Combattre le risque majeur

par Léon Crémieux
Manifestation le 30 juin 2024 à Paris. © Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas.

L’extrême droite est aux portes de la majorité absolue au lendemain du 1er tour des élections législatives anticipées en France. Quel que soit le scénario absurde élaboré par Macron en annonçant la dissolution de l’Assemblée le soir des élections européennes, cela aura eu comme effet concret de dérouler un tapis rouge sous les pieds du Rassemblement national en lui donnant la possibilité de gagner une majorité de sièges le 9 juillet. L’ensemble du mouvement ouvrier, des forces sociales et politiques attachées aux droits démocratiques sont vent debout depuis lundi dernier pour empêcher que 80 ans après que l’extrême droite de Pétain et des fascistes de la Milice a été chassée du pouvoir en France, leurs émules reviennent appliquer une politique de « préférence nationale », de discrimination raciste et de remise en cause des droits sociaux et démocratiques, tout en étant soumise aux intérêts des grands groupes capitalistes comme le sont tous les régimes du même acabit, en Argentine, en Italie ou en Hongrie.

Il sera temps dans les semaines à venir de tirer toutes les leçons politiques des dernières années qui ont vu une progression constante de l’extrême droite, mais le premier constat est simple :

Le Rassemblement national et ses alliés venant des Républicains et de Reconquête ont rassemblé 33,18% des voix exprimées, plus de 10 millions des voix (le Nouveau Front populaire, 28,1% et les candidats de Macron 21,60%.

Ce résultat est venu trois semaines après des élections européennes qui ont vu en France la liste du RN arriver déjà largement en tête avec 30,5% des voix, plus du double de la liste du camp présidentiel, 14 % des voix (menée par la présidente du groupe européen Renew, Valérie Hayer). Les listes des quatre partis de l’ex NUPES (LFI, PS, Verts et PCF) arrivaient derrière en ordre dispersé, même si elles totalisaient 30,7% des voix.

Face à une gauche éclatée, le RN a pu largement capitaliser sa place dans le paysage politique français depuis deux ans.

Comme beaucoup d’autres forces d’extrême droite en Europe, il a appliqué la « stratégie de la cravate », pour apparaître comme une force respectueuse des institutions et surtout prête à gouverner dans le respect des règles européennes, à l’instar de Giorgia Meloni. Cela n’empêche pas que le RN fait un effort intensif pour inculquer à ses cadres les fondamentaux de la défense de l’identité européenne de la Nouvelle Droite et du GRECE, avec l’Institut Iliade.

L’éclatement de la gauche 

Tout ce travail de lissage allait de pair avec la volonté d’apparaître comme la seule force d’opposition à Macron lors des mouvements sociaux qui ont marqué les deux dernières années, notamment la mobilisation contre la réforme des retraites des 6 premiers mois de 2023 et le mouvement des agriculteurs de l’hiver dernier. Cela s’est accompagné d’une ligne éditoriale des grands organes de presse jouant à fond cette dédiabolisation.

À l’inverse, depuis deux ans, les composantes de la NUPES, pour diverses raisons, n’ont pas construit cette alliance des partis de gauche comme une force militante commune s’accompagnant de la recherche d’une convergence militante avec les forces du mouvement social et syndical. Depuis 2022, même lors de la mobilisation contre la réforme des retraites, la gauche est apparue dans la rue, à l’assemblée pour le blocage du report de l’âge de départ, mais sans s’avancer unie autour d’un plan de mesures sociales à la hauteur de la mobilisation la plus puissante depuis 20 ans et sans prendre d’initiative unitaire pour s’affirmer politiquement durant le mouvement. Pire, les partis composant la NUPES ont ouvertement annoncé la fin de leur alliance au moment même où après les retraites, l’inflation et la précarisation croissante rendait encore plus urgent la construction d’un front porteur d’une politique conforme aux besoins sociaux. Dès lors, ni dans les quartiers populaires, ni dans les zones rurales, et indépendamment d’un travail de terrain réalisé par beaucoup de forces militantes, la gauche n’est apparue comme une force nationale capable de changer la vie quotidienne et prétendant incarner une alternative politique face à Macron et à l’extrême droite. De plus, le gouvernement n’a eu de cesse de chercher à légitimer le RN comme une opposition respectable et de diaboliser la France insoumise comme une menace pour la démocratie, pesant même pour pousser une partie de la gauche à « rompre avec Mélenchon ».

Les préoccupations des classes populaires sont évidemment prioritairement le pouvoir d’achat, les salaires et le prix de l’énergie, la santé et le logement, la perte des services publics, notamment dans les zones rurales et périurbaines, dans les quartiers populaires des grandes agglomérations. Cela alors que l’injustice sociale, une politique fiscale et des choix budgétaires au bénéfice des classes supérieures ont encore accentué les inégalités. Parallèlement, les violences sexistes, la violence d’Etat continuent aussi de se faire sentir au quotidien avec, comme seule réponse, la présence policière et un discours islamophobe, sécuritaire visant les classes populaires racisées.

L’extrême droite a donc été à l’aise pour développer son discours prolongeant souvent des thèmes mis en avant par le gouvernement lui-même sur l’immigration et l’insécurité (le RN a lui-même donné le la pour la dernière de loi immigration de janvier dernier). De plus, elle a surfé sur le climat anxiogène distillé par des médias d’information en continu dont la ligne éditoriale reprend les thèses de l’extrême droite sur le couple insécurité-immigration.

Une dissolution suicidaire 

Même si Macron était bloqué à l’Assemblée nationale par son absence de majorité, limitant sa marge de manœuvre, confronté au désaveu des élections européenne il a fait un calcul politique suicidaire : alors que le RN était sur la vague de sa victoire électorale et que son propre parti venait de subir un désaveu magistral, le choix de la dissolution était tout simplement suicidaire, offrant au RN une campagne ultra courte pour laquelle ils pouvaient bénéficier du même souffle d’air dont ont souvent bénéficié en France les partis du président : depuis 2002, l’élection présidentielle et celle de l’assemblée se font dans la foulée, à quelques semaines d’intervalle donnant un avantage quasi automatique au parti du président. Là, Macron offrait sur un plateau une situation similaire au RN. Il espérait peut-être, avec une gauche désunie, compter jouer une nouvelle fois le sauveur face à l’extrême droite, provoquant lui-même l’électrochoc de la menace de l’arrivée de Bardella et de Le Pen à la tête de l’Etat.

Mais dès le dimanche soir, la réaction est venue des mouvements sociaux, des syndicats et notamment de Sophie Binet, pour appeler à une Front populaire contre le RN. Alors que divers calculs étaient encore à l’œuvre, cette pression unitaire des réseaux militants à imposer l’unité à gauche pour combatte ensemble la menace. Contre toute attente vu le passif accumulé les mois précédents, l’union s’est construite avec un programme reprenant une partie de celui élaboré pour la NUPES et faisant aussi écho à une déclaration commune des forces syndicales CGT, Solidaires, FSU et CFDT. En mois d’une semaine ( il n’y avait que cinq jours pour déposer les candidatures dans 577 circonscriptions), l’accord, le programme et la répartition des circonscriptions a été bouclée. Les implorations du camp de Macron pour que le PS, le PC et les Verts ne concrétisent pas ce nouveau Front populaire n’ont eu aucun effet.

Dès lors, le scénario de Macron s’est écroulé comme un château de cartes et sa « grenade dégoupillée » comme il l’évoquait à un de ses proches n’a mis que quelques jours à exploser au milieu du camp macroniste. Le Front populaire est apparu comme la seule alternative à la menace du RN, recueillant par là-même le rejet de la grande majorité du champ syndical, du mouvement social et associatif. Déstabilisé par sa défaite aux européennes et l’incompréhension de la manœuvre présidentielle, les candidates d’Ensemble sont partiEs sans conviction dans la campagne de quelques jours. Du côté de la droite, les LR (Les Républicains) ont explosé en vol, leur propre président, Éric Ciotti, se ralliant au RN pour voler au secours de la victoire, tout comme Marion Maréchal, la porte-parole de Reconquête (le parti créé en 2022 par Éric Zemmour), accentuant la polarisation d’extrême droite.

Les résultats du 1er tour

L’enjeu de cette élection a amené en quelques jours une mobilisation inédite du corps électoral. La participation s’est élevée à 66,71% des inscrits, du jamais vu depuis 1997.

Cette envolée de participation s’est traduite par une mobilisation importante, mais répartie entre les trois blocs en présence. Deux phénomènes contradictoires sont apparus :

Même s’il n’y a pas eu une déferlante du vote RN qui, ayant absorbé l’essentiel de l’électorat de Renaissance et 2/5 de celui des LR rassemble néanmoins 33% des voix, il y a une homogénéisation territoriale du Rassemblement national, nettement plus marquée dans les zones rurales : sur 577 circonscriptions, le RN et alliés a fait élire 39 députéEs au 1er tour, est en tête dans 260 circonscriptions et est présent au second tour au total dans 443 circonscriptions. 

Le macronisme s’effondre, avec deux élus au 1er tour, en tête pour le second tour dans 68 circonscriptions, et en position de se maintenir au total dans 321 circonscriptions (avant les désistements de mardi soir).

Le Nouveau front populaire a fait élire 31 députés au 1er tour, en tête dans 128, et qualifiés au total dans 413, bien plus qu’en 2022. Ce qui très notable est la concentration urbaine du vote pour le NFP. 21 des 31 éluEs du 1er tour le sont en Région parisienne, notamment le 77, 93 et 94. Le NFP devraient emporter les deux-tiers des sièges à Paris. Des succès similaires, mais dans une moindre mesure, sont à noter dans les métropoles de Marseille, Bordeaux, Lyon, Toulouse, Nantes, Strasbourg. Le vote est autrement concentré sur la Bretagne, le Sud-Ouest et le Massif central, les Antilles et La Réunion avec 6 circonscriptions sur 7.

Ces résultats marquent donc une force dans les quartiers populaires des grandes villes et une faiblesse parmi les populations populaires des zones rurales et périurbaines.

Le second tour a posé le problème de la construction d’un front démocratique pour empêcher le RN d’obtenir une majorité absolue de 289 sièges à l’Assemblée nationale.

Le Front populaire s’est clairement positionné en retirant ses candidats arrivés en troisième position face au RN

Les LR, présents en tête au second tour seulement dans 19 circonscriptions affiche en général un refus de positionner entre le Front populaire et le RN, tout en étant clairement courtisé par le RN.

Les macronistes, eux sont divisés en deux, du point de vue de leurs dirigeants, entre  la position du Ni Ni de Edouard Philippe, l’ancien premier ministre et celles du vote pour le Front populaire émise par d’anciens ministres comme Clément Beaune. Gabriel Attal, premier ministre sortant disant « faire barrage au FN ». Nouvel éclatement signe de l’agonie du mouvement. Durant la journée de mardi se sont succédés les désistements venant d’Ensemble. A 16 heures, elles étaient de 75, sur les 325 candidats présents pour le mouvement au second tour. Il resterait donc autour de 100 circonscriptions avec trois candidats.

La mobilisation de la gauche

Durant cette semaine, des dizaines de milliers de militantEs se sont mobilisés et le mouvement syndicat s’est largement exprimé pour écarter la menace d’une majorité RN. 

Il ne faut toujours pas écarter cette hypothèse, car dans tous les case le nombre d’éluEs RN sera entre 250 et 290, même si la fourchette haute baisse avec les désistements. C’est donc la tâche de l’heure d’éviter ce risque. Et au cas où le pire soit évité, ne pas dissoudre la mobilisation à gauche dans une nouvelle combinaisons où Macron espère sans doute, une dernière fois, être à la manœuvre

Restera ensuite, la question de la mobilisation et de la construction d’un front social et politique de résistance, face à l’extrême droite et toutes les combinaisons qui appliquerait sa politique. La pire des choses serait de renouveler l’éclatement vécu ces dernières années. La responsabilité première sera donc celle du mouvement social et syndical pour imposer le maintien d’un front d’unité nationale et locale des forces militantes dans les entreprises et les quartiers pour s’opposer aux exactions d’extrême droite et plus que jamais affirmer l’exigence d’une alternative unitaire et radicale fondée sur les besoins sociaux.