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Les élections présidentielle (2) La campagne des révolutionnaires

par Pierre Rousset

Les résultats des deux tours de scrutin aux élections présidentielles françaises, comme les réac­tions enregistrées dans les entreprises et les quar­tiers, ont reflété un double phénomène : le déplace­ment à gauche de l'électorat et la polarisation de classe qu'il recouvrait d'une part, l'ampleur de la défiance manifestée, parallèlement, à l'égard de Mitterrand par une fraction significative des tra­vailleurs, d'autre part. Treize millions de suffrages se sont portés sur le candidat unique de la gauche le 19 mai. Mais le 5 mai, les candidatures d'extrême-gauche avaient réuni de sept cent mille à près d'un million de voix (selon que l'on compte la candidature de l'agronome René Dumont). Présenté par les mouvements écologistes, à l'extrême-gauche ou pas.

C'est dans ce cadre qu'il faut analyser les campagnes menées par ces candidats. D'autant que les résultats du premier tour surprennent au premier abord. Arlette Laguiller (pour l'organisation Lutte ouvrière) recueillait 2,33 %, René Dumont 1,32 % et Alain Krivine (Front communiste révolutionnaire) 0,36 %, soit six fois moins qu'Arlette. Les scores enregistrés sont très largement indépendants du degré d'implantation des formations qui soutiennent les candidats. Nous verrons que le rapport entre l'écho politique et militant des diverses campagnes considérées peut différer considérablement des rapportsélectoraux précités. L'explication en est simple : l'électorat touché dépasse qualitativement l'audience habituelle des organisations rivoluzionnaires, les connaît mal ou pas du tout, les différencie très peu. C'est le style des candidatures, le contenu de la campagne audio­visuelle (et secondairement des affiches et des « pro­fessions de foi » envoyées aux électeurs) qui permettent de comprendre l'écart des scores enregistrés. Les présidentielles de 1974 ont confirmé sur ce point.

Les enseignements des élections précédentes : les variations suivant les régions des résultats électoraux des candidats d'extrême-gauche ne sont pas fonction du degré d'implantation locale de leurs organisations (très diverses), mais des variations des caractéristiques socio-politiques générales de l'électorat régional. Le style et le contenu des campagnes d'Arlette Laguiller et d'Alain Krivine ont profondément différé, reflétant les choix divergents opérés par Lutte ouvrière et le Front communiste révolutionnaire quant aux objectifs prioritaires qu'ils s'étaient assignés durant cette campagne. Ce sont ces choix qui méritent d'abord d'être discutés.

 

Quelle campagne pour les révolutionnaires ?

Pour le FCR, le choix était avant tout déterminé par l'analyse qu'il faisait de la situation. La gravité de la crise du gaullisme ouverte par Mai 68, l'approfondissement des luttes de classes manifesté durant ces six dernières années, le dégagement progressif d'une avant-garde ouvrière à caractère de masse dans les entreprises donnaient à ces présidentielles, un caractère exceptionnel. Dès l'abord, la lutte entre les principaux concurrents apparaissait serrée. Pour la première fois depuis le coup d'État de De Gaulle en 1958, la gauche pouvait être portée au pouvoir. L'élection de Mitterrand, candidat des principales formations ouvrières, aurait été perçue par les travailleurs comme leur victoire. Elle n'aurait pu geler profondément.

Mais cela aurait permis de poser les problèmes de l'action à mener en des termes complètement nouveaux. La nouvelle génération d'avant-garde en voie de regroupement dans les entreprises comme dans la jeunesse scolarisée aurait, en effet, fait l'expérience du réformisme à la tête de l'État bour­ géois. Mais même l'élection de Giscard d'Estaing, qui ne pouvait s'opérer que de justesse, ne permettait pas à la bourgeoisie française, en l'absence d'un parti conservateur classique, de résoudre sa crise de direction. L'éloignement des nouvelles perspectives électorales (en 1978) poserait alors en termes crus la question de comment continuer la lutte et la perspective d'une grève générale revendicative.

Préparer les travailleurs – et tout particulièrement l'avant-garde ouvrière – aux tâches auxquelles ils seraient confrontés après les élections, tel était l'objectif premier que s'assignait le FCR. Mais cela impliquait une campagne électorale sans concession à l'électoralisme, sans contourner les problèmes délicats ou difficiles.

Lutte ouvrière a fait un choix tout autre : assurer à l'extrême-gauche une crédibilité électorale. Cet objectif n'était pas condamnable en lui-même. Il n'est pas indifférent, en effet, que la défiance à Mitterrand, surtout dans l'éventualité de son élection, se manifeste y compris sur ce plan-là. Et quelles que soient les critiques que mérite la campagne de lutte ouvrière, les 600 000 voix d'Arlette sont de ce point de vue importantes. Malheureusement, la recherche de cette crédibilité électorale par Lutte ouvrière l'a amené à combiner sectarisme d'organisation et opportunisme politique grave. Selon les sondages, 80 % des personnes interrogées percevaient la candidature d'Alain Krivine comme une candidature d'extrême-gauche, contre 40 % seulement pour Arlette Laguiller. Arlette, femme, travailleuse et militante, a dénoncé l'exploitation capitaliste et témoigné de la condition féminine et prolétaire. En elle, beaucoup se sont reconnus. Mais Lutte Ouvrière a accepté pour cela la dépolitisation maximum de sa campagne qui fut plus «populaire» que «révolutionnaire». Le projet de Lutte ouvrière impliquait en effet une série de concessions politiques à l'électoralisme ambiant.

Qui lui interdisaient de poser clairement les tâches futures qui incombaient à l'avant-garde ouvrière. La comparaison des campagnes du FCR et de LO le met clairement en lumière.

- La nature des thèmes avancés : Les deux campagnes avaient en commun la dénonciation du régime capitaliste, l'appel à la défiance de Mitterrand et à la poursuite des luttes. Mais ce de façon fort différente. Pour Lutte ouvrière, la dénonciation du caractère réformiste de la candidature de Mitterrand s'est fondée exclusivement sur son passé de politicien bourgeois. Pour le FCR, il s'agissait avant tout de montrer comment, après les élections, les travailleurs devraient déborder le « programme commun » de l'Union de la gauche sur des questions très précises. C'est dans cette optique que le FCR a saisi l'occasion des présidentielles pour revenir sur les enseignements du Front populaire français de 1936 et de l'expérience chilienne. De même, avec la dénonciation des bandes parallèles () à partir de documents sur le rôle de répression para-étatique qu'elles se préparaient à jouer en 1968, comme la présence des fascistes d'Ordre nouveau dans le service d'ordre de Giscard d'Estaing et du rôle de l'armée (en provoquant même, après l'émission télévisée qui fut consacrée à cette question, une réponse publique du ministre des armées). C'est le rôle de l'État et la nécessité de son démantèlement qui était posé en termes concrets devant des millions de travailleurs. Chili, armée… Autant de sujets que LO a omis prudemment.

Ce n'est pas seulement sur les questions les plus générales de la stratégie révolutionnaire que LO a préféré garder le silence. Arlette Laguiller fait de la dénonciation de la condition féminine, l'un des principaux axes de sa campagne, en défendant le droit à l'avortement. Ce qui était nécessaire. Mais à la différence du FCR dans son émission radio consacrée à la lutte des femmes, LO a préféré faire le silence sur la question des droits des mineures, encore un thème dangereux électoralement. Mais l'exemple le plus frappant de l'opportunisme de la campagne de lutte ouvrière se manifeste sur la question de l'organisation des luttes à venir. Arlette Laguiller était membre du comité de grève du Crédit Lyonnais lors de la grève des banques qui durait encore à la mort de Pompidou. Cette grève fut remarquable par son organisation : elle connut non seulement la formation de comités de grève, mais la centralisation de plusieurs d'entre eux. C'est un exemple encore unique. Arlette était porteuse de cette expérience. Un débat agite aujourd'hui le mouvement syndical et l'avant-garde ouvrière, tout particulièrement sur cette question.

La bureaucratie stalinienne craint notamment leur généralisation car elle mettrait encore plus en cause sa capacité de contrôler les luttes. Arlette n'en a soufflé un mot de toute sa campagne. Le FCR, pour sa part, a organisé une émission télévisée sur ce thème, avec un camarade mineur, un dirigeant du comité de grève né lors de la grève EDF-GDF de Brest et une militante des banques. Il a fait de l'auto-organisation des travailleurs (comité de grève, autodéfense ouvrière (…) l'un des axes centraux de sa campagne.

- Personalisation et mouvement de masse : l'élection présidentielle est personnalisée au maximum. Cette personnalisation est un puissant moyen de dépolitisation de la bataille électorale. Le FCR l'a combattue. En faisant apparaître l'organisation derrière le candidat, en faisant parler à la télévision et à la radio. Lors des émissions officielles, de nombreux militants (Krivine a utilisé moins de la moitié de son temps de parole, cédant le reste à des militantes du mouvement des femmes, des militants ouvriers, un soldat, un camarade du Groupe Révolution socialiste antillais), en ouvrant la tribune de ses meetings, etc. Lutte ouvrière présentait une candidate qui symbolisait très exactement la campagne que ses militants désiraient mener. En Arlette, femmes et travailleurs combatifs pouvaient se reconnaître, plus qu'en Alain Krivine qui apparaissait comme le « révolutionnaire professionnel ». LO a joué à fond sur cette carte, concentrant toute son intervention autour de la personnalité d'Arlette ("Arlette, c'est chouette", écrivaient les militants sur les murs), effaçant l'organisation. Ce fut payant électoralement. Mais cela força LO à épouser étroitement la tendance à la personalisation extrême des élections bourgeoises.

De façon plus générale, le FCR a constamment lié la campagne à un travail de masse mené régulièrement par ses militants. En animant plusieurs mobilisations avant le 1er tour (manifestation pour l'avortement, 1er Mai) et entre les deux tours (manifestation Chili), en lançant des appels à l'organisation durant ses émissions électorales (comme l'appel à l'auto-organisation des femmes). LO a toujours refusé d'investir ses militants dans ces mouvements (Mouvement pour la libération de l'avortement et de la contraception, Mouvement de libération de la femme, Comités Chili, Comité de Défense des Appelés…). Cette dimension fut en conséquence complètement absente de sa campagne, accentuant sa personnalisation.

Echos Politique et Echos Electoral

LO et le FCR auront donc mené deux campagnes au style et au contenu divergents en bien des aspects. Combinées avec latentation du vote pour Mitterrand dès le premier tour de scrutin, ces deux campagnes ont provoqué deux mouvementsélectoraux très différents.

Arlette Laguiller a cristallisé un électorat composé, dont l'addition des diverses composantes a permis d'atteindre les 2,4 %. Il serait aussi faux de prétendre qu'il représente l'avant-garde ouvrière large que d'affirmer qu'il ne regroupe que des secteurs protestataires arrières. Ont voté pour Arlette ceux qui se sont reconnus dans sa candidature : les femmes qui ont voulu appuyer son réquisitoire féministe (certains des meilleurs scores de LO proviennent de régions rurales sans tradition de gauche affirmée) ; les votes populistes qui se sont portés sur la seule candidature « ouvrière » et ont apprécié sa dénonciation vécue de la condition d'exploitée et des « politiciens professionnels » ; mais aussi des militants communistes (que le PCF estime à 100.000) défiants à l'égard de Mitterrand et travailleurs socialistes sensibles à sa véhémence de classe. La nature politique de cet électorat est hétérogène. Une partie de cet électorat (notamment féminin) a probablement voté Giscard d'Estaing au second tour, même s'il ne faut pas exagérer ce phénomène. Une autre, importante, a affirmé par ce vote une défiance révolutionnaire à Mitterrand. Une troisième a combiné dans le vote pour Arlette engagement de classe et refus de la révolution (symbolisée par la candidature d'Alain Krivine). Le courrier des lecteurs publié dans le journal Lutte ouvrière reflète, d'ailleurs, essentiellement cette première.

Et dernière catégorie énumérée ci-dessus. De façon générale, Lutte ouvrière s'est adressée durant cette campagne à la conscience ouvrière (et féminine) « moyenne ». Quitte à en épouser les préjugés. Ceci n'était pas une manœuvre de circonstance, mais correspond à l'orientation effective de cette organisation, caractérisée par un profond « économisme ». Le score électoral d'Arlette illustre la variété de prises de conscience élémentaires qui apparaissent aujourd'hui en France.

Non seulement l'électoral d'Alain Krivine est six fois moindre que celui d'Arlette, mais il est aussi plus de deux fois moindre que celui qui s'était porté sur sa candidature lors des présidentielles de 1969 (230 000 personnes avaient alors voté pour lui). Un double phénomène l'explique. En 1969, Alain Krivine, plus que le candidat de la Ligue communiste, était apparu comme le seul candidat de mai 68.

Premier candidat d'extrême-gauche à une présidence intermédiaire, soldat de seconde classe, il représentait la « nouveauté contestataire ». Les voix qui s'étaient alors portées sur son nom pour cela se sont cette fois-ci portées sur Arlette Laguiller ou René Dumont.

Ensuite et surtout, l'« électorat » auquel la campagne du FCR s'adressait en priorité a été très sensible à la tentation du vote pour Mitterrand dès le premier tour de scrutin. J : Dans le courrier reçu comme dans les meetings, les questions posées par les militants – et notamment les militants ouvriers – n'étaient pas celles du choix entre Alain et Arlette, mais entre Alain Krivine et Mitterrand. Le PCF expliquait en effet que la meilleure chance de victoire, pour Mitterrand, était au premier tour. L'avant-garde ouvrière large, notamment la frange la plus proche des idées du FCR, parce qu'engagée politiquement, était sensible à cet argument d'efficacité. La leçon qu'elle sentait qu'elle retirait de notre campagne était que nous avions raison d'organiser la défiance à l'égard de Mitterrand et de préparer le futur, mais qu'il importait d'assurer d'abord l'élection du « candidat unique de la gauche » ; et pour cela, voter pour lui dès le 5 mai. C'est probablement cela le phénomène politiquement le plus important : entre un tiers et la moitié des participants aux meetings du FCR après le 1er tour semblent avoir voté pour Mitterrand dès le 1er tour.

L'"électorat Krivine" est beaucoup plus homogène politiquement, en conséquence, que celui d'Arlette. Pour l'essentiel, il manifeste un engagement révolutionnaire.

Lutte ouvrière ne s'embarrasse pas aujourd'hui de ces subtilités d'analyse. Pour elle, la signification des votes Arlette-Alain est simple : le FCR représente l'extrême-gauche intellectuelle en pleine crise aujourd'hui, le LO l'avant-garde ouvrière en plein développement. Il ne s'agit pas ici d'oublier les faiblesses de notre campagne. Nous avons eu du mal à trouver l'équilibre entre le témoignage et la dénonciation de l'exploitation et de l'oppression, d'une part, et la définition des perspectives d'avenir, d'autre part. Le langage employé est parfois encore un peu complexe. Nous n'avons pas su assez expliquer la nécessité du vote révolutionnaire au premier tour. L'analyse de la situation politique pouvait parfois apparaître en avance et quelque peu « catastrophiste ». Mais le paradoxe reste : la campagne présidentielle de 1974 reste et de loin la meilleure campagne électorale que nous ayons.

Et notamment celle qui a connu l'écho le plus important au sein de la classe ouvrière. Le score électoral est le plus faible(et de loin) réalisé.

C'est la première fois que nous participions à la réalisation de mobilisations militantes aussi importantes durant une campagne électorale, telles la manifestation pour l'avortement appelée par le MLAC (malgré l'opposition de ses composantes réformistes ou centristes), et le 1er mai qui regroupa près de 40 000 personnes et vit la participation de mouvements de masse et de quelques sections syndicales (malgré).

La décision de la CGT et de la CFDT de ne pas faire, contrairement à la tradition, de manifestations de rue Pour ne pas troubler la campagne électorale. LO a participé du bout des lèvres à la manifestation MLAC. Et s'est contenté d'organiser son cortège propre lors du 1er mai, sans s'investir dans celui des mouve­ments de masse. Absent des comités du Chili, LO l'est aussi des comités de défense des appelés. Le problème est pourtant important : l'armée bouge et pour la première fois un appel public a été lancé, durant les élections, aux candidats par plus d'une centaine de soldats en service pour défendre leurs revendications. C'est là une épreuve de force qui s'est engagée contre la hiérarchie mi­litaire et le gouvernement Giscard (Dans l'armée française, toute protestation collective est interdite).

La campagne de meetings réalisée durant la période électorale est sans précédent pour le mouvement trotskyste français, tant par le nombre des parti­ cipants que par la composition ouvrière des salles. Ce sont plus de 30. 000 personnes qui sont venues aux 200 meetings centraux du FCR (compte tenu de près de 200 autres meetings locaux). La différence avec les autres meetings de 1969 est frappante. Salle plus âgée, présence de nombreux militants ouvriers, absence de 11 curieux qui, il y à 6 ans, quitta les meetings après l'intervention de la « personnalité » Krivine, débats animés et très politiques avec des militants du PC et du PS, de la CGT et de la CFDT. Symptomatiquement, et contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, l'assistance et la composition, le climat des meetings n'a été en aucune mesure affecté par les résultats du premier tour et l'annonce des 0,36 %.

L'expérience du Quotidien Rouge est aussi révélatrice. Préparé en catastrophe (nous avions une semaine pour décider de sa parution), il trouva rapidement une place importante. Il est encore impossible de connaître les chiffres de vente, notamment dans les kiosques. Mais son écho fut très important.

Surtout, si après un succès de curiosité sa vente a baissé dans les facultés, les points forts de ven­ te ont été les entreprises. Plus lisible que l'hebdo­madaire il a gagné une clientèle ouvrière nouvelle dont le courrier reçuatteste la politisation.

 

Après le 19 Mai

Malgré l'audience politique considérable de la campagne du FCR, les "0, 36%" ne sont sans doute pas sans conséquences négatives. La classe ouvrière, éduquée dans l'électoralisme, est sensible à la crédibilité électorale d'une organisation. Sans parler du monde des journalistes. Mais là n'était pas l'essentiel. Le FCR a insisté, durant sa campagne, sur les problèmes qui surgiraient en cas de victoire de Mitterrand. C'est dans ce cas que les tâches assignées à l'avant-garde ouvrière auraient été les plus nouvelles et difficiles. Mais il a aussi préparé la poursuite de la lutte en cas d'élection de Giscard d'Estaing. C'est le débat déjà engagé avant les présidentielles qui se poursuit, éclairé et approfondi par le recul des perspectives électorales futures, la mort du parti gaulliste et le renforcement de la gauche. C'est dans ce débat que les fruits de la campagne d'Alain Krivine vont être cueillis. De même, l'apparition d'un électorat de près d'un million qui s'est cristallisé autour des candidatures d'extrême-gauche manifeste la combativité actuelle ( l'hétérogénéité des électorats d'Arlette-Dumont étant probablement compensé par les votes d'extrême-gauche qui se sont portés le 5 mai sur Mitterrand).

Ce débat doit permettre le regroupement de l'avant-garde ouvrière à caractère de masse apparue dans les entreprises. Mais l'une des conséquences les plus dangereuses des résultats du premier tour, l'évolution politique possible de Lutte Ouvrière, risque de freiner ce processus. Dès avant les élections, Lutte Ouvrière était engagée sur une pente très glissante. Ce groupe se définissait comme la tendance prolétarienne, et caractérisait le reste de l'extrême-gauche comme de nature petite-bourgeoise. Une "frontière de classe" le sépare des autres, conception qui l'avait amené à des pratiques très graves de manipulation bureaucratique lors du récent mouvement des Collèges d'Enseigne­ment Technique. Le score électoral d'Arlette risque de renforcer ce cours en poussant LO à accentuer le populisme droitier de son orientation politique et le sectarisme manipulatoire de sa pratique organisationnelle. C'est du moins ce qui transparait depuis le premier tour : LO assimile audience électorale à audience politique (ce qui ne peut que renforcer son triomphalisme) et ignore de plus belle les autres. (LO vient notamment de refuser qu'Arlette signe un communiqué commun avec Alain Krivine contre l'arrestation pour diffusion de presse "subversive" de quatre marins à Toulon). Durant sa campagne, LO a refusé d'ouvrir ses meetings, notamment à Djemalli Klemal, "candidat" symbolique des travailleurs immigrés.

Les conséquences de cette attitude étaient apparues à l'ouverture de la campagne électorale. Lutte Ouvrière avait alors refusé la perspective d'une candidature unitaire autour du dirigeant le plus connu de la grève de LIP, Charles Piaget (voir INPRE­COR N° 0).  Le bilan que l'on peut faire de ces élections montre pourtant que, quelles que soient ces difficultés, cette candidature aurait été la seule qui aurait pu permettre l'émergence de comités unitaires dans les entreprises et les quartiers débordant les seuls sympathisants des organisations révolutionnaires. Cela aurait changé beaucoup de choses. Et il serait dommage pour tout le monde que Lutte Ouvrière s'engage plus avant dans cette attitude.

Ce le serait d'autant plus que les présidentielles 1974 ont montré une nouvelle fois et la nécessité de l'action unitaire, si du moins l'extrême-gauche veut être à la hauteur de ses tâches, et la confusion politique qui continue à règner et rend la poursuite du débat particulièrement urgente. L'avant-garde ouvrière large, si elle se montre existante, a aussi manifesté sa sensibilité à la pression de l'Union de la Gauche. Le courant Lambert AJS-OCI (secte droitière d'origine trotskyste),  n'ap­pelant à voter Mitterand dès le premier tour – mal­gré ses positions antérieures – s'est encore plus éloigné des courants révolutionnaires. Le PSU a basculé plus franchement dans la zone d'influence de l'Union de la Gauche avec la perspective de participation de Michel Rocard au gouvernement Mitter­rand. Les organisations "mao-staliniennes" (Humanité Rouge, PC(ml)F, Front Rouge et PCR, Ligne Rouge…) se sont enfoncées dans leur isolement sectaire en appelant à l'abstention.  L'ultragauche a perdu toute cohérence à cette occasion. Révolution (organisation née d'une scission de la Ligue Communiste) a allié des consignes électorales correctes à la définition de la candidature Mitterand comme proprement bourgeoise, semant pour le moins la confusion opportuniste.

Ce sont ces deux tâches – renforcer par l'action unitaire et l'approfondissement du débat politique la recomposition d'une avant-garde ouvrière – que le FCR va maintenant poursuivre.

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