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Le Bangladesh et le BKF, un tour d’horizon : histoire, situation politique, luttes paysannes...

par Badrul Alam
Le secrétaire général de l’unité du district de Kurigram de la Fédération Krishok du Bangladesh, Mokaddes Hossain, a distribué des vêtements chauds aux personnes démunies.

Cet entretien a été réalisé peu avant les élections législatives du 7 janvier 2024. Le scrutin s’est soldé de manière prévisible par la victoire de la Ligue Awami, qui a obtenu une large majorité face au boycott des principaux partis d’opposition. Cependant, la Ligue n’a pas réussi à obtenir un taux de participation élevé, qui s’est situé à environ 40% des électrices et électeurs. Néanmoins, la Première ministre Sheikh Hasina a remporté un cinquième mandat, son quatrième consécutif depuis 2008. L’opposition a dénoncé l’élection comme un « simulacre », le Parti nationaliste du Bangladesh allant jusqu’à accuser le gouvernement de bourrage d’urnes.

Pierre Rousset - pourrais-tu présenter le Bangladesh, le pays, pour les lecteurs qui le connaissent peu ?

Badrul Alam - Le Bangladesh a obtenu son indépendance nationale en 1971 grâce à une guerre populaire totale contre l’armée pakistanaise et ses collaborateurs au Bangladesh. 3 millions de personnes ont sacrifié leur vie et 200 000 (deux cent mille) femmes (principalement des mères et des sœurs) ont perdu leur chasteté.

Auparavant, le Bangladesh faisait partie de l’Inde sous la domination britannique. Les Britanniques ont occupé le Bengale, alors non divisé, au milieu du 18e siècle et ont progressivement poursuivi leurs avancées jusqu’à occuper l’ensemble de l’Inde. Concrètement, la Compagnie britannique des Indes orientales (EIC) a pris le pouvoir en 1757, tuant Siraj ud-Doulah qui était le Nawab de Bangal (Gouverneur d’une région particulière : Bangla-Bihar-Odisa). Elle a pillé le Bengale et détruit les ressources économiques de la population rurale. La famine s’est généralisée entre 1769 et 1773, causant la mort de peut-être jusqu’à 10 millions de personnes. Bientôt, la Grande-Bretagne devint le maître virtuel du Bangla-Bihar-Odisa. En 1857, des troubles généralisés ont conduit à un soulèvement de masse contre le pouvoir de la Compagnie britannique des Indes orientales et l’autorité de la Couronne britannique. En 1857-1858, cent ans plus tard, la reine Victoria est proclamée impératrice des Indes. Les luttes pour l’indépendance dans le sous-continent ont été écrasées dans un bain de sang. La reine Victoria établit sa colonie directe et régna pendant 190 ans (en incluant les cent ans de règne de la Compagnie). En 1947, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques ont cédé le pouvoir à une entité politique autochtone tout en divisant l’Inde en deux pays : l’Inde et le Pakistan.

Le Bangla oriental a été intégré au Pakistan sous le nouveau nom de Pakistan oriental, en tant que province du Pakistan, même si les deux parties de l’État pakistanais nouvellement formé étaient séparées par quelque 1 700 kilomètres, avaient une histoire différente et ne parlaient pas la même langue. L’Empire britannique a divisé l’Inde sur la base de la religion. Il a confié le Pakistan aux dirigeants musulmans et l’Inde aux dirigeants hindous. De cette manière, le grand Bengale ou Bangla a été divisé, sa partie orientale étant incluse dans le Pakistan. Après la partition, le Pakistan occidental a commencé à imposer un régime de type colonial à la partie orientale. À chaque étape, il a commencé à négliger les Bengalis vivant au Pakistan oriental ou au Bengale oriental.

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Afin de renforcer leur pouvoir et leur autorité, les dirigeants du Pakistan occidental ont ourdi une conspiration contre le bengali en proposant l’ourdou comme seule et unique langue d’État dans l’ensemble du Pakistan en 1948, huit mois seulement après la partition. Le peuple bengali n’a pas accueilli favorablement leur proposition ; il s’est au contraire fermement opposé à toute mesure allant dans ce sens. En conséquence, un incident sanglant s’est produit au Bangladesh, qui a coûté la vie à plusieurs personnes à cause des tirs des forces de l’ordre pakistanaises en 1952. C’est ce qu’on a appelé le « moment linguistique ».

Au cours des événements qui ont suivi, le peuple bengali a nourri dans son cœur l’espoir d’accéder à l’indépendance, ce qui a donné lieu à de nombreux mouvements et luttes. Il s’agit notamment du soulèvement populaire de 1969, qui a contraint le maréchal Ayub Khan, alors président du Pakistan et homme de fer, à quitter le pouvoir. En outre, lors des élections nationales de 1970, le Bangladesh a remporté la majorité des sièges avec une victoire écrasante, mais, malheureusement, le pouvoir n’a pas été transmis aux représentants élus. Au fil du temps, en 1971, le Bangladesh a déclaré l’indépendance du pays, rejetant le Pakistan. En conséquence, le Pakistan a envahi le Bangladesh le 26 mars 1971 sous le nom d’opération « Search Light ». En réalité, ils ont brutalement commis un génocide sur le peuple bengali. Le peuple bengali n’est pas resté inactif, il a entamé une guérilla contre l’armée pakistanaise bien équipée. Au terme d’une lutte acharnée de neuf mois, l’armée pakistanaise a été vaincue et contrainte de se rendre et de quitter le pays le 16 décembre 1971. Le 3 décembre 1971, l’armée indienne a joint ses forces à celles des combattants de la liberté pour accélérer la victoire. Le Bangladesh est devenu un nouveau pays indépendant sur la carte du monde.

Le Bangladesh a maintenant 53 ans d’indépendance. Il fait toujours partie des pays à faible revenu, avec des performances économiques médiocres, bien que la classe dirigeante mène une campagne de propagande selon laquelle le Bangladesh se relève et deviendra un pays développé d’ici 2041.

Le Bangladesh dispose d’un secteur agricole à fort potentiel, qui demande beaucoup d’attention pour son développement réel, mais ce secteur est toujours négligé et les personnes qui y travaillent (les paysans) sont également négligées. La pauvreté, la paupérisation, la marginalisation, la malnutrition et l’exclusion sont des phénomènes courants dans les zones agricoles rurales. Fondamentalement, le développement du pays dépend de l’importance accordée à l’agriculture.

Considérant que tous les gouvernements en place depuis l’indépendance ont mis l’accent sur le développement structurel du pays, ce qui entraîne toujours des souffrances dans la vie et les moyens de subsistance des gens ordinaires.

Bangladesh

Bangladesh : en violet au centre de la carte

Géographie : Situé en Asie du Sud, au nord du golfe de Bangalore, le pays est pratiquement enclavé dans l’Inde et partage une petite frontière avec la Birmanie. La majeure partie du pays est occupée par le delta du Gange, une plaine fertile, mais très plate et sujette aux cyclones tropicaux, aux inondations et aux moussons, et menacée par l’élévation du niveau de la mer due au réchauffement climatique.

Démographie : Avec une superficie de 147 570 km2 et une population de 170 millions d’habitants, c’est l’un des pays les plus densément peuplés du monde (1 286 habitants/km2).

Langue : Bengali

Indépendance : 1971

Capitale : Dacca

Géographie du Bangladesh - Wikipedia. en.wikipedia.org

Commençons par l’évolution de la situation au Bangladesh...

La campagne électorale de la bourgeoisie se poursuit. Cette élection sera controversée, comme auparavant, car les principaux partis d’opposition n’y participeront pas. Il s’agira d’une élection monolithique, en quelque sorte. L’opposition est toujours dans la rue, exigeant que les élections soient placées sous la responsabilité d’un gouvernement intérimaire. Plus de 5 000 personnes ont été emprisonnées par le gouvernement, qui les considère comme des obstacles aux élections. Le parti au pouvoir organisera les élections à tout prix.

La commission électorale a mis fin à toutes les activités politiques jusqu’à la fin des élections. Nous avons 2 ou 3 activités pendant cette période. Nous nous demandons comment les mener à bien.

L’année dernière, le Bangladesh a connu une crise politique majeure. La situation du parti au pouvoir était très précaire. L’assaut de l’inflation a rendu la vie misérable pour la population. Le prix des produits de première nécessité a grimpé en flèche. Les gens ne pouvaient pas manger la nourriture dont ils avaient besoin et qu’ils désiraient. Les pauvres, la classe moyenne inférieure et la classe moyenne ont été contraints de réduire considérablement leurs dépenses familiales. Depuis le début de COVID 19 en 2020, les revenus des personnes ordinaires ont chuté, et c’est encore le cas aujourd’hui. Le nombre de pauvres a augmenté de manière alarmante. Cependant, le gouvernement prétend que le revenu moyen d’une personne par an est de 2 800 USD, ce qui n’est pas vrai. Il fait de la propagande sur ses projets de développement structurel, tels que la construction de ponts, de métros et de voies rapides surélevées, mais il ne pense pas à la vie concrète des gens, à leurs souffrances, à leurs problèmes de vie et de mort.

La crise sanitaire est toujours d’actualité. La dengue et le froid sont devenus des sujets de préoccupation dans le pays. Environ 2000 personnes sont déjà mortes en 2023. Chaque jour, des personnes meurent de la dengue.

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Le secrétaire général de l’unité du district de Kurigram de la Fédération Krishok du Bangladesh, Mokaddes Hossain, a distribué des vêtements chauds aux personnes démunies.

L’année dernière, la situation sociale n’était pas très bonne non plus. De nombreux cas de maltraitance d’enfants, de répression des femmes, de meurtres et de disparitions forcées ont été recensés dans tout le pays.

De nombreux travailleurs émigrés sont rentrés des pays du Moyen-Orient, et de nombreuses femmes émigrées sont revenues les poches vides, car elles n’ont pas pu tolérer les tortures sexuelles qui leur ont été infligées par les membres masculins de leur famille dans ces pays. Les femmes travaillent principalement comme domestiques au Moyen-Orient.

Comment caractériseriez-vous le régime politique actuel ?

Au cours des deux dernières législatures, il est arrivé au pouvoir par le biais de manœuvres et d’ingénierie électorales. Il s’apprête à organiser le même type d’élection cette année, sans la participation des principaux groupes d’opposition. Le régime est déjà qualifié de fasciste par de nombreuses personnes. Cette élection ne lui permettra pas de se débarrasser de cette image. Au contraire, il sera possible de le qualifier de fasciste comme jamais auparavant.

Actuellement, le parti au pouvoir s’appelle la Ligue Awami du Bangladesh. Il a mené la guerre de libération du pays en 1971. Sheikh Hasina est la Première ministre et détient le pouvoir exécutif. Elle est la fille du leader vétéran Bango Bandhu (titre donné par le peuple avant l’indépendance du pays) Sheikh Mujibur Rahman, qui était le principal dirigeant de la Ligue Awami pendant et après la lutte pour l’indépendance.

Après l’indépendance, Sheik Muzibur Rahaman a voulu concentrer tous les pouvoirs entre ses mains, en formant un nouveau parti qui devait être le seul parti, interdisant tous les autres partis politiques dans le pays. Le régime a également interdit tous les quotidiens, à l’exception de quatre journaux.

Ce régime de parti unique et la suppression de la liberté d’expression n’ont pas été acceptés par les forces en présence, les groupes religieux et certains groupes de gauche. En conséquence, des conspirations ont été lancées aux niveaux national et international, qui ont abouti à l’histoire tragique de la famille de Muzib. Il a été tué avec les membres de sa famille, à l’exception de ses filles, Sheik Hasina et Sheik Rehana.

En outre, la loi martiale a été déclarée à deux reprises. L’une a été déclarée en 1976 par le général Ziaur Rahman, qui était l’époux de la dirigeante de l’opposition Begum Khaleda Zia, et l’autre par le général Ershad en 1982. Depuis 1991, un système démocratique bourgeois est devenu plus fonctionnel, avec toutes ses faiblesses, après l’effondrement du régime d’Ershad. Jusqu’à ce jour, la gouvernance bourgeoise avec un système parlementaire est en vigueur avec des élections générales. En résumé, on peut donc dire que la caractéristique du gouvernement du Bangladesh est d’être bourgeois jusqu’à présent.

Quelles ont été les réponses sociales à la crise ?

Ces deux dernières années, plusieurs mouvements ont été créés pour contrôler les prix des produits de première nécessité, mais rien n’a changé. La principale opposition bourgeoise a tenté de renverser le gouvernement actuel, mais n’y est pas parvenue. Afin d’évincer le gouvernement, elle a eu recours à diverses actions. Tous leurs efforts ont été vains. Différentes organisations populaires et mouvements sociaux ont également fait entendre leur voix, en particulier contre les hausses de prix.

Le gouvernement réprime toujours les mouvements populaires. La plupart du temps, il prend des mesures sévères à l’encontre des manifestants. L’arrestation, la torture, l’enfermement, les faux procès sont les outils du gouvernement pour réprimer les mouvements. La disparition forcée de membres de l’opposition fait également partie de sa culture politique.

Bien qu’il ait bénéficié d’une aide financière considérable de la part du gouvernement, le secteur industriel le plus important, celui de l’habillement, est devenu vulnérable en raison de COVID 19 et de différentes mesures défavorables prises par les pays importateurs. Il en résulte une situation instable dans les industries de l’habillement autour de la question de l’augmentation des salaires des travailleurs, qui sont pour la plupart des femmes. Les travailleuses de l’habillement recevraient un salaire mensuel de 8300/-. Elles réclament 23 000 euros en raison de l’inflation des prix, de l’augmentation du niveau de vie, etc. Face à un mouvement d’une telle ampleur, le gouvernement a été contraint de concéder quelque chose, mais il n’a approuvé qu’un salaire mensuel de 12500/-. Les représentant.es des organisations de l’habillement ont été frustré.es par la décision du gouvernement, mais l’ont acceptée pour l’instant. Cependant, de nombreuses organisations de l’habillement ont rejeté la décision, la jugeant irréaliste. Quoi qu’il en soit, la décision du gouvernement est entrée en vigueur.

Le blanchiment d’argent est devenu un problème majeur dans le pays. Un grand nombre de personnes riches et super riches ont détourné d’incroyables sommes d’argent vers différents pays en utilisant ce que l’on appelle les paradis fiscaux. Ils ont construit des maisons luxueuses et d’autres établissements au Canada, en Malaisie, aux Émirats arabes unis, etc. Ces dernières années, les citoyens ont élevé la voix avec force, exigeant que l’on mette un terme à la fuite illicite des capitaux, qui va à l’encontre des intérêts de la population.

Après chaque élection nationale, des attaques sont perpétrées contre les groupes minoritaires au Bangladesh. Les mécréants et les criminels incendient et vandalisent les maisons et les biens des minorités. Ils torturent, blessent et tuent les membres des minorités. Parfois, ils créent une telle situation de panique que les membres des minorités sont contraints de quitter leur maison et leur propriété foncière. Cela s’est produit des centaines de fois depuis l’indépendance en 1971. Pourtant, les minorités n’ont jamais obtenu justice.

Quel est l’état de la gauche ?

Les forces marxistes-léninistes de gauche [ce qui, au Bangladesh, signifie non-maoïstes] sont restées mal organisées. Elles se sont regroupées au sein de différentes plates-formes avec des stratégies différentes. Certains partis marxistes-léninistes-maoïstes font toujours partie de l’alliance du parti au pouvoir. Certains groupes d’extrême gauche tentent de s’organiser en s’engageant dans un soulèvement populaire, mais ils ne parviennent pas à le faire.

Le parti trotskiste a organisé plusieurs actions de rue contre la corruption des bureaucrates et des chefs d’entreprise.

Il est vrai qu’il y a un reflux des mouvements de gauche dans le pays, mais le côté positif, une source d’optimisme, est qu’ils existent encore dans un pays où le fondamentalisme religieux est toujours actif pour déstabiliser les forces de gauche. Selon les fondamentalistes, les gens de gauche sont des Kafer (anti-religion). Ils ne devraient pas avoir le droit de vivre dans un pays musulman comme le Bangladesh. Ils pourraient se sentir heureux s’ils pouvaient tuer les gens de gauche. Ils visent non seulement la gauche politique, mais aussi les intellectuels progressistes.

Les partis et groupes politiques de gauche sont financièrement très pauvres au Bangladesh. Cela s’explique par le fait qu’ils ne peuvent pas collecter de fonds auprès du public en raison de la loi anti-extorsion, qui est utilisée de façon fort aléatoire par le gouvernement. En outre, les pauvres constituent la principale force du peuple de gauche. Ils ont perdu leur capacité à verser des cotisations aux partis, mais les couches populaires peuvent encore leur assurer un réel soutien [bien que non financier].

Certaines personnes de gauche ont quitté la politique pour survivre et ont rejoint différentes ONG. D’autres se sont lancés dans les affaires, bien que cela soit très difficile pour eux en tant qu’activistes politiques. D’autres encore ont quitté la politique pour de bon, à cause de la frustration du terrain. Aujourd’hui, elles ont une attitude très négative à l’égard de la politique de gauche, du socialisme et du communisme.

Malgré tous les obstacles, on peut souligner que les politiques de gauche sont toujours vivantes et qu’elles tentent peu à peu de se faire une place dans la politique nationale pour devenir un courant dominant.

Pourrais-tu présenter ton organisation, la Bangladesh Krishok Federation ?

La Bangladesh Krishok Federation (BKF, Fédération des paysans du Bangladesh), en tant qu’organisation de base, travaille depuis longtemps au nom de la paysannerie au Bangladesh. Bien qu’elle se concentre principalement sur les questions liées à la terre, elle accorde également de l’importance à de nombreuses autres questions telles que l’environnement, l’écologie, l’agriculture/l’agroécologie, la souveraineté alimentaire, le changement climatique, la réforme agraire, les organismes génétiquement modifiés, les biens communs, la justice fiscale, l’eau et les « masses d’eau » (lacs, estuaires…), ainsi que le genre, etc.

Lors de sa création en 1976, la Bangladesh Krishok Federation a commencé ses activités en soulevant une seule question très concrète : celle des terres à distribuer aux paysans sans terre et aux petits exploitants qui subissaient un mode de vie inhumain dans notre société. Dès le début, cette question a pris de l’ampleur, soutenue par les sections locales. Le BKF s’est alors concentré sur les terres qui sont principalement des Khaschar (petites îles sans propriétaires entourées d’eau qui émerge du lit de la rivière) et qui ne font l’objet d’aucun droit de propriété particulier. En principe, ces terres appartiennent au gouvernement. Le BKF a mobilisé les sans-terre, les travailleurs agricoles et les paysans pour qu’ils fassent entendre leur voix afin d’affirmer leur droit à la terre, en attirant l’attention de toutes les autres organisations travaillant sur la même question, afin de renforcer le mouvement.

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Bien que ces Khaschars aient été laissés en friche, ils n’ont pas été laissés sans surveillance. Des groupes d’influence locaux et des hommes de main voulaient garder ces terres illégalement. C’est pourquoi l’idée était de les déloger par un mouvement, une mobilisation de masse. Au début de l’année 1992, ce mouvement a connu un réel succès, grâce à une vaste occupation de terres par les sans-terre. Auparavant, en 1980, d’immenses terres avaient été occupées, mais il y avait eu un recul. Les sans-terre n’ont pas pu garder les terres, le gouvernement de l’époque ayant déclaré l’occupation illégale. Les principaux dirigeants du BKF ont alors été arrêtés et emprisonnés. Par la suite, le BKF a procédé à une évaluation du recul du mouvement. Deux constats s’imposent : 1. l’absence de documents légaux dans l’intérêt des sans-terre ; 2. la faible participation des femmes au mouvement.

Lors du mouvement de 1992, ces deux conditions ont été pleinement remplies. C’est pourquoi l’occupation a été maintenue. Rien ne pouvait déloger les paysans sans terre de leur possession de la terre. Bien sûr, il y a eu des batailles entre les paysans sans terre et des groupes d’intérêts locaux influents. Il y a eu de nombreuses victimes et de faux procès contre les leaders des paysans sans terre. Cependant, toutes les affaires ont été traitées de manière efficace par l’organisation devant les tribunaux inférieurs et supérieurs. Grâce à ce succès, d’autres occupations de terres ont eu lieu dans de nombreuses autres régions du pays. À ce jour, 76600 acres de Khasland ont été distribués à plus de 100 000 personnes sans terre à travers le pays. Parmi ces terres, on compte 22 petites îles dans le sud du pays, 9 centres de culture de crevettes dans le sud-ouest et 12,5 kilomètres de terres abandonnées sur la voie ferrée construite par le régime britannique dans le nord du Bangladesh.

En 2022, nous avons été confrontés à un défi majeur, à savoir l’occupation et la colonisation de nouvelles terres du Khasland. Une petite zone du Khasland proche d’une île déjà occupée a été reprise par les sans-terre et la terre a été distribuée à 41 nouvelles familles sans-terre. Ces familles sont devenues dignement propriétaires d’une parcelle de terre qui leur garantit la souveraineté alimentaire. Elles ont pu construire leur maison, cultiver la terre et élever des vaches, des buffles et des volailles. Autour de la question de la terre et de la souveraineté alimentaire, nous avons mené 13 campagnes de mobilisation, de formation et de consultation nationale. Grâce à ces programmes, nous avons sensibilisé les paysans et les personnes sans terre aux aspects juridiques de l’action et au droit des paysans sans terre au Khasland du gouvernement.

Nous avons lié la question de la souveraineté alimentaire à celle du mouvement foncier, car elles sont complémentaires. Aucune souveraineté alimentaire ne peut être garantie sans terre. Et le concept central de la souveraineté alimentaire [supérieur à celui de la sécurité alimentaire] est en fait le droit des paysans à la terre. Nous sommes entrés en contact avec le concept de souveraineté alimentaire pour la première fois en 1996, lors du Sommet mondial de l’alimentation à Rome, en Italie. Depuis lors, nous avons développé cette idée d’un point de vue bangladais. Nous avons également été les premiers à promouvoir et à diffuser cette idée au Bangladesh. Nous avons également insisté à plusieurs reprises auprès du gouvernement pour qu’il intègre la souveraineté alimentaire comme principe dans la politique agricole nationale, même s’il a opté pour le concept traditionnel de sécurité alimentaire.

Dans le cadre de cette campagne, nous nous sommes efforcés de convaincre les paysans d’utiliser des semences locales sur leurs terres arables, de cultiver des aliments culturellement acceptés et des aliments destinés à la consommation humaine, et de ne pas céder leurs terres aux accapareurs. Les agriculteurs ont pu comprendre l’importance de la souveraineté alimentaire. Les personnes qui ont rejoint le programme se sont également souvenues des grandes campagnes des caravanes de 2011 et 2014, dont la souveraineté alimentaire était l’un des principaux thèmes. Ainsi, notre campagne soutenue sur la souveraineté alimentaire a au moins réussi à populariser la question. Les gens peuvent comprendre ce qu’est la souveraineté alimentaire. Auparavant, ils ne connaissaient que le concept de sécurité alimentaire, qui est un programme international majeur. Dans le cadre de cette campagne, les communautés internationales n’ont pas été en mesure d’éradiquer la faim et la pauvreté dans le monde, ce qui est l’objectif principal du concept de sécurité alimentaire. C’est plutôt la mise en œuvre de la souveraineté alimentaire par le biais de mobilisations qui pourrait éliminer de manière optimale la faim et la pauvreté dans les zones rurales.

Séminaire

Séminaire « Quelle est la relation entre le mouvement foncier et la souveraineté alimentaire ? », 15 octobre 2022, organisé par la Bangladesh Krishok Federation

Nous avons également mis en place divers programmes d’agitation sur l’agroécologie, l’environnement, l’écologie et le changement climatique. Notre pays dispose d’un ministère de l’Environnement, des Forêts et du Changement climatique. L’État se préoccupe donc du climat, de l’environnement et des forêts. Il ne se préoccupe pas de l’agroécologie et de l’écologie. L’agroécologie est un concept très récent promu par la FAO et l’ONU. L’agroécologie permet aux populations d’obtenir des aliments sains, nutritifs et exempts de toxicité. Il s’agit d’une méthode agricole simple et scientifique. Il ne s’agit pas d’une approche à sens unique, mais plutôt d’une approche diversifiée et holistique. Il existe de nombreuses pratiques agroécologiques dans différentes parties du monde. Ces pratiques respectent l’environnement et l’écologie et contribuent à lutter contre le changement climatique.

Le Bangladesh est un pays agricole. Son agriculture a commencé à se convertir à l’agriculture chimique au milieu des années soixante sous le nom de « révolution verte ». Cette méthode a d’abord permis une augmentation considérable de la production, mais nous avons progressivement perdu la fertilité de nos sols, nos plantations, notre verdure, nos poissons, notre santé, notre environnement, notre écologie et les micro-organismes présents dans le sol. Pour sauver toute l’agriculture, qui est notre culture et notre patrimoine, nous devons adopter l’agroécologie.

Le Bangladesh est une victime de première ligne du changement climatique mondial. Par conséquent, les riches pays industrialisés du Nord, qui émettent du carbone depuis 250 ans, depuis la révolution industrielle, ont une dette écologique et historique envers des pays comme le Bangladesh, qui sont vulnérables au changement climatique. L’année dernière, nous avons réorienté notre campagne sur le changement climatique en nous concentrant sur la question de la réparation. La question de l’écologie et de l’environnement est également incluse. La campagne a été menée dans 13 points des 64 districts du pays. Au cours de notre campagne, nous avons exigé des réparations de la part des pays responsables du changement climatique résultant des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons également demandé des compensations pour les pertes et les dommages subis par les pays touchés. Nous avons demandé une protection juridique dans le cadre des Nations Unies pour les migrants forcés d’émigrer à cause de la crise climatique.

Manifestation

Le 30 octobre 2023, à 12 heures, dans l’organisation des familles sans terre de North Char Shahjalal à Dashmina Upazila, dans le district de Patuakhali, avec la coopération de la Bangladesh Krishok Federation et de la Bangladesh Kishani Sabha.

Le Bangladesh est un pays où la superficie disponible est faible par rapport à sa population. La population actuelle est de 170 millions d’habitants. Pour nourrir cette population nombreuse, une gestion bien organisée des terres est essentielle. Ce qu’il faut donc, c’est une réforme foncière et agraire complète et authentique qui donnerait aux paysans sans terre le droit de cultiver les champs en tant que premier choix, en tant que choix privilégié. Cette réforme serait de nature distributive et redistributive. L’initiative de l’État sera indispensable à cette fin. Nous militons depuis longtemps pour une véritable réforme. L’idée de la réforme agraire n’est pas nouvelle. Elle est apparue officiellement après l’indépendance de l’Inde et du Pakistan de la domination britannique en 1947, mais ne s’est jamais concrétisée. Elle est toujours restée sur le papier. Même au moment de la création du Bangladesh [anciennement Pakistan oriental], après la guerre d’indépendance de 1971, il n’y a pas eu de progrès sur les questions de réforme, bien qu’elles aient été discutées à plusieurs reprises. Il existe également un système de propriété foncière controversé. L’année dernière, nous avons donné la priorité à cette question dans le cadre de notre mouvement et de notre campagne.

Tout comme la terre, l’eau et les plans d’eau sont notre source de subsistance. Malheureusement, l’eau et les masses d’eau sont accaparées par des sociétés transnationales nationales et internationales. Cela se produit au nom de l’achat, du logement, de l’urbanisation, des zones franches d’exportation, de l’industrialisation, des éco-parcs, etc. La plupart du temps, cela se produit dans des régions peuplées majoritairement d’autochtones [Adivasi], qui sont expulsés de leurs maisons. Notre organisation partenaire, Bangladesh Adivasi Samity, reste très active contre l’empiètement illégal sur les terres coutumières des autochtones. Elle lutte également contre l’abattage illégal des arbres et son extension par le département des forêts. Ensemble, nous luttons contre les accapareurs de terres, d’eau et de lacs. En 2022, nous avons mis en place un programme visant à protéger nos droits de propriété communs qui étaient progressivement privatisés. La politique de privatisation du gouvernement, prescrite par la Banque mondiale et le FMI, est à l’origine de ce phénomène.

L’année dernière, nous avons beaucoup insisté sur la question de la justice fiscale. Nous avons soulevé cette question tant au niveau national qu’international. Fondamentalement, nous avons un système fiscal très régressif dont notre population souffre beaucoup. La TVA universelle (taxe sur la valeur ajoutée) frappe le plus durement les pauvres. Il s’agit d’un impôt indirect imposé à la population. En outre, le système d’impôt sur le revenu et sur les sociétés est également inéquitable. Les grandes entreprises bénéficient d’exonérations fiscales, de réductions d’impôts, etc. Elles pratiquent également l’évasion fiscale et envoient de l’argent dans d’autres pays par le biais de paradis fiscaux. Elles détournent également de l’argent par le biais de la surfacturation et de la sous-facturation. En outre, certains super-riches ont fait passer clandestinement des milliards de BDT [la monnaie nationale] du Bangladesh vers différents pays pour y installer leur famille. Le gouvernement devrait ramener cet argent au pays et l’utiliser pour la cause des pauvres. Pour rationaliser le système fiscal, l’administration doit proposer un système d’imposition progressif. C’est pourquoi, l’année dernière, nous avons travaillé dur sur la justice fiscale. Nous avons organisé des chaînes humaines, des rassemblements, des manifestations avec des drapeaux, des festons, des bannières, des pancartes, etc. au niveau national.

La Bangladesh Krishok Federation dispose d’une large base de masse dans le pays, dont 30 % sont des femmes. Nous essayons de porter ce chiffre à 50 %. La question des LGBTQI est très sensible dans notre pays, qui est principalement musulman. Nous organisons des séminaires/ateliers sur cette question, mais nous n’essayons pas de les identifier, car cela n’est pas accepté par la société et pourrait les mettre en danger. Cependant, les personnes transgenres sont automatiquement exposées et elles sont les plus pauvres des pauvres dans la société. Elles peuvent rejoindre notre organisation ouvertement. Notre principale question en matière de genre est d’établir les droits des femmes dans la société. Nous avons une longue histoire de mouvement des femmes au Bangladesh, basée sur les 14 points de revendication soulevés par notre organisation sœur appelée Bangladesh Kishani Sabha (BKS), qui est une organisation composée à 100 % de femmes paysannes. En outre, notre organisation est particulièrement impliquée dans le mouvement d’occupation des terres afin d’établir le droit des femmes à la terre. La question de l’égalité entre les hommes et les femmes a été sérieusement expliquée et soulignée dans la campagne 2022.

En 2022, nous avons mené de nombreuses actions humanitaires. Il y a eu des morts et des blessés graves sur une île occupée par notre organisation. La leader paysanne Bakul Begum a été tuée et sa sœur Mukul Begum est toujours en vie, mais gravement blessée. Elle a dû rester à l’hôpital pendant plus de trois mois. Incapable de se déplacer, elle a eu besoin d’un soutien médical considérable. Des plaintes ont été déposées au poste de police. Ces affaires sont toujours en cours.

Conférence de presse

Leaders de la société civile lors de la conférence de presse de protestation contre l’assassinat de Bakul Begum, le 6 décembre 2022.

Bakul Begum

Bakul Begum

Un autre membre de l’exécutif a dû subir une opération du cerveau. Elle a également bénéficié d’un soutien partiel. Un patient souffrant d’une grave maladie rénale et dont le rein a été transplanté a également été soutenu à plusieurs reprises par notre organisation en tant que membre senior.

En 2022 et 2023, nous avons fourni une aide humanitaire aux personnes touchées par la catastrophe climatique, et nous avons également aidé à se rétablir les personnes touchées par le cyclone et la tempête Corona.

En outre, nous avons organisé de nombreux programmes réguliers, tels que diverses célébrations de journées nationales et internationales.

Badrul Alam est président de la Bangladesh Krishok Federation (BKF).

Propos recueillis par Pierre Rousset pour ESSF.

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