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La Montagne d'or : un projet colonialiste et dangereux

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Le projet d'exploitation aurifère de la " Montagne d'or » a le mérite de générer un débat fourni entre les tenants et les opposants au projet. Cependant, bien que les argumentaires soient étayés et développés, le débat se cantonne dramatiquement entre des positions écologistes d'une part et des positions de potentiel de développement économique de l'autre. Or, ces deux positions s'affrontent davantage sur les conséquences de l'exploitation (le comment) en ne se référant que trop peu aux questions primordiales d'ordre économique et stratégique qui s'imposent en pays dominé : Pourquoi exploiter l'or ? Par qui ? Et pour qui ?

Un projet colonialiste

La colonisation de l'Amérique par l'Europe au XVe et XVIe siècle a durablement marqué les rapports entre ces deux continents. La période de décolonisation lancée par les États-Unis d'Amérique et la République noire de Haïti a permis à l'ensemble des territoires continentaux, de la pointe de l'Alaska à la Terre de Feu argentine, de se libérer de la gouvernance européenne. À ce jour, sur le territoire continental américain, seule la Guyane est encore gouvernée par un pays européen, en l'occurrence la France. La Guyane en tant que " département français » ne détient aucune souveraineté territoriale ou législative et se retrouve soumise aux instructions et décisions prises à plus de 7 000 km. C'est la dernière colonie continentale américaine.

L'extraction industrielle de minerai sans souveraineté constitue un pillage. L'économie coloniale se définit selon deux grands principes :

• L'exploitation des richesses de la colonie au profit de la métropole : " Coloniser, c'est se mettre en rapport avec des pays neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l'intérêt national… » (A. Mérignhac, Précis de législation et d'économie coloniale, 1882).

• Organiser un monopole du marché de consommation au profit des grandes entreprises métropolitaines : " Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de toutes les industries européennes, la fondation d'une colonie, c'est la création d'un débouché. » (Jules Ferry, Discours devant la Chambre des députés, 29 juillet 1885).

Tout projet d'extraction industrielle dans un contexte colonial correspond donc à une exploitation des richesses de la colonie pour des intérêts externes à celle-ci. Sur ce principe on peut considérer que l'extraction massive d'or de Guyane constitue un pillage colonial de nos ressources.

Des retombées économiques pour le grand capital...

Le projet de la Montagne d'or est mené par un consortium associant Columbus Gold, une entreprise aurifère cotée à la Bourse de Toronto, et Nordgold une " major » aurifère cotée à la Bourse de Londres. Columbus Gold est détenue pour partie par Iam Gold, une autre entreprise aurifère présente au Surinam et bien connue des Guyanais pour son projet sur la Montagne de Kaw. Nordgold est la propriété quasi exclusive du milliardaire russe Alekseï Mordachov dont la fortune est estimée à plus de 20 milliards de dollars.

L'exploitation de la Montagne d'or devrait générer un chiffre d'affaires d'environ 3,5 milliards d'euros sur une dizaine d'années, soit l'équivalent de la totalité des richesses produites en Guyane chaque année. Le montage financier de cette exploitation ne laisse aucune place au doute, les juteux profits liés à l'extraction de l'or guyanais vont alimenter les grandes richesses du monde.

…et des miettes pour la Guyane

La mise en exploitation de la Montagne d'or devrait rapporter, selon le dossier du maître d'ouvrage, 11 millions d'euros à la commune de Saint-Laurent-du-Maroni et 56 millions d'euros à la collectivité territoriale de Guyane en 12 ans. Parallèlement, l'État français percevra 191 millions d'euros d'impôts sur les bénéfices. Ainsi, sur les 3,5 milliards d'euros que va rapporter la vente des 100 tonnes d'or guyanais (1), seuls 67 millions seront reversés à la Guyane, soit 2 % du magot ! Une maximisation des profits grâce à l'argent public et aux dérogations au code du travail…

Une partie de la construction, de l'entretien et de l'aménagement des infrastructures sera supportée par de l'argent public. Ce sera notamment le cas pour la construction d'une centrale électrique devant alimenter la mine. De plus, des exonérations de cotisations sociales et fiscales sont programmées. Au total, sans comptabiliser les exonérations de cotisations sociales, c'est 420 millions d'euros d'argent public (2) qui devraient être offerts à ce projet. Lorsque l'on connaît le sous-investissement chronique de l'argent public en Guyane pour développer, entre autres, les systèmes sanitaires et scolaires, l'attribution de ces 420 millions nous laisse dubitatifs sur les objectifs de développement sociétal voulu par l'État français en Guyane.

L'isolement géographique du site d'extraction pose de vrais problèmes en termes d'organisation du travail. En effet, comment permettre aux travailleurs de maintenir une vie familiale convenable en travaillant à plus de 100 km de leurs foyers. La solution avancée par la Compagnie Montagne d'or (CMO) lors des débats publics laisse entrevoir l'organisation du travail par journée de 12 heures (10 heures et travail et 2 heures de repos), sept jours continus afin d'alterner avec une semaine de repos. De plus, la CMO a d'ores et déjà annoncé que, au vu de l'ampleur du projet, la mine fonctionnera 24h/24, sept jours sur sept et chaque travailleur alternera des périodes de jour et des périodes de nuit (3). Ainsi, les conditions de travail qui sont pour le moment entrevues sont largement dérogatoires (4) au code du travail et laisse craindre de nombreux accidents en lien avec les cadences de travail (5).

Un projet aux impacts mal maîtrisés

La mise en exploitation du site de la Montagne d'or soulève de nombreuses interrogations, particulièrement concernant les divers impacts du projet.

• Impacts écologiques. Le site d'exploitation se situe entre deux réserves naturelles connues pour leur diversité exceptionnelle de faune et de flore. Malgré les garanties avancées par la CMO, nous restons particulièrement sceptiques sur la préservation de ces sites, notamment par la sous-estimation du facteur d'attractivité de la mine qui va obligatoirement entraîner l'installation de nombreux sites d'habitats illégaux à proximité. De plus, l'élargissement de la piste devant mener à la mine entraînera irrémédiablement une destruction du biotope local. Cette destruction sera renforcée par l'installation de nombreux habitats le long de cette piste.

• Impact sur l'aménagement du territoire. Comme nous venons de l'évoquer, une mine employant plus de 700 travailleurs entraîne systématiquement dans son sillage son lot de familles, de " commerçants » venant négocier des biens manufacturés, d'agriculteurs, de chasseurs, de prostitués ou de trafiquants en tout genre. Ainsi, il est probable que ce projet minier s'accompagne de l'installation d'une véritable zone urbanisée sur tout le trajet de la piste et à proximité de la mine. Il faudra alors s'attendre à voir fleurir de nombreux abatis, une surexploitation de la pêche et de la chasse au sein même des réserves naturelles.

De plus, l'orpaillage étant un moyen de subsistance important en zone forestière isolée, il faudra se préparer à voir se développer sur toute la zone une multiplication des sites d'orpaillage illégaux qui seront, pour certains, mécanisés grâce à l'accès facilité par la piste. Par conséquent, loin de réduire l'orpaillage illégal, ce projet qui crée une percée de 120 km dans la forêt va probablement faciliter le développement des activités aurifères illégales.

• Impact énergétique. Pour fonctionner, le site prévoit une consommation électrique de l'ordre de 135 GWh (gigawatt-heure), soit environ 15 % de la production électrique actuelle en Guyane (6). L'Ouest guyanais est pour le moment dépourvu de production électrique, ce qui rend cette zone particulièrement sensible à tout " sabotage » organisé par des iguanes, termites ou tout autre spécimen de la faune guyanaise. Ainsi, l'exploitation de la Montagne d'or nécessitera la création d'importantes unités de production électrique dans l'Ouest guyanais. Quel projet de ce type sera réalisable avant la mise en exploitation ? Ce projet électrique sera-t-il supporté par des fonds publics ou par la CMO ? Quelles seront les priorités du réseau en cas de pic de consommation, comme cela se produit régulièrement en saison sèche ? Va-t-on prioriser l'exploitation minière au détriment de la population de l'Ouest ? Autant de questions auxquelles il est important que la Compagnie Montagne d'or réponde.

• Impact sanitaire. L'exploitation minière nécessitera l'utilisation de nombreuses substances toxiques et/ou dangereuses. Ainsi, plusieurs tonnes d'explosif devraient être stockées puis utilisées. Tout incident lié à une mauvaise manipulation ou à des erreurs de stockage pourrait entraîner une catastrophe sur le site. De plus, l'utilisation massive de cyanure va entraîner des risques accrus de contamination de l'environnement, surtout en cas de rupture des digues, comme cela s'est déjà produit sur d'autres mines. Dans ce cas, la catastrophe sanitaire serait énorme et de nombreuses vies seraient menacées. En outre, le cyanure de sodium qui sera utilisé dans cette mine produit au contact de l'eau un gaz très inflammable et très toxique appelé acide cyanhydrique. C'est cette réaction qui avait fait exploser une usine de production de cyanure de sodium destinée à l'exploitation aurifère en Chine en 2015 et qui avait tué plus d'une centaine de personnes et contaminé durablement l'environnement.

• Impact patrimonial. Selon une étude de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (7), plus d'une trentaine de sites archéologiques seront impactés ou détruits par le projet minier. Une part importante de ces sites sont les témoins encore inexplorés de l'histoire du peuple premier de Guyane. C'est donc une part de notre histoire qui sera à jamais détruite par ce projet aurifère.

• Impact géologique. Le site d'exploitation se situe au pied du massif Dékou-Dékou. Ce massif a une composition géologique assez proche de celle du mont Cabassou qui s'est effondré en 2000 (8). Quel impact aura l'activité aurifère sur ce massif ? Quel est le risque de glissement de terrain ? Quelle surveillance de ce massif sera mise en place ? En cas de glissement de terrain, quel sera le risque de rupture des digues de rétention des eaux cyanurées en contrebas ? La CMO devra apporter des réponses à toutes ces questions.

L'or de Guyane : une réserve stratégique pour le peuple guyanais

L'or est un métal avec peu de débouchés industriels qui sert de refuge à la grande bourgeoisie capitaliste. Sur les 4 212 tonnes d'or produites en 2015 (or extrait plus or recyclé), 57 % sont allées pour la joaillerie, 21 % pour l'investissement (lingots...), 14 % pour les banques centrales (trésors nationaux) et 8 % pour l'industrie (électronique...) (9). On constate donc que contrairement aux autres métaux, seule une faible part de l'or produit a un débouché industriel. La création d'emplois liés à la transformation de ce métal est donc très limitée. Par contre, plus de 20 % de l'or produit est transformé en lingots servant ainsi aux investisseurs privés à sécuriser leur fortune, l'or représentant une valeur refuge en temps de crise économique.

L'or contient une dimension stratégique et c'est à ce titre qu'il est acheté par les banques centrales. Les cinq plus grandes réserves d'or au monde concernent la Banque centrale des États-Unis (> 8 000 tonnes), celle d'Allemagne (3 500 tonnes), le FMI (2 800 tonnes), l'Italie (2 400 tonnes) et la France (2 300 tonnes). On constate donc que les banques centrales qui détiennent les plus grandes réserves d'or sont celles qui résistent le mieux aux crises économiques. La détention d'or par les banques centrales limite les phénomènes d'inflation/déflation monétaire et limite l'impact des crises financières et monétaires. Est-ce à ce titre que Nordgold multiplie les grands projets miniers, afin de revendre un maximum de lingots à son client privilégié, la Banque centrale russe (10) ?

L'or de Guyane doit servir les intérêts du peuple guyanais ! Comme nous venons de le voir, l'utilisation de l'or pour alimenter les banques centrales peut être stratégiquement intéressante. Une Guyane souveraine n'aura-t-elle pas besoin de cet or pour constituer son trésor national et sécuriser son économie ? N'est-ce pas ainsi que ce métal précieux peut vraiment être utile pour l'intérêt général du peuple guyanais ? Dans une perspective d'indépendance politique et financière, les ressources aurifères guyanaises pourront s'avérer précieuses, ce sera alors au peuple guyanais souverain de décider ou non de son exploitation.

Pour l'UTG, les questions relatives à la préservation de l'environnement guyanais sont importantes. Cependant, avec ce Cahier d'acteur, l'Union des travailleurs guyanais a tenu à rappeler les questions fondamentales d'ordre économique et stratégique qui nous opposent au projet Montagne d'or. L'UTG s'est de tout temps battue pour l'intérêt général du peuple guyanais dans toutes ses composantes et continuera de se battre pour voir un jour Lagwiyann s'émanciper et devenir enfin souveraine.

* L'Union des travailleurs guyanais (UTG) est la principale confédération syndicale en Guyane. À l'origine une union départementale de la CGT française, elle a proclamé son indépendance en 1967, lors du 36e congrès de la CGT, puis a établi des rapports de partenariat avec la centrale française. En 1971, lors du 3e congrès de l'UTG, le mot d'ordre de l'indépendance de la Guyane est inscrit dans les statuts de la centrale. En 2017, l'UTG a lancé l'appel à la grève générale. Le texte que nous reproduisons ici a été publié par le Cahier d'acteur n°15 de juillet 2018 de la Commission particulière du Débat public sur le projet Montagne d'or.

1. Les ressources identifiées sont de 110,5 tonnes d'or et 28,5 tonnes d'or supplémentaires suspectées. Les 85 tonnes seront donc largement dépassées : http://www.columbusgoldcorp.com.update.editmec.com/i/pdf/techrep-2017-0… (p. 22)

2. https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2017-09/1709_rapport_montage…

3. https://montagnedor.debatpublic.fr/images/Rencontres-publiques/Atelier-… (pp. 26-27)

4. L'avenant n° 3 de la convention collective des mines de Guyane prévoit plusieurs dérogations au code du travail, notamment les articles L. 3122-6 et L. 3122-7, qui fixent la durée maximale quotidienne et hebdomadaire du travail de nuit.

5. Selon le projet de la CMO, les mineurs travailleront 70 heures consécutives sur une amplitude horaire de 84 heures sans jour de repos inclus.

6. La production électrique actuelle est de 910 GWh selon le dossier du maître d'ouvrage (p. 36).

7. Compagnie Montagne d'or, avril 2017, Étude archéologique préalable : https://www.extranet.debat-cndp.fr/index.php/s/fvGrkNB9hINj2Kx#pdfviewer

8. Le massif Dékou-Dékou est recouvert d'une couche saprolitique (une roche meuble) de plusieurs mètres d'épaisseur, qui est instable. Plusieurs traces de glissement de terrain récents sont présentes en regard de la mine. Cf. : CMO, État initial du milieu physique du projet Montagne d'or, pp. 11, 15, 31, 37 et 40, ainsi que Étude de cadrage environnemental du projet aurifère Montagne d'or (Version finale - mai 2015, pp. 49-51) : " L'excavation d'une éventuelle fosse conduira à la mise en déséquilibre des volumes actuellement en mouvement, avec risque de glissements en masse et régression vers l'amont, ces régressions se trouvant de nature à accroître les volumes susceptibles de glisser vers la fosse ».

9. Pierre Croharé, État de production et de la demande d'or en 2016, http://www.auplata.fr/pdf/production_or_monde_2016.pdf.

10. " L'achat de l'or monétaire est une mesure de soutien à l'industrie nationale d'extraction d'or, qui produit environ 300 tonnes par an, dont près des deux tiers se retrouvent dans les dépôts de la Banque centrale russe. » (https://fr.sputniknews.com/russie/201802281035325166-russie-augmentatio…).

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