Le Bloc de gauche a obtenu, aux élections législatives du 4 octobre, 10, 22 % des suffrages (549 000 voix) et 19 députés.
Bien que cela puisse paraître surprenant ailleurs, le gouvernement ultralibéral de centre-droite, qui est allé " plus loin que ce qu'exigeait la troïka », a remporté une relative majorité à l'issue des élections du 4 octobre. Avec 38,5 % des suffrages exprimés et 2 067 722 voix, la coalition gouvernementale sortante (le Parti social-démocrate, PSD, et le Parti du centre démocrate et social - Parti populaire, CDS-PP) est arrivée en tête. Le Parti socialiste (PSP) a remporté la deuxième place, avec 32,4 % des suffrages exprimés et 1 740 300 voix. La plus grande surprise a été la forte hausse du score du Bloc de gauche (BE), qui a obtenu 10,2 % des suffrages, soit 549 153 voix. Il est suivi par la Coalition démocratique unitaire, dirigée par le Parti communiste (PCP), avec 8,3 % des suffrages, soit 444 319 voix. En comparaison avec les élections précédentes de juin 2011, les partis de droite perdent 745 337 votes, le Parti socialiste gagne 173 953 votes, le Bloc de gauche gagne 260 230 votes (un accroissement de 90,06 %) et le Parti communiste gagne 3 172 votes.
Synthèse et articles Inprecor
Le PS, qui a dirigé le pays avec le PSD et le CDS au cours des quarante dernières années, a subi un choc, même si les sondages prévoyaient son résultat au cours des semaines précédentes. Il n'a pas été perçu par les électeurs comme une alternative à la politique d'austérité de la droite et a conduit une campagne électorale désastreuse après que son dirigeant le plus connu, le précédent Premier ministre José Sócrates, a été arrêté pour corruption. Maintenant il doit faire face au dilemme : tourner à droite et soutenir le gouvernement de Pedro Passos Coelho, ou tourner à gauche et ouvrir un tout nouveau scénario, encore jamais vu dans la vie politique portugaise, un gouvernement du PS soutenu au Parlement par les partis de gauche, le Bloc de gauche et le PCP, qui rassemblent à eux deux près d'un million de voix, soit 18,5 % des suffrages exprimés.
Le président de la République et ancien Premier ministre (1985-1995), Aníbal Cavaco Silva, avait déclaré avant les élections - outrepassant ainsi largement son mandat - qu'il n'investirait pas une majorité relative et un gouvernement instable. Une fois de plus, il semble avoir menti. Deux jours après les élections il a demandé à Passos Coelho, chef de la coalition arrivée en tête, de former un gouvernement stable qui ne pourra pas comporter les partis qui n'assument pas " les traités et accords internationaux historiques » ou les " grandes options stratégiques » adoptées au cours des quarante dernières années, c'est-à-dire ceux qui s'opposent à l'OTAN, à l'Union européenne, à l'euro, au Traité budgétaire de l'Union européenne, et au futur Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP). Autrement dit, il prétend exclure le Bloc de gauche et le PCP de toute solution gouvernementale. Néanmoins, c'est à sa gauche que le dirigeant du PS, António Costa, s'est adressé en premier.
Au lendemain des " règles » concernant la participation au gouvernement formulées par le président de la République, la réunion du PS et du PCP a été un nouveau choc : les communistes ont dit qu'ils allaient soutenir le gouvernement du PS et pourraient même éventuellement en faire partie. En étant une deuxième fois dépassés par le Bloc de gauche au niveau électoral, le PCP a clairement ressenti la pression et a décidé d'un tournant historique en annonçant qu'il pourrait participer à une coalition plus large.
En ce qui concerne le Bloc de gauche, sa porte-parole Catarina Martins a clairement formulé au cours de la campagne électorale les conditions de la négociation d'un éventuel accord à gauche du gouvernement sortant, disant que le PS doit retirer de son programme trois de ses propositions, autrement dit que le Bloc de gauche n'acceptera pas le gel des retraites actuelles, refusera une réforme sociale impliquant la réduction des futures retraites et s'opposera à toute tentative de flexibilisation des lois du travail. Prenant la parole au cours de la soirée électorale, Catarina Martins a été très claire : " Le Bloc de gauche fera tout pour empêcher la coalition de droite de former un gouvernement. Nous attendons maintenant la réponse des autres partis ». Parlant ensuite, le PCP a soutenu cette idée. La balle était donc dans les mains du PS.
À la suite du soutien du PCP, les socialistes ont commencé à dire qu'il y avait de bonnes chances pour former un gouvernement de gauche. Cela a provoqué la terreur et la frénésie de la coalition de droite et de tous les experts. Les médias traditionnels et leurs éditorialistes parlaient d'un coup antidémocratique, agitaient la peur du rouge et du retour à la période de la Révolution portugaise, montrant que la simple perspective d'une discontinuité de l'extrême austérité provoquait leur hostilité généralisée. Du côté de l'Union européenne, Wolfgang Schõuble s'est précipité pour applaudir la maigre victoire de la coalition de droite et a proclamé que " les Portugais » sont favorables à encore plus d'austérité, et l'ancien président de la Commission européenne, José Manuel Durão Barroso, a annoncé qu'un gouvernement soutenu par les partis d'extrême gauche ferait face à de vives réactions des marchés.
À la suite d'une réunion sans résultats avec la coalition PSD/CDS-PP, le dirigeant socialiste António Costa est venu dans les locaux du Bloc de gauche pour rencontrer Catarina Martins. Cette rencontre indiquait de possibles ouvertures. La porte-parole du Bloc de gauche a déclaré que " le gouvernement de Passos (PSD) et Portas (CDS) est fini ». Le lendemain, la baisse des cours de la Bourse a été présentée comme résultant de cette rencontre.
La seconde réunion du PS avec la coalition PSD/CDS-PP a également mal tourné, les partis de droite offrant leur soutien à 20 des mesures du programme électoral des socialistes, alors que le PS voulait au moins les 20 autres mesures, même si la droite avait annoncé qu'elle était prête à " négocier sur tout ». En ce moment, le PS penche apparemment vers une solution de gauche, mais il est également traversé par des turbulences, car sa direction est divisée entre ceux qui acceptent et ceux qui refusent une telle issue. António Costa a maintenant promis de soumettre à un référendum au sein du parti la proposition d'un gouvernement de gauche.
Les partis de droite, sentant qu'ils perdent pied, font pression sur le président de la République pour qu'il oppose son veto à un éventuel gouvernement de gauche. À l'issue de sa seconde rencontre avec le PS, Passos Coelho a annoncé qu'il n'y aura pas d'autres rencontres.
La possibilité d'un gouvernement du Parti socialiste soutenu au Parlement par le Bloc de gauche et le Parti communiste apparaît maintenant crédible. Le diable, bien sûr, est dans les détails. Il est clair que le PS refuse toute orientation anticapitaliste, qu'il n'acceptera aucun défi au régime d'austérité de l'Union européenne et qu'il aura les plus grandes difficultés pour mettre en œuvre les mesures découlant d'un éventuel accord avec le Bloc de gauche et le PCP. Les partis de gauche luttent pour garantir à court terme un arrêt de l'austérité et obtenir une certaine amélioration des revenus du travail, ainsi que pour empêcher le retour au pouvoir de la coalition voulant aller " plus loin que ce qu'exigeait la troïka ». Ils exploitent également toutes les possibilités pour forcer le PS à faire le choix entre le PASOK grec et le Labour Party britannique, le poussant vers la gauche et montrant qu'un grand nombre de membres et de dirigeants socialistes sont en réalité des représentants de la droite.
Le président de la République peut opposer son veto à un gouvernement de gauche et s'accrocher à nommer Passos Coelho au poste de Premier ministre contre la majorité parlementaire (l'ensemble des députés du PS, du BE et du PCP représentent 53 % du Parlement), forçant ainsi le PS à faire échouer le budget en votant contre aux côtés du Bloc de gauche et du PCP, ce qui provoquerait la chute du gouvernement. En janvier 2016 aura lieu l'élection présidentielle et l'actuel président de la République ne peut pas dissoudre le Parlement et convoquer une nouvelle élection. De plus, le nouveau président ne sera pas en mesure de dissoudre le Parlement et de provoquer de nouvelles élections au cours des premiers six mois de son mandat. Ainsi, le Parlement actuel durera au moins 9 mois. Le président Cavaco Silva peut également demander au gouvernement sortant de continuer, mais alors il devra gérer les affaires courantes, ne pourra pas faire adopter le budget, autrement dit il sera incapable de prendre de nouvelles mesures.
Les jours à venir vont donc être agités. Le Parti socialiste est divisé et la pression monte pour trouver une solution gouvernementale viable. Le PS a déjà déclaré que, s'il n'est pas capable de parvenir à un accord avec la gauche, il ne s'opposera pas à ce que la droite forme le gouvernement. S'il choisit de ne pas tourner vers la gauche - s'il refuse d'accepter un programme minimum pour arrêter l'austérité et rendre au peuple au moins partiellement ce qui lui a été volé ces dernières années - il sera absorbé par le PSD, laissant ainsi un large espace pour la croissance des partis de gauche, en particulier du Bloc de gauche. S'il se déplace vers la gauche, un ensemble totalement nouveau de possibilités verra le jour. Nous sommes certains qu'ils sont conscients du carrefour où ils se trouvent. Peut-être un peu de désarroi au sein de l'Union européenne, avec Angela Merkel et François Hollande plaidant devant le Parlement européen pour l'avenir de l'UE face à toutes ses crises, a enhardi certains dirigeants des partis socialistes pour faire un pas hors de l'austérité. La bourgeoisie portugaise a tout fait pour indiquer qu'elle veut un gouvernement PSD-PS. Maintenant que ce centre politique a éclaté, la gauche doit pousser et faire en sorte que l'espace du centre ne soit que celui des sables mouvants. Dans ce cas, si le PS choisit la neutralité, il finira neutralisé.■
* João Camargo, ingénieur environnemental, conseiller municipal du Bloc de gauche à Amadora (banlieue pauvre de Lisbonne), militant du collectif " Précaires inflexibles », est membre de la IVe Internationale.