Du combat contre le franquisme à la IV<sup>e</sup> Internationale, il fut pour nous une référence militante
26 janvier 2014
Pour nous militants de la IVe Internationale de ces quarante dernières années, Moro - le Maure - a été une référence militante. Il a été un des fondateurs de la Ligue communiste révolutionnaire, section espagnole de la IVe Internationale dans les années 1970. Il avait participé dès la fin des années 1960 aux organisations du mouvement étudiant de Madrid, notamment le FLP (Front de libération populaire) contre la dictature franquiste.
Le Moro était un de ces jeunes étudiants produit de la radicalisation de la jeunesse des années 1960 qui liaient leur engagement contre le franquisme aux montées révolutionnaires de l'époque, de Mai 68 à la lutte de libération du peuple vietnamien et au printemps de Prague. C'était profondément un internationaliste.
Mai 68, l'intervention de la JCR (Jeunesse communiste révolutionnaire) et les premières années de la Ligue communiste en France vont le conduire à travailler avec la IVe internationale.
Il aura été le principal dirigeant de la LCR en Espagne durant toutes ces années de clandestinité et lors de la transition post franquiste. Il a été ensuite, à contre courant du désenchantement des lendemains de la fin de la dictature franquiste, un des animateurs de la LCR, mais au-delà de la gauche révolutionnaire de l'État espagnol, le Moro a aussi été un des principaux animateurs de la IVe Internationale en Europe, ainsi qu'en Amérique latine où il a participé à une série débats stratégiques de la révolution latino-américaine, notamment en Amérique centrale. Il a aussi, entre autres avec Daniel Bensaid, à qui l'unissait une vraie complicité politique et une profonde amitié, contribué à la construction des sections de l'Internationale, en Bolivie, Mexique et Brésil...
Il a ensuite choisi de poursuivre son engagement politique en créant la revue Viento Sur, une revue de référence tant par sa qualité que par son ouverture intellectuelle et politique. Il l'aura dirigée et animée jusqu'à la fin de sa vie, malgré un cancer qui le déchirait et ses forces qui s'épuisaient.
Avec la création d'Izquierda anticapitalista est apparue une organisation révolutionnaire qui faisait sienne les combats qu'il n'avait cessé de partager et il lui a apporté tout le soutien dont il se sentait capable.
Moro a été pour notre génération un exemple de ce que signifie l'engagement politique. De la clandestinité à la construction quotidienne d'organisations révolutionnaires, il était toujours présent. Loin de tout dogmatisme et sectarisme, il cherchait dans toutes les expériences révolutionnaires ce qui pouvait changer les choses, ce qui pouvait conduire à faire de la politique concrète. Mais, c'était surtout un exemple dans les relations militantes : un profond respect des individus, la recherche de ce qui unissait plutôt que ce qui divisait, et une profonde sympathie. ■
Rencontre avec " el Moro » - Miguel Romero - dans l'Espagne franquiste de 1972
Daniel Bensaïd *
(…) À Pâques [1972], je fis mon premier voyage conspiratif à Barcelone. (…) Lors de cette réunion pascale de 1972, les Madrilènes eurent la vedette. Ils préparaient un 1er mai historique, inspiré des schémas de mobilisation expérimentés en France : rendez-vous secondaires, parcours chronométrés, groupes mobiles et cocktails Molotov. L'opération était audacieuse. Malgré les arrestations, ce fut un succès. Après la répression de 1969 contre le mouvement étudiant, elle confirmait une remontée de la combativité et représentait une (modeste) victoire morale.
Celui qui, croquis en main, exposa le plan de bataille fut présenté comme le Moro. Natif de Melilla. Le Maure avait une tête d'oiseau de proie, le verbe tranchant et le sens de l'efficacité. Au fil des ans, nous sommes devenus les meilleurs amis du monde. En 1973, après une vague d'arrestations à Madrid (notre appareil, " l'appa », n'y tenait guère jamais plus d'un an), la direction de la LCR-ETA-6 (devenue section de la IVe Internationale dans l'État espagnol à l'issue de la fusion entre la Liga et ETA-6) dut déménager Barcelone. Le Moro y partageait avec deux camarades basques, Petxo et Xirri, un logement près du vieux quartier populaire de Pueblo Seco et du Molino. Lorsque la télé retransmettait un match de l'Atletico Bilbao, la révolution mondiale suspendait son pas de cigogne. Les bières glacées sortaient du frigo. Nous formions une joyeuse tribune, scandant " At-le-ti-co ! At-le-ti-co ! » pour saluer les exploits d'une équipe 100 % basque, dont certains joueurs (comme le gardien Iribar) étaient réputés sympathisants d'ETA. (…) ■
* Le site Daniel Bensaïd (http://danielbensaid.org) écrit : nous reproduisons ce passage d'Une lente impatience où Daniel Bensaïd évoque - relatant son premier voyage dans l'Espagne franquiste de 1972 - sa rencontre avec le Moro - Miguel Romero Baeza - décédé le 26 janvier 2014. " Que la tierra te sea leve » - " Que la terre te soit douce » - ces mots qui concluaient, le 24 janvier 2010 à la Mutualité, l'hommage du Moro à Daniel, nous les lui adressons aujourd'hui, en mémoire de leur longue et riche amitié.