«Les élections européennes doivent être l’occasion de renforcer une gauche radicale ancrée dans les luttes sociales, féministes, antiracistes et écologiques, les quartiers populaires, capable de stopper l’ascension de l’extrême droite ». Pour un ensemble de personnalités politiques et intellectuelles, les luttes ne doivent pas seulement être une réaction défensive, mais aussi construire « construire une nouvelle force politique, plus forte et plus populaire que ce que représentent aujourd’hui les organisations et les luttes ».
Les élections européennes auront lieu dans un contexte nouveau à l'échelle continentale, marqué par la guerre en Ukraine et ses multiples conséquences et la perspective de plusieurs élargissements dans la partie orientale de l'Europe. Ces élections doivent être l’occasion d’affirmer et renforcer, en France et en Europe, une gauche radicale ancrée dans les luttes sociales, féministes, antiracistes et écologiques, les quartiers populaires, capable de stopper l’ascension de l’extrême-droite et de promouvoir auprès du plus grand nombre la perspective d’une alternative globale au système capitaliste, écocide, patriarcal, raciste, impérialiste et validiste.
Les mouvements sociaux montrent la voie
Aujourd’hui, dans les manifestations et les comités de soutien au peuple palestinien contre la guerre génocidaire menée par l’État d’Israël, des dizaines de milliers de personnes, dont un grand nombre de jeunes des quartiers populaires, se mobilisent pour une solidarité concrète et politique, se politisent en dénonçant les responsabilités et complicités du gouvernement français.
De même, les mobilisations en soutien à la résistance du peuple ukrainien contre la guerre impérialiste menée par l’État russe, la solidarité avec les peuples du Sahel qui dénoncent la Françafrique et l’ingérence militaire de l’État français, mais aussi avec les peuples des confettis de l'empire confrontés à la domination coloniale française, en Kanaky ou aux Antilles, notamment reconstruisent un internationalisme concret, en soutien aux résistances populaires contre tous les impérialismes. La grève féministe du 8 mars a été à nouveau cette année l’occasion de construire un féminisme radical, inclusif et décolonial, qui s'attaque frontalement au patriarcat et promeut toutes les émancipations, inscrit dans un mouvement féministe et LGBTQI+ qui constitue aujourd’hui la plus grande et dynamique des internationales de lutte.
De même, la mobilisation contre la loi Darmanin – révélatrice du racisme structurel de l’Etat français – conduite par un mouvement unitaire porté par les premier·es concerné·es et notamment les sans-papiers et les migrant·es, a permis l’affirmation d’un antiracisme politique qui promeut toutes les égalités et constitue aujourd’hui le premier rempart contre la menace fasciste. Le mouvement des agriculteur·ices a permis de remettre sur le devant de la scène la nécessité d’une rupture avec la Politique Agricole Commune et les traités de libre-échange et la confrontation d’idées entre ses composantes capitalistes, réactionnaires, parfois proches de l’extrême-droite (FNSA, Coordination Rurale…) et nos camarades paysan·ne·s anticapitalistes et écologistes de la Confédération Paysanne. Un an après les grandes mobilisations du printemps 2023 face à la contre-réforme néolibérale des retraites et contre les mégabassines à Sainte-Soline, nous n’avons pas oublié non plus les rencontres, expériences, solidarités permises par ces luttes, à la fois radicales et unitaires, qui nous donnent à toutes et à tous un cap politique.
Toutes ces luttes auxquelles nous participons en France, ces mouvements sociaux et ces mobilisations citoyennes, ne sont pas seulement une réaction défensive face à la crise globale du système qui nourrit la montée de l'extrême droite, elles sont aussi là où, de manière offensive, s’inventent de nouvelles pratiques militantes et se dessine une alternative politique.
A l'échelle européenne, ces luttes et ces solidarités ne sont pas isolées : dans d'autres pays ont lieu des mobilisations sociales, féministes, écologistes et antiracistes et de solidarité avec l'Ukraine et la Palestine.
La gauche politique n’est pas à la hauteur
Mais le dynamisme, la radicalité et la diversité de tous ces mouvements ne se retrouve pas sur le plan électoral. À l’approche des élections européennes, la gauche politique est à nouveau divisée et les enjeux ne sont pas clarifiés. Au sein des forces de l’ex-NUPES, certaines essaient de se détacher de la dynamique combative portée par cette alliance en 2022, de déplacer le curseur politique à droite pour préserver la vieille gauche institutionnelle. Les autres ne veulent pas assumer l’objectif pourtant incontournable de construction d’une alternative écologiste, féministe et sociale, radicale et unitaire, sans concession avec le système, et restent fermés à une alliance avec les forces anticapitalistes.
Quant aux exigences démocratiques, féministes, égalitaristes, portées notamment par les plus jeunes militant·es, elles continuent pour l’instant d’être négligées, parfois méprisées, creusant encore l’écart avec la culture politique d’auto-organisation des mouvements sociaux récents et des aspirations des militant·es. Pour que les choses changent, il ne faut compter que sur les capacités à s’organiser pour peser dans les rapports de force, bousculer les hiérarchies et les habitudes, imposer un agenda radical, unitaire et populaire dans le champ politique.
Que pouvons-nous faire ? Porter des propositions politiques claires…
La campagne des élections européennes doit être un moment de clarification politique à gauche, pour en finir avec les erreurs et renoncements qui ont affaibli notre camp social ces dernières années.
Notre gauche s’oppose à tous les impérialismes et les colonialismes, sans ambiguïté ni double-standard. Le soutien aux résistances de tous les peuples, à leur droit à disposer d’eux-mêmes et à une paix juste et durable (et donc décoloniale) n’est donc pas un pacifisme abstrait : nous soutenons le droit à l’auto-détermination partout en Europe et dans le monde, en Palestine, en Ukraine, au Sahel et ailleurs ainsi que l’aide aux peuples en résistance en même temps qu’une opposition aux Etats terroristes (qui bombardent les populations civiles) et militaristes.
Cela impose une dénonciation de l'accord entre l'UE et Israël, une dénonciation sans complaisance à l’égard de l’État français qui soutient politiquement et par la vente d’armes la guerre génocidaire d’Israël et qui est le troisième plus grand exportateur d’armes au monde, notamment à l’Arabie Saoudite (qu’il soutient aussi militairement dans sa guerre contre le Yémen). Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est également inséparable de la défense des droits des migrant·es et de l’accueil digne et inconditionnel de tou·tes les migrant·es et les réfugié·es, sans distinction, contre les politiques de l’Europe forteresse, pour la liberté de circulation et d’installation de toutes et tous.
Notre gauche veut être antiraciste et antifasciste en acte, et pas seulement en parole. Pour combattre l’extrême-droite, il n’est efficace ni de proclamer des valeurs abstraites ni de faire comme si le vote néofasciste n’était qu’une simple expression de colère. Il faut prendre le problème à bras le corps et, sur le terrain comme dans les institutions, montrer que les solidarités, le respect des diversités et de toutes les égalités, peuvent et doivent s’imposer face aux haines et aux replis identitaires. Il faut aussi que les habitant·e·s des quartiers populaires, les migrant·e·s, et tou·te·s les premier·e·s concerné·e·s par le racisme, la stigmatisation et l’exploitation, aient des droits égaux dans les domaines de la vie (travail, logement, culture, circulation et installation…), et toute leur place dans les institutions politiques, depuis les conseils municipaux jusqu’au Parlement européen.
Notre gauche critique la logique capitaliste des traités européens et de libre-échange qui détruisent les droits sociaux et organisent la concurrence entre les peuples. Elle lui oppose à l'échelle de l'UE le refus du dumping social et fiscal, les revendications sociales du monde du travail : la hausse des salaires, l'extension de la protection sociale et des services publics, la réduction massive du temps de travail contre le chômage et la précarisation, la défense intransigeante des retraites et le retour en France de la retraite à 60 ans. Elle promeut l’autogestion dans l’entreprise, la démocratie économique et la planification démocratique de la bifurcation écologique. Pour cela, parmi les moyens nécessaires, nous mettons en avant notamment la socialisation des grandes entreprises de l’énergie, de production d’armement et des banques, la création de nouveaux droits politiques des travailleurs·ses pour défendre leur santé et celle des usager·es, mettre fin à l’extractivisme et au productivisme, décider des fins et des moyens de leurs activités, la hausse massive des impôts des grandes entreprises et des grandes fortunes, la fin des exonérations de cotisations sociales pour les entreprises - qui appauvrissent les caisses de solidarité (retraite, maladie, chômage...) - ainsi que l’annulation des dettes illégitimes.
Notre gauche milite résolument pour l’égalité réelle entre femmes et hommes au travail et dans la société, pour un droit à la contraception et à l'IVG garanti partout en Europe, contre les discriminations contre les femmes et les LGBT+.
Notre gauche agit pour la reconversion écologique et autogestionnaire de l'économie européenne : accès à une alimentation saine et accessible à tous·tes, gratuité et développement des transports publics, création de logements sobres et abordables pour le plus grand nombre, lutte résolue contre les pollutions et les pesticides, protection des biens communs tels que l’eau.
Pour convaincre largement, il faut être cohérent : il faut critiquer radicalement les dégâts humains, sociaux et écologiques de la politique de la PAC, du règlement Dublin II et la violence de Frontex (l’agence de répression des migrant-e-s aux frontières de l’UE), des règles budgétaires néolibérales de la zone euro, du caractère anti-démocratique des traités européens, etc… Mais cela ne peut pas se faire au nom de la défense des intérêts du capitalisme français comme du capitalisme de tout autre Etat-membre de l'UE : dans chaque pays, les capitalistes et les partis politiques à leur service ont intérêt à la casse sociale, au protectionnisme économique et au productivisme.
Dans le cadre de ces élections européennes, il ne peut pas être question de faire campagne en faveur du refus par principe de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne, alors que les forces de gauche et progressiste ukrainiennes soutiennent cette démarche d’adhésion et que le pays est dévasté par une guerre impérialiste face aux demandes d’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie – pour se protéger de la Russie –, qui s’ajoutent à celles des Balkans de l’Ouest, nous exprimons un internationalisme par en bas qui prône des choix démocratiques au sein de chaque peuple concerné tout en exprimant nos critiques de l’UE.
Et quels que soient ces choix, nous construisons des liens transnationaux avec les forces progressistes - politiques, syndicales, antiracistes, féministes, LGBTQ+, écologistes - de chaque pays pour mener ensemble des luttes pour la protection et l’extension des droits égalitaires et des services publics qui doivent être la base d’une construction européenne autre que celle de l’Union européenne néolibérale. Par conséquent, en aucun cas nous ne défendons une « forteresse Europe » contre la demande d’adhésion de l’Ukraine dévastée par une guerre impérialiste ; pas plus qu’il ne fallait défendre une « Europe des riches » contre l’adhésion de pays appauvris par les destructions néolibérales à l’œuvre depuis des décennies dans la périphérie de l’UE. Il faut au contraire, avec les forces progressistes ukrainiennes, saisir l’opportunité de la demande d’adhésion de ce pays pour défendre des droits sociaux égalitaires et des rapports solidaires entre peuples en Europe et avec les peuples du reste du monde.
Enfin, notre gauche promeut la démocratie dans tous les domaines de la vie sociale, soutient des alternatives concrètes et systémiques au capitalisme que défendent les institutions européennes. Ce sont les solidarités internationales des luttes qui dessinent la voie d’une autre Europe : celle des convergences entre mouvements écologistes contre les projets climaticides, entre mouvements féministes post #MeToo et qui s’organisent autour de la grève féministe du 8 mars, entre syndicats de classe qui luttent contre les mêmes contre-réformes néolibérales. C’est une autre Europe, par exemple, que portent les ouvriers ex-GKN en Italie qui, à la suite de leur licenciement, ont occupé leur usine et portent un projet de reconversion écologique impliquant notamment de construire des vélos-cargos pour des coopératives de livreurs dans d’autres pays européens. Ce qui doit être porté au Parlement européen, c’est l’Europe des luttes et des alternatives, pas des bureaucrates et des lobbys, celle de la militante écologiste Greta Thunberg et pas des défenseurs des politiques néolibérales comme l’actuelle présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
…et construire une alternative écologiste et sociale, radicale et unitaire
Les catastrophes sociales et environnementales causées par les politiques néo-libérales menées en Europe et la menace de cataclysmes que représente l’extrême-droite en France et en Europe nous imposent d’être à la fois radicaux et unitaires. Nous devons viser à toutes les échelles et toutes les occasions l’alliance des diverses forces de la gauche antilibérale pour faire front face aux fascistes et répondre aux enjeux sociaux et écologiques, pour rendre crédible une voie politique alternative à celle que portent les actuelles institutions européennes. Nous devons construire une nouvelle force politique, plus forte et plus populaire que ce que représentent aujourd’hui nos organisations et nos luttes, capable de constituer au sein d’une telle alliance un pôle alternatif, révolutionnaire et radicalement démocratique. C’est ce qui guidera nos choix et nos actions dans la prochaine période, pendant les élections européennes et au-delà. Nous ne pouvons pas faire autrement, il faut construire l’alternative !
Signataires :
Alexis Cukier (Rejoignons-nous et On construit l’alternative),
Béa Whitaker (Rejoignons-nous et On construit l’alternative),
Bruno Dellasudda (militant d’Ensemble ! et On construit l’alternative),
Catherine Samary (économiste, militante altermondialiste et NPA),
Christiane Vollaire (philosophe),
Christine Poupin (porte-parole du NPA),
Daria Saburova (Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine),
Fabien Marcot (Rejoignons-nous et On construit l’alternative),
Florence Ciaravola (militante d’Ensemble ! et On construit l’alternative),
Florence Henry (CGT Educ’Action),
Michael Lowy (sociologue et militant écosocialiste),
Malika Kara-Laouar (Rejoignons-nous et On construit l’alternative),
Mariano Bona (militant de la gratuité des transports, militant d’Ensemble ! et On construit l’alternative),
Michelle Garcia (militante féministe, antiraciste et internationaliste, Rejoignons-nous),
Mornia Labssi (militante CGT et antiraciste),
Noufissa Mikou (militante de la solidarité avec la Palestine et militante d’Ensemble !),
Olivier Besancenot (NPA, ancien candidat aux élections présidentielles),
Olivier Le Cour Grandmaison (universitaire),
Paul Guillibert (philosophe et militant écologiste),
Omar Slaouti (militant des quartiers populaires),
Pauline Salingue (porte-parole du NPA),
Philippe Poutou (NPA, ancien candidat aux élections présidentielles),
Stefanie Prezioso (historienne et ancienne députée à l’Assemblée fédérale suisse),
Thomas Coutrot (économiste),
Tony Fraquelli (CGT cheminots)