politiques très concrètes. La politique de dérégulation de la législation environnementale et l’activité des lobbies de l’agrobusiness et du « groupe des ruralistes » – comme sont désignés les nombreux députés qu’ils influencent directement – ne font qu’aggraver les catastrophes environnementales, présentes ou à venir. Dans l’État de São Paulo, par exemple, la droite, dans sa fuite en avant négationniste, mène la privatisation d’un bien aussi précieux que l’eau, et négocie la vente de la SABESP (la compagnie de traitement et de distribution des eaux) au sein du conseil municipal de São Paulo. Et la bourgeoisie est bien entendu incapable d’affronter les catastrophes qui se présentent.

La dynamique de la situation nationale 

La crise que vit le Rio Grande do Sul a eu un impact national. Les événements politiques semblaient s’acheminer, avec routine, vers les élections municipales d’octobre, mais la catastrophe du Rio Grande do Sul a tout changé. La situation de calamité, d’urgence et de décadence vécue par l’un des États les plus importants de la fédération – politiquement et économiquement – ne pouvait que retenir l’attention du gouvernement fédéral, de la presse et de tous les pouvoirs en place.

Le caractère exceptionnel de la situation a provoqué la remise en cause d’un pilier aussi important que la dette publique – la dette de l’État du RS vis-à-vis du gouvernement fédéral a vu ses paiements suspendus et ses intérêts gelés pour une période de trois ans – et par extension, a conduit à une remise en cause plus globale des carcans de l’austérité budgétaire. 

La prise de conscience des masses par rapport à l’ampleur et l’actualité de la crise climatique a fait un bond. Des mesures préventives sont urgentes, comprenant un programme concret pour des millions de personnes, axé sur la fin de la déforestation et la préservation des biomes, une réforme agraire large, durable et massive, la défense des ressources naturelles telles que l’eau – qui doit rester sous contrôle public –, une transition énergétique juste et populaire et la lutte contre le racisme environnemental. Cette démarche se heurte à la ligne du gouvernement fédéral qui insiste sur l’exploration pétrolière, alors que le monde réclame à cor et à cri un changement de la matrice énergétique.

Vers un développement des conflits sociaux

Dans le Rio Grande do Sul, les besoins sociaux et les revendications conduiront à davantage de luttes, de solidarité et d’organisation. La colère contre les gouvernements continuera à se manifester, par exemple, face à l’incompétence du maire de Porto Alegre, Sebastião Melo, face à la crise, à la collusion du gouverneur Eduardo Leite avec l’agrobusiness et à la dégradation de l’environnement. La polarisation et la lutte contre l’extrême droite vont atteindre un niveau jamais connu.

Au parlement, les secteurs conservateurs qui contrôlent le congrès national engagent une attaque contre les droits sociaux et des acquis historiques. Ils menacent de remettre en cause les droits reproductifs des femmes (notamment en limitant encore plus les situations – viol, risque de mort pour la mère ou anencéphalie du fœtus – dans lesquelles l’interruption de grossesse est légalement autorisée, NdT). Dans le domaine économique, le ministère de l’économie, conduit par Fernando Haddad du PT, continue de justifier les ajustements budgétaires, ce qui entraîne des réductions de dépenses dans des domaines essentiels. Ce n’est pas un hasard si, à l’heure actuelle, et depuis plusieurs mois, une importante grève nationale secoue le secteur universitaire – réunissant enseignants et fonctionnaires – pour défendre de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires et plus d’investissements dans l’éducation publique. 

Les défis du PSOL et de la gauche

Le Brésil joue un rôle central dans les dynamiques politiques et les rapports de forces, tant au niveau régional que mondial. Certes, Bolsonaro a subi une défaite électorale, mais le gouvernement de conciliation de classe de Lula ne met pas en œuvre les changements structurels renforçant les intérêts de la majorité sociale. La crise climatique, aggravée par la tragédie du Rio Grande do Sul, s’inscrit dans ce contexte. 

Les actions d’importants mouvements sociaux, tels que le MST, la vague récente de manifestations du mouvement des femmes pour la défense de leurs droits et les manifestations pour le logement et des conditions de vie décentes pour les personnes touchées par les inondations, qui commencent à s’organiser dans le Rio Grande do Sul, indiquent que la société est en mouvement. 

Les élections municipales sont une étape de la lutte politique

Les élections municipales d’octobre seront un nouveau round dans la confrontation avec l’extrême droite et une occasion de faire avancer le débat programmatique, en mettant l’accent sur la nécessité de lutter contre le racisme et de défendre la justice climatique. 

Au sein du PSOL, nous avons fait avancer ce pôle, en réaffirmant notre indépendance vis-à-vis du gouvernement – sans cesser de lutter pour la défense des droits démocratiques et contre toute action de l’extrême droite. La majorité de la direction du PSOL mène une politique plus hésitante, prônant une plus grande implication du parti dans le gouvernement, avec des postes à tous les niveaux dans celui-ci. Elle préconise également une ligne d’alliances plus large, en s’adressant à des secteurs plus étroitement liés à la bourgeoisie, comme le fait Marta Suplicy à São Paulo. 

Pour notre part, militants du MES, nous participerons activement à ces élections. Avec des candidats et candidates au poste de maire ou vice-maire dans plusieurs capitales et villes, nous défendons une approche programmatique claire et la réaffirmation du rôle central des mobilisations. Et nous le faisons souvent dans l’unité d’action avec les secteurs les plus à gauche du PT, comme c’est le cas dans les villes de Porto Alegre, Campinas et Sorocaba.

Une victoire de la liste unie formée par le PT et le PSOL à Porto Alegre est possible. Elle serait basée sur la reconstruction de la ville à partir de la défense des droits des personnes affectées, en dialogue avec les questions environnementales et avec l’engagement de faire avancer la lutte internationale contre l’extrême droite dans les prochains mois, en relançant l’organisation de la Conférence antifasciste au premier semestre de l’année 2025. 


 

Le 18 juin 2024 

  • 1Un biome est une unité écologique. C’est une vaste zone géographique qui partage un climat, une faune et une flore similaires : un ensemble d’écosystèmes aux conditions écologiques identiques.

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Auteur·es

Israel Dutra

Israel Dutra est sociologue, secrétaire aux mouvements sociaux du PSOL, membre de la direction nationale du parti et du Mouvement de la gauche socialiste (MES/PSOL).