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Le chant du cygne du chavisme ?

par
Nicol?ís Maduro, successeur de Ch?ívez à la présidence, a perdu le contrôle du pouvoir législatif. © Cumbre Panam?í

Le 6 décembre 1998, Hugo Chávez remportait l'élection présidentielle du Venezuela à une majorité écrasante (56,2 %). Le pays enterrait le bipartisme (1) et mettait un terme au cycle de cauchemardesque et sans fin des crises et de leurs "ajustements structurels".
17 ans plus tard, Nicolás Maduro, successeur de Chávez à la présidence, a perdu le contrôle du pouvoir législatif qui passe aux mains de l'opposition. Il est possible que nous nous trouvions devant une nouvelle fin de cycle, s'agit-il du chant du cygne du chavisme ?

En premier lieu, souvenons-nous que ce sont là des élections législatives et non de la présidentielle, et que, par conséquent, l'exécutif continue de gouverner jusqu'en 2019.

La victoire sans précédent de l'opposition, avec plus de 100 députés (2), lui offre ce que l'on appelle une " majorité qualifiée » qui lui permettra, entre autres, d'approuver ou de rejeter toute loi, de soumettre à un vote de censure le vice-président et des ministres ainsi que de réaliser des réformes constitutionnelles, parmi d'autres attributions législatives.

Synthèse et articles Inprecor

Ensuite, en raison de la force dont l'opposition a fait la démonstration, la possibilité de convoquer un référendum révocatoire du président de la République (Nicolás Maduro) existe. Pour cela, ils devront toutefois recueillir les signatures de 20 % des électeurs inscrits et dépasser, lors du référendum, les résultats atteints par Nicolás Maduro en 2013.

L'opposition ne détient pas encore le gouvernement, mais cette victoire laisse l'actuel gouvernement très affaibli dans un contexte de crise économique, politique et sociale forte.

La grande question qui se pose est celle-ci : pourquoi cette fois-ci, après tant de victoires, le " chavisme » a-t-il perdu ? Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de se demander ce qu'a été et ce qu'est le chavisme.

À son origine, le chavisme reposait sur deux grands piliers :

1. Une réaction face aux recettes néolibérales et à la crise de légitimité du bipartisme qui n'apportait pas de solution au problème des fortes inégalités sociales au sein d'une société vénézuélienne profondément fracturée.

2. Un projet politique qui, dès l'entrée de Chávez sur la scène politique en 1992 (3), visait à surmonter la dépendance pétrolière et l'épouvantable répartition de ses revenus.

Que s'est-il passé au cours de ces 17 années ? Voici quelques clés utiles pour une première analyse du jour après la défaite.

Première clé : l'affrontement avec les États-Unis

Poser comme principe la répartition et le contrôle de la rente pétrolière a constitué pour le Venezuela une déclaration de guerre contre les États-Unis qui considèrent toute réserve énergétique du monde (et plus encore celles de l'hémisphère occidental) comme une question relevant de la sécurité nationale. Cet affrontement s'est traduit par un chapelet d'interventions : médiatiques, économiques, politiques - directes et indirectes - du géant du Nord contre le Venezuela, y compris par le coup d'État infructueux d'avril 2002. Dix-sept ans plus tard, bien que le Venezuela ait diversifié ses acheteurs, il continue de dépendre de Washington (4).

Deuxième clé : la dépendance vis-à-vis du pétrole

Le chavisme n'a pas été en mesure de réduire sa dépendance rentière vis-à-vis du pétrole au cours de ces 17 ans (5). Il n'est pas parvenu à créer un tissu industriel, ni à relancer la production agricole, ni même à établir une économie de services moyennement compétitive. Bien qu'il soit arrivé à conserver un pourcentage bien plus élevé de la rente pétrolière dans le pays - suffisamment pour irriter différentes transnationales - il n'est pas parvenu à surpasser la dépendance pétrolière et il subit les conséquences d'une économie rentière.

Tant que les prix du pétrole sont restés élevés, le chavisme a maintenu une répartition de la rente avec une forte dimension sociale, basée sur des programmes sociaux qui ont amélioré de manière effective les conditions des secteurs les plus défavorisés. Il a réduit spectaculairement les niveaux alarmants de pauvreté et fourni un accès gratuit aux soins et à l'éducation pour tous les secteurs sociaux.

Au cours des dernières années, cependant, les États-Unis - qui restent dépendants des énergies fossiles - ont misé sur la fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste, et les pays producteurs de brut (Arabie saoudite, entre autres) n'ont pas souhaité diminuer leur production, ce qui a provoqué une chute forte des prix pétroliers (6) avec un effet dramatique pour l'économie vénézuélienne ainsi que pour la " durabilité » de son modèle social. C'est alors que le manque de produits de première nécessité, l'inefficacité, le clientélisme, la corruption et une politique sociale déstructurée et désorganisée ont commencé à éroder les succès du chavisme.

Troisième clé : échec face aux problèmes endémiques

Si l'on demande dans la rue quelle a été la raison de la défaite du chavisme lors de ces élections, la réponse est claire : le manque de produits, la hausse des prix (7), pénurie et insécurité. Cependant, ces problèmes, qui ont provoqué un mal-être croissant au sein de la population, mûrissent depuis des années. Ils sont le produit d'inerties structurelles que le chavisme a cru pouvoir conjurer uniquement en les évoquant, mais en étant incapable de les surmonter. Le gouvernement s'est défendu en affirmant qu'ils sont le produit de facteurs qui font obstacle au " processus bolivarien » mais cet argument, à cette occasion, n'a pas été suffisant pour convaincre la majorité.

Quatrième clé : manque d'institutionnalité

Le chavisme a été incapable de créer une institutionnalisation qui permette d'ancrer les conquêtes sociales et la conception d'un nouveau modèle d'État qui maintienne de manière soutenable et efficace un système politique et économique orienté vers l'égalité et la justice sociale.

Cinquième clé : radicalisation de l'opposition

L'opposition n'est pas seulement hétérogène, elle est également profondément divisée. La violence dans les rues promue, début 2014, par Leopoldo López et María Corina Machado, a affaibli le leadership d'Henrique Capriles Radonski qui cherchait un rapprochement avec le chavisme et tentait d'aboutir à des accords minimums sur des thèmes clés comme celui de l'insécurité. Cette division de l'opposition a permis qu'au cours de ces 17 ans, les secteurs radicaux de l'extrême droite prennent l'initiative politique empêchant la conclusion d'un accord d'État entre le gouvernement et l'opposition et générant un climat d'ingouvernabilité permanent qui a entravé le développement des politiques du gouvernement.

Sixième clé : hétérogénéité du chavisme

Le chavisme lui aussi n'est pas homogène. Le mal-être social endémique qui fut à l'origine du chavisme a aggloméré en un même processus différentes sensibilités politiques, différents secteurs sociaux, diverses visions du pays, des civils et des militaires. Cette hétérogénéité idéologique du chavisme - qui était une force en tant que bloc unitaire opposé aux assauts de la droite - a toutefois empêché la réalisation de politiques claires et cohérentes. Le chavisme est devenu plus un sentiment politique d'unité de secteurs politiques et sociaux hétérogènes face à une classe dominante qu'une doctrine politique clairement définie.

Cette défaite est un appel à la prise de conscience, non seulement du chavisme mais aussi de la gauche en général, lorsqu'elle doit passer des intentions, du discours en faveur de l'égalité et de la dénonciation des injustices sociales, à gouverner grâce à des politiques viables qui offrent des solutions aux besoins concrets de la population.

Conclusion

Les résultats des élections d'hier peuvent être trompeurs. En 1972, dans un petit livre intitulé Le Venezuela contemporain, un pays colonial ?, l'historien Federico Brito Figueroa soutenait que son pays, dans une large mesure en raison de la production/dépendance pétrolière, était un exemple parfait du colonialisme après la décolonisation. Il est vrai que jusqu'à certain point Chávez a mis un terme à la tutelle étrangère, mais non à la dépendance pétrolière et à ses conséquences sociopolitiques néfastes. L'opposition y parviendra-t-elle ?

Bien que cela puisse sembler banal, ce qui est certain c'est que face à la forte polarisation que vit et dont souffre la société vénézuélienne, l'opposition doit assumer sa victoire de manière responsable devant le défi, une chose dont elle n'a pas fait preuve jusqu'ici. Sa victoire est due davantage à l'échec du gouvernement à faire face aux problèmes qui frappent le pays qu'à ses mérites propres comme option politique qui enthousiasme la majorité.

Le vote en faveur de l'opposition, comme son nom l'indique, est un vote d'opposition plus qu'un vote de construction. On ne doit pas oublier que les politiques de ladite Quatrième République (8) avec ses vieux dirigeants qui restent actifs, ne sont pas non plus parvenues à résoudre les problèmes endémiques : dépendance vis-à-vis de la rente pétrolière, répartition des richesses, inégalités, marginalité ou encore insécurité.

Entre-temps, le chavisme, qui n'est pas uniquement ce gouvernement, a laissé une profonde trace en termes de conscience politique dans le peuple vénézuélien, et marque un avant et un après dans l'histoire de ce pays ainsi qu'une capacité et une force suffisante pour se renouveler et générer de nouveaux acteurs et mouvements politiques sur la scène politique vénézuélienne et latino-américaine. Que personne ne le donne, dès lors, pour vaincu. ■

* Juan Agulló, enseignant à Universidad Iberoamericana de México, est un sociologue et journaliste, spécialisé sur l'Amérique latine. Il a publié, entre autres, Movilización social y cambio político en la Venezuela contemporánea (2004) et Venezuela en un punto de inflexión (2008). Rafel Rico Ríos, ingénieur en télécommunications et économiste, membre de la Coordinadora Bolivariana dans l'État espagnol et de la rédaction de la revue digitale Rebelión. Cet article a été publié le 7 décembre 2015 sur le site Rebelion.org (http://www.rebelion.org), traduit en français et publié par A l'Encontre (http://alencontre.org)

notes
1. Un bipartisme qui, au Venezuela, prenait la forme, d'un côté, de la COPEI - Comité de Organizaci¾n Política Electoral Independiente et, de l'autre, l'AD (Acci¾n Democrática, social-démocrate). Or, en 1998, ces formations avaient une liste commune, avec d'autres forces, autour de Henrique Salas Römer sous le nom de Proyecto Venezuela. Elle avait obtenu 39,97 % des suffrages, soit 2 613 161 suffrages. Aujourd'hui, ces formations font partie de la Mesa de la Unidad Democrática (MUD). En décembre 1998, Hugo Chávez, à la tête du MVR (Mouvement de la Cinquième République) a obtenu 3 673 685 des suffrages (avec un taux de participation de 63,45 % des inscrits), soit 56,20 %. Lors de l'élection présidentielle d'avril 2013, Nicolás Maduro (PSUV) a été élu avec 7 587 579 suffrages (50,61 %) et le candidat de l'opposition de droite, Henrique Capriles Radonski, avait obtenu 7 363 980 voix (49,12 %).

2. Les résultats définitifs fournis par le Conseil national électoral : Taux de participation 74,25 % ; MUD 7 707 422 suffrages (56,5 %) et 112 députés (dont 81 élus dans les circonscriptions, 28 sur la liste nationale et 3 pour la représentation indigène) ; PSUV 5 599 025 suffrages (41,0 %) et 55 députés (32 élus dans des circonscriptions et 23 par la liste nationale). Le régime étant présidentiel, c'est le président Nicolás Maduro qui nomme le gouvernement et exerce le pouvoir exécutif. La Constitution vénézuélienne prévoit cependant que c'est le Parlement qui adopte les lois régulières, accepte le budget et peut proposer des référendums à majorité simple (50 %). À une majorité de trois cinquièmes (101 député-e-s) il peut de plus révoquer le vice-président et/ou des ministres (les individus ainsi récusés ne pouvant plus assumer de fonctions exécutives par la suite). Enfin à une majorité de deux tiers (112 député-e-s), l'Assemblée nationale peut modifier les lois organiques (qui encadrent les lois régulières), proposer des amendements constitutionnels pour référendum, convoquer une Assemblée constituante et révoquer les juges de la Cour suprême (Tribunal Supremo de Justicia) et nommer les membres du Conseil national électoral. En disposant de la majorité de deux tiers au Parlement, le MUD a ainsi les moyens d'entraver l'exécutif et de commencer le démontage des avancées législatives et constitutionnelles du chavisme.

3. Le 4 février 1992, le Mouvement révolutionnaire bolivarien - 200 (MBR-200 ; en 1997 il se dissout dans le Mouvement Cinquième République, MVR), dirigé par Hugo Chávez, tente un coup d'État contre le président Carlos Andrés Pérez (AD) accusé de mener une politique contraire aux engagements électoraux et d'avoir engagé l'armée dans une vague de répressions sanglantes qui indignent Chavez qui prétexta un arrêt maladie pour ne pas y participer. Cette tentative échoue et Chávez est emprisonné pendant deux ans. Lors de son séjour carcéral, il enregistre une vidéocassette dans laquelle il appelle à l'insurrection. Elle est diffusée vers 4 heures du matin dans la nuit du 26 au 27 novembre 1992, lors d'un deuxième coup d'État préparé par le MBR-200, qui avorte également. En 1994, Rafael Caldera (COPEI), élu pour la deuxième fois président du Venezuela, réalise une de ses promesses électorales et ordonne la libération de Chávez.

4. Les importations étatsuniennes de pétrole en provenance du Venezuela sont passées d'environ 1500 barils par jour en 2005 à un peu moins de 800 en 2014.

5. La dépendance rentière du pétrole a, au contraire, augmenté : les produits pétroliers représentaient 68,78 % des exportations en 1998 et 96,13 % en 2012 (voir Washington Post, 3 septembre 2014.

6. Le prix du pétrole est passé de 150 dollars le baril en 2008 à moins de 50 dollars actuellement.

7. En octobre, Maduro a annoncé une inflation autour de 80 % pour fin 2015, d'autres estimations indiquent 210 %…

8. La Quatrième République a été remplacée par la Cinquième par l'adoption de la nouvelle Constitution bolivarienne du Venezuela, élaborée par l'Assemblée constituante au cours de l'année 1999 et adoptée par 71,78 % des suffrages exprimées lors du référendum du 15 décembre 1999.

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