Pour nous, jeunes lycéens, plus qu'un candidat à la présidentielle de 1969, c'est surtout un leader historique de Mai 68 qui vient à notre rencontre.
Impressionné par ce qu'il incarne, ce qui me marque avant tout, c'est sa sympathie, sa simplicité, son accès facile, son écoute aux questions posées par les jeunes présents dans cette salle.
Déjà, Alain réussit à combiner une vie de militant de tous les jours tout en incarnant une histoire, un combat, et une continuité politique.
Je militerai à ses côtés durant près d'une cinquantaine d'années.
Le soutien qu'il apporte aux opprimés est constant, qu'il s'agisse de l'Algérie dès 1956, des révoltes à Prague, de Mai 68 ou encore du Nicaragua. L'internationalisme d'Alain n'est jamais abstrait : dans chacune de ces luttes, il noue des liens avec des militants, qui deviennent parfois des amis, comme Petr Uhl, un des animateurs du printemps de Prague.
Ces années le conduisent du mouvement communiste, des révolutions coloniales à la IVe Internationale.
À ce moment précis, comment ne pas évoquer le duo que forment Alain et Daniel Bensaïd. îuvrant ensemble à la direction de la Ligue, ils tentent de faire le lien entre l'intervention quotidienne de l'organisation et les grandes hypothèses stratégiques révolutionnaires. Dans ce duo, Daniel incarnait la Ligue par les idées, et Alain c'était la Ligue par l'organisation.
Pour y parvenir, une ligne de crête : se démarquer du réformisme tout en recherchant l'intégration des révolutionnaires dans le mouvement réel des masses. Alain est unitaire : il ne ménage pas son énergie et se montre toujours disponible pour soutenir les luttes, avec pour fil rouge l'unité d'action et la défense d'un programme anticapitaliste.
Il a l'obsession du dialogue avec les militants de gauche, en particulier les communistes, et au-delà, les syndicalistes, les animateurs des mouvements sociaux. Il met son talent au service d'une démarche permanente : vulgariser notre politique en trouvant les mots, les formules qui font mouche.
Enfin, Alain est un homme de " parti », au sens historique mais aussi au quotidien sur le terrain, loin de l'image du sectaire qui " cultive la silhouette particulière de son organisation ». Rappelons aussi combien il aimait se mettre au service des autres : qu'il s'agisse de diffuser les tracts, de ranger le local ou de servir de chauffeur aux uns et aux autres pour l'organisation.
Il considère l'organisation comme un instrument, un moyen efficace pour défendre les idées révolutionnaires. Après les défaites du XXe siècle et le changement d'époque que nous vivons, se fait sentir la nécessité d'une réorganisation du mouvement historique d'émancipation. Alain le ressent vivement dans sa chair.
Aujourd'hui, Alain s'en va alors que la guerre revient en Europe. Ses combats nous le rappellent : notre camp c'est celui des peuples opprimés, de leurs droits, jamais des oppresseurs.
Avec lui, ce qui disparaît, c'est plus d'une soixantaine d'années de combats politiques, et surtout un sens de l'initiative, un sens politique rare.
Souvent ceux qui le connaissent disent d'Alain qu'il " a du pif », qu'il sent les situations, les rapports de forces. Mais il aura surtout eu læintelligence de mettre en perspective l'actualité immédiate avec de nouveaux horizons historiques. Cette qualité lui aura permis de résister aux sirènes du pouvoir auxquelles tant d'autres de sa génération ont succombé.
Alain incarne la noblesse de la politique et force notre respect ! Enfin, un dernier mot pour dire à quel point la présence et le soutien de Michèle tout au long de sa vie lui ont été précieux et nécessaires.
Alain tu nous manques déjà.
* François Sabado, a été dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire, du Nouveau parti anticapitaliste et de la Quatrième Internationale.