" Ne soyez pas dupés en remplaçant une dictature religieuse par une dictature militaire »

par
Fatma Ramadan. © www.andes.org.br

Fatma Ramadan, membre de la direction du l'EFITU, la fédération égyptienne des syndicats indépendants, s'est opposée à l'appel de l'armée, suivi par le centrales syndicales, à sortir dans la rue pour célébrer le renversement de Morsi.

Le Caire, 26 juillet 2013

Mes camarades les travailleuses et travailleurs d'Égypte luttent pour leurs droits ainsi que pour une Égypte meilleure. Ils rêvent de liberté et de justice sociale, de travail à une époque où les voleurs que l'on nomme " hommes d'affaires » ferment des usines afin d'empocher des milliards. Ils rêvent de salaires équitables sous la férule de gouvernements qui ne sont intéressés qu'à promouvoir les investissements sur le dos des travailleurs et de leurs droits, et même de leurs vies. Ils rêvent d'une vie meilleure pour leurs enfants. Ils rêvent de soins lorsqu'ils sont malades, mais ils n'en trouvent pas. Ils rêvent de quatre murs et d'un toit pour trouver un vrai abri.

Avant même le 25 janvier 2011 (1), vous avez revendiqué vos droits. Vos grèves et manifestations pour les mêmes exigences, qui sont restées sans réponse, ont continué après le renversement de Moubarak. Les Frères musulmans, autant que l'armée, ont négocié à gauche, à droite et au centre, sans jamais avoir une seule fois pris en compte — sans même avoir eu à l'esprit — vos revendications et vos droits. Tout ce qu'ils ont en tête c'est de trouver comment éteindre les petits feux que vous avez allumés par vos luttes à une époque obscure, même si ces étincelles sont éloignées les unes des autres.

Synthèse actualisée Inprecor sur l'Egypte

L'armée n'a-t-elle pas mis un terme par la force à vos grèves à Suez, au Caire, dans le Fayoum et partout ailleurs en Égypte ? Les militaires n'ont-ils pas arrêté beaucoup d'entre vous et n'avez-vous pas été traînés devant des tribunaux militaires alors que vous ne faisiez que pratiquer votre droit à vous organiser, à faire grève et à protester pacifiquement ? N'ont-ils pas œuvré avec pugnacité pour criminaliser vos droits au moyen d'une législation interdisant à tous les Égyptiens d'organiser des protestations pacifiques, des grèves et des sit-in ?

Arrivèrent ensuite Morsi et les Frères musulmans, qui suivirent les traces de Moubarak pour ce qui a trait aux licenciements, aux arrestations et aux grèves, brisées par la force. C'est Morsi qui a envoyé des chiens policiers contre les travailleurs de l'entreprise Titan Cement à Alexandrie, agissant à travers le ministère de l'Intérieur et ses hommes. La même police et les mêmes officiers de l'armée, qui sont aujourd'hui hissés sur les épaules, sont des tueurs de jeunes Égyptiens honnêtes. Ils sont l'arme des autorités contre nous tous — et il en sera toujours ainsi à moins que ces institutions soient nettoyées.

Les dirigeants des Frères musulmans planifient des crimes contre le peuple égyptien de manière quotidienne, ce qui a eu pour résultat l'assassinat de personnes innocentes, alors que l'armée et la police répondent à cela par une violence brutale et le meurtre. Mais que l'on se rappelle à quel moment l'armée et la police sont intervenues. Elles sont intervenues longtemps après que les affrontements aient commencé et elles arrivent presque toujours à la fin, une fois que le sang a été répandu. Demandez-vous pourquoi ils n'ont pas empêché ces crimes commis par les Frères musulmans contre le peuple égyptien avant même qu'ils ne débutent ? Demandez-vous où résident les intérêts de la poursuite des combats et du sang versé ? C'est dans l'intérêt conjugué de la direction des Frères musulmans autant que de celle de l'armée. De la même manière que les pauvres sont de la chair à canon dans les guerres entre États, les pauvres, les travailleurs et les paysans d'Égypte constituent le carburant de la guerre intérieure et du conflit. Les fils innocents de pauvres n'ont-ils pas été tués aussi bien à Mokattam qu'à Gizeh ?

Il nous a été aujourd'hui demandé de sortir dans les rues et de donner une autorisation à la fête meurtrière d'Al-Sissi. Nous avons malheureusement découvert que les trois fédérations syndicales étaient d'accord pour le faire : l'étatique Egyptian Trade Union Federation (ETUF), l'Egyptian Democratic Labour Congress (EDLC) et l'Egyptian Federation of Independent Trade Unions (EFITU, dont je suis membre du comité exécutif).

J'ai débattu avec les membres du comité exécutif de l'EFITU afin de les convaincre de ne pas publier une déclaration appelant ses membres et le peuple égyptien à sortir dans les rues le vendredi 26 juillet, pour montrer que l'armée, la police et le peuple ne forment qu'une seule main — comme le dit la déclaration. J'appartenais à la minorité, gagnant quatre autres voix contre neuf. Ainsi, les trois fédérations syndicales appelèrent les travailleurs à se joindre aux manifestations sous prétexte de combattre le terrorisme.

Nous passons ainsi de Charybde en Scylla. Les Frères musulmans ont commis des crimes dont ils doivent être tenus responsables et poursuivis en justice, de la même manière que la police ainsi que les officiers et soldats du régime Moubarak doivent être tenus responsables et poursuivis pour leurs crimes. Ne soyez pas dupés en remplaçant une dictature religieuse par une dictature militaire.

Travailleuses et travailleurs d'Égypte, soyez attentifs car vos revendications sont claires comme de l'eau de roche.

Vous voulez du travail pour vous et vos enfants, vous voulez une paie équitable, des lois qui protègent vos droits contre les lois que les hommes d'affaires de Moubarak avaient conçues pour protéger leurs intérêts contre vos droits. Vous voulez un État qui réalise un véritable plan de développement, ouvrant de nouvelles usines afin d'absorber une force de travail croissante. Vous voulez la liberté, les libertés de tout type, liberté de s'organiser, liberté de grève. Vous voulez un pays où vous pouvez vivre en tant que citoyens libres sans torture et sans meurtre. Vous devez identifier ce qui se dresse entre vous et ces revendications. Ne soyez pas dupés et emmenés par l'armée dans des batailles qui ne sont pas les vôtres. N'écoutez pas ceux qui exigent de vous aujourd'hui et demain que vous arrêtiez de lutter pour ces revendications et ces droits au prétexte de la lutte contre le terrorisme. ■

* Déclaration de Fatma Ramadan, membre du comité exécutif de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (EFITU). Cette déclaration est une traduction, réalisée par A l'Encontre, d'une adaptation de l'original arabe publiée sur le site du réseau de solidarité avec les travailleurs du Moyen-Orient : al-manshour.org. Publié par A l'Encontre le 28 juillet 2013.

notes
1. La révolution égyptienne a commencé par des manifestations le 25 janvier 2011.