Une tragédie brutale qui n'aurait jamais dû arriver

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Le 16 août 2012, la police a tiré pour tuer sur les 3.000 mineurs de la mine de platine Marikana (nord-est de Johannesburg), faisant 34 morts et 78 blessés. La mine appartient à Lonmin, troisième producteur mondial de platine. Les mineurs étaient en grève pour leurs salaires. Les mineurs sont en rupture avec le syndicat NUM. Analyse des responsabilités.

Aucun événement survenu depuis la fin de l'apartheid ne résume mieux la superficialité des transformations survenues dans le pays que le récent massacre de Marikana. Ce qui s'est passé sera sans doute débattu durant des années. Il est déjà clair que l'on reprochera aux mineurs d'avoir usé de la violence. Ils seront dépeints comme des sauvages. Pourtant, le fait est que la police, fortement armée, a brutalement tiré à balles réelles, tuant ainsi 44 mineurs et en blessant bien plus. Dix autres travailleurs avaient déjà été tués juste avant ce massacre.

Ce massacre n'est pas le fait de quelques policiers crapuleux. Il est le résultat de décisions prises au sommet des instances policières. La police avait promis de répondre par la force et elle est effectivement arrivée armée de balles réelles. Elle ne s'est pas mieux comportée que la police de l'apartheid face au massacre de Sharpeville en 1960 (2), aux insurrections de 1976 à Soweto (3) et aux manifestations des années 1980, où de nombreuses personnes furent tuées. Des réponses violentes et agressives de la police face aux protestations qui trouvent un écho et une résonance dans ce dernier massacre.

C'est une tache de sang dans la nouvelle Afrique du Sud. C'est un échec de direction. Échec de direction de la part du gouvernement : de ses ministres du Travail et des Ressources minières qui ont brillé par leur absence durant tout l'épisode; de son ministre de la Police qui soutient que cette affaire n'est pas politique, un simple conflit du travail donc, et qui défend l'action de la police; un échec enfin du Président qui n'a répondu à cette crise que par des banalités, et qui n'a pas jugé bon de mobiliser le gouvernement et ses énormes ressources pour s'intéresser immédiatement à la situation des mineurs, et aujourd'hui à celle de leurs familles endeuillées.

C'est également l'échec et la trahison de la direction de la mine de Lonmin, qui a refusé de mener à bien les engagements pris envers les leaders syndicaux de rencontrer les travailleurs et d'entendre leurs revendications. La direction a dû faire le grand écart, ayant d'abord accepté de négocier avec les travailleurs pour ensuite y renoncer, prétextant qu'ils avaient déjà un accord de deux ans avec la National Union of Mineworkers (NUM).

Synthèse actualisée Inprecor

Il s'agit malheureusement aussi d'une défaite de la direction syndicale : en premier lieu de la NUM, qui voit chaque opposition à sa direction comme criminelle, considérant a priori qu'elle est nécessairement une création de la Chambre des Mines. Ce qui n'est évidemment pas le cas. Il s'agit également d'une défaite de la direction de l'Association of Mining and Construction Union (AMCU), qui agit de manière opportuniste dans le but de recruter des membres mécontents de la NUM, mobilise les travailleurs autour de demandes irréalistes et échoue à condamner la violence de ses propres membres.

Le niveau de violence dans nos mines démontre les profondes divisions et la polarisation existantes au sein de la société sud-africaine. Les mineurs sont employés dans des situations extrêmes de pauvreté et vivent souvent dans des conditions très précaires, dans des campements dépourvus des services de base. Les mineurs sont généralement recrutés de manière informelle, par l'entremise de " recruteurs » payés par la direction de la mine, et ne bénéficient pas de conditions de travail décentes. La " grève sauvage » (comme d'autres grèves similaires dans les mines) qui a déclenché les événements conduisant au massacre est une réponse à la violence structurelle du système minier sud-africain. Néanmoins, il s'agit également d'une réponse à quelque chose d'autre, que l'on ne saurait ignorer.

Les propriétaires des mines, enrichis grâce à l'expérience BEE (1), y voient une opportunité de monter les dirigeants syndicaux " raisonnables » contre les travailleurs. Ils ménagent de bonnes relations avec les syndicats, conduisant à les opposer aux travailleurs de la base. La colère dans les mines est une colère profonde envers la direction, mais qui se dirige progressivement contre la complaisance et l'échec de leurs directions syndicales à défendre et représenter les intérêts des travailleurs. La division entre les membres des syndicats et leurs directions est l'un des facteurs expliquant ce qui s'est passé à Lonmin et qui se passe dans d'autres mines de platine. Néanmoins, le massacre de 44 travailleurs est le résultat de la violence de l'État, et particulièrement de la police. Tôt ou tard, le ministre de l'Intérieur Mthethwa devra prendre ses responsabilités et démissionner. ■

Commentaire éditorial du site web de la revue sud-africaine Amandla ! du 17 août 2012 .

notes
1. " Black Economic Empowerment », programme du gouvernement destiné à redresser les inégalités issues de l'apartheid, qui conduit de fait à la cooptation des " nouvelles » élites noires au sein des " vieilles » élites blanches, en position subordonnée d'ailleurs.

2. Le 21 mars 1960, pour protester contre la restriction à la liberté de mouvement, le Congrès panafricain organise des manifestations qui dégénèrent en émeutes. Massacre de Sharpeville, répression sanglante d'une manifestation pacifique. 69 morts. En signe de deuil, quelque 500.000 travailleurs noirs participent à une grève à domicile (Note Inprecor).

3. Du 16 au 22 juin 1976, Soulèvement de Soweto, principale ville noire de la banlieue de Johannesburg. Les lycéens s'emparent des rues de Soweto pour protester contre l'obligation qui leur est faite d'apprendre l'afrikaans, la langue des oppresseurs blancs. La police abat des manifestants. 140 morts. Vague d'émeutes pendant 18 mois (Note Inprecor).

traducteur
Giulia Willig