Souvenirs d'Helena

par Olivier Besancenot

* Nous reproduisons ici la transcription d'une vidéo réalisée par Olivier Besancenot, pour qui Helena raconte quelques souvenirs (https://www.facebook.com/npa2009/videos/487664432691279).

Après le coup d'État, nous n'avions pas de quoi nous défendre. J'ai dû transporter des petites armes de l'hôpital, quelqu'un m'en avait amené. On les appelait les " matagatos » car c'était des petits pistolets, je crois qu'ils ne pouvaient tuer personne, ils étaient dans une boîte et je les ai mis dans un petit sac pour les ramener chez moi. J'ai pris un microbus, où on ne pouvait tenir debout que penchés… et mon sac s'est ouvert laissant tomber tous ces pistolets par terre. Je vois que le chauffeur me regarde, il a ouvert les grands yeux et il a freiné. Je me suis dit, mince, qu'est-ce qu'il va faire. Alors j'ai calmement ramassé tous mes pistolets, je les ai mis dans le sac et je suis descendue. Et là, tout ce que j'avais écouté dans les cours de formation m'est revenu : que lorsque tu essayes de t'échapper il ne faut pas que tu prennes le même bus, que tu ailles dans la même direction, qu'il faut reculer, changer de direction… C'est ce que j'ai fait. Je savais qu'il y avait un coup d'État militaire, mais pas encore ce qui se passait vraiment. Je croisais des camions de militaires et je leur disais des gros mots. J'ai eu de la chance, ils ne m'ont pas arrêtée à ce moment.

J'ai été arrêtée fin septembre. J'étais chez moi et j'ai vu passer devant la fenêtre des casques de militaires. Je regarde derrière la maison - c'était un grand terrain - et il y avait plein de militaires, avec des mitraillettes. Et devant, deux camions, énormes… Ils venaient pour moi. Ils m'ont questionné sur Miguel [Enriquez], sur tous les gens du MIR… Comme je ne savais rien, j'étais bien contente car je ne pouvais rien dire. Ils m'ont interrogée. Très durement. C'était l'interrogatoire. Ils m'ont complètement déshabillée. J'étais dans une pièce où ce n'était que des murs, avec des fenêtres juste là-haut, complètement vide, pas de chaises, rien. Quand tu te retrouves dans une pièce comme ça, à poil, c'est quelque chose… Derrière ces fenêtres, je voyais les yeux des militaires, ils me regardaient. Alors je me suis assise repliée. Et après c'était l'électricité…

Le lendemain, j'étais avec les autres femmes et je vois arriver Norman, que les militaires amènent. Là, ce n'était pas drôle… Norman s'est dit que c'était lui qui était recherché et que s'il se présentait, ils allaient me relâcher. C'était la pire connerie qu'il ait fait dans sa vie ! Là ils l'avaient et n'allaient plus le lâcher.

La nuit ils sont venus nous chercher, ils nous ont dit que nous partions au stade. À nouveau l'interrogatoire, bien sûr. Et ils m'ont interrogée, moi plus que Norman. Ils pensaient qu'une femme, c'est plus facile de la faire parler.

Après, du stade ils m'ont amenée dans des bus avec d'autres femmes dans un endroit, où il n'y avait que des prostitués. Quand elles ont su que je venais du stade, elles m'ont dit " Ah, toi tu es une révolutionnaire, tu connais le judo, le jiu-jitsu, toutes ces choses-là… » Après, on est devenues copines.

Et puis, quelqu'un m'a sortie de là où j'étais avec les prostituées. Je n'ai jamais su qui c'était…

Il fallait que je m'occupe de mon fils Andrés et des enfants de Norman aussi, car il est resté 14 mois au nord, dans le camp de concentration. Et quand il a été choisi pour l'exil, j'ai eu 24 heures pour faire mes papiers.

C'était très dur de voir ça avec Andrés. Il avait 7 ans, mais tout était clair dans sa tête. Lorsque j'ai été sortie de prison, la première fois qu'on mangeait ensemble avec la famille, Andrés sa première question c'était : " Dis-moi la vérité, tu étais cachée ou tu étais en prison ? » Et tout le monde est resté bouche bée…

Lorsque j'ai su que je devais partir, je lui ai dit " Il faut que je parte, je ne veux pas mais il le faut… On part, ensemble… ». Et lui : " Non, parce qu'on ne peut laisser mon oncle et ma tante. Donc tu y vas et puis après tu reviens nous chercher tous les trois ». Pour moi, la seule chose de ma vie que je regrette, c'est d'avoir été séparée d'Andrés. Je crois qu'on ne doit jamais se séparer de son enfant, quoi qu'il arrive… Je pensais que ce serait pour une courte période. Et cela a duré 9 ans. C'est quelque chose que tu ne récupères jamais, c'est la connerie de ma vie. Je crois que cela a eu aussi une influence dans sa vie, malgré le fait qu'il l'a bien vécu, qu'il riait toujours. Mais bon, je pense que c'est ce qu'on ne doit pas faire. C'est mon regret. Voilà.