Macron et son gouvernement viennent de franchir un pas spectaculaire dans l’adoption d’une politique discriminatoire, raciste et xénophobe vis-à-vis des étrangers extracommunautaires, et ce avec le soutien de l’extrême droite.
La loi qui vient, en décembre 2023, d’être adoptée en France par un vote commun de l’alliance macroniste, du parti de droite LR et de l’extrême droite RN est la plus régressive en France depuis celle votée il y a presque 40 ans, en 1986 (loi Pasqua) et elle contient des aspects encore plus réactionnaires. Elle s’adapte totalement aux prémisses de l’extrême droite qui désigne les étrangers et l’immigration comme un danger, une menace pour le pays, agitant le fantasme de « la submersion migratoire », du déséquilibre économique et social créé par les immigrés et amalgamant immigration, insécurité, délinquance et menace terroriste. Ces thèmes sont développés largement en Europe, mais ils le sont très particulièrement en France par le RN de Marine Le Pen ou par le petit parti Reconquête de Marion Maréchal et Éric Zemmour. Depuis une vingtaine d’années, la droite traditionnelle les a, elle aussi, largement popularisés, reprenant peu à peu la propagande idéologique de Jean Marie Le Pen et du Front national sur ces questions. Nicolas Sarkozy, au début des années 2000, avait notamment essayé de cliver la société française en introduisant un débat sur « l’identité nationale », intégrant même ce concept dans l’intitulé du Ministère de l’Intérieur, désigné comme « Ministère de l’Intérieur et de l’identité nationale », cela selon l’idée d’un de ses conseillers, Patrick Buisson, issu de l’extrême droite « nationaliste révolutionnaire » des années 70.
Macron et son gouvernement ont donc eux aussi emprunté ces chemins fangeux tout en pensant au départ faire une manœuvre parlementaire pour déstabiliser le parti des Républicains. La manœuvre s’est transformée en boomerang contre le camp présidentiel.
Au début de son second mandat, à l’été 2022, Macron et son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonçaient la présentation d’une nouvelle loi sur les conditions d’entrée et de séjour, centrée sur le droit d’asile, trois ans à peine après celle qu’il avait fait voter en 2019. Assimilant explicitement délinquance et demandeurs d’asile, le but annoncé était de lutter pour « prévenir les flux migratoires non européens », « accélérer les procédures pour les demandeurs d’asile » et les « procédures d’expulsion », tout autant de thèmes réactionnaires classiques. Le but essentiel était surtout, alors que les préoccupations essentielles de la population étaient l’inflation, la crise du système de santé et les menaces contre les retraites d’essayer de polariser le débat public sur cette question en brandissant « l’insupportable menace migratoire » et une fois de plus, de rendre les immigrés responsables de la situation sociale des classes populaires. Le but affiché par Darmanin était de « rendre la vie impossible aux migrants ». Son profil affiché avec morgue était même celui d’un « Monsieur plus » se vantant d’être plus dur que l’extrême droite contre les immigrés parlant, avec une pointe de sexisme, de la « mollesse » de Marine Le Pen et de « l’incapacité de Georgia Meloni à régler les problèmes migratoires ». Ce projet de loi fut combattu dès son origine par le mouvement social et la gauche, avec le collectif Unis contre l’immigration jetable (UCIJ) rassemblant 800 collectifs et associations (notamment des centaines travaillant au jour le jour pour l’accueil et la solidarité avec les sans-papiers et les demandeurs d’asile), avec le soutien des Verts, de LFI et de la gauche radicale, dont le NPA.
Depuis les élections de juin 2022 où Macron est sorti sans majorité parlementaire ni d’alliance avec d’autres partis, lui et son gouvernement ont dû négocier texte de loi par texte de loi avec les autres partis, essentiellement le parti de la droite traditionnelle gaulliste, les Républicains (LR). Ainsi ceux-ci ont voté au coup par coup, les deux-tiers des lois présentés par le gouvernement entre juin 2022 et juin 2023. Darmanin avait donc ouvert la porte à un dialogue avec les LR sur sa loi. La montée en puissance de la mobilisation contre la réforme des retraites au printemps 2023 obligea le gouvernement à mettre de côté le débat sur ce projet de loi. Les LR, de leur côté virent dans le débat sur cette loi l’occasion de reprendre une place dans le débat politique. Les Républicains ont été ramenés à une place de supplétif de Macron par le résultat des élections législatives de juin 2022 – 62 députés sur 577, une perte de 51 sièges-, derrière le Rassemblement national et la France insoumise et ont du mal à exister comme force indépendante, coincés entre Macron et le Rassemblement national. D’ailleurs, de nombreux responsables macronistes sont des transferts des LR et Nicolas Sarkozy a plusieurs fois appelé le parti qu’il a longtemps dirigé à s’allier avec Macron. Dès lors, LR a tenté au printemps 2023 une opération politique en présentant eux-mêmes deux lois d’attaques contre l’immigration et les étrangers vivants en France. Considérant que c’est le seul terrain où ils pouvaient faire entendre une voix différente de Macron, leurs projets de loi reprenaient sans problème les principaux éléments du programme du Rassemblement national, notamment en adoptant la « préférence nationale », la discrimination des droits sociaux pour les étrangers non communautaires avec la diminution des droits aux prestations sociales, en revenant sur « le droit du sol » pour les enfants nés en France, introduisant de nouveaux obstacles à l’adoption de la nationalité française, avec une répression plus forte et des expulsions plus rapides des étrangers sans-papiers. Les LR avaient depuis un an développé une campagne obsessionnelle contre la submersion migratoire, l’invasion des migrants, le coût exorbitant de l’immigration, se faisant largement plus entendre que l’extrême droite sur la question.
La pression idéologique croissante de l’extrême droite
La France si elle a été de longue date un pays d’immigration avec des législation ouvertes a, depuis les années 70 du XXème siècle, fortement durci les droits à l’entrée et au séjour. Encore marquée par l’acquisition de la nationalité par le droit du sol, le pays pratique le grand écart entre un affichage d’accueil et des pratiques de plus en plus fermées. Cela est vrai pour l’immigration, comme pour l’accueil des réfugiés. D’ailleurs, la France avec 7,7% d’étrangers sur son sol, affiche un pourcentage inférieur à la moyenne européenne (8,4%), à côté des 8,7% présents en Italie et en Suède, de 11 à 13% dans l’Etat espagnol, l’Allemagne et la Belgique. On est bien loin de « l’appel d’air », de la « politique trop généreuse » brandis par le gouvernement et ses nouveaux amis.
Concernant les réfugiés, la guerre a mené, notamment en 2014 et en 2015, à l’exode des réfugiéEs de Syrie. La réalité est que sur les 6,8 millions d’exiléEs, la plupart sont restéEs en Turquie, en Jordanie et au Liban. Seuls 17%, un peu plus de 1 million, ont déposé une demande d’asile dans l’Union européenne, la France a enregistré 2,2% de ces 17%…autour de 25000 ! Concernant les Afghans, l’effort a été un peu plus important avec, en France 8% des réfugiéEs afghans présents en Europe. De même, si les réfugiés ukrainiens sont au nombre d’environ 4,6 millions dans l’UE et 120000 en France, et si personne ne s’est insurgé contre la venue d’une population qui a « la chance » de ne pas être de culture musulmane, là encore le chiffre n’est pas du tout à la mesure du poids économique (17%) et démographique (15%) de la France en Europe. Le discours prétentieux de Macron et autosatisfait sur « la part de la France dans l’accueil des réfugiés » est hors de propos. D’autant plus que, concernant les demandes d’asiles, la France présente un des taux de protection les plus faibles d’Europe. Autour de 70 % des demandes d’asiles sont refusés pour l’octroi d’un statut de protection (celui de réfugié ou de protection subsidiaire) amenant les demandeurs d’asile à des situations de séjour irréguliers, précaires et au péril d’une reconduite à la frontière.
Les dirigeants européens comme français vivent dans un déni schizophrénique concernant les migrations internationales. Celles-ci sont un phénomène humain naturel et inéluctable dans l’histoire passée et actuelle de l’humanité, phénomène auquel les Européens eux-mêmes ont participé et participent encore et qui touche beaucoup plus d’ailleurs aujourd’hui l’Afrique et le Moyen Orient que l’Europe. Mais les réactionnaires cherchent à en faire une question de guerre des civilisations, d’invasion barbare, de submersion démographique. Il est vrai malheureusement que les guerres et les changements climatiques vont accentuer les phénomènes migratoires, encore une fois sans que l’Union européenne en soit la première destination. Le déni de l’UE est évidemment qu’elle est un des principaux responsables des changements climatiques, directement par la pollution de l’environnement et indirectement par les groupes capitalistes industriels et commerciaux européens, qu’elle entretient des rapports néocoloniaux avec les pays du Sud amenant une partie de ses ressortissants à quitter leur habitat, que sa politique extérieure est aussi responsable de conflits et de guerres ouvertes avec leurs catastrophes humaines, mais elle veut entraver les courants migratoires naturels faisant courir des dangers extrêmes à des centaines de milliers d’hommes et de femmes, amenant à la mort de dizaines de milliers d’êtres humains sur les chemins des migrations.
L’autre déni est que la France et l’UE dans son ensemble organisent eux-mêmes l’immigration internationale qui est en grande partie légale, organisée par les Etats européens car elle est partie prenante du système économique et social européen. Ainsi, en 2022 pour 340 000 entrées de sans-papiers dans l’Union européenne, il y a eu 3 millions et demi d’entrées légales. Et, au-delà de la démagogie réactionnaire purement idéologique, trois réactions en France suite au vote de la loi ont été caractéristiques : celle de 3500 médecins dont des urgentistes, celle des présidences des grandes universités et des directions des grandes écoles et celle du Président du MEDEF. Les médecins s’insurgent contre la menace de suppression de l’Aide médicale de l’Etat et s’engagent publiquement à continuer à soigner gratuitement les sans-papiers si l’AME est supprimée, par respect du « Serment d’Hippocrate » enjoignant de soigner toute personne malade et par un souci de santé publique. Les présidences d’Universités et les directions des grandes écoles s’insurgent contre le système de « caution de retour », existant déjà dans d’autres pays européens, (une somme que devront consigner les étudiantEs étranger-e-s sur leur compte bancaire avant d’arriver en France) et contre la limitation des aides sociales que devront désormais subir les étudiants étrangers, au prétexte du fantasme des « faux étudiants profiteurs des systèmes sociaux ». Il y a aujourd’hui, autour de 400000 étudiantEs étrangerEs en France, 13% des effectifs. Ils et elles sont un pilier du système universitaire, notamment dans les grandes écoles, et participent de sa vitalité et évidemment aussi d’une internationalisation de la formation universitaire des étudiantEs, avec parmi eux et elles 70 000 doctorantEs… bien loin des fantasmes xénophobes des faux étudiants, obsession de Ciotti, président des LR et de Darmanin. La dernière réaction est venue de Patrick Martin, président du MEDEF, disant que « sauf à réinventer notre modèle économique », il faudra, dans les années à venir, 3,9 millions de travailleurs étrangers supplémentaires en France, et une proportion au moins équivalente dans le reste de l’Union européenne. Car, aux antipodes des porte-paroles des LR et du RN, le patronat connait une réalité proclamée depuis longtemps par les économistes de l’OCDE : les populations étrangères, migrantes, loin d’être une charge financière pour les pays d’accueil, présentent, dans tous les pays de l’OCDE un « bilan net » excédentaire dans les budgets des pays d’accueil. Dans le concert d’inepties des derniers mois, une députée du RN a repris un article du quotidien de droite Le Figarotitrant que l’immigration « coûtait plus qu’elle ne rapporte » et citant un montant de 53,9 milliards. D’autres chiffres ont été cité, mais avec toujours en point commun l’idée que les étrangers viennent profiter du système social, vivant sur les prestations sociales et l’assurance chômage. La réalité des études exhaustives faites par l’OCDE en 2021, portant sur la période 2006/20181 est que dans les 25 pays étudiés, la contribution budgétaire nette est toujours comprise entre -1 % et +1 % du PIB, avec un bilan excédentaire moyen de 10 milliards d’euros par an pour la France durant cette période. Au-delà de ces comptes, la réalité évidente est que les étrangers participent évidemment à la vie économique du pays où ils se trouvent, souvent en Europe avec un travail moins bien rémunéré et des conditions de travail plus difficiles. Ces difficultés viennent à la fois des difficultés de régularisation pour certains et du climat de discrimination qui rend l’accès à l’emploi plus difficile, pour les étrangers mais aussi pour les descendants d’étrangers de 2ème voire de troisième génération. Entretenir ce climat de racisme est donc évidemment une arme patronale. Mais le patronat des secteurs qui par définition ne peuvent délocaliser leur activité, comme le transport, la logistique, l’hôtellerie, le bâtiment, les métiers du soin, fait très souvent appel à des travailleur-se-s étrangerEs ou issuEs de l’immigration. Et la réalité européenne est aussi que la courbe démographique naturelle, est sur une courbe désormais partout descendante hors solde migratoire, la France n’échappant pas à cette tendance. Aussi, derrière le discours des droites plus ou moins extrêmes qui servent à diviser les classes populaires et les écarter des véritables responsables des politiques de casse sociale, il y a évidemment une réalité incontournable que non seulement l’immigration n’est pas un coût mais que vouloir l’entraver serait créer un déséquilibre social et économique dans les prochaines décennies. L’hypocrisie des classes dominantes est de soutenir le plus souvent le discours des droites extrêmes, de le cultiver dans leurs médias écrits et audiovisuels, fantasmant sur « l’appel d’air » que représenterait la moindre régularisation de sans-papiers et, en même temps, de penser le présent et le futur en intégrant la réalité du maintien d’un apport migratoire. Politique utilitariste, hypocrite qui prive des millions d’hommes et de femmes des droits sociaux et des conditions de vie décentes, qui maintient des discriminations et les violences policières dans les quartiers populaires où vivent beaucoup d’enfants issus de l’immigration, mais qui maintient néanmoins les filets d’immigration indispensables à l’équilibre économique et social.
Cette politique est encore plus grave concernant les migrants, les sans-papiers qui tentent de joindre l’Europe par la Méditerranée ou les frontières continentales. La droite, l’extrême droite et leurs relais médiatiques parlent de submersion, là où les chiffres donnent une autre réalité : il y a entre 4 et 5 millions de sans-papiers en Europe, à partir des données gouvernementales, soit moins de 1 % de la population totale…La moitié vivant en Allemagne et en Grande Bretagne : autour de 700 000 en France, de 5 à 700 000 en Italie. Mais le fantasme de la submersion, la propagande xénophobe et raciste justifient un traitement inhumain pour celles et ceux qui veulent venir en Europe. Des dizaines de milliards sont dépensés pour sécuriser, contrôler les frontières, refouler les arrivants, négocier avec des pays africains ou du proche Orient pour bloquer les passages. Ces montants sont à comparer avec les faibles sommes accordées pour l’accueil, le logement et les aides à fournir aux populations migrantes. Les réfugiéEs d’Ukraine ont été la seule population à bénéficier du « statut de la protection temporaire », accordé par le Conseil de l’Union européenne. Notamment en France, ils ont donc été les seuls à bénéficier de conditions d’accueil correcte : permis de séjour immédiat, accès au marché du travail et au logement, assistance médicale et accès des enfants à l’éducation, droit d’ouvrir un compte bancaire. Ces droits devraient évidemment bénéficier à tout personne demandeur d’asile venant de Syrie, d’Afghanistan ou d’ailleurs.
Darmanin et Macron pris au piège
Donc, concernant la poursuite des débats autour de cette loi au printemps 2023, les Républicains, dans leurs projets de loi contre l’immigration présentés en mai 2023, voulaient aussi une modification de la Constitution pour que la France puisse déroger au droit européen concernant les obligations vis-à-vis des demandeurs d’asile, et s’opposer à toute régularisation de sans-papiers dans les métiers dit « en tension » (hôtellerie notamment), ce que proposait Darmanin dans son projet de loi. De plus, ils voulaient aussi supprimer l’aide médicale de l’Etat (AME) qui permet à un étranger sans-papiers de disposer d’un accès aux soins pris en charge par la Sécurité sociale dans le système hospitalier (360000 personnes en ont bénéficié en 2023). Darmanin et le gouvernement étaient opposés à cette suppression.
LR, bénéficiant toujours d’une majorité au Sénat, pensait pouvoir faire une forte pression pour obliger Darmanin et Macron à venir sur son terrain. Darmanin, de son côté, comptait en adoptant quelques-unes des mesures proposées par les LR amener au moins une partie de leurs députés à voter son projet, affaiblissant davantage encore les LR à l’Assemblée. Ce jeu politicien sordide sur le dos des étrangers servait aussi à Darmanin pour essayer de trouver sa place dans la course à la succession présidentielle de Macron en 2027.
Le projet de loi de Darmanin fut donc mis en veilleuse jusqu’à la rentrée de 2023. Là encore, après 6 mois de mobilisations massives sur les retraites, après les révoltes des quartiers populaires durant l’été face aux violences et aux meurtres de jeunes par la police, le gouvernement voulait stigmatiser la population issue de l’émigration et étouffer les préoccupations sociales prépondérantes au sein de la population : pouvoir d’achat, santé, environnement… préoccupations apparues clairement dans les mobilisations sociales, et même dans des sondages récent (institut IPSOS septembre 23 par exemple où l’immigration n’apparait comme préoccupation des sondéEs ‘qu’en neuvième position). L’hyperbolisation des questions migratoires dans l’arsenal médiatique de la droite extrême et des dirigeants réactionnaires a maintenu un climat nauséabond visant à mêler immigration, insécurité et islamisme et faire de cet amalgame la question politique principale, cela avec l’aide prépondérante du réseau de médias et de presse écrite qui sont aux mains des principaux capitalistes français, en premier lieu la galaxie médiatique aux mains de Bolloré…Cette question a en effet occupé le terrain du débat public de septembre à décembre, mais pas avec l’issue voulue par Macron et son gouvernement.
Espérant manœuvrer comme sur certains d’autres dossiers, le timing du gouvernement était simple. Le débat commençait par un vote au Sénat début novembre où les Républicains amendèrent le projet de Darmanin avec toutes leurs mesures empruntées à l’extrême droite. Ensuite la commission des lois de l’Assemblée, où les équilibres donnait une majorité relative au gouvernement nettoyèrent, début décembre, le projet de loi, le ramenant à sa version de départ, une version réactionnaire mais écartant de nombreux ajouts du Sénat (par exemple sur la suppression de l’AME, sur des délais de 5 ans de séjour régulier pour obtenir les prestations sociales, sur les régularisations dans les métiers « en tension »). Ensuite, logiquement, le jeu des abstentions aurait dû permette à Borne et à Darmanin de faire passer la loi, article après article, en comptant sur des apports de votes venant des Républicains et des abstentions venant du Parti socialiste, selon les articles de loi.
C’est là que la mécanique s’est grippée. Les écologistes, opposés à la loi avec tous les groupes de la NUPES, déposèrent une motion de rejet permettant de bloquer à l’Assemblée l’examen de la loi. Le 11 décembre, contre toute attente, cette motion fut adoptée majoritairement par le vote de la NUPES, mais aussi des deux tiers des députés LR et du RN : 270 voix pour le rejet et 265 voix contre. Le piège s’est alors refermé sur Darmanin et son gouvernement. Il ne pouvait plus y avoir de vote article par article à l’Assemblée à partir de la version du gouvernement. Macron avait le choix entre le retrait pur et simple de son texte ou une nouvelle tentative de compromis par une écriture commune d’un nouveau texte entre députés et sénateurs (dans une commission mixte paritaire, CMP) avec, ensuite, un vote bloqué de chacune des deux chambres sur le même texte. Après avoir subi un échec cuisant, mis pour la première fois en minorité à l’Assemblée, Macron refusa de reconnaître son échec en retirant la loi. Il préféra mettre la loi dans les mains des Républicains, puisque l’écriture d’un texte commun n’était possible, dans cette CMP de 14 membres (7 députés et 7 sénateurs), que par un accord entre les 5 macronistes et les 5 républicains et centristes de droite. En réalité, le nouveau projet fut négocié directement entre la Première ministre, Elisabeth Borne et la direction des Républicains.
Le texte, qui fut, au final, voté par l’Assemblée et le Sénat est donc une copie très proche des positions des LR, inspirés du Rassemblement national. Ces derniers, sans avoir participé à la moindre négociation, et même affiché jusqu’au bout leur hostilité à un projet qu’ils trouvaient trop modéré, saisit au final l’effet d’aubaine de s’afficher en voter pour un texte largement inspiré de ses positions, créant un tollé général. C’est un précédent depuis 40 ans que des forces traditionnelles votent le même texte que l’extrême droite concernant l’immigration. De plus la Première ministre Elisabeth Borne s’est engagée formellement à un vote parlementaire de révision de l’Aide médicale de l’Etat. Alors que Macron et Darmanin espéraient que cette loi permettrait un « coup » politique en fracturant les Républicains et en isolant le RN sur son propre terrain de prédilection, l’issue en a été inverse : le RN apparait comme le vainqueur politique d’une loi qui reprend ses obsessions xénophobes et adopte la préférence nationale, les discriminations pour les prestations sociales et durcit les conditions de naturalisation. Les LR, grâce à leur contrôle du Sénat sortent renforcés et par contre, les macronistes sortent, eux, affaiblis et divisés : seuls 131 députés sur 171 ont voté pour cette loi, 20 ont voté contre et 17 se sont abstenus, les « jeunes avec Macron » ont désavoué cette loi et le ministre de la Santé a démissionné de son poste.
L’urgence d’une riposte à gauche
Le faible rapport de force dont disposait Macron après sa deuxième élection avait déjà été battu en brèche par la formidable mobilisation en défense des retraites, puis par les révoltes des quartiers populaires au début de l’été. Le gouvernement apparait désormais comme le simple otage de la droite et de l’extrême droite.
Du côté de la gauche et de la NUPES, malheureusement, ce glissement vers l’extrême droite a du mal à créer le sursaut nécessaire. Le gouvernement, secondé par une lancinante campagne de presse multiforme, a tout fait depuis un an pour discréditer la NUPES apparue comme la première force d’opposition lors des élections, et en tout premier lieu la France insoumise, ostracisée et diabolisée par Macron et Borne comme étant « sortie de l’arc républicain » (suite, notamment, à ses positions lors des révoltes des quartiers populaires et sur les meurtres commis par les policiers) alors que le tapis tricolore était déroulé sous les pas du RN. Une pression maximale s’est donc exercée pour pousser à l’éclatement de cette alliance qui n’a jamais su dépasser le statut d’un intergroupe parlementaire. Les composantes de la NUPES, pour diverses raisons ont, elles-mêmes, toujours refusé la construction d’une force politique populaire nationale, structurée dans le villes et les quartiers. Malgré les positions convergentes de ses composantes en soutien à la mobilisation pour les retraites, aucune dynamique politique ne fut créée à cette occasion. Depuis plusieurs mois, c’est la question électorale des européennes de 2024 qui a vu les tendances centrifuges amener la NUPES à la paralysie et à son éclatement de fait, les partis alliés à la FI refusant la présentation d’une liste unitaire, notamment pour ne pas reprendre le programme radical de la NUPES sur l’Union européenne. Malgré de larges convergences unitaires du mouvement syndical et associatif contre les violences policières et plus récemment pour exiger un cessez-le-feu immédiat à Gaza face au massacre perpétré par l’armée israélienne, l’opposition de gauche à Macron apparait aujourd’hui incapable de construire un réel rapport de force politique et social unitaire. Malgré tout, le vote de décembre a entrainé un haut le cœur de dizaines de milliers de militantEs voyant l’extrême droite dicter la politique gouvernementale. En avril 2022, les votes pour Macron contre Le Pen venait pour moitié d’électeurs de gauche voulant faire barrage au Rassemblement national.
Autour des appels de la coalition Unis contre l’immigration jetable des milliers de personnes dans les rues de plusieurs villes. Mais l’enjeu de ce début d’année va être de construire une force et des mobilisations populaires unitaires à la hauteur des exigences sociales et de la menace de l’extrême droite.
31 décembre 2023
- 1Perspectives des migrations internationales 2021, Ana Damas de Matos, OECD i LIBRARY.