Brésil : Un an après le 8 janvier 2023, des tâches inachevées et des réponses insuffisantes

par Israel Dutra

Il y a un an, environ 3 000 partisans de Bolsonaro protoganisaient une tentative sans précédent de coup d’état.

Il y a un an, environ 3 000 partisans de Bolsonaro, dans un point d’orgue du processus de remise en cause du résultat des élections, ont envahis les sièges des 3 pouvoirs [le Senat et l’Assemblée Législative, le Tribunal Supérieur Fédéral et la Présidence de la République] à Brasilia. C’était une action sans précédent, directement inspirée de l’action de la droite trumpiste deux ans plus tôt, le 6 janvier, au Capitole, Washington, DC.

Elle marquait un point d’inflexion dans l’agitation des putschistes, quelques jours après l’investiture de Lula, qui avait clos le triste chapitre du génocidaire qui occupait jusqu’alors la présidence de la République. La montée de la rampe, la prestation de serment de Lula en tant que nouveau président, avaient marqué qu’une page douloureuse de l’histoire du pays, le gouvernement de Jair Bolsonaro, vaincu après une compétition électorale polarisée et serrée en octobre 2022, venait d’être tournée.

Ce furent des mois de préparation, combinant la montée de caravanes vers Brasilia avec l’installation de campements devant des casernes militaires de tout le pays en novembre et décembre. L’objectif manifeste était de créer une atmosphère de tension et de chaos qui justifierait l'”intervention militaire” omniprésente dans les slogans des putschistes lors de leurs manifestations.

Le 8 janvier, surnommé le “Capitole brésilien”, est un chapitre dramatique de l’histoire du pays, dont les protagonistes ont été vaincus et démoralisés dans la suite des événements.

Malgré le manque de réactivité de Dino [Flavio Dino venait d’être nommé Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, cumulant ce qui en France correspondrait au Ministère de la Justice et partie du Ministère de l’Intérieur], nous pouvons considérer que Lula et Moraes [président du STF] ont répondu correctement à la situation. Dans son interview à Araraquara, Lula a pointé du doigt le bolsonarisme et ses principales bases, les qualifiant de fascistes et identifiant les secteurs de l’agro-bolsonarisme – tels que les accapareurs de terres, les exploitants forestiers et les grands propriétaires terriens – comme les principaux agents du coup d’État, ainsi que la collaboration évidente des dirigeants politiques et militaires. Moraes a agi correctement en destituant immédiatement Torres et Ibaneis1  et en demandant l’arrestation et le démantèlement des camps, ainsi qu’en nommant un interventeur pour le district fédéral. Trois cents putschistes ont été arrêtés. Il convient également de noter qu’il a été judicieux de e pas avoir recours à une mission de GLO2 , l’une des provocations attendues par les putschistes pour aller de l’avant. Les mesures prises quelques semaines plus tard pour expulser des milliers de mineurs des terres des Yanomami ont également suivi cette ligne de conduite.

Il reste deux enseignements centraux à tirer de ce “Capitole brésilien” dont les putschistes ont été les protagonistes. Premièrement, il existe un secteur (non négligeable) qui est prêt à faire un coup d’État, et c’est la stratégie du bolsonarisme, explicite et annoncée. Ce secteur opère dans différentes sphères, au sein des forces armées, de la police militaire, des parlementaires, des hommes d’affaires, des propriétaires terriens, etc. Deuxièmement : la défaite de l’action du 8 janvier a été flagrante, ouvrant la voie à une offensive consciente et massive contre les putschistes, leurs financiers et leurs dirigeants. À commencer par leur principal dirigeant, Bolsonaro et son clan.

C’est là que réside la principale contradiction de l'”après-8″ et la nécessaire confrontation avec l’extrême droite. Les réponses officielles du gouvernement et des institutions sont restées en deçà des besoins de la société.

La défaite du 8 janvier a ouvert la voie à une plus grande confrontation, dans le sillage du slogan scandé par des centaines de milliers de personnes l’année dernière après la défaite électorale de Bolsonaro : “Pas d’amnistie”. Un sondage Genial/Quaest montre que 89 % des personnes interrogées désapprouvent l’action des envahisseurs, un an après.

Bolsonaro est toujours libre et politiquement actif. Récemment il était aux côtés de l’ambassadeur d’Israël lors d’un événement organisé à la Chambre des députés pour commémorer le génocide à Gaza.

Non seulement Múcio [José Múcio, ministre de la Défense] n’a pas été limogé, mais il a pris du poids en tant qu’interlocuteur au sein du gouvernement. Les forces armées ont reçu 59,2 milliards de reals [presque 12 milliards d’Euros] dans le nouveau PAC [Plan d’Accélération dela Croissance], ce qui est plus que le montant alloué à la plupart des domaines stratégiques de la société. La tentative de modifier l’article 142 – qui délimite et restreint le rôle politique des militaires – n’a pas abouti, malgré les efforts de certains parlementaires. À ce jour, plusieurs généraux qui ont joué un rôle actif dans la conspiration n’ont même pas été inculpés, et encore moins punis.

D’autre part, il y a eu des initiatives intéressantes qui ont marqué la lutte contre l’extrême droite, comme le tribunal populaire tenu à São Paulo par des intellectuels comme Wladimir Safatle et le mouvement des Mères de mai ; la défaite que  Sales [Ricardo Sales, ex-ministre de l’environnement de Bolsonaro], la droite et les grands propriétaires terriens ont subie dans le CPI sur le MST, où Sâmia Bomfim a tenu un rôle de premier plan ; et la combativité du député Fábio Felix dans le CPI sur les actes anti-démocratiques dans le district fédéral. Ce n’est qu’un petit échantillon du fait qu’il est possible de vaincre le bolsonarisme et le putsch en s’appuyant sur une stratégie audacieuse et en s’appuyant sur la mobilisation.

La mesure la plus importante est l’arrestation de Bolsonaro, la mise hors la loi de son gang (pas seulement de Mauro Cid [son ex aide de camp “á tout faire”], mais aussi de Pazuello [ex-ministre de la santé) et de son clan et leur jugement pour leurs crimes. Des crimes qui touchent au coup d’État, mais ils doivent aussi répondre de la corruption et de l’enrichissement illicite, ainsi que de la mort de centaines de milliers d’innocents durant la pandémie.

La démission de Múcio et la fin des privilèges dont jouissent les militaires sont urgentes, de même que la nécessaire épuration des appareils de renseignement et de sécurité. Ibaneis Rocha ne peut rester gouverneur du district fédéral, lui qui a été un collaborateur direct des dirigeants du 8 janvier, ainsi que Anderson Torres. Les circuits de financement des putschistes doivent être identifiés et bloqués, ils passent en partie par des grands propriétaires terriens,  criminels, véritables miliciens en milieu rural.

Il faut affronter la ligne répressive de la PM [Police Militaire] et sa létalité – comme c’est le cas avec Tarcísio [Freitas, gouverneur] à São Paulo, où nous avons fait face dans la controverse pour défendre l’équipement systématique de la PM avec des caméras corporelles, l’aile droite s’y opposant et appuyant l’action violente. Il faut démonter l’enchevêtrement des et du crime organisé, un des bastions de Bolsonaro, par exemple à Rio de Janeiro.

La ligne de conciliation, majoritaire au sein du gouvernement et des organisations du mouvement social dirigées et influencées par le camp Lula, ne suffit pas. Et elle organise les défaites à venir, en redonnant du souffle aux expressions politiques et sociales de l’extrême droite, en misant sur la ligne du “calmons les esprits” pour coller au calendrier électoral, en faisant des concessions aux centristes, aux militaires et aux libéraux.

En 2024, coordonner la lutte contre l’extrême droite, y compris au niveau international, signifie organiser des campagnes pour gagner une majorité sociale et écraser l’extrême droite, dans la rue, au sein de la majorité du peuple et même dans les sphères électorales, parlementaires et institutionnelles. Disputer l’influence sur la base des forces armées, de la police ; agir pour mettre l’agro-bolsonarisme sur la défensive, en défendant cuex qui luttent en milieu rural, les quilombolas, les indigènes, les populations riveraines et les paysans.

Nous participerons aux actions du 8 janvier, même si elles auront un caractère plutôt institutionnel et resteront diluées dans un appel général à défendre la démocratie, en défendant l’arrestation immédiate de Bolsonaro et de la nécessité d’élargir la mobilisation pour y parvenir. Il ne peut y avoir de liberté pour les ennemis de la liberté.

8 janvier 2024, traduction la revue Movimento.

  • 1Ibaneis entamait son deuxième mandat comme gouverneur du district fédéral de Brasilia. Fervent soutien de Bolsonaro, il avait nommé Secrétaire à la sécurité publique l’ancien ministre de la Justice et de la Sécurité Publique Anderson Torres
  • 2La mission de GLO [Garantie de la Loi et de l’Ordre] sur décision du Président de la République est effectuée par les forces armés. Voir les militaires descendre dans la rue pour “rétablir l’ordre” était justement ce que les putschistes voulaient.