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Élections locales : la crise de représentation des classes populaires

par Patrick Le Moal
Paris, le 9 avril 2014 manifestation intersyndicale contre la politique d'austérité, la loi Macron. Photothèque Rouge/JMB
4 avril 2015

Les institutions de la Ve République de 1958 - avec le diptyque : régime présidentiel et bipartisme - ont toujours l'apparence de la stabilité, permettant à la bourgeoisie de diriger le pays en toute tranquillité. Mais ce n'est qu'une apparence. Si un parti représentant moins de 25 % de l'électorat, c'est-à-dire entre 10 % et 15 % de la population, peut gouverner seul, il est de plus en plus clair que s'accumulent à chaque échéance sociale et politique les ingrédients d'une crise politique et/ou institutionnelle majeure.

Dans ce système, les élections locales, comme les départementales qui viennent de se dérouler, ne sont qu'un indicateur des évolutions politiques. Le changement du personnel politique local n'a qu'une influence minime sur le cours de la vie politique et sociale nationale.

Le gouvernement s'est d'ailleurs empressé de déclarer, dès que les résultats furent estimés, que rien n'allait changer, que la politique d'austérité et d'offensive antisociale du président Hollande et du Premier ministre Valls (1) allait continuer.

Pourtant, en profondeur, la crise politique se poursuit. L'accalmie " unité nationale », suite aux assassinats de janvier, n'a été que de courte durée. Les effets fondamentaux de la crise systémique du capitalisme ont repris le dessus et les institutions sont un obstacle à toute politique d'unité nationale UMP-PS, qui correspondrait effectivement à la politique de ces deux blocs. Valls et Hollande ne disposent plus de majorité parlementaire stable, quelques députés PS - les " frondeurs » - s'essayant à marquer leur différence. Et le passage en force avec une procédure expéditive - l'article 49-3 (2) - pour faire taire les désaccords dans sa propre majorité n'est possible qu'une fois par session parlementaire.

La déroute électorale du PS

Le gouvernement s'est livré à un tour de passe-passe médiatique de grande envergure. Les résultats sont moins mauvais que les sondages ne le prévoyaient, " ce n'est pas si pire »... quelle victoire !

Alors que le PS avait remporté ces élections haut la main en 2011, avec ses 21,8 % il n'arrive qu'en troisième position derrière l'alliance de la droite parlementaire autour de Sarkozy (29,4 %), et le Front national (25,2 %). Il perd un tiers des départements, laissant à la droite 69 départements sur 101 !

Ce résultat provient pour une bonne part de l'abstention qui touche principalement les quartiers populaires. Elle est en moyenne au premier tour de 50 % au niveau national, mais monte à 70 % dans certaines villes ouvrières, populaires. Par exemple pour la banlieue parisienne, 71,2 % à Aubervilliers, 68 % à Bobigny, entre 67 % et 69 % à Saint Denis.

Sans oublier le nombre des non-inscrits sur les listes électorales (3), qui s'élèverait, selon une étude de 2012, à près de 3 millions, soit 7 % du corps électoral. Il augmente depuis les années 1960 et touche particulièrement les " personnes sans diplôme », dont 15 % ne sont pas inscrites. S'ajoutent en outre évidemment les résidents étrangers, qui n'ont toujours pas le droit de vote.

Au second tour, là où il était encore en lice (4) dans les duels PS-FN, le PS a joué sur le " tous face au Front national ». Globalement ça a marché, le candidat de la gauche parlementaire a obtenu plus de voix que la somme des voix sur les candidats de gauche au premier tour, soit par une mobilisation d'électeurs abstentionnistes du premier tour, soit par le report de voix de droite parlementaire contre le FN.

Quelques postes ont ainsi été sauvés, mais cela ne doit pas masquer les résultats lorsqu'au second tour le PS était opposé au candidat de droite. Dans ce dernier cas, il n'y a pas report sur le candidat PS de la totalité des voix qui se sont portées sur des candidats de gauche au premier tour.

La signification politique de ces résultats est claire. L'abstention montre le désaveu de la politique gouvernementale, des partis qui y sont impliqués, et le fait que ses représentants sont aujourd'hui largement minoritaires au plan électoral dans le pays. Si nombre d'électeurs et d'électrices sont prêts à voter PS, voire même UMP, pour empêcher l'élection d'un-e candidat-e du Front national, ils et elles ne choisissent pas entre le PS et l'UMP !

FN : groupuscule devenu parti électoral

Car ces élections sont une victoire pour le Front national qui a fait campagne contre " l'UMPS » (5). Traditionnellement, elles favorisent les partis établis et les grandes coalitions, comme celle réalisée à droite autour de l'UMP de Nicolas Sarkozy. Malgré cela le FN est présent dans 760 duels au second tour et obtient 62 élus, du jamais vu ! Même s'il n'a pas réussi à être majoritaire dans un département, contrairement à ce qu'il espérait, ces résultats marquent une nouvelle progression.

Car le plus important est qu'il a obtenu 25 % des votants, avec nombre de zones où il obtient plus de 40 %, voire même plus de 50 % parfois. Cela représente 5,1 millions d'électeurs, moins qu'à la présidentielle de 2012, où il avait obtenu 6,4 millions de voix avec 18 % (ce sont les élections où l'abstention est la moins forte), mais c'est de loin le résultat le plus important dans une élection locale.

Empêché par le système électoral d'avoir une représentation parlementaire en relation avec sa force électorale (6), le FN accumule les élus ailleurs, au Parlement européen (23 députés sur 74), dans les municipalités (1 546 élus sur 587 335 ; dont 22 maires sur 36 635), les régions (112 conseillers régionaux sur 2 040) et maintenant les départements. En tout plus de 1 700 élus, quasiment toutes et tous entièrement dévoués à la stratégie de Marine Le Pen. Ce qui est évidemment un point d'appui pour construire un parti, tant au plan militant, humain, que financier.

Dans les années 1990, à partir de l'analyse que le marxisme est en train de mourir et qu'il n'y aura plus d'alternative à gauche, le FN change d'orientation. Persuadé qu'il peut devenir l'expression de la colère sociale, il prend une orientation nationale-sociale, défend les acquis sociaux " pour les Français », " la préférence nationale », et martèle que droite et gauche c'est la même chose, la seule solution devant être le Front national.

Cette orientation va prendre une nouvelle dynamique à partir des années 2008-2009, tant à cause de la crise accentuée du PS, de l'usure de Sarkozy, qui avait limité l'avancée électorale du FN, que de l'arrivée de Marine Le Pen aux commandes du parti. Elle engage une stratégie de " dédiabolisation » visant à l'intégrer au sein des institutions, municipales d'abord, régionales ensuite, pour postuler à la présidentielle de 2017. Elle crédibilise le discours national-social des années 1990, élimine les provocations - les charges antisémites - et instille dans le discours une dose de notions venues d'ailleurs sur les dégâts de la mondialisation. Le fond ne change pas, ce sont les solutions nationales, l'alliance capital-travail, le protectionnisme, le refus de l'immigration. Sur toutes les questions il présente une forme modifiée d'un fond réactionnaire.

Lors des mobilisations contre le projet de loi sur le mariage homosexuel organisées par les courants catholiques intégristes - qui refusent l'IVG, la contraception, sont homophobes, sont pour le retour de la femme au foyer - le FN en tant que tel n'a pas appelé à la plus grosse manifestation, mais ses élus y étaient ! Il a mené une campagne sur le thème : " on nous détourne des vrais problèmes, du chômage ». En même temps l'homosexualité affirmée d'un de ses élus européens ne l'empêche pas d'être vice-président du FN.

Quel est le projet politique du FN ?

Dans le contexte de crise économique, sociale et politique actuelle, cette politique lui a permis des incursions dans une partie de l'électorat populaire, tant celle qui traditionnellement votait à droite que dans une partie de l'électorat de gauche.

Les catégories populaires, quand elles sont allées voter, se sont massivement tournées vers le FN avec un total de 43 % de voix dont 38 % parmi les employés et 49 % auprès des ouvriers. Rien à voir avec le vote parmi les cadres supérieurs et les professions libérales (13 %), les retraités (20 %). Les femmes votent FN à 22 %, contre 30 % des hommes.

Cette insertion dans les classes populaires se retrouve chez les 62 élus : un tiers employés du privé, un tiers de fonctionnaires, le dernier tiers étant composé de retraités, professions libérales, cadres, chefs d'entreprise, artisans… Dans les mairies tenues par le FN depuis 2014, les résultats à ces élections de 2015 sont très bons, parfois même en progression.

Le FN commence à être un parti important. Il annonçait 42 100 membres à jour de cotisation en octobre 2014, et 53 % de ces adhérents soit 22 329 militants ont voté pour réélire Marine Le Pen à la présidence du FN. Il annonce aujourd'hui sur son site regrouper 83 000 militants. Quelle que soit la réalité de ces chiffres, la présence des militants du FN au cours de la campagne électorale a été très significative et acceptée par la population. Les militants les plus violents se sentent pousser des ailes : menaces contre les journalistes, participation d'élus FN aux milices du syndicat paysan productiviste (FNSEA) contre les occupants du site du projet de barrage à Sivens, sans parler des multiples provocations, insultes racistes...

Un des paradoxes de la situation politique actuelle est que les institutions censées garantir la stabilité par le jeu du bipartisme deviennent une machine à favoriser le FN au moment où le PS et le l'UMP sont menacés d'éclatement (7). Marine Le Pen veut transformer cette logique à son avantage pour débloquer les rapports politiques qui excluent le Front national des possibilités d'accéder au gouvernement. Ce choix stratégique impose un profil de " meilleur adversaire du système en place », dynamique et ancré dans les classes populaires. Dans le même temps il préserve et cultive son image de force réactionnaire, " conservatrice sur les mœurs ». Cette politique du seul contre tous est confortée par l'attitude actuelle de Sarkozy à son égard au second tour : " ni pour le PS ni pour le FN ».

Alors que le noyau dirigeant autour de Marine Le Pen joue presque à fond cette carte de la démagogie " contestataire du système » à caractère économique et social, certain-e-s dans le parti voient cela de plus en plus d'un mauvais œil. Ils font le calcul qu'une alliance avec la droite leur ouvrirait les portes des ministères et des affaires. Rien n'est joué entre ces deux options.

Pour la classe bourgeoise, pour les secteurs centraux du capitalisme qui construisent leur domination au travers de l'Union européenne, la volonté du FN de sortir de l'Europe est pour le moment encore incompatible avec leurs choix. Mais l'évolution des rapports de forces électoraux peut avoir un effet sur les calculs des possédants. Toutes les réflexions sur la possibilité de composer avec une majorité ou une présidence FN prendront de l'ampleur. La porosité électorale droite/FN amplifie ces réflexions. Un sondage indique par exemple que 50 % des sympathisants UMP se prononceraient pour " des alliances locales au cas par cas » avec le FN.

Et d'ores et déjà le poids du FN agit comme un aiguillon sur une droite plus à droite que jamais, où se libèrent les tendances les plus droitières. Ce qui agit aussi sur la gauche gouvernementale.

Le Parti socialiste est le système

Car une des raisons de cette évolution de la situation est l'évolution du principal parti électoral de gauche, qui traditionnellement représentait la plus grosse partie des classes populaires.

Le PS est devenu le système, au même titre que l'UMP, la droite parlementaire, dans sa politique économique et sociale, mais aussi dans ses valeurs, y compris ses mensonges. Son personnel politique n'a plus que des liens conflictuels avec les organisations de luttes des exploités et des opprimés - tant les organisations syndicales dont les directions bureaucratiques ont des dynamiques propres, que les associations de lutte pour les droits de l'homme - liens qui n'influent en rien sur les décisions importantes. Par contre les dirigeants socialistes et beaucoup des responsables du PS ont des liens forts et multiples avec le gotha capitaliste : ils proviennent des mêmes écoles, passent des cabinets ministériels, du ministère de l'Économie aux directions d'entreprises, fréquentent les mêmes lieux, sont du même monde.

Le vote pour le PS exprime bien cette coupure profonde : 28 % chez les cadres supérieurs et professions libérales contre seulement 16 % dans les milieux populaires et 29 % parmi les salariés du public contre 18 % auprès de leurs homologues du privé.

Il voit le nombre de ses militants fondre. Selon les chiffres fournis par le parti, il avait 235 511 adhérents en novembre 2008, 209 000 en septembre 2009. Aujourd'hui il assure disposer d'un fichier de 150 000 noms (8), dont 60 000 à jour de leur cotisation ! Quand on sait que le PS compte 18 300 élus tous échelons confondus, on voit que l'adhésion au PS ressemble plus à un plan de carrière politique qu'à la volonté de combattre pour changer le monde, voire même de l'améliorer.

Sur toutes les questions, les choix, ce sont les mêmes décisions que celles des gouvernements de droite : remise en cause des acquis sociaux, cadeaux au patronat, austérité, économies pesant sur ceux d'en bas, disparition de services publics, volonté de diminuer drastiquement le montant des salaires directs et indirects (9) - de l'ordre de 20 % à 30 % - tout en augmentant les bénéfices des actionnaires des grandes entreprises capitalistes, pour qu'elles " continuent à investir en France ». Au niveau national comme dans les départements et les régions, les élus PS sont les alliés des groupes capitalistes du BTP pour imposer à des populations qui n'en veulent pas des grands projets inutiles, voire nuisibles, marqués par un productivisme sans limite.

Y compris sur les sujets sociaux qui étaient des sortes de marqueurs de gauche, le glissement vers les positions réactionnaires est impressionnant. La répression contre les Roms est indigne, l'attitude contre les immigrés insupportable, les attaques quotidiennes contre les musulmans nourrissent un racisme d'État d'une puissance inconnue depuis la fin de la guerre d'Algérie, la politique sécuritaire avec une répression des mobilisations et des manifestations, et des condamnations plus graves que sous l'ère Sarkozy. Un seul exemple : le refus de mener une bataille idéologique et politique sur la question de la procréation médicalement assistée au moment du vote de la loi sur le mariage pour tous a laissé la possibilité à l'offensive réactionnaire de prendre toute son ampleur.

La politique est vue par les dirigeants socialistes comme un marché auquel il faut répondre. L'idée générale dispensée à longueur de tribunes, discours, sondages est que la société va vers la droite, que le réalisme est de droite. Il faut donc répondre à cette évolution et aller vers la droite pour rester au gouvernement.

S'il est vrai que les défaites accumulées depuis 2010 ne favorisent pas l'émergence de réponses de celles et ceux d'en bas, cette politique des socialistes est celle de la prévision auto-réalisatrice. En nourrissant ces idées réactionnaires, les dirigeants du PS sont des acteurs très puissants pour fabriquer une hégémonie idéologique qu'il nous faut combattre.

Au cours du dernier siècle cette gauche gouvernementale, celle qui place ses perspectives dans la gestion dans le cadre du régime capitaliste, a montré aux possédants, que leur domination économique, politique, idéologique sur la société n'était pas remise en cause par un gouvernement socialiste, fût-il à participation communiste. Mais elle a franchi un cap ces 15 dernières années, et ce qui a disparu dans tout cela, c'est l'idée même que l'on pouvait transformer la société, c'est le triomphe de la réussite et de la légitimité capitaliste. C'est le TINA (10) de Margaret Thatcher à la française.

L'impuissance du Front de gauche

De loin, on peut penser que le Front de gauche, qui n'est pas dans le gouvernement, pourrait occuper une place du même type que celle de Syriza.

Ce n'est pas le cas, même si ici et là les résultats de ses candidats lors de ces élections sont tout à fait honorables. Car pour offrir une réponse à la hauteur de la situation, il ne suffit pas d'être en dehors du gouvernement. Il faut être en opposition partout au PS et à sa politique, être la force qui partout se bat contre les mesures scélérates et qui propose une perspective politique alternative.

Le Front de gauche est constitué de trois partis de force inégale. Le PCF est dominant, devant le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon et le groupe Ensemble !, qui regroupe des ancien-ne-s du NPA avec ce qui reste des oppositions du PCF et des courants alternatifs.

Le PCF est un parti en régression régulière. Lors de ces élections il a perdu un des deux départements qu'il dirigeait, et la même proportion d'élus que le PS. En 2013, il affirmait avoir 130 000 adhérents, mais moins de 40 000 ont voté lors du dernier congrès.

Il est aujourd'hui entièrement tourné vers la politique électorale. Sa direction, ses cadres intermédiaires, son financement sont entièrement liés aux places occupées dans diverses institutions, notamment les mairies. La contribution des élus représente 46,4 % des ressources totales du parti (contre 26 % au Parti socialiste, 28,4 % chez les Verts et 13 % au Parti de gauche). Finie la distinction entre les responsables d'appareil et les élus, qui ont leurs propres préoccupations. Du fait de la technicisation croissante de l'action locale, ils s'entourent de cadres de la gestion publique, délaissent les relais militants ou associatifs au profit de professionnels qui leur ressemblent socialement. L'univers social des élus communistes se détache de celui de leurs administrés. L'interview d'une perdante PCF aux dernières élections au Havre est significative, elle se place d'elle-même dans un autre espace que les électeurs et électrices : " C'est dur à avaler. Un canton historiquement à gauche que j'avais gagné en le sillonnant en large et en travers. Je pense avoir fait beaucoup pour ces quartiers… Je suis sensible… Je passe ma vie à aider ces gens et ils ne sont pas au rendez-vous… Voir le FN en tête, ça me fait mal. Je ne sais pas où je vais trouver la force de continuer à me battre pour eux. »

Or les résultats électoraux sont directement liés aux accords conclus localement avec le PS dans les municipalités, les départements et les régions, où le PCF gère très souvent en commun avec le PS et en retire tous les avantages matériels qui en découlent. Il est donc très largement identifié à la gauche avec le PS.

Si la stratégie du Front de gauche a freiné son déclin électoral, cela ne va pas pour le moment jusqu'à en faire un opposant de gauche au gouvernement PS, il y a trop d'enjeux pour lui à cette rupture.

La politique du PG (11) est différente, car elle n'est pas dépendante d'alliances avec le PS. Sa direction a compris la nécessité d'avoir une indépendance nette vis-à-vis du PS et une politique s'opposant plus frontalement au gouvernement. Cela se traduit peu dans les faits, mais au plan politique par une campagne pour la " 6e République ». Mais la politique du PG perd toute crédibilité, tant les questions essentielles de démocratie s'effacent derrière la volonté de Jean-Luc Mélenchon d'être un recours lors de l'élection présidentielle. Dès lors qu'elle apparaît, non comme une politique pour un objectif, mais une politique pour une place, des places, elle ne peut être une perspective de masse.

Ces divergences entre le PCF et le PG se sont matérialisées lors des dernières élections au second tour, le PCF appelant à voter PS contre la droite, voire même retirant ses candidats pour permettre l'élection du PS, le PG ne donnant pas de consigne de vote. Elles rendent l'existence du Front de gauche très limitée. Ce n'est plus aujourd'hui qu'une étiquette électorale et même à ce niveau elle est bancale.

Quant à Ensemble, son avenir politique est tellement lié à l'existence du Front de gauche que sa politique actuelle est centrée autour du maintien de ce front.

Lors des dernières élections, le FdG a essayé de constituer un axe avec les Verts et avec un petit courant issu du PS, Nouvelle Donne, et a des contacts avec les " frondeurs » du PS. Rien qui soit une alternative radicale à la politique actuelle. Leur opposition est une opposition institutionnelle, qui cherche à gagner une majorité pour diriger le gouvernement, mais pas une opposition au système capitaliste lui-même. Cette culture de gouvernement, du réalisme, imprègne toute leur activité et les rend incapables d'offrir une perspective à même de construire une nouvelle représentation politique des classes populaires, des exploités et des opprimés.

Ce sont les mêmes divergences qui divisent les Verts, entre ceux qui souhaitent retourner au gouvernement et ceux qui ont fait alliance avec le Front de gauche. On peut même s'interroger jusqu'à quand cette organisation pourra éviter l'éclatement avec un tel niveau d'affrontement.

L'extrême gauche n'était pas visible dans cette élection. Le NPA était présent dans 5 cantons, deux listes unitaires (dont une a obtenu 16,8 %), trois listes NPA (dont une a obtenu 8,5 %) mais il n'est pas possible de tirer des conclusions de résultats aussi parcellaires. Quant à Lutte ouvrière (LO), elle s'est présentée dans 16 cantons, avec des résultats autour de 3 %.

Une nouvelle représentation politique de celles et ceux d'en bas

Ces élections confirment le constat qui s'impose un peu plus chaque jour : les exploités, les opprimés, celles et ceux d'en bas, les classes populaires, n'ont pas de parti qui les représente, qui soit un point d'appui pour les luttes, pour la bataille idéologique, pour les combats politiques. Le NPA n'a pas réussi à regrouper tous les anticapitalistes. Le Front de gauche n'est pas cette représentation. Tous les partis dont nous venons de parler ont une certaine implantation, une certaine force militante, un certain écho électoral, mais aucun n'est perçu par une fraction importante de celles et ceux d'en bas, ni même par des secteurs entiers, comme un parti qui leur est utile, qui leur sert quotidiennement pour exister en tant que classe, qui leur permette d'avoir une expression.

Dans un certain nombre d'entreprises, certaines sections syndicales, certains syndicats jouent ce rôle face au patron. C'est loin d'être le cas pour les confédérations, largement perçues elles aussi comme des institutions. L'éjection du secrétaire général de la CGT, après la révélation des travaux luxueux dans son appartement aux frais des syndiqués, alors qu'il résistait lamentablement pour se maintenir en place, ne peut que conforter le sentiment de ne pas être représentés par eux.

Y compris les secteurs combatifs du mouvement syndical qui sont aujourd'hui peu actifs pour une expression unitaire contre le gouvernement, se réfugiant souvent dans l'activité dans l'entreprise, il est vrai de plus en plus difficile.

Dans un certain nombre de secteurs, des militants sont perçus par le milieu comme étant utiles pour le combat. Mais ce n'est pas suffisant pour construire une perspective politique, pas plus que le regain de grèves sectorielles sur les salaires à l'occasion des négociations annuelles.

De tout cela, il ressort qu'aucune force politique et syndicale n'est porteuse d'une quelconque perspective, d'un quelconque espoir pour celles et ceux d'en bas.

C'est cette absence qui explique fondamentalement la situation politique et sociale, les résultats électoraux, la difficulté à organiser des luttes même ponctuelles. C'est elle qui permet à la bourgeoisie de dérouler son offensive sans réaction à la hauteur, même si en France les résistances depuis 1995 ont limité l'érosion des acquis sociaux.

C'est à la construction d'une nouvelle représentation de celles et ceux d'en bas que nous devons mettre toutes nos forces, en changeant nos pratiques organisationnelles, en partant des expériences des luttes, en nous ouvrant à toutes les confrontations politiques, en travaillant aux convergences de toutes celles et tous ceux qui sont les éléments essentiels pour cet objectif. Ne commençons pas par dire que ce sera un parti : compte tenu des expériences du XXe siècle, les formes d'organisation démocratique seront inévitablement neuves, se construiront en avançant. Ne commençons pas à définir un programme qu'il faudra expliquer, il se construira à partir des besoins, des préoccupations, des luttes et sera bien plus riche que tout ce que nous pourrions écrire.

Travaillons à cela sans relâche avec une boussole dans le combat de classe sans concession : la totale indépendance politique vis-à-vis du vieux monde politique, même si bien des militants en seront acteurs viendront, dès lors qu'ils ou elles passeront le cap, qu'ils accepteront de passer à autre chose, en toute honnêteté et avec l'enthousiasme de participer à une nouvelle aventure dans le combat contre la société capitaliste, l'exploitation et toutes les oppressions.

Comment avancer ?

D'une part, travailler à la construction d'une mobilisation la plus large possible contre toutes les mesures gouvernementales, mais aussi d'une opposition de gauche assumée à la politique du gouvernement. Par exemple en cherchant à fédérer l'ensemble de la gauche sociale et politique, comme cela est possible contre la loi Macron ces jours-ci malgré les difficultés dues en partie aux relations difficiles entre partis politiques, syndicats et associations. Être des militants utiles dans les mobilisations qui se déroulent souvent en dehors de ces cadres militants, comme celles des précaires, des intermittents, des opposants aux grands projets inutiles...

D'autre part, redonner du sens au combat politique. C'est le combat politique qui construit l'unité de la classe exploitée, qui permet une véritable lutte contre les oppressions. C'est la production par le combat d'une alternative politique qui permet la démocratie, l'action pour des objectifs partiels.

Il n'est pas besoin d'être majoritaire pour peser sur l'ensemble des débats politiques, pour influer sur la situation, pour construire une vision qui devient hégémonique, incontournable. Les gens mobilisés sur une cause juste, compréhensible, pèsent plus que leur poids arithmétique.

Par exemple, il faut voir comment réagissent les milieux populaires à une demande de transports en commun gratuits - qui pose toute sorte de questions économiques, écologiques, de gestion - pour mesurer à quel point les formes du combat politique actuel ne répondent pas aux aspirations, ni aux interrogations populaires. Les réponses peuvent être subversives, le monde est insupportable tel qu'il est, et de cela des millions d'exploités et d'opprimés en sont convaincus.

Face à la crise politique et institutionnelle actuelle, traçons un nouveau projet, un nouveau calendrier pour celles et deux d'en bas. ■

* Patrick Le Moal, militant de la IVe Internationale, fait partie de la Commission formation du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France). Cet article a été d'abord publié dans la revue électronique Viento Sur : http://www.vientosur.info

notes
1. Tous deux appartiennent au Parti socialiste.

2. L'article 49-3 de la Constitution de la 5e République autorise l'engagement de responsabilité du gouvernement sur un projet de loi, ce qui permet de forcer son adoption, sauf si l'Assemblée est prête à le renverser.

3. Il faut faire la démarche pour s'inscrire sur les listes électorales.

4. Le PS a été éliminé pour le second tour dans 580 des 2 054 circonscriptions électorales de ce scrutin, son score au premier tour n'atteignant pas les 12,5 % d'inscrits.

5. Appellation largement utilisée dans l'agitation du FN contre l'UMP et le PS, ainsi mis tous dans le même sac.

6. Une députée FN sur 577 pour 13,6 % des votes aux législatives 2012, et deux sénateurs sur 348.

7. Des débats importants existent au sein de la droite entre l'orientation de Sarkozy et celles de responsables comme Juppé plus orientés vers le centre et le " front républicain » contre le FN.

8. À comparer au principal parti de droite, le parti de Nicolas Sarkozy, l'UMP, qui revendiquait 268 000 adhérents en novembre 2014.

9. On nomme salaire indirect les cotisations sociales qui financent le droit à la santé gratuite, les retraites, la politique familiale.

10. " There is no alternative » : il n'y a pas d'alternative

11. Le Parti de gauche est environ trois fois plus petit que le PCF.

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